Anna Karina, aventurière et icône (1940-2019)

Posté par vincy, le 15 décembre 2019

Son visage était inoubliable. La pâleur nordique de sa peau? La finesse de ses traits renforcée par sa chevelure brune? Ses yeux bleus-gris dans lesquels on se perdait? Anna Karina est née plusieurs fois. Le 22 septembre 1940 à Solbjerg, au Danemark, sous le nom de Hanne Karin Bayer. Coco Chanel l'a rebaptisée, quand elle était mannequin, en 1957. Jean-Luc Godard l'a révélée dès leur premier film ensemble, Petit soldat, film censuré, en 1960. Et en 1968, elle est la voix d'une chanson de Serge Gainsbourg, "Sous le soleil exactement".

Un itinéraire fulgurent. Muse, égérie, épouse de Godard, elle incarne la Nouvelle Vague, cette France révolutionnaire et intellectuelle des années 1960. Elle a été immortalisée dans Pierrot le fou, avec Belmondo, où elle balançait "Qu'est-ce que j'peux faire? J'sais pas quoi faire...". Le symbole de l'ennui, à répétition. Ils ont tourné sept films ensemble, dont Alphaville, Vivre sa vie, Bande à part et Une femme est une femme, qui lui faut un Ours d'argent de la meilleure actrice à Berlin en 1962.

Entrevue avec Anna Karina

Godard-Karina, c'est une histoire d'A qui finit mal. Elle perd leur enfant et ce deuil enterre leur mariage. Il était compliqué, souvent absent. Ils ne se sont plus parlés depuis 20 ans.

Mais résumer Anna Karina à Godard serait injuste. Elle tourne pour d'autres cinéastes en France et à l'étranger, et pas des moindres: Michel Deville (Ce soir ou jamais, Tendres requins), Agnès Varda (Cléo de 5 à 7), Chris Marker (Le Joli Mai), Roger Vadim (La Ronde), Jacques Rivette (Suzanne Simonin, la Religieuse de Diderot), Luchino Visconti (L'Étranger), Volker Schlöndorff (Michael Kohlhaas), George Cukor (Justine), Tony Richardson (La Chambre obscure)...

En 1973, elle réalise son premier film, Vivre ensemble, histoire d'amour sur fond de drogue et d'alcool, avec Michel Lancelot et Jean Aurel, et qui ressort en 2017, avec un événement hommage à Anna Karina au Festival Lumière. "C'est un portrait de l'époque de ma jeunesse. J'ai vu des gens autour de moi sombrer et mourir", avait-elle dit à l'AFP. Surtout, dans un milieu cinématographique encore machiste, elle s'affranchit des hommes, devenant la première comédienne à réaliser un long-métrage. Elle avait d'ailleurs utilisé un pseudonyme masculin pour déposer une demande d'aide au CNC.

"Tous les comédiens qui veulent comprendre le travail de metteur en scène devraient en effet essayer de tourner leur propre film, ne serait-ce qu’un court métrage, pour se rendre compte de ce que c’est. De la même manière, tous les metteurs en scène devraient jouer la comédie au moins une fois pour voir que ce n’est pas si simple. Ca leur permettrait de comprendre les difficultés du métier, et l’angoisse de l’acteur. Ils verraient qu’il faut être toujours tendre avec un acteur, car cela ne sert à rien de l’engueuler, à part empirer les choses…" confiait-elle à Ecran Noir.

A partir de cette époque, sa carrière devient plus iconoclaste, voire erratique. Elle tourne toujours, sans pause jusqu'au milieu des années 1990: Pain et Chocolat de Franco Brusati, Roulette chinoise de Rainer Werner Fassbinder, L'Ami de Vincent de Pierre Granier-Deferre, L'Île au trésor de Raoul Ruiz, Dernier Été à Tanger d'Alexandre Arcady, Cayenne Palace d'Alain Maline, qui lui vaut sa seule nomination aux César, Haut bas fragile de Jacques Rivette... Elle croise aussi Benoît Jacquot à ses débuts, en 1976 pour lequel elle tourne un court-métrage (Misère musique) et son premier long, L'Assassin musicien. Elle co-écrit également le scénario de Last Song de Dennis Berry, son ultime époux. Elle fait l'une de ses dernières apparitions en 2003 dans Moi César, 10 ans ½, 1m39 de Richard Berry.

Anna Karina tourne aussi pour la télévision - La Dame des dunes de Joyce Buñuel, Chloé de Dennis Berry -, joue au théâtre - Il fait beau jour et nuit de Françoise Sagan, Après la répétition d'Ingmar Bergman -, écrit des romans et des contes musicaux pour enfants...

En 2008, elle revient derrière la caméra. Victoria est un road-movie musical sur des airs de Philippe Katerine. Ils ne se quittent plus. le plus punk des chanteurs français trouve dans la folie et la fragilité de l'ex héroïne des sixties une sorte de double magique. Il lui écrit un album, Une histoire d'amour en 2000, avec un duo, "Qu'est-ce que je peux faire", qui fait écho à Pierrot le fou. En 2018, c'est une compilation de ses chansons pour le cinéma, Je suis une aventurière, qui la met de nouveau en lumière.

