Cinespana 2011 : la part belle au documentaire

Posté par MpM, le 3 octobre 2011

mémoireLa 16e édition du festival Cinespana, qui s'est ouvert vendredi 1er octobre, consacre une partie importante de sa  programmation au style documentaire. Celui-ci possède sa propre compétition, mais est également présent dans la sélection court métrage ainsi que dans la section spéciale "Mémoire", consacrée à la période douloureuse de la guerre civile et du Franquisme. Tout un pan du cinéma espagnol se penche en effet année après année sur la plaie béante de la dictature et de la transition qui, avec sa loi d'amnistie, a laissé un goût d'inachevé et d'injustice à une partie de la population espagnole.

Les ombres de la mémoire de Dominique Gauthier et Jean Ortiz s'attaque ainsi à ce que ses auteurs appellent "l'amnésie organisée" en revenant sur plusieurs traumatismes du passé comme l'esclavage des prisonniers politiques, les milliers de morts jetés dans des fosses communes, les enfants arrachés à leur famille et les opposants arbitrairement emprisonnés parfois pendant plus de vingt ans.

Mêlant témoignages et images d'archives, le film fait à la fois acte de pédagogie et de dénonciation, tout en rappelant l'immense solidarité qui a permis aux prisonniers politiques d'organiser la résistance au fascisme depuis leur lieux de captivité. Son format résolument pensé pour la télévision l'oblige à aller droit au but sans se perdre dans des circonvolutions mélodramatiques ou grandiloquentes. On est parfois ému au détour d'un témoignage (notamment celui du poète Marcos Ana, emprisonné pendant plus de 20 ans), mais on est surtout révolté par le fait que tant d'injustices et d'exactions n'aient au final jamais été officiellement punies.

"Le travail de mémoire est difficile en Espagne, confirme Jean Ortiz, l'un des deux réalisateurs. Il y a un consensus général autour de la transition et la loi d'amnistie verrouille tout." Le cinéma, heureusement, est là pour inlassablement ouvrir ces portes que tout le monde préférerait voir fermées à jamais.

Cinespana 2010 : palmarès et retour sur la compétition

Posté par MpM, le 11 octobre 2010

Le jury professionnel présidé par Georges Corraface et réunissant Myriam Mézières, Dominique Besnehard, Luis Rego,  Jean-Claude Petit et  Serge Regourd a logiquement récompensé le meilleur film présenté en compétition cette année au Festival de cinéma espagnol de Toulouse : La mujer sin piano de Javier Rebollo (notre photo). Un film doux-amer suivant l'errance nocturne d'une mère de famille soudain décidée à changer de vie. De la gare où elle rencontre un jeune polonais paumé à la chambre d'hôtel où l'étrange duo finit par se réfugier, c'est une succession de mini-aventures absurdes et burlesques filmées avec rigueur et élégance par la caméra tantôt statique, tantôt virtuose de Javier Rebollo.

Autre choix logique avec les deux prix d'interprétation. Le premier distingue Guillermo Toledo dans un rôle de loser au bout du rouleau, embarqué dans une soirée où toute la vacuité de son existence éclate au grand jour. Le deuxième est collectif, décerné à tout le casting féminin de La vida empieza hoy de Laura Maña (dont Mariana Cordero que nous avons rencontrée et Pilar Bardem, sur notre photo), où un petit groupe de seniors reprend plaisir à la vie et à l'amour grâce à des cours de sexologie. Le film a d'ailleurs obtenu le prix du public.

Mal dia para pescar d'Alvaro Brechner est lui doublement cité avec un prix du scénario récompensant l'adaptation à la fois mélancolique et cocasse que le jeune réalisateur a fait d'une nouvelle de l'écrivain uruguayen Carlos Onetti, présentant les aventures grotesques et touchantes d'un impresario affabulateur et de son "champion" ainsi que le prix de la meilleure musique originale.

Enfin, c'est Lo más importante de la vida es no haber muerto de Olivier Pictet, Marc Recuenco et Pablo Martin Torrado qui reçoit le prix de la meilleur photographie avec son intrigue mystérieuse autour d'un accordeur de piano souffrant d'insomnie, tandis que le jury étudiant couronne El idioma imposible, une œuvre maniérée et confuse sur les bas-fonds de Barcelone, sauvée par l'excellent Nadrés Gertrudis.

