[2019 dans le rétro] Les 50 films qu’il fallait voir en 2019 (3/5)
It must be heaven d'Elia Suleiman
Qu'il est bon d'observer les absurdités du monde à travers le regard malicieusement distancié d'Elia Suleiman ! L'éternel Auguste du cinéma palestinien promène son mutisme mélancolique, son air perpétuellement impassible et son auto-dérision touchante de Nazareth à New-York, en passant par Paris, et constate avec résignation et humour que l'obsession pour la sécurité, la dictature des normes et les multiples aberrations du quotidien sont loin d'être l'apanage de la seule Palestine. Il n'y a probablement rien de mieux que son cinéma résolument poétique, visuel et burlesque pour dénoncer les violences en général et les exactions israéliennes en particulier.
Parasite de Bong Joon-ho
C’est la palme d’or inespérée du Festival de Cannes, suive ensuite d’un large succès inattendu (et mondial) : ce nouveau film de Bong Joon-ho est l'une des plus belles surprises de l’année. Ça ressemble à un film d'arnaque, mais c’est bien plus que ça : c’est aussi une affaire de famille, et un drame social. Cherchez l’intrus ! Parasite est une succession de rebondissements et d'escalade, où la misère est enfouie dans les sous-sols. Chaque nouvelle situation bouscule la précédente et rend imprévisible la suite, passant de la comédie au thriller. C’est un film à revoir pour être de nouveau soufflé par son brio. le diable se niche dans les détails. Ce coup de maître de Bong Joon-ho est virtuose et promis à rester l'un des films marquants de la décennie qui s'achève.
J’ai perdu mon corps de Jérémy Clapin
Un récit ténu et intime, à fleur de peau, qui convoque à la fois le cinéma de genre et le récit initiatique, pour une réflexion sur le destin qui n'est dénuée ni d'humour, ni de souffle épique. On se laisse porter par la mise en scène précise et inspirée de Jérémy Clapin qui parvient à rendre bouleversant un simple champ contre-champ entre un livreur de pizza et un interphone, et à donner vie, émotion et personnalité à une main coupée abandonnée à elle-même. Quant à la mélancolie sourde qui hante le récit, sublimée par la musique de Dan Levy, c'est celle des souvenirs et des regrets, ravivés par la nostalgie d’un temps révolu, et le désir indicible de trouver un jour sa place dans le monde.
Ce succès en salles n'était pas forcément prévisible, lui non plus. Et osons-le dire, ce fut l'un des films français les plus intéressants de l'année, par son scénario, son interprétation et son sujet. La comédie sociale de Louis-Julien Petit, qui penche du côté des laissés pour compte et des marginaux, face à un Etat normatif et déshumanisé, est plus que réjouissante. En mélangeant réalité et fiction, en se mettant du côté des résistants qui tentent de construire des digues pour que certains retrouvent leur dignité, le réalisateur parvient à un équilibre parfait entre drame et comédie, avec des touches de mélo de temps en temps. Une sorte de coup de cœur qui réchauffe justement les cœurs et nous tend un miroir déculpabilisant sur l'horreur économique, tout en restant positif.
The Irishman de Martin Scorsese
En décidant de proposer son dernier film sur Netflix, Martin Scorsese pourrait bien avoir offert au géant du streaming (actuellement en danger) le film qu’il lui manquait dans son roaster. Véritable plongée dans le quotidien d’un vrai tueur à gages mêlé à des syndicats, The Irishman donne aux spectateurs une réelle leçon de cinéma. Pendant 3 heures et 29 minutes, Martin Scorsese filme en effet Robert De Niro comme il ne l’a jamais fait : avec la pudeur des amis de longue date, la franchise des collaborateurs réguliers et l’intelligence des grands cinéastes. Sur plusieurs décennies, Martin Scorsese montre en outre les motivations et les implications du crime organisé dans l’Amérique de l’après-guerre. La légende de 77 ans rassemble ses thèmes phares (crime, famille et foi) dans une oeuvre majeure qui ne manquera pas de faire du bruit aux prochains Oscars !