On y retrouve évidemment son plus gros tube, Sous le soleil exactement, écrite pour elle par Serge Gainsbourg. C'est d'ailleurs cette chanson que l'on entend dans La Vérité sur Charlie (The truth about Charlie) de Jonathan Demme, remake de Charade, où elle fait une belle apparition. La vérité sur Anna est sans doute dans ce mystère qu'elle savait conserver tout en étant franche et sincère, attachante et vulnérable. Insaisissable, mais inoubliable. Une aventurière libre, qui n'a jamais flanché malgré les coups du sort du destin.

Anna Karina était belle. Mais cela ne suffit pas à expliquer l'effet qu'elle produisait en apparaissant à l'écran. Il y avait une vitalité, une profondeur qui nous faisaient chavirer. Elle savait poser, et elle posait souvent, suspendant notre regard fixé sur le sien. Elle était un corps, un geste, un visage en gros plan qui envahissaient l'image.

Dans Alphaville on entend ainsi Éluard : "Tes yeux sont revenus d'un pays arbitraire, Où nul n'a jamais su ce que c'est qu'un regard". L'aventure, la vie et l'amour comme un tripode la définissant.

War Horse et Funny Girl: après le cinéma, la scène!

Posté par vincy, le 15 décembre 2019

Défiez les grèves, prenez un taxi, un bus, un vélo, et pourquoi pas un cheval pour aller voir deux sublimes spectacles qui se produisent ce mois-ci à Paris.

Cheval de guerre est un film mésestimé de Steven Spielberg, adapté d'un roman culte pour la jeunesse de Michael Morpurgo, paru en 1982. Le prestigieux National Theatre à Londres créé la pièce qui en est l'adaptation en 2007. Depuis War Horse a tourné dans 13 pays et près de 100 villes, devant 8 millions de spectateurs éblouis par les prouesses des marionnettistes  qui font "vivre" les chevaux (et autres animaux) sur scène. Actuellement à La seine musicale, à Boulogne-Billancourt, le spectacle se base sur un récit simple - un jeune paysan voit son cheval, son seul véritable ami, partir sur le front de la première guerre mondiale, et fera tout pour le retrouver.

Epoustouflant

Le cheval respire, bouge ses oreilles, n'est jamais immobile. il suffit en pus d'un décor dessiné sur un écran en forme de bout de papier déchiré pour comprendre où se déroule l'histoire. Avec un minimum de décors, on voyage de la ferme au village, de la France aux tranchées. Rarement, le théâtre parvient à produire une sensation "cinématographique", proprement émotionnelle. C'est le cas ici avec War Horse, à quelques reprises. Quand Joey se métamorphose de poulain à bel étalon, c'est un premier choc. Et que dire des scènes de guerre - avec le char ou dans le piège des barbelés - époustouflantes. Sans oublier le suspens vers l'épilogue où les deux héros manquent de se retrouver. Bien sûr, la plus belle scène est proprement théâtrale: la mort de Topthorn où l'on frissonne à la simple vue de son âme incarnée par ses marionnettistes.

Cette création a récolté 5 Tony Awards à Broadway, dont celui de la meilleure pièce. Amplement mérité. Et après, on vous conseille de (re)voir) le film de Spielberg. Attention, la dernière représentation est le 29 décembre. En espérant que ces chevaux reviennent à Paris.

Dans le centre de Paris, au très beau théâtre Marigny complètement rénové, c'est un autre film qui débarque sur les planches. Funny Girl est, en fait, à l'origine, un musical typique de Broadway, créé en 1964 au Winter Garden Theatre de Broadway, avec Barbra Streisand dans le rôle principal. Mais c'est sa version cinématographique en 1968, réalisée par William Wyler avec Barbra Streisand et Omar Sharif, qui l'a fit connaître dans le monde entier. C'est avant tout une histoire inspirée de faits réels, celle de Fanny Brice (1891-1951), star comique de cinéma et chanteuse vedette des Ziegfeld Follies à Broadway, et de sa relation houleuse avec l'entrepreneur et joueur Nicky Arnstein.

Le film a été huit fois nommé aux Oscars (pour le meilleur film notamment) et n'en a ramené qu'un: celui de la meilleure actrice pour Streisand.

Bianco fait banco

Difficile de passer après la star américaine, pourtant c'est l'exploit de ce revival (entièrement en anglais, tout comme War Horse, même si certaines traductions laissent à désirer dans les sous-titrages). Bien sûr, l'époque où il se déroule rend certainement quelques dialogues un peu sexistes, en tout cas, peu féministes. Le parcours de Fanny Brice montre cependant qu'une femme peut s'émanciper du patriarcat à condition de ne pas se soumettre pour son beau jabot.

Christina Bianco est proprement fabuleuse, aussi bien en tant que comédienne qu'en tant que chanteuse. Elle envoie, comme on dit. Charismatique, malgré sa petite taille, elle dévore le show du début à la fin, au milieu d'une troupe au casting parfait. Respectant tous les codes de la comédie musicale américaine, Funny Girl offre de l'espace pour les seconds-rôles, notamment la mère et la tante, véritables mères juives excessives. Certaines séquences sont spectaculaires et drôles, à l'image de cette parade patriotique presque parodique.

Le succès est tel que le théâtre Marigny a annoncé des prolongations jusqu'à début mars.