Les reprises de l’été: Dennis Hopper, Blake Edwards et Nicolo Ferrari

Posté par vincy, le 18 juillet 2018

The Last Movie (Director's Cut) de Dennis Hopper (1971)

L'histoire: Une équipe de cinéma est venue tourner un western dans un village péruvien niché dans les Andes. Une fois le film terminé, tous les Américains s’en vont, à l’exception de Kansas, l’un des cascadeurs, qui souhaite prendre du recul vis-à-vis d’Hollywood et s’installer dans la région avec Maria, une ancienne prostituée. Les choses dégénèrent lorsque les habitants décident de tourner leur propre film : les caméras, les perches et les projecteurs sont faux, mais la violence qu’ils mettent en scène est elle bien réelle. Kansas va se retrouver héros malgré lui de cette « fiction »…

Pourquoi il faut le voir? Après le succès d'Easy Rider en 1969; Dennis Hopper se lance dans une production beaucoup plus ambitieuse, qui sera récompensée au Festival de Venise, mais qui connaîtra un fiasco commercial suffisamment énorme pour que le comédien ne tourne plus pendant 9 ans. Universal avait laissé le "Final Cut" au cinéaste. Désorientés par le film, les pontes du studio ont abandonné la distribution et tous les droits du film, qu'ils ont cédé au réalisateur, qui ne peut tirer que quelques copies pour le présenter dans des festivals. Film rare, c'est ici la version originale qui ressort. Avec 40 heures de rush, il lui avait fallu une année pour monter son film. C'est aussi ici qu'on voit pour la première fois Jris Jristofferson. Et on remarque la présence de Samuel Fuller dans l'un des rôles principaux. Le film maudit n'est pas un chef d'œuvre mais son côté expérimental, chaotique, violent, confus et les splendides paysages péruviens, peuvent aussi être vius comme une mise en abyme d'une Amérique et d'un Cinéma condamnés à l'extinction.

The Party de Blake Edwards (1968)

L'histoire: Hrundi V. Bakshi est figurant d'une importante production hollywoodienne. Mais il met un temps inifini à mourir sous les balles de l'ennemi, ce qui provoque l'ire du réalisateur. A la fin de la séquence, la production se met en place pour l'explosion d'un décor imposant : un fort reconstitué. Mais ce serait sans compter le lacet d'Hrundi. celui-ci le refait en appuyant son pied sur le déclencheur de dynamite. Le fort explose sans qu'on ait pu tourner une seconde de film. Il est viré.
Le cinéaste appelle son producteur et lui demande de ne plus jamais employer ce maladroit. Celui-ci lui promet et note son nom sur un bout de papier, que sa secrétaire va prendre pour le patronyme d'un invité oublié à sa fameuse party.

Pourquoi il faut le voir? "Film quasi expérimental (y compris dans sa réalisation), il s'agit sans doute d'un délire les plus fous et les plus absurdes du 7ème art". Ainsi commence notre critique du film, excellent antidépresseur dopé par un Peter Sellers prodigieux. Là aussi il s'agit d'une destruction de cinéma (juste le décor) et d'un cataclysme qui cause gags et farces cultes. Blake Edwards est à son top avec cette comédie démente qui parodie Antonioni et copie Tati. Contrairement aux drôleries de l'époque, celle-ci se base sur un humour où l'image vaut milles répliques (même si certaines sont cultissimes). Improvisées et filmées en plans séquences, les scènes s'emboitent ainsi dans un grand capharnaüm, pour ne pas dire un joyeux bordel dévastateur. The Party est devenue au fil des années une référence, sans doute aussi la quintessence du génie de Sellers (avec Dr Folamour). De nombreux sketches ou films font référence à un des ingrédients de ce cocktail explosif de la comédie américaine.