Le jury est ainsi parvenu à distinguer ce que chacun des films présentés avait de plus intéressant, ne faisant au final pas d'oubli majeur puisque seuls Habitacion en Roma de Julio Medem (un coup de foudre passionnel entre deux jeunes femmes qui viennent de se rencontrer, digne de figurer dans les éditions "Harlequin") et Bon appétit de David Pinillos (un film gentillet et sans prétention sur un jeune cuistot qui se cherche) repartent bredouilles.

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Palmarès complet

Violette d'Or du Meilleur Film
La mujer sin piano de Javier Rebollo

Meilleur Acteur
Guillermo Toledo (After de Alberto Rodriguez)

Meilleure Actrice
Pilar Bardem, Maria Barranco, Sonsoles Benedicto, Mariana Cordero, Rosa Maria Sarda (La vida empieza hoy de Laura Maña)

Meilleur Scénario
Alvaro Brechner (Mal dia para pescar de Alvaro Brechner)

Meilleure Musique Originale
Mikel Salas (Mal dia para pescar de Alvaro Brechner)

Meilleure Photographie
Pietro Zuercher (Lo más importante de la vida es no haber muerto de Olivier Pictet, Marc Recuenco et Pablo Martin Torrado)

Meilleur Premier Film (décerné par le Jury Etudiant)
El idioma imposible de Rodrigo Rodero

Meilleur Court Métrage
Estocolmo de Juan Francisco Viruega

Prix Raíces du Meilleur Documentaire
Malta radio de Manuel Menchon

Mention spéciale remise par le jury Raíces
Familystrip de Lluis Miñarro

Prix du Public
La vida empieza hoy de Laura Maña

Cinespana 2010 : 3 questions à Mariana Cordero

Posté par MpM, le 6 octobre 2010

Mariana CorderoPrésenté en compétition, La vida empieza hoy de Laura Mana suit un groupe de "seniors", hommes et femmes, qui suivent des cours de sexologie et de sensualité. Certains renaissent à la passion amoureuse tandis que d'autres découvrent le plaisir pour la première fois.

L'actrice espagnole Mariana Cordero interprète une épouse qui, après avoir longtemps négligé son mari, décide de reprendre les choses en mains. Après une petite visite dans un sexshop, elle se métamorphose en maîtresse SM...

Ecran Noir : Comment avez-vous réagi en découvrant le rôle que Laura Mana vous proposait ?
Mariana Cordero : J'ai été étonnée car c'est un sujet dont personne ne parle jamais. A partir d'un certain âge, les gens pensent que les caresses ou les bisous n'ont plus d'importance, et souvent, les retraités deviennent invisibles. Les enfants n'aiment pas voir de gestes tendres entre leurs parents et la plupart du temps, après un certain âge, les couples cessent d'en avoir en public. Cela m'a donc beaucoup attiré d'interpréter ce personnage. D'ailleurs, lors des rencontres avec le public, les spectateurs étaient surpris car c'est une manière différente de montrer les parents ou grands parents. Le film porte un nouveau regard sur leur vie.

EN : Avez-vous hésité, notamment à cause des scènes SM ?
MC : J'ai eu très peur ! C'est un rôle très difficile, à cause de ces scènes engagées. Mais la réalisatrice Laura Mana est très délicate et nous avons beaucoup travaillé pour arriver à ce résultat. Elle a su me donner confiance et mettre tout le monde à l'aise. Le scénario était très écrit, mais Laura était ouverte aux propositions. Sur le tournage, il y avait une bonne ambiance, une vraie chaleur humaine. Aucun acteur a refusé de faire ce qui lui était demandé.

EN : Pouvez-vous nous dire quelques mots sur la genèse du film ?
MC : La réalisatrice avait entendu dire qu'il existait des cours de sensualité à Barcelone, dans un centre civique. Dans ces cours, il était dit que l'on a besoin de la sensualité de la naissance à la mort. Mais deux enfants de participants ont protesté et les cours ont été arrêtés. Alors l'animatrice est partie à Valence pour organiser des cours similaires. La réalisatrice a assisté à plusieurs séances et a beaucoup retranscrit ce qui se disait dans ces cours et s'en est inspiré pour le film. D'ailleurs, le scénario a été écrit à l'aide de la psychologue-sexologue qui anime ces ateliers.

