Broadway – Hollywood: Cats, fiasco emblématique?

Posté par vincy, le 24 décembre 2019

On a longtemps cru à un renouveau de la comédie musicale au cinéma depuis les succès de Moulin Rouge de Baz Luhrmann et Chicago de Rob Marshall au début des années 2000. Les studios américains ont donc relancé le genre, pensant que la convergence des contenus allaient être une formule gagnant-gagnant entre Broadway et Hollywood.

Or, les rares films musicaux qui ont cartonné sont des "musicals" de cinéma (La La Land, The Greatest Showman ou même A Star is Born si on étend la définition) ou des biopics de chanteurs (Bohemian Rhapsody, Rocketman, Ray). L'originalité semble mieux payer.

Les seules comédies musicales qui ont cartonné à la fois sur scène et sur les écrans sont Mamma Mia!, aux airs disco-pops, qui a d'ailleurs eu l'honneur d'une suite créée pour le cinéma, Hairspray, complètement déjanté et rock, et Les Misérables, malgré des critiques plus que mitigées.

Pour le reste, c'est une série de fiascos. Et la sortie de Cats, dont on vous épargnera notre critique, en est l'épiphénomène. Ce ratage visuel (qui pouvait espérer que des personnes grimées en chat allaient être beau à voir, surtout avec un livret assez barbant?) a d'ailleurs du revoir sa copie trois jours après sa sortie américaine. Les effets spéciaux semblaient imparfaits, et le réalisateur Tom Hooper a renvoyer une nouvelle version aux exploitants. Cela ne sauvera pas le film à 100M$ de budget hors-marketing. Un comble pour un "musical" mythique, créé en 1982, et qui a vendu 73 millions de tickets dans le monde.

Cela fait plusieurs hits de Broadway qui échouent dans leur transposition au cinéma. Champion des musicals, Le Fantôme de l'Opéra (130 millions de spectateurs au théâtre) n'a rapporté que 150M$ au box office mondial. Même Evita, avec Madonna, avait fait mieux dans les années 1990. Nine, malgré son casting cinq étoiles, n'a récolté que 50M$ au BO mondial. The Producers et Rent, deux gros succès primés sur les planches ont été des flops à un peu plus de 30M$ en recettes cumulées. A chaque fois, critiques et professionnels ont été virulents sur ces versions déjà oubliées.

On est très loin de l'âge d'or où brillaient dans les années 1960-1970 My Fair Lady, Funny Girl, Un violon sur le toit, Jesus Christ Superstar, Hair et bien entendu West Side Story. A ce titre, il sera intéressant de voir le sort qui sera jeté au remake de West Side Story par Steven Spielberg, dans un an. Une dizaine de projets sont en préparation, dont le fameux Wicked. Nul ne doute que le mariage entre Broadway et Hollywood pourrait tourner au divorce si ces deux films se plantaient au box office.

[2019 dans le rétro] Un cinéma mondial toujours très hollywoodien

Posté par vincy, le 24 décembre 2019

Si on ne regarde que le box office, l'état des lieux du cinéma mondial pourrait être désespérant avec les 10 plus grosses recettes pour des films américains, dont 6 pour le studio Disney, qui au passage a battu un record historique de 10 milliards de dollars de recettes sur l'année (avant même l'arrivée de Star Wars).

Cette hégémonie des titres américains est encore plus frappante quand on remarque qu'ils réalisent tous de 60 à 77% de leurs recettes hors Amérique du nord. Seuls le cinéma chinois parvient à se faire une petite place dans le Top mondial avec quatre films, le film d'animation Ne Zha (700M$), The Wandering Earth (700M$), My People, My Country (430M$) et The Captain (410M$). On peut y ajouter 4 autres films dans le Top 50. L'essentiel des recettes proviennent cependant du marché chinois. Ce partage américano-chinois des recettes internationales laissent peu de place aux autres cinématographies. Hormis les très anglais Downton Abbey (188M$) et Yesterday (151M$), aucun film européen ne parvient à rivaliser avec les mastodontes des deux empires économiques.

Il y a heureusement des succès qui réjouissent. Ainsi Parasite qui a su cumuler plus de 125M$ de recettes. L'Asie confirme d'ailleurs ses bonnes performances avec des cartons comme les japonais Les enfants du temps - Weathering With You (180M$), Detective Conan (116M$) et One Piece: Stamped (80M$) ou le sud-coréen Extreme Job (120M$).

