Les ressorties de l’été 2016 (1) : on the road again avec Macadam à deux voies de Monte Hellman

Posté par MpM, le 28 juin 2016

Macadam à deux voies

L'été est la période idéale pour faire une pause dans les nouveautés qui affluent sans fin chaque semaine et renouer avec de grands classiques, films cultes ou chefs d’œuvres oubliés, qui ressortent avec bonheur sur grand écran à cette époque de l'année.

Cette semaine, c'est un film maudit, devenu culte, qui ouvre le bal : Macadam à deux voies (Two-lane Blacktop) de Monte Hellman, sorti en 1971, et devenu au fil des années l'un des symboles de la contre-culture américaine. Ce vrai-faux road-movie, qui s'inspire beaucoup des expériences de la Nouvelle Vague, est une oeuvre énigmatique et déroutante dont on ne peut pas vraiment dire qu'elle cherche à flatter le spectateur.

Pendant 1h30, on suit deux conducteurs mutiques (The driver et The mechanic) dont toute l'attention semble focalisée sur leur Chevrolet 1955, une voiture qu'ils ont entièrement customisée pour écumer la route 66 en quête de courses à gagner. Ils prennent en stop une jeune fille (The girl) puis croisent la route d'un autre conducteur, au volant d'une Pontiac jaune rutilante (GTO). Tous quatre se lancent dans une course que l'on ne peut pas vraiment qualifier d'effrénée, mais plutôt d'hallucinatoire, ponctuée de pauses dans des stations services et des dinners typiques. La jeune fille passe d'une voiture à l'autre, le GTO noie ses interlocuteurs sous une flopée d'histoires dont seul le spectateur sait qu'elles sont à chaque fois différentes, le conducteur et le mécano n'ouvrent la bouche que pour parler moteur et réglages, cadences et courses à gagner.

Choc sensoriel hypnotique

C'est à peu près tout pour l'action, qui se dilue assez vite dans l'irrésistible fuite en avant où s'oublient les personnages. Rien d'autre ne compte que le mouvement, l'ailleurs à venir, la vitesse à tenir, et cette sensation impalpable de liberté qui souffle sur tout le récit. On est sidéré par la vacuité revendiquée du film qui refuse tout message ou quête de sens pour s'abîmer dans un choc sensoriel hypnotique révélateur de l'incommunicabilité et du désœuvrement de l'époque, ainsi que de l'irréconciliable conflit générationnel. Pas très étonnant que Macadam à deux voies, énorme échec public à la genèse plus que compliquée, ait séduit des réalisateurs comme Quentin Tarantino ou Gus van Sant, bouleversés par son aridité contemplative à la limite de l'absurdité, qui laisse toute sa place à la recherche cinématographique exigeante du réalisateur.

On le revoit aujourd'hui avec d'autant plus d'émotions qu'il est le seul film du célèbre musicien folk rock James Taylor (Sweet baby james, Mud slide slim, Carolina in my mind) et du cofondateur des Beach Boys, Dennis Wilson, flanqués de Warren Oates (acteur fétiche de Sam Peckinpah) et de la jeune mannequin Laurie Bird. Tous les quatre sont à la limite de la désincarnation, silhouettes privées de noms, d'histoires ou ne serait-ce que d'épaisseur, comme des figurants réduits aux quelques traits de caractère de leur archétype, faire-valoir terribles d'un film qui les dévore quasiment au sens propre.

_______________

Macadam à deux voies de Monte Hellman

Sortie le 29 juin en version numérique restaurée
Distribué par Ciné Sorbonne

Cannes 2016: toute la sélection de Cannes Classics

Posté par MpM, le 20 avril 2016

Bertrand Tavernier, William Friedkin, Cannes 1966, les 70 ans de la Fipresci, les documentaristes Wiseman & Depardon, l’Europe de l’Est , des grands films populaires, du cinéma de genre, de la science-fiction, de la comédie, de l’animation, de l’horreur gothique, du western et enfin des documentaires sur le cinéma: Cannes Classics 2016 révèle son menu patrimonial.

La plupart des films présentés sortiront en salles et en DVD/Blu-ray, et tout ou partie du programme Cannes Classics sera repris au cinéma Les Fauvettes (Paris), au festival Cinema Rittrovato (Bologne), à l’Institut Lumière (Lyon).

