C'était l'un des moments embarrassants des César vendredi soir. La cérémonie, qui a attiré à peine1,6 million de téléspectateurs, a connu beaucoup de flottements, mais lors de la remise du césar du meilleur film étranger, le summum a été atteint. Et pour cause, après le dévoilement du lauréat - Une affaire de famille - personne n'est venu chercher la récompense et remercier les votants. Le JDD a révélé que le réalisateur Hirokazu Kore-eda était "très triste et contrarié". On le comprend. retenu à Los Angeles pour les Oscars, d'où il est reparti bredouille cette nuit, il avait transmis une lettre "au cas où".
Or personne n'a pris le temps de lire son message. "J'avais rédigé et confié un message à mon équipe française au cas où le film serait primé. Mais il semblerait qu'un petit couac ait empêché le message de vous parvenir et que personne n'ait été présent dans la salle pour recevoir le prix à ma place. Au nom de toute l'équipe du film, je présente mes plus sincères excuses à l'Académie des César pour cette impolitesse" explique-t-il au journal.
Le JDD s'est donc procuré le courrier du réalisateur, qui, malicieusement, espère être présent l'année prochaine avec son premier film français.
"Chers amis français, bonjour.
Si ce message vous parvient, c'est que mon film Une affaire de famille a reçu le César du meilleur film étranger. Merci infiniment.
Il se trouve que je vous écris ce message avant même de connaître les résultats car, à mon grand regret, je ne pourrai pas être présent parmi vous lors de la cérémonie du palmarès. Une affaire de famille a reçu un excellent accueil en France et je remercie les spectateurs français d'être allés si nombreux en salle pour le découvrir. Le parcours du film a brillamment démarré par une Palme d'or et je suis heureux de voir qu'il se conclut également de la plus heureuse des manières grâce à ce César. Je voudrais exprimer toute ma gratitude aux organisateurs du Festival de Cannes ainsi qu'au distributeur français du film, Le Pacte, et au vendeur international, Wild Bunch, qui ont accompagné la sortie française du film avec succès.
Je suis actuellement en train de finaliser le montage du dernier film que j'ai tourné entre octobre et décembre dernier. Le film mettra en scène Catherine Deneuve et Juliette Binoche dans une histoire de famille [La vérité, ndlr].
J'espère sincèrement que l'an prochain, je serai à nouveau nommé aux César avec ce film et que cette fois je pourrai être avec vous pour la cérémonie de remise des prix. Merci beaucoup."
Carlotta a sorti cette semaine dans quelques salles françaises un film japonais du regretté Toshio Matsumoto (vidéaste, théoricien, artiste et réalisateur), Les funérailles des roses (en japonais Bara no soretsu). Le film a 40 ans et il est inédit. Ce premier long métrage, récit d'un Oedipe gay tragique dans Tokyo, explore le monde souterrain des travestis japonais, officiant dans des bars chics et bien tenus, et notamment le si bien nommé Genet (en hommage à l'écrivain français). Mais Toshio Matsumoto, avec un cinéma héritier de Bunuel, Godard et Marker, va beaucoup plus loin sur la forme comme sur le fond. Si le fil conducteur suit Peter, jeune garçon qui fuit le domicile matriarcal pour s'émanciper en fille, amoureuse de son employeur, le film est une succession d'audaces narratives, profitant sans aucune limite de sa non-linéarité. Les funérailles des roses mélange ainsi allègrement la chronologie des événements, avec certains enchaînements proches du surréalisme, et s'amuse de manière très libre à flirter avec le documentaire (des portraits sous forme de micro-trottoir face caméra de jeunes tokyoïtes gays) et le cinéma expérimental.
Hybride jusqu'au bout, le film se travestit comme ses personnages. Il est à la fois une étude anthropologique de la culture queer et underground du Japon des années 1960, pas très loin du swinging London côté mode, et fortement influencé par la Nouvelle vague, le situationnisme et l'existentialisme français. Tout en respectant les contraintes de la censure, il y a un côté punk, c'est à dire un aspect de contre-culture dans le film, qui passe aussi bien par la distanciation (on nous montre parfois le tournage même de la scène que nous venons de voir), la dérision (des gags comme du pastiche), l'angoisse psychologique (tous ont peur d'être abandonnés et sont en quête d'affection), le sous-entendu (sexuel), l'horreur (finale, tragique) et surtout, la surprise.
Car le cinéaste ne ménage pas le spectateur en s'offrant des virages inattendus, passant d'un genre à l'autre, de scènes parodiques et rythmées (les rivalités façon western ou kung-fu sont hilarantes) à des séquences plus oniriques où le temps se distord (sous l'effet d'un joint ou de la peur). On est alors fasciné par ce délire maîtrisé, où se croisent bulles de bande dessinée et art contemporain, plans surexposés ou références détournées, qui brouille les codes du cinéma, pour accentuer la folie du personnage principal, et ce réalisme passionnant d'une communauté loin des stéréotypes filmés par le cinéma japonais parvenu jusqu'à nous à cette époque.
Il y a ainsi le film dans le film (y compris l'insertion de courts métrages du cinéastes), le film d'un Tokyo gay, le film d'un duel entre deux concubines, le film d'un jeune gay paumé, le film d'une jeunesse alternative, le film politique, le film comique, le film romantique, le film dramatique et le film psychologique. Les témoignages sont aussi intéressants que cette histoire est intrigante.
Ces funérailles sont parfois bricolées, mais elles gagnent leur dignité: l'œuvre est assurément majeure dans le cinéma LGBT, le cinéma japonais et le cinéma des années 1960. C'est un film engagé, et même activiste, où se mêlent les avant-gardes de l'époque, entre sentiment de révolte et aspiration au changement. Qu'il soit flamboyant, moqueur, érotique, théâtral ou bordélique, le film est transgressif cinématographiquement (il y a longtemps que le queer ne l'est plus tant que ça dans la société). Toshio Matsumoto a finalement réalisé un film dont les héros revendiquent leur place dans la société comme Les funérailles des roses réclament sa place singulière dans le septième art.