Le vent emporte Abbas Kiarostami (1940-2016), Palme d’or en 1997

Posté par vincy, le 4 juillet 2016

Abbas Kiarostami est mort, selon une annonce de l'agence Isna. Palme d'or pour Le goût de la cerise en 1997, il avait 76 ans. Il était atteint d'un cancer, diagnostiqué il y a quelques mois.

Emblème d'un cinéma iranien ouvert sur le monde, il est né en 1940 à Téhéran. Il a d'abord étudié la peinture à l'Université de la capitale iranienne et a débuté en réalisant plusieurs publicités. Il entre dans le cinéma en 1969 en dirigeant le département du film du Centre pour le développement intellectuel des enfants et jeunes adultes, le Kanun, où il a travaillé durant deux décennies. Par ailleurs, il réalise des courts et des moyens métrages.

Le résident iranien

Il faut attendre 1977 pour qu'il signe son premier long métrage, Le rapport, en plein avènement de la révolution de Khomeini. Il doit alors composer avec la censure et préfère rester dans son pays, malgré l'oppression sur les artistes. Pour lui, le déracinement était synonyme de perte de personnalité, d'authenticité.

Suivent Cas numéro un, cas numéro deux en 1979, Le Concitoyen en 1983, deux films de moins d'une heure, Les premiers en 1984. Avec Où est la maison de mon ami ? en 1987 il amorce sa trilogie appelée Koker. Il emporte un Léopard de bronze à Locarno, ce qui l'installe parmi les cinéastes à suivre au moment où le cinéma iranien réémerge sur la scène internationale. Après Devoirs et Close-up, il tourne le deuxième volet, Et la vie continue, en 1992, entre documentaire et fiction, expérimentation qui l'a toujours fasciné, sur les effets dévastateurs du tremblement de terre qui frappa son pays en 1990. Il achève le cycle avec Au travers des oliviers, en 1994, sélectionné en compétition à Cannes.

Le couronnement international

Parallèlement, il écrit de nombreux scénarios et produits des films de ses compatriotes, notamment Le ballon blanc, premier film d'un certain Jafar Panahi, en 1995. La même année, il participe au projet À propos de Nice, la suite, film documentaire français réalisé et écrit par Catherine Breillat, Costa-Gavras, Claire Denis, Raymond Depardon, Pavel Lungin, Raoul Ruiz et lui-même, hommage au cinéaste de L'Atalante, Jean Vigo. Mais surtout, il a du quitter le Kanun à cause d'une censure toujours plus sévère.

L'ascension parvient à son couronnement en 1997 avec le poétique et métaphorique Goût de la cerise, Palme d'or ex-aequo en 1997 au Festival de Cannes. Un homme cherche quelqu'un pour l'aider à se suicider... Tout un symbole.

L'errance cinématographique

De là, le cinéma de Kiarostami va prendre une longueur d'avance sur celui de ses compatriotes, expérimentant le tournage en voiture avant Jafar Panahi, tournant à l'étranger quand d'autres sont muselés dans son pays. Il y a toujours une forme de poésie dans ses films, de romantisme même, mais son style est ancré dans l'héritage du néo-réalisme italien.

Sa carrière va devenir plus erratique, une errance formelle, géographique et narrative avec Le vent nous emportera (Venise, 1999), le documentaire Five (2003, dédié au cinéaste japonais Ozu), Ten (2002, Cannes, 13 ans avant Taxi Téhéran de son ami Panahi, pour lequel il écrit au même moment Sang et or, son chef d'œuvre) et 10 on Ten (2004), comme deux faces d'un même miroir où il analyse la société iranienne autant qu'il s'introspecte, ou Tickets, film à segments dans un train, par Ermanno Olmi, Ken Loach et lui-même, filmant une femme endeuillée.

Aller voir ailleurs

Après cela il se fait plus rare. Revient aux courts, aux vidéos pour des musées où il expose ses photos et ses poèmes comme au Louvre en 2012. En 2008, il signe Shirin, où des spectatrices sont filmées en train de réagir à la projection d'un mélo. Epuisé par la censure, deux ans plus tard, il s'évade en Italie avec Juliette Binoche pour Copie conforme, romance existentialiste qui vaut un prix d'interprétation à Juliette Binoche à Cannes et en 2014, il transpose Ten à Tokyo avec Like Someone in Love, où un vieil homme très enraciné dans le passé et les traditions dialogue avec une jeune étudiante. C'est sans doute un film testament, malgré lui.