Evénements
Voyage à travers le cinéma français de Bertrand Tavernier
Sorcerer de William Friedkin (dans le cadre de sa Leçon de cinéma)
Signore & signori (Ces messieurs dames ou Belles dames, vilains messieurs) de Pietro Germi
Un Homme et une femme de Claude Lelouch
Faits divers de Raymond Depardon (dans le cadre de l'hommage croisé à Depardon et Wiseman)
Hospital de Frederick Wiseman (Prix Consécration de France Culture 2016 à Cannes)
Farrebique de Georges Rouquier (pour célébrer les 70 ans de la FIPRESCI)

Documentaires sur le cinéma
The Cinema Travelers de Shirley Abraham et Amit Madheshiya (Inde).
The Family Whistle de Michele Russo (Italie)
Cinema Novo de Eryk Rocha (Brésil)
Midnight Returns: The Story of Billy Hayes and Turkey de Sally Sussman (Etats-Unis)
Bright Lights: Starring Carrie Fischer and Debbie Reynolds de Alexis Bloom et Fisher Stevens (Etats-Unis)
Gentleman Rissient de Benoît Jacquot, Pascal Mérigeau et Guy Seligmann (France).
Close encounters with Vilmos Zsigmond de Pierre Filmon (France)
Et La femme créa Hollywood de Clara et Julia Kuperberg (France)
Bernadette Lafont et Dieu créa la femme de Esther Hoffenberg (France)

Copies restaurées (par ordre chronologique)
Gueule d’amour de Jean Grémillon (1937, France)
Die letzte Chance (La Dernière chance) de Leopold Lindtberg (1945, Suisse)
Momotarô, Umi no shinpei (Momotaro, le divin soldat de la mer) de Mitsuyo Seo (1945, Japon)
Rendez-vous de juillet de Jacques Becker (1949, France)
Ugetsu monogatari (Les Contes de la lune vague après la pluie) de Kenji Mizoguchi (1953, Japon)
Santi-Vina de Thavi Na Bangchang (1954, Thaïlande)
Dolina Miru (La Vallée de la paix) de France Stiglic (1956, Slovénie)
Jago hua savera (Quand naîtra le jour) de Aaejay Kardar (1958, Pakistan)
One-Eyed Jacks (La Vengeance aux deux visages) de Marlon Brando (1961, Etats-Unis)
Pit and The Pendulum (La Chambre des tortures) de Roger Corman (1961, Etats-Unis)
Ikarie XB 1 de Jindrich Polak (1963, Tchéquie)
Dragées au poivre de Jacques Baratier (1963, France)
Masculin féminin de Jean-Luc Godard (1966, France)
Memorias del subdesarrollo (Mémoires du sous-développement) de Tomás Gutiérrez Alea (1968, Cuba)
Szerelem (Amour) de Karoly Makk (1971, Hongrie)
Solyaris (Solaris) de Andreï Tarkovski (1972, Russie)
Adieu Bonaparte de Youssef Chahine (1984, France/Egypte)
Le Décalogue 5 (Tu ne tueras point) et 6 (Tu ne seras pas luxurieux) de Krzysztof Kie?lowski (1989, Pologne)
Valmont de Milos Forman (1989, France)
Howards End (Retour à Howards End) de James Ivory (1992, Royaume-Uni/Japon) - en présence de James Ivory et de l'actrice Vanessa Redgrave.
Indochine de Régis Wargnier (1992, France)

Séances spéciales
Terrore nello spazio (La Planète des vampires) de Mario Bava (1965, Italie/Espagne)
Tiempo de morir de Arturo Ripstein (1966, Mexique)

Toy Story, Wong Kar-wai, Retour vers le futur au programme du nouveau cinéma Les Fauvettes

Posté par vincy, le 6 novembre 2015

Les Fauvettes a eu quelques mois de retard. Mais cette fois-ci c'est la bonne. Le cinéma parisien exploité par Gaumont Pathé ouvre aujourd'hui, vendredi 6 novembre.

Avec 5 salles (641 fauteuils) entièrement dédiées aux films restaurés et un bar dans un patio végétal, le complexe remplace l'ancien Gaumont Gobelins (XIIIe arrondissement) à quelques pas de la nouvelle Fondation Pathé. Deux façades numériques animées, sur lesquelles défileront des images de films pixellisées, marquent sa présence sur l'avenue parisienne.

Les Fauvettes n'a rien à voir avec une cinémathèque et ne projettera pas uniquement des films du catalogue Pathé. C'est un lieu de rendez-vous "amoureux" entre les cinéphiles et le cinéma classique ou populaire, en version originale, restauré numériquement. Le concept est unique au monde selon Jérôme Seydoux, co-président de Pathé.
Les copies restaurées attirent de plus en plus de spectateurs dans les salles mais aussi dans les Festivals (certains y consacrent même des sections). C'est une manière d'accompagner une sortie DVD/Blu-Ray lorsqu'un classique a bénéficié du lifting numérique. Là il s'agira d'aller voir ou revoir un film dans des conditions optimales.

