Lors de sa conférence de presse pour Les Frères Sisters à Venise, le réalisateur Jacques Audiard a critiqué l’absence de femmes à la tête des festivals de cinéma. "Ne nous posons pas la question du sexe des films, posons-nous la question de savoir si les festivals ont un sexe, si les dirigeants des festivals ont un sexe. Ça, c’est une question simple et la réponse est oui. Je pense qu’il y a un problème là, et un autre problème, c’est que depuis vingt-cinq ans, j’ai souvent vu les mêmes têtes, les mêmes hommes à des postes différents, mais toujours là. " Par ailleurs, il a regretté sa solitude sur ce sujet: "J’ai envoyé des courriers à mes confrères de la sélection et j’ai senti qu’il n’y avait pas un écho formidable."
Pourquoi ce n'est plus tout à fait vrai? ça change déjà puisque Berlin, après 18 ans de règne de Dieter Kosslick, va être codirigé paritairement par Carlo Chatrian et Mariette Rissenbeek. Locarno sera dirigé par une femme, Lili Hinstin, pour remplacer Chatrian. A Toronto, après 23 ans à la tête du festival, Piers Handling va passer la main au plus jeune Cameron Bailey, d'origine barbadienne (Antilles britanniques).
Vieux débat, plutôt cannois jusqu'à présent, il a aussi noté la sous-représentation féminine en compétition (une réalisatrice, Jennifer Kent, pour vingt réalisateurs). Audiard s'est lancé dans un vif plaidoyer pour l'égalité. Jacques Audiard, qui est membre du mouvement féministe "50/50 pour 2020", en appelle donc à changer les choses en féminisant les comités de sélection et les sélectionneurs des festivals."L’égalité, ça se compte, la justice, ça s’applique, c’est très simple. Après on commencera à être un peu sérieux et on évitera ces aberrations comme ce vingt contre un." Il fait partie des signataires des appels à l'égalité des sexes, signés à Cannes, Locarno et Venise.
Pourquoi le problème est ailleurs? on ne le dira jamais assez, la faute n'est pas forcément celle des festivals. Rappelons qu'Alberto Barbera, le directeur artistique de la Mostra, avait déclaré en août qu’il préférerait "changer de métier plutôt que d’être obligé de sélectionner un film parce qu’il a été réalisé par une femme et non parce qu’il est réussi." La discrimination positive (hormis l'obligation de sélectionner des films nationaux, une sélection doit rester libre, comme une ligne éditoriale d'un journal) n'est pas applicable. Si on veut plus de femmes dans les sélections, il faut plus de femmes dans les écoles de cinéma et surtout que les producteurs/productrices fassent davantage confiance aux réalisatrices. C'est là un retard qui perdure dans le monde entier. Par ailleurs, il y a de nombreuses femmes dans les comités de sélection y compris dans ceux de Cannes, même si la proportion reste majoritairement masculine.
Longuement applaudi pour ce "manifeste", il a lancé à la presse: "Non, on applaudit pas. On agit".
Pourquoi Jacques Audiard n'est pas le mieux placé pour parler égalité? Regardons sa carrière. Réalisateur de vidéo-clips? Pas une seule chanteuse. Scénariste? Pour trois réalisatrices contre 11 réalisateurs. Producteur? Deux réalisateurs (dont Campillo pour 120 BPM). Ses co-scénaristes? Que des hommes depuis son premier film, et côté adaptations, que des romans écrits pas des mecs. Ses directeurs de la photographie? Sur ses 8 films, une seule fois, Audiard a engagé une directrice de la photo. Son compositeur de musique? Alexandre Desplat. Ses acteurs? Hormis Sur mes lèvres et De rouille et d'os, aucune femme dans un rôle principal. Dans Les Frères Sisters, tous les personnages sont masculins, hormis une chef de village (très masculine) et ses prostituées (petits rôles) et la mère (5 minutes à l'écran). Le générique compte neuf producteurs masculins pour trois productrices, et sinon une monteuse, trois femmes au casting, une décoratrice et une costumière. John C. Reilly, acteur et co-producteur du film, a beau se défendre en assurant que la moitié de l'équipe de Les Frères Sisters était féminine, ce n'était pas forcément aux postes les plus prestigieux d'un tournage. On remarque d'ailleurs sur cette photo de tournage, qu'il n'y a que quatre femmes sur le plateau, aux côtés de onze hommes. On agit?