Car il y a quatre ans il affirmait: "Tout mouvement, toute action que nous faisons, dérive de notre tradition culturelle. Même rompre avec la tradition est une façon de la reconnaître". Pas plus beau requiem de la part d'un artiste qui a voulu croire en la transmission puis rompre avec la tradition pour explorer la liberté, au sens absolu du terme. Finalement la vie était toujours hantée par la mort, en décor, et l'humanisme perçait la carapace d'une société étouffée. La parole surgissait du silence forcé. L'émotion des personnages trahissait les régimes qui voulaient les taire.

Le producteur Charles Gillibert avait annoncé à Cannes le prochain projet du cinéaste iranien, 24 Frames, un film de 24 heures dont 24 Frames compilerait certains moments.

[69, année érotique] Cannes 2016: Happy Together et East Palace, West Palace en 1997

Posté par vincy, le 18 mai 2016

Lors de notre premier festival de Cannes, deux films asiatiques ont retenu l'attention des festivaliers, pour des raisons à la fois similaires et différentes. Similaires parce que ces deux films "chinois" montraient une histoire d'amour homosexuelle et masculine. Différente parce que les deux n'ont pas eu le même destin.

Commençons avec Happy Together. Wong Kar-wai, qui remportera le Prix de la mise en scène cette année là, se délocalise à Buenos Aires en Argentine, pour raconter l'histoire d'une rupture et de mal du pays. Il n'y a qu'une séquence proprement gay dans le film, mais elle est en ouverture. Le cinéaste s'expliquait ainsi à l'époque: il fallait planter le cadre de l'histoire d'amour tout en se débarrassant de la sexualité des personnages. La scène est sensuelle plus que sexuelle et les corps des deux stars hong kongaises de l'époque, Leslie Cheung et Tony Leung Chiu-wai, s'entrelacent, nus dans une chambre.

On est loin de la sexualité d'East Palace, West Palace (Derrière la cité interdite), de Zhang Yuan, présenté à Un Certain regard. Film indépendant chinois, il est le premier à traiter de l'homosexualité dans le cinéma de son pays. La coproduction française a permis de faire passer le film, très vite censuré par le gouvernement chinois, qui arrêta finalement le réalisateur, lui retira son passeport, avant qu'il ne parte sur la Croisette.  Il n'a d'ailleurs pas été trop inquiété puisqu'il a continué de tourné depuis. La Chine a demandé à Cannes, en vain, de retirer le film de la sélection officielle, alors qu'il avait tourné à Pékin en toute légalité.

Cependant, East Palace, West Palace a une atmosphère sulfureuse, loin de la tradition du travestissement évoqué dans Adieu ma concubine, quatre ans plus tôt et Palme d'or. Ici, la police chinoise fait des raids sur les homosexuels, qui flirtent et baisent dans un parc, la nuit. L'un d'eux, un jeune écrivain gay, se fait - avec un certain consentement - prisonnier du policier de garde et entraîne un jeu un peu masochiste et assez pervers où les intentions réelles du flic sont troubles.

Des urinoirs du parc à la salle de garde à vue, le film est surtout le portrait d'hommes qui assument ou luttent contre leur sexualité. Entre érotisme et torture, le jeu de séduction est filmé avec ambiguïté mais aucune ambivalence. Le réalisateur voulait montrer une réalité qui existe mais qui est étouffée par le régime, et a puisé dans des articles sur l'homosexualité dans le journal Life news, au début des années 90. "Un des articles concernait les efforts d'un institut de recherche sur le SIDA qui tentaient de trouver des hommes gays à Beijing" expliquait-il à l'époque.

[20 ans de festival] Cannes 2016 : 1997-1998-1999 – Nos premiers pas sur la Croisette

Posté par vincy, le 11 mai 2016

En 1997, Cannes célèbre sa cinquantième édition. Et Ecran Noir sa première. Le magazine a à peine un an et décide de consacrer un site internet retraçant l'histoire du festival. Finalement, la petite équipe de l'époque fait le trajet jusqu'à la Croisette pour le vivre de l'intérieur. A l'époque, il n'y a qu'un site web francophone, le notre, et quelques américains. La presse des pays émergents n'a pas encore envahit le Palais. Les critiques français sont encore dominants. Pour nous, ce sont les premiers pas: la découverte du système hiérarchique, les badges, les casiers, etc... Une grosse piqûre de morphine et de rêves en celluloïd qui nous rendra addict.