Et le programme s'annonce éclectique: la trilogie Retour vers le futur, Top Gun en 3D, Casino, Blade Runner (final cut), Le conformiste, un cycle Toy Story pour amorcer une rétrospective intégrale de Pixar, Le Corniaud, avec Danièle Thompson en invitée spéciale, Jusqu'au bout du monde, avec son réalisateur Wim Wenders ou The Blues Brothers en présence de John Landis. On pourra aussi voir les premiers films de Wong Kar Wai en version restaurée (Chungking Express, Les anges déchus, Happy Together, Nos années sauvages) et même Skyfall!

A l'origine, en 1900, La Fauvette est une salle de bal puis un café-concert où l'on diffuse des films, comme Le Voyage dans la Lune de Méliès. Il faut attendre 1937 pour que le lieu devienne un cinéma de 1000 laces, avec balcon. En 1972, La Fauvette et le Ciné-Théâtre des Gobelins fusionnent. Dans les années 80, on ajoute deux salles, puis on divise la grande salle en 3. Et finalement ce cinéma de 5 salles change de nom en 1992. Le Gaumont Gobelins est né. Jusqu'à aujourd'hui, où Les Fauvettes va retrouver son enseigne et se met au pluriel.

Festival du film de La Rochelle: Les corps et décors de Luchino Visconti

Posté par Martin, le 6 juillet 2015

En une quinzaine de films, Luchino Visconti (1906-1976) aura été le cinéaste italien de l’histoire et du temps. De ses premiers films qualifiés de néoréalistes (le mot a été inventé pour son premier film, Les Amants diaboliques, en 1943) jusqu’aux films tableaux mortifères de la fin (L’Innocent sera son dernier film, en 1976), le cinéaste aura raconté l’Italie de sa constitution (Senso, 1953, ou Le Guépard, 1962) jusqu’aux ambigüités d’un passé récent (l’après mai 1968 dans Violence et passion, 1974). Mais les corps qui se déplacent dans l’espace donne à l’histoire une puissance érotique et morbide. Visite guidée en quelques images fortes à l'occasion de la rétrospective intégrale de ses films au Festival du film de La Rochelle, qui s'est achevé hier.

les amants diaboliques ossessioneLe premier regard des Amants diaboliques

La sueur sur son front. Elle nettoie la cuisine. Giovanna est en noir, décoiffée, un rictus triste sur les lèvres. Son mari, bonhomme, passe, plaisante : c’est sa station service et elle tient le café attenant. Un vagabond s’approche. La route. La station. Le restaurant. Quand il passe la porte, il suffira d’un regard, un long regard. Giovanni s’arrête pour contempler Gino. Il est beau. Dans le cadre de cet espace auquel il n’appartiendra jamais, Gino, en débardeur blanc, jure : sa peau dévore toute la lumière. Objet érotique né dans la crasse (l’essence, les odeurs de cuisine), il est la beauté noire, baudelairienne, qui expulsera Giovanna de son enfer domestique mais signera  aussi son entrée dans la mort – ensemble, ils ne tardent pas à tuer le mari. Tout est joué dès ce premier regard, dès l’apparition du corps désirable et désiré dans l’embrasure de la porte. Gino, apparu sur la route, y projettera l’histoire – deux accidents de voiture encadrent le récit, comme pour mieux révéler l’impossibilité de vivre dans cette Italie en crise.

bellissimaLe cinéma et le désir de Bellissima

Dans Bellissima (1951), Visconti veut filmer Anna Magnani. Elle y joue une mère qui, suite à une annonce de casting, fera tout pour que sa fille de six ans décroche un rôle. Il y a deux espaces, celui de la pauvreté néoréaliste (l’immeuble de Maddalena) et celui du cinéma (Cinecitta). L’entrée de la mère et de sa fille dans ce nouvel espace, celui du rêve, pose d’emblée problème – la petite se perd et il faut la retrouver. Après bien des tractations où la petite doit changer du tout au tout (elle se fait couper les cheveux, porte un tutu, prend des cours de diction avec une actrice ratée), Maddalena entre dans une salle de montage et découvre l’envers du décor : la jeune monteuse est une ex starlette qui se prenait une gifle dans un film comique à succès. Maddalena / Magnani découvre, non pas dans les images, dans les rushes qu’elle est venue voir, mais dans le réel, le visage et le travail de cette monteuse, un corps abandonné, mis au rebut du cinéma, destin plus que probable de sa propre fille. Entre ces deux espaces, le réel et le cinéma, qui se rejoignent ici de façon cruelle, il y aura pourtant eu une lisière : au bord de l’eau, Maddalena s’allonge auprès d’un homme qui profite de son obsession pour lui soutirer de l’argent et peut-être un peu de désir… Alanguie dans  l’herbe, Maddalena s’offre dans une position qui rappelle la Partie de campagne de Jean Renoir (film sur lequel Visconti a été assistant). Le désir brûle soudain la pellicule. La main de l’homme s’approche. Les deux corps forment une ligne oblique entre le fleuve et le chemin terreux. Et puis Magnani reprend le dessus, coupe net au désir, qui né dans la terre et la poussière, aurait pu tout détruire  comme dans Les Amants diaboliques : en un regard désirant, en un geste esquissé, est saisie toute l’étendue d’une autre vie.