C'est évidemment beaucoup plus que les 68M$ (dont 15,5M$ à l'étranger soit près de 3 millions d'entrées, dont un tiers en Allemagne) de Qu'est-ce qu'on a encore fait au bon Dieu?, leader français de l'année. Même Anna de Luc Besson, traditionnellement le champion à l'export, n'a réussit à récolter que 30M$ au global (4 millions d'entrées). Le cinéma français n'a d'ailleurs pas brillé à l'international. Rares sont les films qui ont attiré plus de 500000 spectateurs à l'extérieur des frontières et ce sont surtout des sorties de 2018 qui ont cartonné (Astérix et le secret de la potion magique, Mia et le lion blanc, Ghostland). Il y a une exception avec Minuscule 2, qui est d'ailleurs le plus gros succès français en Chine de l'année.

Pour finir avec les chiffres, Douleur et Gloire (35M$) est l'un des rares films européens non anglophones à avoir su trouver son public dans plusieurs pays, y compris aux Etats-Unis. Le cinéma espagnol est aussi un des seulss qui résiste au déferlement américain avec trois films locaux classés dans le top 20, là où l'Italie n'en place qu'un et l'Allemagne deux.

Cependant, si les recettes donnent Hollywood vainqueur par K.O., la qualité des films est ailleurs. Pas étonnant que des films comme Parasite, Douleur et Gloire, J'ai perdu mon corps, Les Misérables, Portrait de la jeune fille en feu se retrouvent classés dans les palmarès ou nommés dans les grandes cérémonies hollywoodiennes, et pas seulement dans la catégorie meilleur film étranger.

Car, avant tout, on a vu des propositions cinématographiques fabuleuses et enthousiasmantes, encourageantes même d'un point de vue de cinéphiles. Il suffit de voir le singulier Synonymes de l'israélien Nadav Lapid, l'un des films les plus originaux et jubilatoires de l'année, Ours d'or audacieux à Berlin. Qui fait écho, étrangement au film palestinien It must be Heaven de Elia Suleiman. Deux hymnes à la paix à travers l'exil, sur fond d'humour absurde. Dans la même veine drôlatique, n'oublions pas Tel Aviv on fire de Samej Zoabi, qui a séduit un peu partout en Occident.

Du côté asiatique, l'année fut riche. Outre Parasite, carton mondial (mais seulement 5e du box office local avec 10 millions d'entrées, la Corée du Sud maintient son statut à part avec le phénomène Extrême Job de Lee Byeong-heon (16 millions d'entrées), le beau succès d'Exit de Kee Sang-geun ou le remarqué Le Gangster, le Flic et l'Assassin de Lee Won-tae. Au Japon, les productions nationales ont aussi brillé, même si peu se sont exportées, et si il s'agit essentiellement de films de genre. First Love (Hatsukoi) de Takashi Miike, Au bout du monde de Kiyoshi Kurosawa et surtout le très beau Asako I & II de Ryusuke Hamaguchi ont montré malgré tout que le cinéma japonais conservait une belle variété de talents. Le cinéma chinois exporté est surtout un cinéma de festivals. C'est avant tout l'interdiction de voyager de One second de Zhang Yimou qui a frappé les esprits. Il n'empêche, quatre des grands films orientaux de l'année sont venus de l'Empire du milieu: Un grand voyage vers la nuit de Bi Gan et Les Éternels de Jia Zhangke, tous deux à Cannes en 2018, So long my son de Wang Xiaoshuai, primé à Berlin et le splendide polar Le lac aux oies sauvages de Diao Yi'nan, en compétition à Cannes en mai. Toujours à Cannes, en provenance d'une région qui a donné peu de grands films cette année, Pour Sama de Waad al-Kateab, documentaire syrien, est sans doute l'une des œuvres les plus bouleversantes de l'année.

Le cinéma latino-américain a été plus contrasté, et plus engagé aussi: féminisme, homosexualité, autoritarisme... les réalisateurs s'attaquent de front aux problèmes de leur pays, que ce soit l'effrayant Tremblements de Jayro Bustamente, le grandiose Bacurau de Juliano Dornelles et Kleber Mendonça Filho, le sublime La Vie invisible d'Eurídice Gusmão de Karim Aïnouz ou le saisissant Companeros d'Alvaro Brechner. On a aussi en tête les images de La Cordillère des songes de Patricio Guzmán, de Nuestras Madres de César Díaz, de La flor de Mariano Llinás et de L'Ange de Luis Ortega.