Cinespana 2010 : coup de projecteur sur le cinéma espagnol contemporain

Posté par MpM, le 2 octobre 2010

Patrick Bernabé est l'un des programmateurs du festival Cinespana. Chaque année, il suit avec attention la production cinématographique ibérique et en tire la substantifique moelle afin de donner aux festivaliers un aperçu représentatif de sa richesse et de sa diversité.  S'il y a un bien un homme capable de nous donner les grandes tendances du festival et plus globalement du cinéma espagnol actuel, c'est lui !

Ecran Noir : Comment avez-vous bâti la sélection de Cinespana cette année ?

Patrick Bernabé : Plus que jamais, nous avons souhaité montrer les différents aspects du cinéma espagnol, ce qui est passé par une programmation plus structurée. Il faut préciser qu'il y a eu moins de films produits en Espagne cette année, à cause de la crise économique. Le choix était donc plus restreint, et il y a par exemple moins de longs métrages dans la section Panorama que les autres années.

EN : Par contre, il y a plusieurs sections thématiques...

PB : Oui, par exemple "de la résistance à la Transition" est un reflet de la société espagnole récente, entre la censure de la dictature et l'apparition de la liberté avec la Transition. La section "Mémoire" explore la mémoire et les difficultés à l'exprimer, en montrant comment aujourd'hui on perçoit l'époque de la guerre civile.  Nous avons aussi voulu donner une carte blanche au producteur indépendant Lluis Minarro qui a produit une vingtaine de films souvent difficiles dans le forme. C'était important pour nous de présenter son travail, d'autant qu'il est le coproducteur d'Oncle Boonme, la dernière Palme d'or. Enfin, "la dernière séance" rappelle que le cinéma fantastique espagnol est l'un des plus innovants au monde. Nous rendons notamment un hommage à Paul Naschy qui est l'un des initiateurs du genre en Espagne.

EN : Vous avez une bonne image d'ensemble des films sortis en Espagne ces derniers mois... Quelles tendances avez-vous notées ?

PB : Les problèmes sociaux sont toujours très présents, notamment la drogue. Par contre, cette année, il n'y avait pas de film de prison contrairement à l'an dernier. Le cinéma est toujours le reflet d'une société, mais c'est particulièrement vrai pour le cinéma espagnol ! Par ailleurs, nous avons vu peu de comédies, et moins de films historiques, à part bien sûr dans le domaine documentaire.

EN : Sur quels films attirez-vous particulièrement l'attention du public, toutes sections confondues ?

PB : Il y en a plein car le niveau était très bon cette année ! Mal dia para pescar de Alvaro Brechner est un film formidable. Personnellement, j'aime aussi beaucoup Habitacion en Roma. Dans la section Panorama, il y a notamment Elisa K qui vient de recevoir un prix à San Sebastian. Dans les documentaires, il y a Mi Vida con Carlos sur l'histoire récente du Chili. C'est l'histoire d'un fils qui part à la recherche de son père assassiné en 1973. Garbo, el espia sur la vie d'un espion pendant la deuxième guerre mondiale. Le film est entrecoupé d'images tirées de films d'espionnage, c'est très bien fait. Et puis bien sûr il y a Fake orgasm qui est un film incroyable, qui fait vraiment se remettre en questions le spectateur. Dans la section "Mémoire", Los caminos de la memoria fait écho à la loi sur la Mémoire historique et essaye de comprendre ce qu'il s'est réellement passé pendant les années Franco. Enfin, Senora de apporte le témoignage de femmes qui racontent leur vie sous le franquisme et l'oppression sexiste qu'elles ont subie à l'époque.

EN : Aujourd'hui, on a l'impression de voir plus de films espagnols dans les salles...

PB : C'est vrai, le cinéma espagnol s'exporte mieux : en 2009, 20 films espagnols ont été distribué) en France. Il rencontre une vraie reconnaissance internationale. En France, je pense qu'on y est un peu pour quelque chose. Nous avons réussi à le faire reconnaître, à le sortir des clichés dans lequel il était enfermé. En tout cas, c'était notre ambition.

Cinespana 2010 : c’est parti pour une 15e édition !