les nuits blanches marcello mastroianni

Corps figurés, corps figurants des Nuits blanches

Dans Les Nuits blanches (1957), Visconti adapte Dostoïevski en studio. Tout le décor crie son côté faux et c’est bien naturel : c’est un film sur le rêve amoureux. Un homme voit une femme dans la rue, la suit, lui parle : elle attend un autre homme. Plus elle se confie sur l’autre, plus il tombe amoureux. Le nouveau couple se retrouve toutes les nuits… Dans l’attente, que peut-il se passer ? Le décor porte en son sein cette triangulation du désir. A chaque scène, d’autres couples se rejoignent et disjoignent comme des danseurs au fond du cadre : tout petits au bout d’une ruelle ou sur un pont, ils sont sans visages, des figurines qui doublent le désir d’étreinte du héros. A la fin, c’est lui qui est la figurine abandonnée, puis il regarde enfin le fond du cadre, reflet tragique de son rêve. Le décor aura ainsi exprimé son désir, et plus encore son exil.

sandra claudia cardinaleLe visage étrusque de Claudia Cardinale dans Sandra

Après ses participations, petite dans Rocco et ses frères (1960), plus conséquente dans Le Guépard (1962), Claudia Cardinale est immortalisée par Visconti dans ce qui restera son plus beau rôle – Sandra, « Vaghe Stelle dell’Orsa » en italien, d’après un vers de Leopardi. Récemment mariée à un Américain,  Sandra revient à Volterra, sa ville natale. Sandra est donc un film sur l’origine : origine juive d’un père mort à Auschwitz et à qui on dresse une statue, origine de la tragédie historique et familiale puisque Sandra renoue avec sa mère folle et son frère incestueux. L’essentiel du récit se passe dans cette maison de l’enfance, au milieu des statuettes étrusques. Sandra a beau être partie, elle appartient pour toujours à ce lieu : les coiffures de Cardinale, les axes choisis pour filmer son visage, la lumière qui sculpte son nez, sa bouche, son cou, tout cela en fait une statue de la mythologie. Le moment où la pierre se brise, c’est celui du combat avec le frère amoureux, retour à l’origine dans une chambre sombre qui pourrait tout aussi bien être un ventre maternel. Les stries de lumière déchirent les vêtements et nous offrent le spectacle d’une nouvelle naissance : Sandra sortira de cette lutte en blanc immaculé. Grandie ?

tadzio mort à veniseLe vieil homme et la mort (1) : Mort à Venise

Aschenbach suit Tadzio dans les rues de Venise. Le décor croupissant est recouvert d’un produit blanchâtre. Le musicien, venu se reposer, aurait pu partir un peu plus tôt, fuir le choléra, la mort qui gagne le cadre peu à peu. Mais il a choisi de rester pour avoir aperçu la beauté absolue, celle qu’il n’avait pas voulu voir jusqu’à présent. Il ne se passe que très peu de choses dans Mort à Venise : les descriptions de la nouvelle de Thomas Mann sont fidèlement retranscrites dans des panoramiques et zooms aussi lents qu’envoutants. Le contempaltion de la beauté remplace l’action tandis qu’Aschenbach se souvient : son art n’aura été que rigueur et travail, un art apollinien selon la définition de Nietzche. Aschenbach découvre alors sous les traits du jeune Tadzio une beauté naturelle, violente, pulsionnelle : c’est la face dionysiaque qui a manqué à sa vie. De cette révélation, le personnage meurt – le titre n’en fait pas mystère. Pourtant, à la fin, Tadzio tend la main vers la mer : c’était ça, la vraie beauté que l’artiste n’aura pas réussi à voir. Terrible horizon d’une vie gâchée, tandis que coule le maquillage du personnage transformé en masque grotesque.

