Il y a des années où il s'avère ardu de se mettre à la place du jury, et d'autres où le palmarès semble presque aller de soi. Pour cette 67e édition de la Berlinale, la qualité inégale de la compétition nous place incontestablement dans la deuxième position. On a en effet l'impression que les jurés, menés par Paul Verhoeven, n'auront en réalité le choix qu'entre une poignée de films, les autres s'avérant trop faibles ou trop anecdotiques pour prétendre à un prix d'importance.
De l'or pour Aki ?
Pour ce qui est de l'Ours d'or, on ne voit pas trop comment il pourrait échapper à Aki Kaurismäki qui a mis à peu près toutes les chances de son côté avec L'autre côté de l'espoir : le film est remarquablement construit, il traite avec intelligence d'un sujet actuel fort, il est universel aussi bien sur le fond que dans sa forme, et enfin, cerise sur le gâteau, le réalisateur finlandais est un immense cinéaste qui est souvent reparti bredouille des grands festivals internationaux. Si la compétition 2017 (plutôt faible) n'a pas été pensée pour lui dérouler le tapis rouge jusqu'à l'Ours, ça y ressemble fort.
Autres grands prix potentiels, le sensible On body and soul de Ildikó Enyedi qui a beaucoup touché la critique internationale ; le très exigeant Colo de Teresa Villaverde qui bénéficie lui aussi d'une cinématographie remarquable doublée d'un sujet politique ; On the beach at night alone, le Hong SangSoo du mois, et sa vision mélancolique de l'amour, mais aussi, en embuscade, le surprenant film d'animation chinois, Have a nice day de Liu Jian, qui croque les travers, les absurdités et les échecs de la société chinoise, sans oublier Ana, mon amour du roumain Calin Peter Nexter, déjà couronné d'or en 2013 pour Mère et fils, qui parvient à faire rire et pleurer avec son analyse thérapeutique d'un couple instable. On pense aussi à Una mujer fantastica dont le propos quasi pédagogique sur la transsexualité est d'une importance capitale dans des sociétés encore trop souvent mal informées (au mieux), voire malveillantes sur tout ce qui sort de la "norme". Le film a par ailleurs remporté le Teddy Award vendredi soir.
Daniela Vega favorite
Mais s'il est un prix que l'on donnerait les yeux fermés au film de Sebastian Lelio, c'est évidemment le prix d'interprétation féminine, tant Daniela Vega est formidable, à la fois touchante, combative, désespérée et digne. Il y a malgré tout de la concurrence du côté de Kim Minhee, une nouvelle fois exceptionnelle chez Hong SangSoo (On the beach at night alone) ; Véro Tshanda Beya, elle aussi très bien en Félicité devant la caméra d'Alain Gomis ; Alexandra Borbély dans On body and soul, Diana Cavallioti dans Ana mon amour ou même Agnieszka Mandat dans Spoor d'Agnieszka Holland.
Pour l'acteur masculin, cela reste assez ouvert, même si on pense forcément à Reda Kateb pour Django d'Etienne Comar, la totalité du casting masculin du Kaurismaki, Sherwan Haji et Sakari Kuosmanen en tête, Josef Hader en critique musical au bout du rouleau dans Wilde Maus, Georg Friedrich en père maladroit dans Helle Nächte de Thomas Arslan, Géza Morcsányi pour On body and soul, Mircea Postelnicu pour Ana mon amour, Chang Chen pour Mr Long ou même Julio Machado pour le rôle historique du martyr Joaquim chez Marcelo Gomes.
Et Alfred Bauer, dans tout ça ?
Enfin, on aimerait voir figurer quelque part au palmarès le documentaire Beuys d'Andres Veiel, formidable travail de montage qui dresse avec beaucoup de sensibilité et de profondeur le portrait de l'artiste allemand. En revanche, il faut avouer qu'on sèche sur le prix Alfred Bauer censé récompenser un film ouvrant "de nouvelles perspectives". Bien sûr tout dépend de ce que l'on met dans cette jolie formule... mais on voit bien qu'il manquait cette année un ou deux films plus singuliers que les autres, voire un peu fous, qui bousculeraient les codes et les habitudes. Et c'est sans doute ce que l'on peut dire de plus révélateur sur cette compétition clairement en demi-teinte.