Laura nue de Nicolo Ferrari (1961)

L'histoire: Laura, belle et jeune Italienne, épouse Franco pour se plier aux convenances. Très vite, elle s'ennuie dans son ménage et, n'éprouvant aucun amour pour son mari, va chercher le bonheur auprès d'autres hommes. C'est ainsi qu'elle rencontre Marco, un jeune professeur qui devient rapidement son amant...

Pourquoi il faut le voir? La version restaurée de ce film permet aussi de découvrir un cinéaste, âgé de 90 ans aujourd'hui, oublié du cinéma italien. A l'époque, Laura nue avait subit les critiques virulentes de l'église catholique face à ce portrait de femme plutôt politique. Outre la beauté de Giorgia Moll (Le Mépris de Godard, deux ans plus tard), on remarque avant tout son personnage qui hésite à rentrer dans l'âge adulte (autrement dit, mariage, maternité etc...), malgré un petit ami bellissimo (Nino Castelnuovo, amoureux transi de Deneuve dans Les parapluies de Cherbourg trois ans plus tard). Si elle se marie logiquement avec lui, elle devra se confronter à un dilemme, en rencontrant un autre bello ragazzo (Tomas Milian, qu'on verra aussi bien chez Antonioni, Bertolucci, Audiard, Reed, et The Last Movie de Dennis Hopper), dont elle devient la maîtresse. On comprend que ce ne soit pas très catholique. Mais c'est en fait sublimement sensible et assez sensuel. Nicolo Ferrari met ainsi en face à face une société conventionnelle ennuyeuse et une liberté amoureuse stérile, l'amour et le désir, l'émancipation féminine et l'indépendance sexuelle. C'est finalement un regard sur une détresse existentielle, si on voit au delà des plans fortement érotisants de l'héroïne.

Berlin 2017 : une compétition sous le signe des femmes, de la sphère intime et de l’engagement

Posté par MpM, le 17 février 2017

Si l'on a été quelque peu déçu de cette 67e Berlinale, et plus précisément de sa compétition, c'est que l'on attendait des œuvres fortes, à connotation éminemment politique, et si possible doublées de recherches formelles, et qu'en réalité, nous n'avons pas eu grand chose de tout ça. Dans les autres sections, oui. On a notamment vu deux films de Raoul Peck : The Young Karl Marx d'un côté, I am your negro de l'autre, un documentaire sur Podemos (Política, manual de instrucciones de Fernando León de Aranoa), un autre sur une ville minière extrêmement pauvre de Géorgie (City of The sun de Rati Oneli), le docu-fiction étonnant Casting JonBenet, le prometteur cinéaste Hu Jia (The Taste of Betel Nut) et le très beau mélo de Naoko Ogigami, Close-Knit (Karera ga honki de amu toki wa)... Sans oublier le splendide James Gray, The Lost City of Z, qui aurait mérité la compétition et le convenable film de Martin Provost, Sage femme avec Deneuve et Frot.

La sphère intime


Mais dans la course pour l'Ours d'or, on a surtout eu droit à des portraits de femmes, des relations pères-fils, des relations amoureuses qui se nouent ou au contraire explosent. La sphère intime était presque au cœur de tous les films, qu'il s'agisse des familles "subies", "choisies" ou "héritées". Dans Mr Long de Sabu, Spoor d'Agnezka Holland et L'autre côté de l'espoir d'Aki Kaurismaki les personnages se recomposent même une cellule familiale de bric et de broc avec des gens qu'ils apprécient. Dans Una mujer fantastica de Sebastian Lelio, au contraire, la famille est le symbole du repli sur soi et du refus de la différence.

Le couple


Réduite à sa forme élémentaire de couple sans enfants dans The party de Sally Potter, Wild mouse de Josef Hader ou Retour à Montauk de Volker Schlöndorff, la famille apparaît également comme une façade qui finit par exploser. D'ailleurs les histoires d'amour finissent bien mal dans la sélection de cette année, hormis dans On body and soul de Ildikó Enyedi. Chez Hong SangSoo, par exemple, la nostalgie et la mélancolie se mêlent lorsque l'héroïne de On the beach at night alone se sépare de son amant. Il y a du désenchantement et de la résignation dans l'air, et surtout un certain pessimisme. Ce n'est guère mieux du côté de Calin Peter Netzer (Ana mon amour ) ou de Django d'Etienne Comar.