Plus au nord, au Québec, l'année fut morose, en qualité le plus souvent, et en recettes, désespérément. Ainsi, malgré deux films, Xavier Dolan n'a pas retrouvé ses succès d'antan, repartant sans prix de Cannes, et finissant l'année avec deux flops. Son ancienne actrice, Monia Chokri sortait aussi son premier film, La femme de mon frère, sans plus de succès. La Chute de l'empire américain de Denys Arcand est sorti dans l'indifférence malgré un sujet dans l'air du temps, tandis que le canadien Guest of Honour d'Atom Egoyan a déjà été oublié à Venise. Au Québec, seul un film a été un gros hit cette année, la comédie Menteur avec 590000 entrées. Louise Archambault avec Il pleuvait des oiseaux a cependant confirmé sa bonne cote avec 200000 entrées. La femme de mon frère (76500, 3e), Matthias et Maxime (44500, 4e), le très beau Jeune Juliette (32200, 5e), The Death & life of John F. Donovan (21700, 8e) révèlent l'extrême faiblesse du cinéma québécois sur son propre territoire.

Enfin, le cinéma européen se porte bien. Même si de grands noms comme Ken Loach, Fatih Akin, les frères Dardenne ont déçu, sans doute parce qu'ils persévèrent dans la même veine, en s'orientant vers un discours de moins en moins généreux ou surprenants. Ce n'est pas qu'une question de goût puisque même leurs fans n'ont pas vraiment suivi.

Le cinéma européen reste producteur de grands films, exportés, récompensés, applaudis. La Favorite de Yórgos Lánthimos en fut l'emblème cette année, avec un triomphe hollywoodien en plus d'un gros succès public international. Au sud, des cinéastes réputés comme Marco Bellocchio (Le traître), qui symbolise un renouveau du cinéma italien auquel on peut raccrocher Martin Eden Pietro Marcello, Pedro Costa (Vitalina Varela, Leopard d'or à Locarno), Costa Gavras (Adults in the Room) prouve que, malgré la télévision, le cinéma résiste bien. C'est surtout le cinéma espagnol est le plus en forme avec des films aussi divers El reino de Rodrigo Sorogoyen, Viendra le feu d'Oliver Laxe, Yuli d'Icíar Bollaín, Petra de Jaime Rosales... L'Europe centrale et de l'Est n'est pas en reste avec des œuvres comme Sunset de Laszlo Nemes, Une grande fille de Kantemir Balagov, le formidable Dieu existe, son nom est Petrunya, de Tenona Strugar ou encore Les siffleurs de Corneliu Porumboiu. Sinon, du très émouvant Et puis nous danserons (And Then we Danced) de Levan Akin au très étrange Border d'Ali Abbassi en passant par L'audition d'Ina Weiss, L'œuvre sans auteur de Florian Henckel von Donnersmark, Yesterday de Danny Boyle, Noureev de Ralph Fiennes, c'est là encore l'éclectisme qui prime, mais surtout il s'agit de la quête d'une narration spécifique, s'affranchissant de limites morales et plaidant pour une liberté de création. Même s'ils ne trouvent pas un public aussi large qu'on pouvait l'espérer.

Une grande partie de ces films sont des coproductions françaises, principal soutien financier des auteurs. Il en est ainsi également des deux films au féminin venus d'Afrique, Atlantique de Mati Diop, Grand prix du jury à Cannes, film sénégalais dans l'âme, et Papicha de Mounia Meddour, film algérien dans sa chair.

On finira ce tour du monde avec quelques films d'animation qui là aussi se distinguent dans leur proposition esthétique. Funan de Denis Do, Bunuel après l'âge d'or de Salvador Simo, Les enfants de la mer de Ayumu Watanabe, La fameuse invasion des Ours en Sicile de Lorenzo Mattoti. A eux quatre, ils démontrent que le cinéma n'est pas qu'un produit formaté, même dans l'animation. Chaque pays revendique finalement sa part d'exception culturelle, sa personnalité dans un monde où les images sont encore trop américaines.