Festival Lumière: Carné et sa gueule d’atmosphère, Deneuve et son Cake d’amour, Tarantino et sa Love Story

Posté par Morgane, le 11 octobre 2016

En trois jours, le Festival Lumière a déjà offert un nombre impressionnant de films et d'échanges!

Carné et son Hôtel du Nord ouvrent le bal

Samedi 8 octobre à 11h avait lieu la toute première séance de cette 8ème édition à l'Institut Lumière en présence de Thierry Frémaux et Bertrand Tavernier qui, n'ayant pu être là l'année dernière pour raisons de santé, fait son retour au Festival Lumière, notamment en présentant son documentaire Voyage à travers le cinéma français (3h12 d'anecdotes et d'extraits de films... notamment le film de Carné)

Véritable puits de science cinéphile, Tavernier a bien évidemment plusieurs anecdotes au sujet d'Hôtel du Nord qu'il se fait un plaisir de partager avec nous... Pour lui c'est certes un film célèbre mais qui n'a pas toujours été apprécié à sa juste valeur. Dans l'imaginaire commun (et même de ceux qui ne l'ont pas vu), Hôtel du Nord c'est en premier lieu sa fameuse réplique "Atmosphère, atmosphère mais est-ce que j'ai une gueule d'atmosphère?" Il faut savoir que cette réplique est née d'un coup de sang de Henri Jeanson, co-scénariste du film avec Jean Aurenche, envers Marcel Carné. Tavernier la raconte très bien dans son documentaire. En effet, Jeanson était dans un état d'énervement contre Carné qui, au sujet des acteurs, lui disait toujours "fais-les marcher sur les pavés mouillés, ce sera bon pour l'atmosphère", "fais-leur faire ceci, ce sera bon pour l'atmosphère" etc... Comme quoi, une réplique devenue culte, ça ne tient pas à grand chose!
Bertrand Tavernier nous parle aussi d'Annabella (Renée dans le film) qui "a une grâce, une légèreté et une véritable façon de ne pas jouer qui est très moderne", la comparant finalement à Isabelle Huppert.
Et le cinéaste nous rappelle également que c'est un des rares films de l'époque (Hôtel du Nord dâte de 1938) qui évoque la guerre d'Espagne. Jeanson avait lui-même couvert la guerre d'Espagne avec Saint-Exupéry et était un homme engagé politiquement, condamné à plusieurs reprises pour anticolonialisme, incitation au meurtre, pacifisme et autre... C'est aussi Jeanson qui s'est battu pour imposer Arletty (Raymonde) et Louis Jouvet (M. Edmond), acteurs de théâtre, auprès de Marcel Carné, qui ne choisissait que des comédiens de cinéma. Enfin, Bertrand Tavernier termine ainsi: "Le travail de Carné est d'une force et d'une invention (17 jours de tournage seulement). Chaque plan est pensé, le découpage est d'une grande fluidité. Il ne savait peut-être pas travailler sur les scénarios mais il savait incarner le film dans la mise en scène!"

Les multiples facettes de Catherine Deneuve

Ce week-end j'ai également eu l'occasion de voir Catherine Deneuve, Prix Lumière 2016, dans deux rôles très différents: en vampire chez Tony Scott et en princesse chez Jacques Demy.
Les Prédateurs, film de 1983, plante le récit d'un couple de vampires interprétés par Catherine Deneuve et David Bowie. Elle, Miriam, est immortelle, mais son ami John est brutalement frappé de vieillissement accéléré. Roman de Whitley Strieber, Tony Scott en tire son premier long métrage qui sera présenté hors compétition à Cannes. Film très marqué eighties, Tony Scott vient du monde de la publicité et ça se voit. L'esthétique est très léchée et les costumes de Catherine Deneuve, dessinés spécialement par Yves Saint-Laurent, sont sublimes. La caméra flotte au gré des rideaux de cette immense maison qui semble hors de son temps et donne un caractère onirique au film dont on ne sait plus parfois s'il est un film ou un video-clip d'1h36. Les thèmes sont nombreux. Il y a bien sur celui du temps qui passe, de la quête éternelle de jeunesse, cette peur de vieillir et de mourir. Mais en filigrane c'est aussi un véritable film de son époque avec l'apparition du sida, cette médecine qui ne peut rien contre, et puis l'homosexualité féminine qui est assez peu représentée sur grand écran. Si ce film n'a pas reçu un bel accueil à sa sortie, il est finalement devenu un film emblématique de son temps, une sorte de référence ancrée dans son époque.