C'est le film iconique d'un maestro du 'giallo': Suspiria de Dario Argento, sorti en 1977, peut-il faire l'objet d'un remake ? Déjà à Venise en 2010, la question avait été directement posée à Natalie Portman, présentant alors Black swan, qui était intéressée par coproduire le projet pour jouer un autre rôle de danseuse effrayée... Il y a eu une vague de remake des classiques du cinéma fantastique des années 70: des films mal vieillis devenaient parfois plus efficaces (comme La colline a des yeux de Wes Craven mais par Alexandre Aja) tandis que des chefs d'oeuvre étaient inutilement caricaturés (comme Carrie de Brian de Palma par Kimberly Peirce).
Alors, qu'allait-il en être de Suspiria ? C'est resté une mauvaise idée pendant plusieurs années puis finalement un tournage a commencé... Le voila en compétition cette année à Venise. Sans doute parce que le réalisateur est devenu "hype" depuis son dernier film, alors que Venise l'a souvent snobé tout au long de sa carrière.
Quand l'équipe arrive on retient son souffle : le réalisateur Luca Guadagnino (auréolé du succès de Call me by your name), le scénariste de films et séries de genre David Kajganich, les actrices Dakota Johnson, Chloë Grace Moretz, Mia Goth, la grande Tilda Swinton, mais aussii Jessica Harper (la vedette du Suspiria d'Argento), et Thom Yorke (du groupe Radiohead) qui signe là sa première musique de film. Avec une telle réunion de talents ce remake est forcément attendu : et il est très réussi car il est assez différent de celui de Dario Argento.
Le début du film de 1977 voit l'héroïne arrivée sous la pluie à une prestigieuse école de danse de Fribourg au moment où une pensionnaire s'enfuit perturbée (personne ne la reverra)... Dans ce nouveau film l'histoire se déroule toujours en 1977 et l'académie de danse est à Berlin (ce qui fait un lien avec Cabaret), une pensionnaire perturbée s'en va sous la pluie, elle va parler à quelqu'un, elle (nous) explique ce qui l'inquiète dans cette école, et l'héroïne arrive plus tard.
Les amateurs de frayeur viscérale continueront de préférer l'original de Dario Argento qui fait beaucoup plus peur (malgré la peinture rouge grossière pour imiter le sang), cette peur étant provoquée pour ses mises à mort (les coups de poignard, l'attaque du chien, le piège de barbelés, les hurlements) et par la combinaison des éclairages contrastés (les lumières rouge, vert, jaune, et les ombres) et la musique composée de bruitages stridents. Et c'est seulement en cours de film que l'on découvre la sorcellerie : «Que font les sorcières ? leur seul but c’est de faire souffrir c’est tout en faisant appel au monde de l’occulte elles peuvent obtenir le pouvoir leur permettant d’influer sur la réalité d’agir sur des personnes dans le sens maléfique du concept».
Ce nouveau Suspiria joue plutôt avec une angoisse étrange et diffuse qui devient au fur et à mesure oppressante. Dès le début l'hypothèse de la possibilité de sorcières est déjà exprimée, le spectateur ne cherche pas vraiment quoi mais découvre comment. La tonalité des décors est d'ailleurs plutôt neutre ou sépia, et ce n'est qu'au moment du climax final que la couleur rouge-sang arrive. Dans le pensionnat de Dario Argento il n'y avait qu'une seule séquence d'échauffement de danse, cette fois il s'agit bel et bien vraiment d'une école de danse : on y voit une séquence d'audition, des séances d'exercices et de répétition, et même un spectacle devant un public. Chez Argento les phénomènes surnaturels perturbaient surtout l'esprit de l'héroïne et d'une amie, chez Luca Guadagnino les mauvais sorts s'acharnent surtout sur les corps de danseuses : les corps torturés sont tordus, cassés et désarticulés. Là où Argento était efficace c'était d'avoir concentré l'histoire dans un quasi huis-clos (l'école). Ce nouveau Suspiria raconte cette histoire avec une autre perspective et en parallèle d'autres points de vue, extérieurs à l'école (un vieux médecin, une femme catatonique).
C'est en fait tout la structure de ce nouveau Suspiria qui est différente : le générique d'introduction indique qu'il y aura un découpage en six actes et une épilogue, et surtout le récit va prendre une ampleur inédite : le film dure 2h30 ! Moins effrayant, plus esthétique, plus chic moins choc, se rapprochant davantage du cinéma de Fassbinder, plus dramatique mais moins drôle que l'original.