Sleeping Beauty, interdit aux moins de 16 ans pour « incitation à la prostitution, climat malsain et pervers »

Posté par vincy, le 31 octobre 2011, dans Actualité, société, Cannes, Films, exploitation, salles de cinéma.

On n'a pas du voir le même film.

Premier long métrage en compétition projeté à Cannes, le premier film de Julia Leigh, Sleeping Beauty, pourrait être interdit aux moins de 16 ans en France. Le film australien, qui sort le 16 novembre dans les salles françaises, se voit accuser par l'avis de la Commission de classification des films "d'incitation à la prostitution, climat malsain et pervers". "En raison de la peinture de personnages à la dérive dans des situations difficilement compréhensibles par un public jeune et susceptible de heurter ce dernier", le couperet est tombé sévèrement.

On n'a pas du voir le même film car Sleeping beauty joue davantage avec l'onirisme et le mal être de sa jeune héroïne qu'avec des actes sexuels filmés de manière pornographiques. La prostitution, un sujet parmi d'autres, est avant tout un rituel sophistiqué et très critiqué dans le film. Certes, des scènes peuvent déstabiliser, l'érotisme masochiste n'est pas très loin dans certains plans, mais si cela dérange un spectateur de 15 ans, l'effet peut être similaire sur un adulte de 45 ans.

La distributrice, Michèle Halberstadt (ARP Sélection) a immédiatement décidé de faire appel de cette décision auprès du Ministre de la culture et de la communication. "J'espère que le ministre va peut-être soit trancher, s'il a vu le film, soit demander à la commission de reconsidérer sa position". Elle affirme qu'il n'y a rien de justifier dans cette interdiction lourde (qui tue le film dès sa sortie). D'autant que le distributeur aurait accepté une interdiction aux moins de 12 ans avec avertissement. "Le film est passé à Cannes à 19H30, ce qui prouve qu'il n'y avait aucune ambiguïté dans la tête des sélectionneurs, sinon ils l'auraient mis à 22H30", rappelle Halberstadt.

Bien sûr il ne s'agit que d'un avis consultatif. C'est le Ministre qui décide. Mais cette affaire en dit long sur l'Américanisation de notre regard sur la culture. Le puritanisme revient-il en force? Alors que le Théâtre de la Ville est assailli par des catholiques intégristes à cause d'un spectacle de Romeo Castellucci, on s'interroge sur la vision conservatrice qui reprend le dessus dans le débat culturel, pas franchement soutenu par une télévision de plus en plus conformiste. "Une oeuvre d'art n'est jamais immorale. L'obscénité commence où l'art fini" écrivait Raymond Poincaré. Ce serait bien qu'on se le rappelle, ad minima au nom de la liberté d'expression.

Pour Sleeping Beauty, un avertissement aurait du suffire. Le film avait peu de chance de séduire un public jeune et il est stupide de refuser l'entrer à des ados éventuellement accompagnés d'adultes avec qui ils peuvent débattre après la projection. Dans Le Skylab, les parents de la jeune héroïne interprétés par Julie Delpy et Eric Elmosnino expliquent qu'ils l'ont emmenée voir Apocalypse Now et Le Tambour alors qu'elle n'a même pas 12 ans... Ce ne serait plus possible?

Il y a encore 1/5e des films qui sont frappés d'un avertissement ou d'une interdiction.

Sleeping Beauty raconte l'histoire d'une étudiante fauchée qui multiplie les petits boulots et qui accepte, finalement, de dormir nue sous somnifère pendant que des hommes âgés viennent partager sa nuit, en ignorant tout de ce qui se passe. Le film n'avait suscité aucune controverse, aucune polémique à Cannes.

Thierry Frémaux, le délégué général du Festival de Cannes, est lui aussi etonné "face à une telle mesure qui frappe un film de la compétition, programmé à 19h, qui ne nous semble à aucun moment faire l'apologie de quoi que ce soit".