On change de registre avec Peau d'âne (1970). Sept ans après Les Parapluies de Cherbourg et trois ans après Les demoiselles de Rochefort, Catherine Deneuve signe de nouveau avec Jacques Demy pour leur troisième comédie musicale. Poétique, coloré (on voit du bleu Klein - des chevaux aux visages des serviteurs - dans tout le royaume), féérique, anachronique etc... les adjectifs sont fort nombreux et s'emmêlent pour décrire ce film atypique et hors du commun qui, 45 ans après, réussit encore à parler à tous. La magie opère aussi bien chez les bambins que chez les adultes chez qui il réveille leur âme d'enfant. Les décors et les costumes son splendides et d'une inventivité qui fait rêver tout un chacun. Gitt Magrini a ici réalisé un véritable travail de fée, notamment pour les trois robes couleur du Temps, de la Lune et du Soleil (celle couleur du Temps a été confectionnée dans une toile sur laquelle on projette, en 16mm, l’image mouvante d’un ciel bleu). Et que dire des chansons composées par Michel Legrand et écrites par Jacques Demy? Que ce soit celle du cake d'amour ou celle de la marraine la fée, elles nous trottent fort longtemps dans la tête. De ce film on retiendra un seul mot, MAGIE. Et il est certain que celle-ci opère dans cette belle adaptation du conte de Perrault.

Quand Tarantino vient nous parler de Love Story

Quentin Tarantino a donc proposé un cycle de ses films préférés de l'année 1970. Puis il a décidé d'établir ses quartiers à Lyon pour quelques jours pour notre plus grand plaisir. Et chaque jour c'est la petite surprise de savoir à quelle séance il sera. Dimanche il a présenté Hollywood Vixens de Russ Meyer et lundi soir il était à l'Institut Lumière pour la projection de Love Story d'Arthur Hiller. Jamais avare en discours, Tarantino nous parle du Nouvel Hollywood, du cinéma de genre qui a beaucoup influencé le reste du cinéma, du cinéma européen très populaire aux États-Unis en 1970-71-72. Puis vient la question de Thierry Frémaux, pourquoi Love Story? Car venant du réalisateur de Reservoir Dogs, Kill Bill, Boulevard de la mort, le choix peut sembler étonnant... "La réponse est simple, parce que j'aime ce film!". Mais on se doute bien que Tarantino ne va pas en rester là. Il nous explique alors qu'en 1970 c'était LE film le plus populaire et de loin! Son succès est basé sur quelque chose d'un peu particulier. "Erich Segal écrit le scenario puis fait un livre à partir du film. Étrangement la sortie du livre précède la sortie du film alors que le film a été réalisé avant l'écriture du roman. Toujours est-il que le roman est un succès phénoménal! Toutes les nanas entre 15 et 25 ans ont lu ce livre. Donc quand le film est sorti, toutes ces filles-là ont été le voir et ont emmené leurs fiancés avec elles d'où l'énorme succès du film..."

"Le cinéma de 1970 doit, certainement inconsciemment, s'affirmer pour passer d'une époque à une autre. 1970, c'est l'année où 3 films sur 4 se passent dans un campus et parlent de radicalisation politique. Alors certes Love Story se passe pour la moitié sur un campus mais c'est intéressant de voir à quel point ce film NE parle PAS de politique. Il est par cela totalement en dehors de l'esprit de l'époque."

Tarantino aime ce film également car "Ali McGraw (Jennifer Cavalleri), qui n'est certes pas une grande actrice, et Ryan O'Neal (Oliver Barret), qui n'est certes pas un grand acteur, ont ici une alchimie parfaite qui est une des raisons du succès de ce film. Arthur Hiller (le réalisateur) a compris cela très vite et les a filmés à l'européenne avec de grandes focales, peu de coupes et la technique du plan-séquence (ce que l'on retrouve dans Le Boucher de Claude Chabrol". Et justement le Charbol fait partie des films choisis par Tarantino pour sa rétrospective seventies.

Les ressorties de l’été 2016 (10) : En quatrième vitesse de Robert Aldrich

Posté par MpM, le 31 août 2016

En 4e vitesse

Pour le dernier épisode des ressorties de l'été 2016, penchons-nous sur un chef d'oeuvre du film noir qui revient sur les grands écrans en version restaurée grâce à Ciné Sorbonne : En quatrième vitesse (Kiss me deadly) de Robert Aldrich, une enquête sombre et poisseuse menée par le détective privé Mike Hammer originellement créé par l'écrivain Mickey Spillane.

Ce personnage de privé peu recommandable, égoïste et prétentieux, prend plaisir à asséner coups de poing et coups bas, voire torturer ses ennemis, et ne recule à peu près devant rien pour parvenir à ses fins. Dans cette aventure d'une noirceur exacerbée, il est confronté à un ennemi tout-puissant qui sème cadavres et terreur autour de lui. L'enjeu du film, on ne le saura qu'à mi-parcours, est de retrouver un objet mystérieux qui intéresse aussi bien la pègre que la police...

On l'aura compris, Robert Aldrich signe un archétype de film noir, où les frontières entre mal et bien sont on ne peut plus confuses, et où le cheminement de l'intrigue compte plus que l'intrigue en elle-même. Dès la séquence d'ouverture, splendide et anxiogène, on sait que l'on a affaire à un grand film : une femme court, de nuit, sur une route déserte. Elle est visiblement nue sous son imperméable, sans chaussures, et passablement terrifiée. Pour arrêter la voiture qui pourrait peut-être l'emmener loin de là, elle n'hésite pas à faire mine de se jeter sous ses roues. Le conducteur (Mike Hammer, évidemment) lui propose alors de monter, et tandis qu'elle s'exécute, le générique commence avec, du début à la fin, la respiration saccadée et rauque de la jeune femme qui tente de reprendre son souffle.

