Sacré par un Ours d’or mais aussi par le prix FIPRESCI de la critique internationale, Synonymes repart de Berlin avec un autre titre: c’est le premier film israélien à remporter la récompense suprême berlinoise. Le film sortira en salles en France le 27 mars.
D’un point de vue cinématographique, le choix du jury est assez audacieux. Le film peut paraître déroutant et laisser à distance ceux qui ne rentrent pas dans ce « délire » érudit, allégorique et foutraque. Pourtant, c’est aussi toute sa force: à travers cette épopée romanesque (au sens littéraire du terme) et romantique, Nadav Lapid propose une réflexion sur Israël - qui fera enrager Netanyahu - et un reflet de la France. Il relie affectivement les deux pays avec un triangle amoureux dont les élans et les débats rappellent les films de Godard, Truffaut ou Bertollucci.
Suleiman et Modiano
Synonymes semble être un croisement cinématographique entre un de ces drames burlesques d’Elie Suleiman et une odyssée parisienne de Patrick Modiano. Le film est un mouvement perpétuel, fortement influencé par Blake Edwards, celui des corps comme celui du langage. Apprendre la langue de l’autre pour oublier la sienne et ce qu’elle véhicule.
Dans ce tourbillon de la ville, le réalisateur parvient à faire exister son personnage (Tom Mercier), qui fuit Israël et la guerre, avec son lot de galères pour survivre sans un sou, dans un pays où il ne connaît personne. Il commence en effet le film littéralement à poil, sans rien. C’est un film frontal. Ou le riche côtoie le pauvre, la beauté des âmes coexiste avec la réalité un peu laide, où chacun, pourtant généreux ou aimant, teste ses limites.
Allons enfants de la Patrie !
Mais il réussit surtout à doser subtilement ses déclarations d’amour à la France - tout en s’amusant de ses défauts - et justifier son rejet d’Israël. Si le film a remporté cet Ours d’or, ce n’est pas sans arrière-pensée politique. Alors que l’antisémitisme ressurgit à découvert en Europe, que l’amalgame avec l’antisionisme n’est toujours pas clair pour beaucoup, Nadav Lapid préfère porter sa charge contre l’Etat, et donc le gouvernement en place. Comme nous l’écrivions lors du bilan de la Berlinale, « le personnage principal trouve une succession de qualificatifs allant d’odieux à fétide » pour définir ce pays qu’il renie.
Voilà pour le recto de l’histoire. Il y a aussi le verso. Cette hymne à cette France laïque, « libre, égalitaire, fraternelle ». On peut croire le propos naïf. Le réalisateur prend quand même une certaine distance, notamment dans ces deux séquences où Léa Drucker, agent prosélyte de la République, assène une propagande sur les valeurs républicaines (si souvent meurtries pourtant) et fait chanter la Marseillaise (on notera l’ironie d’entendre un homme ayant déposé les armes clamer le couplet le plus sanglant de cet hymne patriotique). Nadiv Lapid, en sondant le mystère de la beauté de Paris et en cherchant des réponses à son amour pour la France, tend un miroir flatteur de cette nation à un peuple exigeant, pessimiste et blasé qui aurait tendance à vouloir tout saborder régulièrement. « Tu n’as aucune idée de la chance que tu as d’être Français ! »
Maux croisés
Evidemment, Synonymes n’est pas que ça. C’est absurde et cruel, drôle et mélancolique, fou et triste. Le scénario part dans toutes les directions, suivant un personnage papillonnant dans une ville-lumière trop attirante. Ce n’est pas un film porté par une intrigue ou une quelconque rationalité. Il s’agit d’une expérience cérébrale riche de brillants dialogues (ou monologues quand notre bel israélien soliloque les synonymes qui lui traversent l’esprit). Ces montagnes russes, où nous sommes tentés de préférer les excès d’un fou gogolien à ce trio sage à la « Jules et Jim », où nous sommes séduit par l’extrémisme de certaines séquences (la première séance photo humiliante) et frustrés par d’autres qui n’ont pas cette fulgurance.
C’est un Ours qui plaide pour le temps libre et la poésie, pour la paix et l’amour, la lâcheté et le courage. Le film est une allégorie où mythes (Hector dans L’illiade), contes et anecdotes (du grand-père yiddish aux faits d’armes sur le plateau du Golan) se croisent dans une épopée cinématographique très singulière, séduisante et aérienne, loin d’un cinéma formaté. Un mélange d’Eros et de colère, avec un Apollon défiant Mars. Une histoire d’amour absolu et d’amitié inconditionnelle, après avoir survécu à la trahison et la séparation. « C’est beau, comme l’Antique ».