Les femmes au top


Les femmes, on l'a déjà dit, étaient, elles, clairement au rendez-vous. On a déjà parlé de Félicité d'Alain Gomis, de Spoor d'Agnieszka Holland et de Una mujer fantastica de Sebastian Lelio, il faut donc ajouter On The beach at night alone, Joaquim de Marcelo Gomes, dans lequel une esclave en fuite prend la tête d'une véritable rébellion, et Colo de Teresa Villaverde où c'est à la femme qu'incombe la responsabilité de subvenir aux besoins de sa famille.

Il fallait aussi l'exception qui confirme la règle avec le terrifiant Retour à Montauk dans lequel les femmes attendent le bon plaisir du mâle (il a abandonné l'une à New York des années auparavant et y a envoyé l'autre, alors qu'il habite à Berlin), sont à son service (son assistante s'occupe de ses ourlets de pantalon) et ne sont pas capables de penser par elles-mêmes (le personnage dicte à sa compagne ce qu'elle doit lui dire). On passe sur la petite remarque antisémite déguisée en "humour", mais uniquement parce c'est un autre sujet.

Réfugiés et montée des nationalismes


Heureusement, la plupart des films avaient plus de choses à raconter que ce pensum ridicule, et certains tenaient même des sujets très actuels, à commencer par L'autre côté de l'espoir d'Aki Kaurismaki qui est le seul film à aborder frontalement la question des réfugiés d'une part et la montée des nationalismes de l'autre. On peut dire que c'est le film le plus engagé de la compétition, celui dont le propos politique est le plus évident et le plus facilement compréhensible. Il y est aussi beaucoup question de solidarité et d'entraide, toujours avec humour, toujours avec pudeur, parce ces choses-là vont trop de soi pour qu'on en parle vraiment.

Crise économique


Colo de Teresa Villaverde est lui-aussi un film politique, peut-être moins facile d'accès. On y observe les ravages de la crise économique au Portugal et la difficulté pour le pays de se redresser dans un tel climat d'austérité. Enfin, quelques thématiques plus profondes que le délitement de la famille étaient aussi abordées, parfois au milieu d'autres choses, dans des œuvres comme La mujer fantastica (transsexualisme), Beuys d'Andres Veies (l'art comme acte politique) ou Spoor (la protection animale).

Discours égalitaire


On retiendra plus spécifiquement deux autres films : Joaquim et son discours égalitaire (à la fois égalité entre les peuples et entre les hommes, quelles que soient leurs origines sociales), bien que la révolte annoncée au départ soit totalement escamotée du récit et que le manifeste politique passe plus par le terrible portrait du Brésil du XVIIIe siècle que par des théories ou des idées précises.

Portrait au vitriol


Et enfin le film d'animation chinois, Have a nice day de Liu Jian, portrait au vitriol d'une société chinoise qui marche sur la tête. Un "accident" de chirurgie esthétique sur une jeune femme provoque ainsi une suite de catastrophes et de drames qui servent de prétexte pour révéler les rêves et les espoirs de chacun : se marier pour l'un, s'installer à la campagne pour une autre, financer ses inventions pour un troisième... Des rêves si simples, si modestes qu'ils en sont presque tristes, et donnent à voir mieux que de longs discours l'échec du miracle économique chinois.

On a connu Berlin plus engagé, plus résolument militant aussi. Et dans une certaine mesure, on peut se réjouir qu'il n'y ait plus besoin de traiter un sujet "lourd" (social, politique ou historique) pour avoir les honneurs de la compétition. Mais pour ce qui est de nous donner des nouvelles du monde, la sélection 2017 est largement en retrait par rapport à celle de 2016.