La suite du film ne déçoit pas qui, entre violence brute, sous-entendus sexuels et parfum de corruption, ne fait guère de concession au politiquement correct. L'enquête nous mène d'un specimen à un autre de cette étrange Amérique dévoyée : les femmes sont lascives et dangereuses, les hommes sont veules et brutaux. Tous semblent guidés par leurs plus bas instincts plutôt que par leur intelligence. Quant au dénouement, il propose une allégorie parfaite du climat pré-apocalyptique de l'époque. Suprême intelligence de Robert Aldrich et de son scénariste A.I. Bezzerides (qui avait totalement repensé le roman original) qui privilégient jusqu'à la fin l'abstraction au concret, le poétique au réaliste.

D'autant qu'En quatrième vitesse est également d'une audace stylistique effarante : générique défilant à l'envers, perspectives renversées, ellipses gonflées... On est effaré par l'inventivité d'Aldrich, mais aussi par son indéniable modernité. Pas étonnant que François Truffaut, qui avait écrit "pour apprécier Kiss me deadly, il faut aimer passionnément le cinéma", n'avait pas peur d'y "saluer une idée par plan" (Les Films de ma vie - François Truffaut).

Soixante ans plus tard, le plaisir ne se dément pas.

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En quatrième vitesse de Robert Aldrich
Sortie le 31 août en version numérique 4k
Distribué par Ciné Sorbonne

Les ressorties de l’été 2016 (9) : Les hommes préfèrent les blondes d’Howard Hawks

Posté par MpM, le 24 août 2016

Si la perspective de la rentrée vous sape le moral, ou que l'invasion de blockbusters pré-formatés vous déprime, nous avons cette semaine le remède idéal pour toute forme de mélancolie : la ressortie sur grand écran d'un classique culte du cinéma américain des années 50 doublé d'une comédie musicale irrésistible et glamour, le pétillant, ironique et joyeux Les hommes préfèrent les blondes, avec les divines Marilyn Monroe et Jane Russell devant la caméra, et le facétieux Howard Hawks derrière.

Adapté d'une pièce à succès de l'époque (elle-même tirée d'un roman d'Anita Loos et Joseph Fields), le film est une variation audacieuse autour des relations amoureuses et des rapports de force implicites qu'elles induisent entre hommes et femmes. On y découvre ainsi les séduisantes Lorelei Lee et Dorothy Shaw, chanteuses de cabaret, qui sont toutes deux en quête de l'âme sœur. Lorelei ne tombe amoureuse que d'hommes riches tandis que Dorothy s'intéresse plutôt aux muscles et physique de ses partenaires. Hawks aborde ainsi deux grands tabous de l'époque, l'argent et le sexe, et tourne en dérision le mythe de la jeune fille pure aux nobles sentiments romantiques.

Les hommes préfèrent les blondes est aussi une charge cruelle à l'égard des hommes qui, tous guidés par leurs pulsions et désirs plutôt que par leur bon sens, sans parler de leur cerveau, apparaissent comme les systématiques dindons de la farce. Face à eux, les deux héroïnes a priori présentées comme écervelées (jolies, donc forcément idiotes) font preuve d'une malice sans pareille, retournant à leur profit la misogynie ambiante. Les personnages masculins deviennent alors des pantins manipulés ou des hommes objets alors que Lorelei et Dorothy, libres et modernes, n'ont jamais besoin de s'en remettre au prince charmant pour tirer leur épingle du jeu. Leur force réside en elles-même et en leur indéfectible amitié. La séquence finale ne s'y trompe d'ailleurs pas, qui met l'accent sur le formidable couple de cinéma formé par Jane et Marilyn, au détriment des fiancés anecdotiques. Car c'est bien leur duo qui est au cœur du film, et notamment la manière dont elles s'entraident et se protègent, à la surprise des personnages masculins tout étonnés de cette solidarité féminine à leurs dépends.

En plus de ce savoureux sous-texte, qui dénonce mine de rien l'hypocrisie sociale du couple normé tel qu'il est conçu - par les hommes - dans les années 50, Les hommes préfèrent les blondes est une comédie étincelante bourrée de répliques ironiques et de séquences musicales à double sens. Le célébrissime Diamonds are a girl's best friend est un monument du genre, entre parodie flamboyante et démesure faussement outrée. Les comédiennes s'en donnent visiblement à cœur joie, chacune dans son registre, éclipsant sans vergogne leurs malheureux partenaires masculins, pour une fois réduits aux clichés et stéréotypes. L'intrigue en elle-même est délicieusement surannée, mais le ton, lui, ne manque pas de modernité.