Notre premier jury est présidé par Isabelle Adjani. Notre premier film, Le Cinquième élément de Luc Besson. Notre premier film en compétition, Ne pas avaler de Gary Oldman: on expérimente la violence et la brutalité sociale dès 8h30 du matin. 1997 fut une édition mouvementée. Des huées et des clashs avec Assassin(s) de Mathieu Kassovitz. Un grand écart entre La femme défendue de Philippe Harrel et The End of Violence de Wim Wenders, une plongée dans le glamour de L.A. Confidential et l'ennui total de The Brave. La Palme d'or sera partagée entre deux beaux films poétiques, L'Anguille de Shohei Imamura et Le Goût de la cerise d'Abbas Kiarostami, mais n'oubliera pas les expériences cinématographiques qui nous ont enthousiasmés: De beaux lendemains d'Atom Egoyan, Le destin d'Youssef Chahine, Happy Together de Wong Kar-wai, The Ice Storm d'Ang Lee et Western de Manuel Poirier.

Mieux armés et mieux préparés, nous revenons en 1998 avides de découvertes. Nous voici face à Thomas Vinterberg et son Festen,Erick Zonca et sa Vie rêvée des anges, Todd Haynes et son Velvet Goldmine. C'est une année riche, avec Moretti, Angelopoulos, Gilliam, Miller, Loach, Tsai-Ming Liang, Boorman, Hou Hsiao-hsien au top de leur forme. Mais c'est Roberto Benigni qui emporte tous nos souvenirs: de la projection presse de La vita e bella à sa séance officielle ovationnée jusqu'à son prix, où le cinéaste-acteur baise les pieds du président Martin Scorsese, le festival de cette année là fut sans doute le plus dense en émotions.

Et comme les années se suivent et ne se ressemblent pas, 1999 sera beaucoup plus sèche. Le jury de David Cronenberg ne nous convainc pas avec son palmarès. Nous nous étions emportés pour Tout sur ma mère, l'un des plus beaux films de Pedro Almodovar, nous avions été touchés par L'été de Kikujiro de Takeshi Kitano, nous avions vibré pour Ghost Dog de Jim Jarmsuch, nous avions embarqué dans Une histoire vraie de David Lynch. Et finalement ce sont les films les plus durs, même s'ils étaient beaux à leur manière, qui ont monopolisé le palmarès: Rosetta de Jean-Pierre et Luc Dardenne et L'Humanité de Bruno Dumont mais aussi Moloch d'Alexandre Sokourov et La Lettre de Manoel De Oliveira, des récits où la violence des rapports humains et la formalité esthétique créent une distance froide voulue.

Edito: La caravane et les migrants

Posté par redaction, le 6 mai 2016

Dernier week-end avant Cannes (et ironiquement notre une est sur le Lion d'or de Venise, comme une manière de boucler le cycle 2015). L'équipe du festival est déjà sur la Croisette. Les premiers accrédités vont arriver ce week-end. Mais le gros de la migration se fera mardi et mercredi. Une caravane migratoire qui fait chaque année le même trajet, qu'importe s'il pleut ou si le soleil est au rendez-vous.

Cannes est un fantasme de cinéphile: orgie de films matin midi et soir, une grande bouffe (et on en redemande) de cinéma ; fêtes à gogo pour dormir le moins possible et tels des marathoniens mettre notre corps à rude épreuve (et se dire "we dit it!") ; métabolisme défié avec peu de nourriture, beaucoup d'alcool, trop de visages à qui dire bonjour, gérer un planning inhumain ; etc...

Pour nous ce sera notre vingtième voyage. 20 Cannes dans les pattes. On espère encore découvrir des films qui nous marqueront, on rêve toujours de vous enthousiasmer avec les films qui nous plairont, et on saura une fois de plus que c'était "the place to be". En avion, en train, en voiture, on se délocalise chaque année vers la Riviera française, persuadés, à raison, que le meilleur du 7e art nous y donne rendez-vous. Un rendez-vous speed, orgasmique, intense, dont les rares séquelles sont un mal de dos pénible et une fatigue réjouissante.