Posté par MpM, le 2 octobre 2010

La 15e édition de Cinespana s'est ouverte vendredi soir dans une ambiance festive. Pendant dix jours, Toulouse va vivre au rythme du cinéma espagnol, avec pas moins de 143 films présentés.

Le jury (notre photo) composé de Myriam Mézières, Georges Corraface,  Dominique Besnehard, Luis Rego,  Jean-Claude Petit et  Serge Regourd devra lui départager les huit films de la compétition longs métrages.

Cinespana 2009 : Qui est Emma Suarez ?

Posté par MpM, le 15 octobre 2009

Emma SuarezLorsqu’elle arrive dans la grande salle du Capitole où elle doit recevoir la médaille de la ville de Toulouse à l'occasion de Cinespana, Emma Suarez fait l’impression d’une frêle jeune femme diaphane au sourire irrésistiblement communicatif. En la regardant ainsi, on a du mal à imaginer qu’elle puisse avoir derrière elle une carrière déjà si remplie. Et pourtant...

Née en 1964, Emma Suarez commence à 15 ans devant la caméra de Miguel Angel Rivas pour le film Memorias de Leticia Valle. Suite à cette première expérience, elle entame des études dramatiques qui, dans un premier temps, ne lui permettent pas vraiment de percer. A partir du milieu des années 80, elle multiplie les rôles au cinéma, à la télévision et au théâtre, passant d’un registre à l’autre (historique, dramatique, horrifique…), mais sans réellement convaincre.

Il lui faut attendre 1989 pour décrocher enfin le rôle principal d’un long métrage, La blanca paloma de Juan Minon, rapidement suivi par Contre le vent de Francisco Periñán (1990) et La Vida láctea de Juan Estelrich Jr. (1992), qui sera un temps son époux. Puis commence une fructueuse collaboration avec deux cinéastes qui lui offrent les plus beaux rôles de sa carrière : Julio Medem (Vacas en 1991, L' Ecureuil rouge en 1993, Tierra en 1996) et Pilar Miro (Tu nombre envenena mis sueños et El Perro del hortelano en 1996). Ce film (Le chien du jardinier, en français) lui vaut d’ailleurs le prestigieux Goya de la meilleure actrice.

Forte de cet élan, Emma Suarez tourne avec les plus grands réalisateurs et acteurs espagnols du moment (Felix Viscarret, Mario Camus, Manuel Gutierrez Aragon…) et, malgré une faible reconnaissance internationale (les films d’auteur qu’elle privilégie connaissent une diffusion extrêmement restreinte hors d’Espagne), s’est définitivement imposée comme l’une des actrices espagnoles les plus talentueuses de son époque.

Cinespana 2009 : courts, mais bons

Posté par MpM, le 14 octobre 2009

Ela RibeirinhaComme tout festival qui se respecte, Cinespana proposait cette année une jolie sélection de courts métrages où tous les genres étaient représentés, y compris le documentaire. Comme souvent, c’est dans le format court que l’on voit le plus d’audace, d’expérimentation et de recherche esthétique. Plus de souffle aussi.

Les thèmes abordés, eux, sont sensiblement les mêmes que dans le long : la guerre civile est omniprésente, l’humour tient une place importance, la société est passée au crible dans ce qu’elle a de pire et de meilleur (handicap, difficultés économiques, héroïsme, racisme…).

De manière un peu subjective, on a envie de retenir un film parmi la trentaine présentée : Ela Ribeirinha de Pedro M. Vila Taboas, qui se distingue par son image noir et blanc joliment contrastée et sa manière de prendre son temps. On voit d’abord peu de choses : des gestes lents, mesurés, qui semblent caresser un cadre représentant un jeune couple. Puis des cloches dans le lointain, des pas mal assurés. Et une attente et une solitude mises à nu par l’absence de dialogue, de musique.

En moins d’un quart d’heure, avec quasiment aucune parole, Ela Ribeirinha dit presque tout de l’absence et du poids des guerres, des destins brisés et des rêves foudroyés en plein vol. Avec une simplicité déconcertante, il redonne au cinéma le pouvoir d’évocation qui est le sien. Pas forcément annonciateur d’une énième "nouvelle vague du cinéma espagnol", mais preuve que le savoir-faire est toujours-là.