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Les hommes préfèrent les blondes de Howard Hawks
Sortie le 24 août en version restaurée
Distribué par Théâtre du temple

Les ressorties de l’été 2016 (8) : Predator de John McTiernan

Posté par kristofy, le 17 août 2016

Alors que sur les écrans se suivent remakes, reboots, suites et spin-off des studios hollywoodiens, il est bon de revenir parfois au meilleur du cinéma américain, et notamment celui datant des années 80 (quand Donkey Kong était le Pokémon des ados). Après Terrence Malick et les frères Coen, voici une autre ressortie d'un classique américain. Ce n’est pas que de la nostalgie mais, au contraire, une véritable cure de jouvence : Predator est à (re)découvrir sur grand-écran ce 17 août grâce à Capricci films.

Le pitch: Le commando de forces spéciales mené par le major Dutch Schaeffer est engagé par la CIA pour sauver les survivants d’un crash d’hélicoptère au cœur d’une jungle d’Amérique Centrale. Sur place, Dutch et son équipe ne tardent pas à découvrir qu’ils sont pris en chasse par une mystérieuse créature invisible qui commence à les éliminer un par un. La traque commence.

Gros succès de l'année 1987

C’est un des films qui a fait de Arnold Schwarzenegger une star bankable. Le film avait rapporté 57M$ en Amérique du nord (l'équivalent de 130M$ aujourd'hui), soit le 12e succès de l'année, après s'être offert le 2e meilleur démarrage de 1987. En France, 1,5 million de spectateurs ont été le voir en salles. C'est grâce à cette créature que la carrière de John Mc Tiernan décolla en tant que spécialiste de film d’action : à son actif Predator, Piège de cristal avec Bruce Willis en 1988, A la pousuite d’Octobre Rouge avec Sean Connery en 1990…

Predator c’est surtout la naissance d’une créature parmi les 'méchants' les plus iconiques du cinéma américain : un monstre exta-terrestre qui joue de son invisibilité et de sa rapidité pour tuer… Le film fût un tel succès qu’il y a eu plusieurs suites : Predator 2 avec Danny Glover puis Predators avec Adrien Brody, et aussi un cross-over avec l’univers de Alien (une hérésie improbable avec deux films tout de même efficaces) avec Alien vs Predator et Alien vs Predator Requiem. Dans le Predator "d'origine" on découvre un jeune acteur - scénariste : Shane Black, qui, par la suite, est passé derrière la caméra (Iron Man 3, The Nice Guys…), et dont le prochain film prévu pour 2018 serait The Predator, reboot tendance.

Le Predator est donc une créature inconnue qui chasse un commando de militaires américains en opération dans une jungle opaque. Elle se déplace très facilement entre les arbres et repère ses victimes en détectant leur chaleur corporelle. Mesurant plus de 2 mètres, elle se rend invisible tel un caméléon, mais elle est repérée quand elle est mouillée… Dans le film cette créature et son fonctionnement ne sont dévoilés que très progressivement. Il faut attendre la dernière demi-heure pour voir vraiment de quoi il s’agit, avant un long combat final dantesque...

A noter que Capricci a édité l'an dernier un livre, Prodiges d'Arnold Schwarzenegger, signé Jérôme Momcilovic, livre biographique mais aussi analyse d'un homme du XXe siècle au corps héroïque et bodybuildé, presque mécanique.

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Predator de John McTiernan
Sortie le 17 août - interdit aux moins de 12 ans
Distribué par Capricci Films

Les ressorties de l’été 2016 (7) : La ligne rouge de Terrence Malick

Posté par MpM, le 10 août 2016

Alors que la rentrée cinéphile n'est plus très loin, on redécouvre cette semaine un incontournable du cinéma américain moderne, fresque monumentale au casting 5 étoiles doublée d'une réflexion poético-mystique sur les affres de la guerre, La ligne rouge de Terrence Malick qui succède à Macadam à deux voies de Monte Hellman, Silent running de Douglas Trumbull, La panthère noire de Ian Merrick, Fargo des frères Coen, cinq œuvres de jeunesse de Hou Hsiao-Hsien, et Tout ce que le ciel permet de Douglas Sirk.

A partir du 17 août, Ciné Sorbonne offre en effet une nouvelle jeunesse au film qui ressort pour la première fois (en version numérique 4k) depuis sa sortie en 1998. L'occasion de se replonger dans cette adaptation spectaculaire du roman éponyme de James Jones qui, à sa sortie, marqua le retour à la réalisation de Terrence Malick vingt ans après son précédent opus (Les moissons du ciel).

Couronné d'un Ours d'or à Berlin et accompagné d'un parfum de souffre (Malick s'est fâché avec ses producteurs avant même le tournage et a froissé certains acteurs qui ont vu leur rôle fondre au montage, voire tout simplement disparaître), La ligne rouge est une oeuvre forcément singulière dont les personnages - des soldats américains pris dans la terrible bataille de Guadalcanal - sont comme autant de fantômes du passé venant hanter le spectateur. Dans ce foisonnement de destins et de pensées (livrées en voix-off, un procédé qui deviendra central dans le travail du cinéaste) se livre le combat universel de l'homme pour sa survie et sa conservation, tiraillé entre sa conscience et son instinct, ses croyances et ses souvenirs, ses principes et une réalité sur laquelle il n'a aucune prise.