romy schneider ludwig

Pourriture de Ludwig

Helmut Berger est Ludwig dans cette fresque de près de quatre heures (1972). Mais plus encore c’est le film tout entier qui est Ludwig. Visconti nous enlise dans la folie de cet empereur esthète qui fait des opéras de Wagner la musique de sa vie, d’un écuyer un prince charmant, d’un acteur aperçu sur une scène un Roméo qu’il épuise à force de lui demander de réciter ses tirades préférées… Le réel dans le récit disparaît quasiment : seuls quelques plans face caméra de ceux qui ont travaillé pour lui nous sortent de l’esprit malade de Ludwig. Alors qu’il y organise une mise en scène, une grotte ou une taverne prennent soudain la forme de son cerveau. Une galerie de miroirs reflète les tréfonds de son âme, un escalier son esprit tortueux. Mais plus les espaces sont beaux, romantiques, foisonnants, plus Ludwig décrépit : l’extérieur, le décor, est le lieu de ses folles rêveries, son corps une peau de chagrin gagnée par la pourriture. Rage de dents, toussotements, yeux exorbités… La maladie ronge son corps tandis que le château apparaît de plus en plus comme un somptueux tombeau. Exilé de son antre sublime, Ludwig s’écroule dans l’hiver, se fige à jamais dans un tableau qu’il aurait pu peindre.

burt lancaster violence et passionLe vieil homme et la mort (2) : Violence et passion

Le titre original, Gruppo di famiglia in un interno (« groupe de famille dans un intérieur »), dévoile l’ambition de Visconti : faire un huis clos en forme de tableau figé où la vie extérieure, le hors-champ, le présent seraient donnés à voir en creux. Ils s’infiltrent en effet dans l’histoire d’un vieil homme qui vit au milieu d’œuvres d’art et de livres. L’inspiration douceâtre des tableaux de genre anglais contraste avec la famille à la vulgarité toute italienne qui viole son espace. La mère écrase sa cigarette à même le sol, la fille s’invite à dîner mais ne vient pas, le gendre fait des travaux bruyants et un gigolo finit par pénétrer littéralement dans la bibliothèque du vieil intellectuel, et à se présenter nu, offert et interdit à la fois, à ses yeux. Mais c’est bien le capitalisme conquérant d’un mari qui n’est pas jamais montré qui fait entrer la pourriture dans l’espace (la fuite au plafond) et fait de la révolte du gigolo soixante-huitard un coup d’épée dans l’eau individuel et finalement très égoïste. Les coups de téléphone, la musique pop et les cris de Silvana Mangano et de sa fille envahissent l’espace sonore du professeur avant que seul résonne un dernier son : les pas de la mort dans l’appartement du dessus. Violence et passion, c’est la destruction d’un espace qui représente toute une vie. Une famille monstrueuse s’y invite, sème le chaos, et paradoxe fait goûter au vieil homme le parfum d’une joie nouvelle.

Mais dans les films de Visconti cette remise en question détruit la construction de toute une vie. Les châteaux de Ludwig, la beauté du Tadzio, le rêve de Cinecitta ou le corps érotisé d’un vagabond dans Les Amants diaboliques sont des écrins révélant la même aspiration vers un ailleurs – un diamant noir qui envahit les espaces et les corps dans un retentissement funeste dont le tragique n’a d’égal que la beauté.

300 grands classiques du cinéma sur LaCinetek.com en septembre

Posté par cynthia, le 21 mai 2015

La Cinetek.com, site entièrement consacré aux grands classiques du cinéma, ouvrira fin septembre avec 300 films disponibles.

Présidée par Pascale Ferran, la cinémathèque des réalisateurs, créée en 2014 par la SRF et LMC/UniversCiné, a attiré Arte France, l’Ina et la Cinémathèque de Toulouse dans son association. Avec LaCinetek.com, qui a été présentée cette semaine au Festival de Cannes, le téléspectateur pourra accéder en VàD dédiées aux grands classiques du cinéma du XXe siècle. Pour l’instant, 24 réalisateurs ont donné une liste de 50 films qui servira de base de données prescriptive. "C’est la mise en réalité d’un rêve qu’on a eu il y a deux ans lors d’une réunion de la SRF. Celui de diffuser le cinéma de patrimoine, d’une autre façon" a expliqué Cédric Klapisch, vice-président de l'Association.

Parmi les 24 réalisateurs, certains s'étaient déplacés à Cannes:  Laurent Cantet, Jacques Audiard, Hirokazu Kore-Eda ou encore Costa Gavras. Sur les 870 films sélectionnés, 470 existent déjà sur des plateformes VàD mais 400 autres sont en cours de recherche, parmi lesquels une centaine dont les ayants-droits sont difficiles à trouver ou n'ont pas de copies disponibles.

Les films pourront être loués ou achetés, "à des prix les plus bas possibles" insiste Cédric Klapisch. Une vidéo où le réalisateur expliquant les raisons de son choix et des bonus seront également mis à disposition.

Enfin, notons que que les réalisateurs les plus nommés dans les listes sont Alfred Hitchcock et Jean-Luc Godard, avec 11 films chacun. Sueurs froides (Vertigo) d’Alfred Hitchcock est d'ailleurs l'oeuvre la plus citée par les réalisateurs.