Cinespana 2009 : des films généreux au palmarès

Posté par MpM, le 13 octobre 2009

AnderVoilà, les jeux sont faits. Cette 14e édition du festival de cinéma espagnol de Toulouse s’est achevée après dix jours de convivialité joyeuse, de soleil et de découvertes cinématographiques sur un palmarès globalement en phase avec les préférences des festivaliers. Assez logiquement, la Violette d’or du meilleur film récompense Ander de Roberto Caston, un film sobre et élégant racontant une histoire d’amour entre un agriculteur quadragénaire et son employé péruvien. Retorno a Hansala de Chu Gutierrez, l’autre grand favori qui traite de l’immigration clandestine en Espagne, reçoit pour sa part les prix du meilleur scénario et de la meilleure photographie. Les prix d’interprétation vont à Anna Lizaran (Forasters de Ventura Pons), Irene Visedo (Amores locos) de Beda Docampo et Unax Ugalde (La buena nueva d’Helena Taberna). Enfin, c’est El somni de Christophe Farnarier (un très joli portrait de berger pratiquant sa dernière transhumance) qui a reçu le prix du meilleur documentaire.

L’heure est désormais au bilan. Vitrine de tous les cinémas espagnols (fictions, documentaires, longs et courts métrages), Toulouse offre chaque année un instantané de la Retour à Hansalaproduction ibérique contemporaine. Le cru 2009 a permis une nouvelle fois de constater la vivacité et la variété de cette cinématographie qui, avec environ 170 films produits annuellement, aborde tous les genres et tous les sujets. Le poids de l’histoire, toujours au cœur des préoccupations (et surtout le traumatisme de la guerre civile), n’empêche pas les cinéastes de se pencher sur des questions plus contemporaines, voire plus légères, avec notamment une grosse proportion de comédies romantiques et de réflexion autour du couple. Curieusement, l’autre grande spécificité de l’Espagne (le cinéma de genre) n’était pas tellement représentée à Toulouse cette année. Par contre, la section documentaire a permis de mettre en valeur cette part non négligeable de la cinématographie espagnole (en 2008, environ 50 films sur les 173 produits) où s’expriment toutes les préoccupations propres au pays : le franquisme, la lutte armée, la tauromachie, l’exode politique, le régionalisme…

15% de parts de marché seulement

Un tel dynamisme s’explique sur le papier par une législation avantageuse qui impose des quotas de diffusion en salles du cinéma national ainsi que par différents dispositifs d’aides publiques à la production. Les télévisions sont obligées d’investir 5% de leurs revenus dans le cinéma et depuis la promulgation de la "Ley del Cine", une distinction est faite entre producteurs liés aux chaînes de télévision et producteurs indépendants. Ces derniers sont désormais favorisés par la loi qui redistribue les aides en fonction de critères objectifs. Un dispositif qui pourrait faire rêver certains professionnels français… bien qu’il soit loin d’être la solution miracle. Sur le territoire espagnol, en 2008, le cinéma national obtenait en effet moins de 15% de parts de marché tandis que les films américains se taillaient la part du lion avec plus de 70% des entrées.

Cinespana 08 : trois questions à Alvaro de Luna

Posté par MpM, le 15 octobre 2008

deluna_alvaro.jpgActeur marquant du cinéma espagnol et international, Alvaro de Luna compte plus de cent films à son répertoire. El prado de las estrellas signe ses retrouvailles avec Mario Camus, pour lequel il incarne un retraité partageant son temps entre la vieille dame qui l'aida dans sa jeunesse et un jeune sportif prometteur à qui il apporte son aide. Grâce à ce film, après 45 ans de carrière, il a obtenu sa première nomination au Goya du meilleur acteur.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire ce film ?
Le cinéma est fait pour se rencontrer, mais cela n’arrive pas toujours. Là, c’était une manière de se retrouver avec Mario Camus : nous nous connaissons depuis l’université, quand on avait 18 ans. Et puis le concept de personnage solidaire m’a vraiment plu ! Il m’a happé. J’ai aimé son côté entier, sa reconnaissance envers ceux qui l’ont aidé quand il était jeune et son désir de faire pareil à son tour avec le jeune cycliste. C’est comme un maillon dans la transmission d’un peu d’espoir à quelqu’un qui arrive dans la vie avec plein d’illusions…

Mario Camus nous expliquait qu’il ne partage pas l’optimisme de son film, notamment sur la situation sociale. Qu’en pensez-vous ?
Avec Mario, nous sommes dans la même ligne… Je n’ai pas beaucoup d’espoir ! Ma théorie, c’est qu’il faut faire du cinéma pour se connaître les uns les autres, quelles que soient les différences. J’aimerais bien que le cinéma puisse changer les choses, mais je n’y crois pas trop. C’est un baume, une pommade qui aide, mais ça ne transforme pas le monde.