Dans un décor de paradis terrestre (destiné à être irrémédiablement perdu), les soldats se confrontent aux besoins et émotions les plus primaires : la peur, la haine, la soif, mais aussi cette forme de solidarité fraternelle qui transcende tout sur son passage, et permet à la fois l'héroïsme, le miracle et le sacrifice. La guerre, et donc la proximité permanente de la mort, devient comme le révélateur des pensées et aspirations les plus intimes de chacun qui rejaillissent alors sur le spectateur pris lui aussi dans ce tourbillon d'horreurs qui mène aux doutes et interrogations les plus viscérales.

L'être humain s'interroge sur le sens de ce qui l'entoure comme sur sa propre finalité, cruellement tenaillé par la question ultime : dans un tel univers, où le mal et le bien ne sont plus que des mots qui se confondent, une rédemption est-elle possible ?

Le film de Malick est à la fois âpre et sensoriel, éthéré et brutal, proposant une narration déconcertante d'où émerge à répétition une réplique fulgurante, un plan sublime, un regard douloureux. Et toujours cet antagonisme originel de la nature et de l'Homme, pris chacun dans des engrenages qui tour à tour se rejoignent et s'éloignent, s'entretiennent et se contrarient. Une vision prodigieusement pessimiste du monde, où l'homme est condamné à être déchiré entre beauté et monstruosité, horreur et félicité, pris au piège dans l'immense paradoxe de son existence finie.

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La ligne rouge de Terrence Malick
Sortie le 17 août en version numérique 4k
Distribué par Ciné Sorbonne

Les ressorties de l’été 2016 (6) : Tout ce que le ciel permet de Douglas Sirk

Posté par MpM, le 2 août 2016

Non seulement l'été est cinéphile, mais il est également éclectique, garantissant aux amoureux du cinéma de patrimoine d'aller de découvertes en retrouvailles et de films cultes en films rares.

Après Macadam à deux voies de Monte Hellman, Silent running de Douglas Trumbull, La panthère noire de Ian Merrick, Fargo des frères Coen et cinq œuvres de jeunesse de Hou Hsiao-Hsien, c'est un superbe classique, le si élégant Tout ce que le ciel permet de Douglas Sirk, qui ressort sur grand écran en version restaurée. Et un bonheur n'arrivant jamais seul, il est accompagné du Secret magnifique, un autre Douglas Sirk tourné un an avant (1954) avec le même couple-phare, les délicieux Jane Wyman et Rock Hudson.

Dans Tout ce que le ciel permet, l'étroitesse d'esprit d'une petite ville américaine met à l'épreuve l'histoire d'amour romantique entre une veuve de la bonne société et son (jeune) jardinier. On retrouve à la fois la thématique des barrières de classe et des préjugés sociaux et celle de l'émancipation féminine et du mépris des conventions.

Délicieusement suranné, mais qui prête toujours à réfléchir, le scénario détaille les difficultés rencontrées par le personnage féminin pour faire accepter son nouveau fiancé à ses proches, et notamment à ses enfants pourtant adultes. La cruauté des ragots, l'importance du qu'en-dira-t-on, et surtout le poids des conventions sont autant d'obstacles mis au jour par un Douglas Sirk au sommet de son art.

Dans un Technicolor flamboyant, les sentiments s'exaltent et les émotions fourmillent, toujours retenues et subtiles, mais profondes et communicatives. Si l'on échappe de peu au pur mélo (le producteur avait exigé un happy end), on ne peut que se laisser séduire par la mise en scène délicate, l'écriture très ténue et le jeu intérieur des acteurs. On croit à cette histoire d'amour plus forte que tout, et surtout aux mécanismes bien huilés qu'elle bouscule et remet en cause.

Ce n'est guère étonnant que le film en ait inspiré d'autres (Tous les autres s'appellent Ali de Fassbinder en 1974, Loin du paradis de Todd Haynes en 2003), comme si quelques soient les époques, il était encore et toujours nécessaire de revenir sur le nœud gordien du film : une femme empêchée, coupée en deux par un carcan social qu'elle a trop bien intégré et dont on s'est jamais tout à fait certain qu'elle est réellement prête à se débarrasser. Du conte de fées sentimental, on bascule alors dans quelque chose de plus ambigu et de plus pessimiste sur la difficulté pour les êtres humains de changer brutalement de vie et d'habitudes.

Forcément séduit par la beauté délicate de ce conte romantique cruel, on ne peut ensuite que se précipiter sur Le secret magnifique, oeuvre certes moins personnelle de Sirk (c'est un film de commande, remake de celui de John M. Stahl sorti en 1935 et lui-même inspiré du roman éponyme de Lloyd C. Douglas), mais qui réunit pour la première fois à l'écran Jane Wyman et Rock Hudson, dans une comédie dramatique tout aussi flamboyante autour de la culpabilité et du deuil. Un déferlement d'élégance et de délicatesse qui est plus que jamais le bienvenu.