Mektoub My Love: Intermezzo de Abdellatif Kechiche
C’est l’intermède le plus long et le plus sidérant du cinéma français avec 3h30 de film dont 3h dans une boite de nuit, ça danse, ça se drague, ça se confie ... et ça lèche. La quête narrative absolutiste de Kechiche à capter le ‘vrai’ dans sa durée valorise particulièrement ses actrices qui jouent sans vraiment jouer. Au point de choquer le spectateur ou de le perturber hors de sa zone de confort. C’est le choc polémique de Cannes et de 2019, qui devrait sortir en salles prochainement, sans doute rmeixé, remanié, remonté. En attendant la 3ème partie de cette aventure Mektoub My Love. Une audace formelle absolument captivante, déroutante, rebutante, fascinante.
Bacurau de Juliano Dornelles et Kleber Mendonça Filho
Le cinéma brésilien est entré en résistance. Ce western SF est avant tout un pamphlet politique, dans un cadre presque apocalyptique, un décor de désolation où les pauvres sont menacés d'expropriation, d'exploitation et même d'extinction. A la violence sociale et l'autoritarisme qui règne, arbitraire et crue, les deux réalisateurs opposent la solidarité et la défiance par les armes. Puisque l'époque est sauvage, soyons-le. Cette parabole qui rappelle la trame d'Astérix contre les romains est à la fois un spectacle intimiste et un drame brutal et combattif. En jouant sur les sensations et en manipulant les genres, les deux brésiliens ne dissipent pas nos inquiétudes mais nous montrent qu'il ne faut jamais laisser les bras.
90’s de Jonah Hill
Chronique d’un jeune adolescent qui intègre un groupe de skaters un peu plus âgés que lui. Il va souvent observer et parfois partager leur mode de vie alternatif, évitant ainsi le morne quotidien des autres… Tout dans le film y compris sa mise en scène témoigne de ces années 90 qui ont vu grandir le héros (et l’acteur Jonah Hill devenu ici réalisateur inspiré) à travers différents passages initiatiques. 90’s est une restitution étonnante de l’époque, où on se découvre une possible autre famille avec plus de libertés, sans éviter les dangers. Car grandir a ses risques. Entre insouciance et inconscience, aspiration à couper le cordon et sécurité du refuge qu'est le foyer familial, ce film pas loin de Van Sant, est une fable harmonieuse sur la douleur, celle d'apprendre à être soi-même. Skateboarding is not a crime ?
Give Me Liberty de Kirill Mikhanovsky
Dès les premières minutes, Give Me Liberty déroute. Particulièrement bruyant et agité, le film de Kirill Mikhanovsky nous entraîne dans la ville de Milwaukee (et de manière générale l’Amérique profonde) des laissés-pour-compte : les immigrés, les malades, les handicapés, etc. Fait avec tout l’amour du réalisateur pour ses origines russes, Give Me Liberty mêle à la fois le film social, le drame familial et le documentaire politique. Porté par Chris Galust (une sacrée graine d’acteur) et Lauren ‘Lolo’ Spencer, le film présenté à la Quinzaine des Réalisateur fait rire et émeut par alternance pendant près de 2 heures. Un cinéaste à suivre. Que demander de plus ?
La vérité de Hirokazu Kore-eda
Généralement, les cinéastes étrangers venus filmer Paris et ses comédiens et comédiennes restent dans la carte postale et ses clichés. Sans doute parce que Catherine Deneuve a été l'inspiratrice et l'accompagnatrice du cinéaste japonais, Palme d'or 2018, cette nouvelle affaire de famille est une jolie réussite, gourmande, subtile, délicieuse. Evidemment, La vérité est un hymne à Deneuve, qui trouve ici l'un de ses plus grands rôles, à la fois elle-même tel qu'on se l'imagine, et une autre. En multipliant les références à sa filmographie et en s'amusant avec son image, avec quelques répliques vachardes dignes du théâtre comique français, le réalisateur lui fait un immense cadeau. Mais c'est aussi un film de Kore-eda, dans son ADN, avec cette famille de sang éclatée, cette famille de cinéma hypocrite, où finalement tous les masques vont tomber. Brillante allégorie où la vie et la fiction s'entremêlent jusqu'à ne plus distinguer l'émotion sincère de celle que l'on reproduit.
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