Cannes Classics 2015 : Rocco et ses frères de Luchino Visconti (1960)

Posté par vincy, le 17 mai 2015

Voici un grand classique du cinéma européen qui sera présenté ce soir au Festival de Cannes dans le cadre de Cannes Classics: Rocco et ses frères, en version longue inédite et restaurée. Luchino Visconti a imaginé l'histoire à la fin des années 50, alors que les Italiens du sud fuyaient vers le nord du pays pour trouver du travail, notamment en lisant Le Christ s'est arrêté à Eboli de Carlo Levi. Avec ce contexte très réaliste, le cinéaste, qui sera quelques années plus tard Palme d'or à Cannes pour Le Guépard, traverse les grands thèmes de sa filmographie - la passion, la famille, la jalousie, la sexualité, la loyauté, le péché, le pardon, les luttes de classe... - en réalisant un film noir, quasiment religieux, dont les contrastes sont accentués et même sublimés par le chef opérateur Giuseppe Rotunno.

Rocco et ses frères est l'histoire de cinq frères qui tentent de s'intégrer à la vie urbaine. Deux d'entre eux vont convoiter la même femme, une prostituée, Nadia. C'est sans doute ce personnage féminin qui nous hante encore 55 ans après sa présentation au Festival de Venise, incarné par la toute jeune Annie Girardot, dont c'est le premier "grand" film, plus connue pour ses performances au théâtre (c'est d'ailleurs à la Comédie Française que Visconti l'a repérée avant de la dirigée sur scène en 1958). Pourtant Visconti a eu toutes les peines du monde à convaincre ses producteurs de l'enrôler, au point de changer de financier. Magnétique et mélancolique, angoissé et fascinant, le visage de Girardot envahit longtemps nos mémoires, et pas seulement à cause du destin tragique qui l'attend.

Evidemment, il ne faut pas oublier les cinq frères: Spiros Focas, Max Cartier, Rocco Vidolazzi, Renato Salvatori et Alain Delon. Un quintet d'hommes bruns, beaux et très différents. Delon (qui interprète Rocco, prénom choisi en référence au poète italien Rocco Scotellaro) est alors d'une beauté renversante, explosant de sensualité, à la fois candide et romantique, incandescent et charmeur, capable de répondre aux violences des situations (où la boxe joue un rôle essentiel pour illustrer la brutalité de l'époque). Il n'est pas encore la star qu'il va devenir. Il est la face lumineuse d'un groupe où les caractères sont affirmés (et d'ailleurs écrits chacun par différents scénaristes): Vincenzo, le frère aîné calme, et marié à une jolie fille interprétée par Claudia Cardinale (On y croise aussi Roger Hanin, dont on devine l'homosexualité, et Nino Castelnuovo futur vedette des Parapluies de Cherbourg), Ciro, l'étudiant qui s'adapte le plus à Milan, le lien entre tous les frères, le jeune Luca et Simone, le boxeur et rival de Rocco, qui va commettre l'irréparable. Simone est incarné par Renato Salvatori, réputé impulsif et bagarreur, qualités idoines pour le personnage. Au point de faire peur à Girardot quand il doit la poignarder pour les besoins de la scène.

Les damnés

Il faut dire que Visconti n'avait pas son pareil pour manipuler ses comédiens et obtenir d'eux ce qu'il voulait. Ainsi, pour que la rivalité entre Delon et Salvatori soit parfaitement perceptible à l'écran, il n'a pas hésité à choyer le comédien français pour rendre jaloux l'italien.

En plus de trois heures, Rocco et ses frères, comme toujours chez Visconti, propose différentes lectures de la société, des liens familiaux et de la nature humaine, rongée souvent pas de mauvaises pensées, une violence tantôt étouffée ou bien réelle (la séquence du viol subira une remarque de la censure). Le portrait assez négatif d'une Italie en mutation, pas vraiment relevée de l'après-guerre, entrant dans l'ère urbaine, sert d'arrière plan à un tableau parfois sombre, mais jamais désespérant, d'un groupe d'individus dont les liens du sang ne suffisent pas à protéger les âmes damnées qui choisissent le mauvais camp. Et puis on peut aussi vouloir le revoir pour se damner de ces beaux mâles et revoir le génie subtil d'Annie Girardot.