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Tout ce que le ciel permet et Le secret magnifique de Douglas Sirk
Sortie le 3 août en version numérique restaurée
Distribué par Ciné Sorbonne

Les ressorties de l’été 2016 (5) : 5 œuvres de jeunesse de Hou Hsiao-Hsien

Posté par MpM, le 27 juillet 2016

rétrospective hou hsiao-hsienL'été est décidément faste pour le cinéma de patrimoine ! Après deux films cultes (Macadam à deux voies et Fargo), un film maudit (La panthère noire) et l'étonnant précurseur de la science fiction moderne (Silent running), voici un véritable cadeau estival concocté par Carlotta dès le 3 août : cinq des premiers films du Taïwanais Hou Hsiao-Hsien, dont trois n'étaient jamais sortis en France !

Tournés entre 1980 et 1986, Cute Girl, Green Green Grass of Home, Les Garçons de Fengkuei, Un temps pour vivre, un temps pour mourir et Poussières dans le vent ressortent donc sur grand écran, en version restaurée, permettant de se faire une idée plus précise des débuts de ce cinéaste insaisissable dont Olivier Assayas déclare : "apparu comme par miracle, [il] était le grand cinéaste chinois qui avait toujours manqué."

Cute girl
Son premier film, Cute girl, est une comédie romantique dans la lignée de ce qui se fait à Taïwan à l'époque, tout en évoquant le New York-Miami de Frank Capra. Elle raconte l'histoire de Wenwen, une jeune fille de bonne famille promise au fils d'un riche industriel parti faire ses études en France. Doutant de l'avenir tout tracé qui l'attend, elle décide de partir à la campagne, où elle rencontre un autre homme.

Deux grandes stars de l'époque (Kenny Bee et Feng Fei-fei) incarnent les personnages principaux et interprètent eux-mêmes les chansons du film. Cute girl, qui portait en germes le sens esthétique de Hou Hsiao-Hsien, fut un énorme succès public lors de sa sortie à Taïwan, mais était jusqu'à présent inédit en France.

Green Green Grass of Home

Considéré comme la dernière comédie romantique de Hou Hsiao-Hsien, Green Green Grass of Home tend également vers la peinture rurale et la chronique d'enfance, racontant avec humour le contraste entre l'ancien mode de vie citadin de son héros et sa nouvelle existence rurale.

Le cinéaste laisse une grande liberté d'improvisation à ses jeunes interprètes, ce qui leur confère un naturel désarmant, et fait beaucoup pour le charme du film. On peut aussi y voir l'affirmation de son style (scènes qui se répètent, observation ritualisée du quotidien...) ainsi que la mise en place de certains des thèmes qui parcourent toute son oeuvre.

Les Garçons de Fengkuei

Premier volet d'un cycle autobiographique, Les garçons de Fengkuei revient sur la jeunesse "mouvementée" du réalisateur. Au contraire du précédent, il se déroule en majorité dans un univers urbain où l'on suit souvent à distance les pérégrinations et errances de la bande de copains.

Nostalgie douce amère, humour feutré, regard naturaliste bienveillant porté sur un passé disparu... le film est une formidable chronique de jeunesse incompréhensiblement resté inédit dans les salles françaises jusqu'à aujourd'hui. C'est pourtant grâce à lui, et à la Montgolfière d'or obtenue au Festival des trois continents de Nantes en 1984, que Hou Hsiao-Hsien fit son entrée sur la scène internationale.

Un temps pour vivre, un temps pour mourir

Autre film autobiographique, Un temps pour vivre, un temps pour mourir s'inspire des souvenirs de Hou Hsiao-Hsien pour raconter son enfance et le début de son adolescence, mais aussi l'exil de sa famille et la situation politique taïwanaise des années 50 et 60. Probablement l'une de ses œuvres les plus fortes, où les sensations et une dimension quasi picturale de l'image prennent le pas sur la narration.

A son sujet, Hou Hsiao-Hsien lui-même confiera : "Un temps pour vivre, un temps pour mourir s’inspire entièrement de mes souvenirs, il montre comment les choses nous apparaissent à travers la mémoire, la façon dont certaines atmosphères, certains détails du passé prennent avec le temps une grande importance, se mettent pour ainsi dire à enfler."

Poussières dans le vent

Dans le prolongement d'Un temps pour vivre, un temps pour mourir, Poussières dans le vent est une histoire d'amour subtile et malheureuse sur fond de chronique de fin d'adolescence. Entre la ville et la campagne, les deux protagonistes se suivent, se croisent, s'aiment, et se perdent, sans pathos ni mélodrame.

De son propre aveu, le cinéaste atteint avec ce film une certaine maturité. "J'ai enfin compris que lorsqu'on filme, que ce soit une personne ou une chose, il émane de ce qu'on filme un sentiment. Mon travail de cinéaste est simplement de saisir le sentiment qui émane de ce que je filme", déclare-t-il, éclairant en une phrase la démarche et le travail de recherche qui sont les siens depuis.