Comment s’est passé le tournage ?
Au départ, je pensais que ce serait compliqué de tourner avec le jeune cycliste. Mais en fait, pendant le tournage, tout s’est merveilleusement passé. Oscar Abad [le cycliste] est une fontaine de sentiments. Mari Gonzales [Nanda] est une grande actrice qui a beaucoup tourné. Elle témoigne d’une grande sensibilité et d’une grande douceur. La partie sur Luisa, l’assistante sociale, est presque celle qui me plaisait le plus, car elle réaffirme les revendications des femmes en termes d’amour, de travail, de liberté… Les femmes ne doivent pas être conditionnées ! Mario est vraiment un humaniste, un intellectuel qui aime raconter des histoires sur les âmes. Finalement, la philosophie du film, c’est que l’on peut continuer de vivre sans le succès, en faisant un métier digne et honnête. Ce n’est pas utile d’être le premier, sinon je ne serais pas là !

Cinespana 08 : le jury couronne Todos estamos invitados de Manuel Gutierrez Aragon

Posté par MpM, le 13 octobre 2008

Todos estamos invitadosDans une compétition mêlant réalisateurs confirmés (Mario Camus, Ventura Pons, Pere Portabella…) et nouveaux venus (Jaime Marquès, Xavi Puebla), mais aussi thématiques sociales universelles (mondialisation, paupérisation, nationalisme…) et sujets plus intimes (la solitude, l’inconstance, la survie…), c’est assez logiquement le long métrage le plus brûlant, abordant la lutte armée de l’ETA dans le pays basque espagnol, qui a remporté la Violette d’or, récompense suprême de Cinespana. Todos estamos invitados du cinéaste internationalement reconnu Manuel Gutierrez Aragon (Demonios en el jardin, Maravillas…) réalise même le doublé en recevant par ailleurs le prix d’interprétation masculine pour le jeune Oscar Jaenada. Le reste du palmarès distingue Oviedo Express de Gonzalo Suarez (meilleur musique et meilleure photo), Siete mesas de billar frances de Gracia Querejeta (prix d’interprétation féminine pour Blanca Portillo) et le dernier opus de Ventura Pons, Barcelona (un mapa), prix du scénario assez mérité, tandis que le prix du public va à Bajo las estrellas de Felix Vizcarret, présenté en section Panorama.

Un cran au-dessus de la concurrence (seul Mario Camus et son El prado de las estrellas avaient réellement de quoi rivaliser avec le savoir-faire de Gutierrez), Todos estamos invitatos suit le destin de Xabier, professeur d’université qui a le tort de se prononcer publiquement contre l’organisation nationaliste Euskadi ta Askatasuna. D’abord menacé par celui qu’il considérait comme un ami, il fait alors l’expérience de la peur diffuse et continue qui s’insinue dans chaque morceau de l’être, jusqu’à ne plus lui laisser le moindre repos. Un peu à l'image de Gomorra de Matteo Garrone, Todos estamos invitados évite au maximum les ressorts du thriller traditionnel (suspense, action, grand spectacle) et se concentre sur les méthodes utilisées par l’ETA pour neutraliser par la terreur tous ceux qui voudraient s’opposer à elle mais également sur l’impuissance des forces de l’ordre à faire face à une telle situation. Sur le fond, on respecte sa démarche et son point de vue, quitte à passer sur l’absence de contrepoint ou même d’explication politique. Par contre, sur la forme, impossible de nier que cette succession de scènes extrêmement courtes et parfois peu signifiantes peine à passionner le spectateur, qui a par moments l’impression d’assister à une démonstration parcellaire. Pour Cinespana, toutefois, c'est l'occasion de distinguer une oeuvre engagée et courageuse parfaitement en prise avec la réalité contemporaine et de saluer la capacité de certains cinéastes espagnols à s'interroger frontalement sur ce qui ne va pas dans leur pays.