La réalisatrice Julia Leigh rappelle que son film "se réfère au conte du même nom, mais aussi aux œuvres de Yasunari Kawabata et Gabriel Garcia Marquez, qui ont tous deux reçus le Prix Nobel de littérature, et qui ont abordés cette thématique des hommes âgés dormant avec des filles bien plus jeunes. Et même dans la Bible, le Roi David cherche à passer la nuit aux cotés de jeunes vierges endormies". Elle ajoute avec panache et provocation que "le vrai film à interdire, c'était Pretty Woman, car voir cette fille se prostituer, et gagner à la fin et le mec et l'argent, était bien plus incitatif à la prostitution! Dans Sleeping Beauty, l'héroïne hurle d'effroi en comprenant que, même s'il n'y a pas pénétration, offrir son corps endormi n'est pas anodin..."

Quoique décide Frédéric Mitterrand, le film n'attendait pas autant de publicité : ce ne sera pas un mal face à une effroyable concurrence le 16 novembre. Mais c'est aussi une fausse publicité : le film n'a rien du caractère sulfureux dont on l'accuse.

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commentaires3 commentaires
  1. Posté par GauthierJ, le 31 octobre 2011 à 20:34

    Cher Internaute,

    Vous comprenez très bien le problème soulevé par cette interdiction au moins de seize ans et vous posez les questions qu’il faut. Mais, comme toute personne qui montre du doigt l’affreuse commission de classification qui devient si puritaine, vous vous appuyez sur des arguments qui ne sont pas si justes que ça.
    Il y a deux différences entre vous et moi : la première, c’est que vous avez vraisemblablement vu le film. Pas moi.
    La seconde, c’est que je serai sans doute amené à le voir bientôt, puisque ce sera mon tour de siéger à la commission et que nous allons peut-être revoir « Sleeping Beauty ».

    Il est bien normal de vous rappeler tout d’abord que la commission n’a pas à prendre une décision qui va faciliter le succès public en salles. Nous ne sommes pas distributeurs. Nous ne nous occupons que de la protection de l’enfance face à des images qui pourraient choquer. Ce n’est pas notre rôle de nous soucier de la carrière du film.
    Ensuite, vous dites que le film est passé au festival de Cannes à 19h. Soit. Il ne me semble pas que le festival de Cannes soit ouvert au public. C’est donc un exemple mal choisi : si le film n’est montré qu’à des spécialistes du cinéma, nous n’avons pas à nous poser la question de sa classification.
    Vous avancez également un argument qu’on entend souvent dans nos débats : « il n’est pas probable que de jeunes enfants se trouvent confrontés à ce film en salle ». Non, en effet. Pas probable, mais pas impossible. Nous sommes obligés de faire avec cette infime probabilité.
    Là où votre article est particulièrement pertinent, c’est quand il interroge sur la différence entre un ado de quinze ans et un de seize ans. En effet, la frontière est plus mince que lorsqu’il s’agit d’un enfant de douze ans. Nous nous posons aussi régulièrement cette question, en essayant de faire évoluer les choses dans le bon sens. En attendant, la frontière de cette classification est posée à seize ans. Il faut bien pouvoir la mettre quelque part.

    Enfin, avant de nous traiter de puritains trop vite, laissez-moi vous rappeler que nous sommes le pays qui dispose de la classification la plus coulante au monde. Et permettez-moi de retourner le chiffre que vous avancez pour le rendre plus clair : vous dites qu’un cinquième des films sont frappés d’un avertissement ou d’un interdiction. En décrypté, ça veut dire que 80% des films qui sortent sont « tous publics ». Nous sommes d’accord.

    En tout cas, je vous souhaite un bonsoir cinéphile. Il me semble que nous n’avons aucun mal à nous entendre sur ce point !

  2. Posté par PETSSSsss, le 3 novembre 2011 à 15:16

    En effet, il n’y a vraiment pas de quoi se scandaliser sur Sleeping Beauty. Je crois qu’on peut largement attendre 16 ans pour le voir compte tenu des thèmes abordés et je ne pense pas que l’interdiction le privera de son public qui sera de toute façon adulte vu que c’est un film d’auteur pas forcément très accessible.

  3. Posté par JORQUERA, le 13 novembre 2011 à 5:23

    N’oubliez pas non plus qu’à ce jour le Cinécity de Nouméa n’envisage pas de projeter « L’ordre et la morale » de Mathieu Kassowitz à sa sortie nationale le 16 novembre. Une manifestation devant le cinéma est prévue ce même jour. Merci de relayer l’information. DJ

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