Les ressorties de l’été 2016 (4) : Fargo des frères Coen

Posté par MpM, le 19 juillet 2016

Fargo 2

L'été cinéphile se poursuit avec la ressortie cette semaine de Fargo des frères Coen, proposé par Ciné Sorbonne. Après le film culte Macadam à deux voies de Monte Hellman, le précurseur Silent running de Douglas Trumbull et l'inédit La panthère noire de Ian Merrick, c'est au tour du polar rural le plus décapant des années 90 de faire son retour sur grand écran.

On ne présente plus ce film noir et drôle à la fois, inspiré d'un fait divers "remanié" par le célèbre duo de réalisateurs, qui raconte l'histoire d'une vraie fausse prise d'otages qui tourne mal, en raison à la fois de la bêtise des criminels, et de la pugnacité d'une inspectrice de police. Récompensé par un prix de la Mise en scène à Cannes en 1996, puis par deux Oscars (meilleur actrice pour Frances Mc Dormand et meilleur scénario original pour Joel et Ethan Coen), il a depuis donné lieu à une série éponyme coproduite par les cinéastes.

S'inscrivant dans la lignée de ce que l'on a appelé le "neo-noir" (version contemporaine du film noir de la première moitié du 20e siècle, dont il reprend les codes, parfois pour mieux les détourner), le film présente une galerie de portraits à la fois cocasses et édifiants de criminels bas du front et d'Américains moyens veules et lâches. Entre le mari qui élabore l'improbable plan originel d'enlèvement avec grosse rançon à la clef, les preneurs d'otage à la gâchette facile qui accumulent les bourdes, le beau-père autoritaire et imbu de lui-même qui croit pouvoir maîtriser toutes les situations, juste parce qu'il est riche... il n'y a pas un personnage pour remonter le niveau.

Jeu de massacre

Pas un, non, mais une, car c'est la formidable Frances Mc Dormand, en policière enceinte astucieuse, qui apporte la touche d'humanité et d'intelligence nécessaire pour sauver ce monde de brutes (masculines) de l'horreur la plus complète. Avec son accent prononcé, sa physionomie joviale, sa simplicité un peu rude, elle apporte un contrepoint salutaire à la société jusque-là décrite par le film, celle d'une poignée d'individus prêts à tout (et surtout au pire) pour assouvir leurs plus bas instincts. Son air d’incompréhension totale à l'idée qu'on puisse tuer juste pour de l'argent est à la fois le climax et la clef (discrète) du film.

Au-delà de la caricature savoureuse d'une certaine Amérique, qui tourne presque systématiquement au jeu de massacre, les frères Coen se sont également amusés à illustrer avec une gourmandise cruelle (mais ô combien cinématographique) l'adage voulant que lorsqu'une chose peut mal tourner, elle tourne vraiment mal, c'est-à-dire au carnage. La surenchère de hasards, coups de malchance et erreurs grossières qui constituent les principaux rebondissements de l'intrigue font alors alterner le film entre farce grotesque, thriller glaçant et étude de mœurs décourageante.

Jubilatoire et virtuose, méchant et intense, Fargo enthousiasme ainsi toujours autant vingt ans après sa sortie initiale. Le revoir cet été sur grand écran, et dans une copie numérique restaurée projetée en haute définition 4K dans les salles équipées, est un plaisir dont il serait dommage, si ce n'est coupable, de se priver.

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Fargo des frères Coen
Sortie le 20 juillet en version numérique restaurée
Distribué par Ciné Sorbonne

Les ressorties de l’été 2016 (3) : la panthère noire de Ian Merrick enfin visible 40 ans après son interdiction

Posté par MpM, le 12 juillet 2016

la panthère noire

Cet été, on vagabonde dans l'histoire du cinéma au gré des (nombreuses) ressorties et reprises. Après le film culte Macadam à deux voies de Monte Hellman et le précurseur Silent running de Douglas Trumbull, c'est cette semaine un film surprenant, au destin maudit, qui a attiré notre attention. La panthère noire est le premier long métrage de Ian Merrick, tourné en 1977, et interdit avant même sa date de sortie officielle, suite notamment à une violente campagne de dénigrement de la presse de l'époque.

Hormis une sortie discrète en vidéo au début des années 80, il est ensuite resté invisible pendant près de 40 ans, jusqu'à sa sortie en DVD en mai dernier (distribué par UFO), suivie à partir du 13 juillet d'une exploitation en salles au cinéma Christine 21 (Paris VIe).

Le film raconte l'histoire (vraie) de Donald Neilson, un braqueur et tueur en série qui tint longtemps la police en échec et traumatisa l'Angleterre du milieu des années 70. Marié et père de famille, cet ancien vétéran brutal et sadique avait mis au point un véritable mode commando pour multiplier les braquages (plusieurs centaines entre 1971 et 1975), sans jamais se faire prendre, malgré plusieurs meurtres sanglants.