Cannes Classics 2015 : Panique de Julien Duvivier (1946)

Posté par kristofy, le 15 mai 2015

Michel Simon, encore plus imposant que d’habitude avec une barbe, fait quelques courses avant de rentrer : il est poli avec le boucher, il est courtois avec la crémière, il est aimable avec une fillette en lui offrant une pomme. Le cadavre d’une femme étranglée est découvert et tout le monde se précipite pour aller voir, mais pas lui. Lui habite seul dans une chambre d’hôtel, son caractère un peu bougon n’en fait pas un ami. En même temps la séduisante jeune femme Viviane Romance arrive en ville et s’installe dans le même hôtel, leurs fenêtres font face et lui qui l’observe est épris : mais elle est revenue pour les beaux yeux du voyou Paul Bernard… Michel Simon et son grand cœur pour conquérir la jeune femme révèle qu’il sait des choses sur l’assassinat qui fait parler toute la ville. Le voyou qui veut se débarrasser de ce rival voudrait que l’autre soit suspect, la jeune femme se retrouve au milieu d’une intrigue trouble…

« C’est un  voleur, un tricheur, un assassin, mais il fait de moi ce qu’il veut, aidez-moi !
Pour le perdre ou pour le sauver ? »

Panique est le premier film réalisé par Julien Duvivier après la guerre : en septembre 1946 il est présenté à la Mostra de Venise avant de sortir dans les salle janvier 1947, et c’est donc une nouvelle copie restaurée (en 2K) que l’on découvre cette année à Cannes (qui sera éditée en dvd). Duvivier est devenu cinéaste à l’époque des films muets avant les films parlants, avant la seconde guerre mondiale il fait de Jean Gabin son acteur fétiche avec par exemple Pépé le Moko en 1937 (il le dirigera 7 fois). Durant la guerre il s’exile aux Etats-Unis et continue de tourner, ensuite il révèlera au public l’acteur Fernandel dans le rôle du curé Don Camillo (ils tourneront 4 films ensemble).

Panique rassemble un trio de personnages où chacun se joue des autres dans une histoire où le fait divers d’un assassinat secoue les autres habitants. Les questions de ‘qui a tué’ et ‘qui sera accusé’ pourraient avoir une réponse différente… Ce film, qui arrive donc au moment de la libération, intègre d’ailleurs quelques éléments en rapport avec l’époque : un homme qui veut se faire bien voir s’empresse de collaborer avec la police, les habitués du bar soupçonnent vite les étrangers forains, la foule emmenée notamment par le boucher veut dénoncer leur coupable…

A noter que cette histoire filmée par Julien Duvivier est racontée à Cannes pour la seconde fois, il s’agit en fait de l’adaptation du roman Les Fiançailles de Monsieur Hire de Georges Simenon. Patrice Leconte en a fait lui aussi une adaptation (en fait un remake assez différent du film de 1946) avec son film Monsieur Hire, en vedette Michel Blanc et Sandrine Bonnaire : il était en compétition au Festival de Cannes en 1989 et avait reçu aussi 7 nominations pour un César.

Cannes 2015: copies restaurées, inédits, hommages et docus à Cannes Classics

Posté par redaction, le 29 avril 2015

C'était la sélection manquante. Et le Festival de Cannes a réservé un feu d'artifice avant l'heure avec la révélation des films diffusés dans le cadre de Cannes Classics: Welles, Costa-Gravras, un inédit d'Oliveira, Schroeder, mais aussi Spielberg, Cameron, Molinaro, Kurosawa, Pagnol, Widerberg, Singer... De la plage à la Salle Bunuel, il y en aura pour tous les cinéphiles.

Invité d’honneur : COSTA-GAVRAS

Z (1968), Palme d'or

Les documentaires sur le cinéma

• Hitchcock/Truffaut de Kent Jones (2015)

• Depardieu grandeur nature de Richard Melloul (2014)

• Steve McQueen: The Man & Le Mans de Gabriel Clarke et John McKenna (2015)

• By Sidney Lumet de Nancy Buirski (2015)

Harold and Lilian : a Hollywood love story de Daniel Raim (2015)

Hommage : Ingrid Bergman

• Jag Är Ingrid (Je suis Ingrid/Ingrid Bergman, in Her Own Words) de Stig Björkman (2015)

Célébration des soixante ans de la création de la Palme d’or

La Légende de la Palme d’or (The Golden Palm's Legend) d’Alexis Veller (2015) >

Centenaire Orson Welles

Citizen Kane d’Orson Welles (1941)

The Third Man (Le Troisième homme) de Carol Reed (1949), Grand Prix du Festival

The Lady from Shanghai (La Dame de Shanghai) d’Orson Welles (1948)

Orson Welles, Autopsie d’une légende d’Elisabeth Kapnist (2015)

This Is Orson Welles de Clara et Julia Kuperberg (2015)

Barbet Schroeder

More de Barbet Schroeder (1969)

Le film suivra la projection de Amnesia (2015, 1h36) sélectionné en Séance spéciale.

Hommage à Manoel de Oliveira

Visita ou Memórias e Confissões (1982). Film posthume totalement inédit.

Lumière !
À l'occasion de la célébration des 120 ans de la naissance du Cinématographe Lumière, projection d'un montage de films Lumière dans le Grand Théâtre… Lumière.