Quasi documentaire, mutique et exigeant

Incarné avec une fièvre inquiétante par l'exceptionnel acteur Donald Sumpter, le personnage est un être odieux et détestable, sidérant de bêtise et d'impréparation, qui tyrannise sa femme et sa fille et multiplie les exécutions sommaires avec une sorte d'indifférence démente. Il est de presque tous les plans, obtus, médiocre et pathétique, torturé par son passé militaire, mais apparemment dénué d'affects, sinon la colère noire qui l'envahit chaque fois que quelque chose, ou quelqu'un, se met en travers de sa route.

Se voulant particulièrement fidèle au fait divers originel, La panthère noire reste toujours à distance de son personnage, sans velléité d'expliquer ou analyser son comportement frénétique. Au contraire, le film est quasi documentaire dans son observation minutieuse des allers et venues, repérages, préparatifs et passages à l'acte du criminel. De fait, il y a quelque chose de clinique dans cette mise en scène ultra-maîtrisée qui se cantonne très précisément aux faits et évite voyeurisme et effets spectaculaires, même dans les séquences les plus violentes. Mutique et elliptique, le film déroule ainsi avec exigence le fil de son récit, éprouvant et frontal, sans concession pour le confort du spectateur ou la facilité de la narration.

Ce premier long métrage magistral aurait indéniablement dû lancer la carrière de Ian Merrick, fervent adepte d'un cinéma indépendant à petit budget. Au lieu de quoi, le réalisateur connut une longue traversée du désert avant de renouer avec la réalisation en 2000 (The demon within). La Panthère noire s'inscrit pourtant avec intelligence dans la lignée d'un polar britannique très étroitement ancré dans les réalités sociales du pays, y compris les plus sordides.

Il est donc urgent de (re)découvrir ce chaînon manquant dans l'histoire contemporaine d'un genre qui a toujours préféré la mise au jour des bas instincts humains à leur dissimulation polie et politiquement correcte, quitte à ne pas plaire à tout le monde.

Les ressorties de l’été 2016 (2) : space opera écologique avec Silent running de Douglas Trumbull

Posté par MpM, le 5 juillet 2016

Silent running

Après le film culte Macadam à deux voies de Monte Hellman, on (re)découvre cette semaine l'étonnant Silent running, signé en 1972 par Douglas Trumbull, le créateur des effets spéciaux de 2001 Odyssée de l'espace et de Blade runner, et co-écrit par le cinéaste Michael Cimino. Parfois considéré comme le précurseur de la science fiction moderne, le film sort mercredi 6 juillet en DVD et Blu-Ray, pour la première fois dans une version HD, et accompagné de bonus, suppléments et d'un livret exclusif.

Visionnaire par bien des poins, le film imagine un futur dans lequel la végétation a disparu de la Terre suite à une guerre nucléaire. Dans l'espoir d'inverser la situation, de grandes serres sont cultivées dans l'espace. C'est à cette tâche que se consacre assidûment le botaniste Freeman Lowell à bord du vaisseau Valley Forge, au grand dam de ses collègues peu sensibilisés à l'importance de leur mission. Mais un jour, la décision tombe : les serres doivent être détruites pour des raisons économiques...

Peut-être, à l'heure du tout numérique et des effets spéciaux toujours plus réalistes, Silent running semblera-t-il un poil vieilli. Mais on imagine le choc, en 1972, des spectateurs découvrant ce space opera marchant résolument sur les pas de 2001 tout en proposant un message plus personnel (et clairvoyant) sur la nécessité de préserver la planète. Visuellement, tout est monumental : le décor des serres géantes, les vues spatiales, les explosions des différents modules... Philosophiquement, on a affaire à un huis-clos rageur et anxiogène, dans lequel la solitude conduit inexorablement à une forme de folie, et où tout espoir en l'Humanité semble anéanti.

Allégorie de la condition humaine

Complètement habité par son personnage, Bruce Dern en fait incontestablement des tonnes en amoureux fou de la nature. Mais son jeu exubérant aux confins de la folie peut aussi se lire comme une allégorie de la condition humaine, condamnée à l'autodestruction et à la démence. L'alternative proposée par la fin du film (qui est un grand classique de science fiction) en dit d'ailleurs long sur la confiance que l'équipe de scénaristes avait encore en ses congénères.

A un degré plus profond, le dilemme proposé par Silent running est lui aussi un thème fort et récurrent du cinéma et de la littérature d'anticipation : vaut-il mieux un monde parfait (sans maladie, ni guerre, ni chômage), mais dans lequel tout est pareil, ou un monde plein d'imperfections et donc de vie, qui laisse chacun prendre son destin en mains ? Le scénario répond sans ambiguïté, quitte à manquer parfois de mesure ou de subtilité (on frôle même le kitsch avec les chansons de Joan Baez).

Qu'à cela ne tienne, le film est une véritable curiosité cinématographique qui pose la question sous-jacente à laquelle les sociétés contemporaines n'ont toujours pas répondu : et si l'être humain était moins important que la sauvegarde la nature ?

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Silent running de Douglas Trumbull
Sortie le 6 juillet en DVD et Blu-Ray, version HD
Distribué par Wild side