Copies restaurées

• Rocco e i suoi fratelli (Rocco and His Brothers/Rocco et ses frères) de Luchino Visconti (1960)

Les Yeux brûlés de Laurent Roth (1986)

Ascenseur pour l’échafaud de Louis Malle (1958)

La Noire de… (Black Girl) de Ousmane Sembène (1966)
et le documentaire SEMBENE! de Samba Gadjigo et Jason Silverman (2015)

Insiang de Lino Brocka (1976), premier long métrage philippin à être présenté à Cannes.

Sur (The South/Le Sud) de Fernando Solanas (1988)

Zangiku Monogatari (The Story of the Last Chrysanthemum/Le Conte du chrysanthème tardif) de Kenji Mizoguchi (1939)

Jingi Naki Tatakai (Battles without Honor and Humanity aka Yakusa Paper/Combat sans code d’honneur) de Kinji Fukasaku (1973)

Szegénylegények (The Round-Up/Les Sans espoir) de Miklós Jancsó (1965, 1h28)

Les Ordres (Orderers) de Michel Brault (1974)

Panique de Julien Duvivier (1946)

Xia Nu (??/A Touch of Zen) de King Hu (1973), premier film taïwanais au Festival de Cannes et premier film en langue mandarin à y être présenté.

Dobro Pozhalovat, Ili Postoronnim Vkhod Vospreshchen (Welcome or No Trespassing) de Elem Klimov (1964)

La Historia Oficial (The Official Story/L’Histoire officielle) de Luis Puenzo (1984), prix d'interprétation féminine ex-aequo au Festival de Cannes 1985 pour Norma Aleandro et Oscar du meilleur film en langue étrangère en 1986.

Marius de Alexander Korda (1931, 2h), scénario et dialogues de Marcel Pagnol.

Cinéma de la Plage

Ran d’Akira Kurosawa (1985)

Hibernatus d’Edouard Molinaro (1969)

Le Grand blond avec une chaussure noire d’Yves Robert (1972)

Jurassic Park 3D de Steven Spielberg (1993)

Ivan Le terrible 1 et 2 de Sergueï Eisenstein (1944 et 1945)

The Terminator de James Cameron (1984)

The Usual Suspects de Brian Singer (1995)

Hôtel du Nord de Marcel Carné (1938)

Joe Hill de Bo Widerberg (1971)

Rabid Dogs de Eric Hannezo (2015) avec Lambert Wilson, Guillaume Gouix et Virginie Ledoyen, avant-première mondiale.

74 ans après, Citizen Kane revient sur les lieux de son crime

Posté par vincy, le 24 mars 2015

74 ans après sa première séance, au Hearst Castle, Citizen Kane, le grand classique d'Orson Welles a été projeté au même endroit. A peu de choses près: le château n'ayant pas de salle de projection, elle a eu lieu au centre d'accueil du site. Le Hearst Castle avait été l'inspiration de la résidence Xanadu du héros du film. 60 heureux spectateurs ont quand même du débourser 1000$ pour assister à l'événement. Mais c'était pour la bonne cause, raconte Variety, puisqu'il s'agissait d'une opération de mécénat au profit du San Luis Obispo International Film Festival et des Amis du Hearst Castle, chargés de la préservation du lieu.

Les héritiers du magnat des médias William Hearst se sont associés au Festival du film de San Luis Obispo en 2012.

Il est ironique de constater que le chef d'oeuvre de Welles soit adoubé par la famille de Hearst aujourd'hui quand on sait à quel point le puissant patron avait tout fait pour interdire le film sorti en 1941.

La séance a été présentée le 13 mars par le petit fils d'Herman Mankiewicz, Ben, qui a coécrit le film avec le réalisateur. Le scénario a gagné l'Oscar l'année suivante.

Le 21e Festival du film de San Luis Obispo (10-15 mars derniers) allie plaisirs cinéphiles et dégustations de vin (californien).

Le génie de Charlie Chaplin en trois extraits

Posté par vincy, le 7 février 2014

Charlie Chaplin (1889-1977), alias Charlot. Aujourd'hui, nous fêterions le centième anniversaire de Charlot, ce vagabond que les spectateurs découvrirent le 7 février 1914 dans Charlot est content de lui (The Kid Auto Race) d'Henry Lehrman.

Depuis Charlot est devenu un mythe du 7e art. Chaplin est devenu une star. Voici trois extraits de films qui peuvent expliquer le génie d'un créateur de gags mais aussi de poésie. La ruée vers l'or (1925) et sa chaussure, Les temps modernes (1936) et son usine fordiste, Le dictateur (1940) et son globe flottant. Trois manières de voir le monde (et de le critiquer avec subversion).