Puisque cette 71e édition nous emmène dans les étoiles avec l’avant-première mondiale de Solo: A Star Wars Story, nouvel épisode de l'univers étendu de la saga Star Wars, présenté hors compétition, et la projection de 2001, l'Odyssée de l'espace de Stanley Kubrick dans une nouvelle copie 70 mm restaurée (sans modification numérique de l'oeuvre de 1968) à Cannes Classics, profitons-en pour un petit tour d’horizon des « Space opéras » qui ont eu les honneurs de la sélection officielle.
Cannes ce n'est à priori pas le lieu où on s'imagine voir un film de vaisseau spatial et de bataille intergalactique, et pourtant certains gros films de science-fiction ont bel et bien décollé depuis la croisette. Retour sur la saga intergalactique la plus célèbre du monde, par ailleurs grande habituée du tapis rouge.
"Il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine..." Tandis que Solo : A Star Wars Story sera projeté hors-compétition le mardi 15 mai en avant-première mondiale, un petit rappel de l'histoire qui lie la saga créée par George Lucas et le Festival de Cannes s'impose. Car outre la nécessité d'avoir quelques blockbusters à l'affiche, Star Wars pourrait bien être le miroir inattendu de la politique et de la production cinématographique américaines.
Jeudi 16 mai 2002 | Star Wars : Episode II - L'Attaque des clones
Projeté hors compétition, le deuxième volet des aventures d'Anakin Skywalker permet une révolution sur la Croisette : l'arrivée en grande pompe du numérique. Le film de George Lucas, qui avait présenté son premier film, THX 1138 à la Quinzaine 31 ans plus tôt, est en effet le premier à avoir été entièrement réalisé avec la caméra Sony-24P. Ce qui n'empêche pas cet Episode II d'être tout simplement assassiné par la critique. La cause principale étant bien évidemment le très mauvais jeu de Hayden Christensen (Anakin Skywalker). Il fait ici de son mieux pour être convaincant mais ne parvient jamais à développer une véritable alchimie avec l'interprète de Padmé Amidala, Natalie Portman.
Pour les puristes de la saga (et les festivaliers qui ont vu La Menace fantôme), cette suite est néanmoins sauvée par l'intrigue autour du personnage que campe Ewan McGregor (Obi-Wan Kenobi). George Lucas se vantera de la qualité visuelle (!) de son film mais personne n'oubliera le tollé subi par L'Attaque des clones...
Dimanche 15 mai 2005 | Star Wars : Episode III - La Revanche des Sith
Trois ans après le mauvais Episode 2, George Lucas est de retour sur la Croisette pour son grand final. Et ce qui devait simplement émouvoir les festivaliers de plus en plus accro à la culture pop se transforme en standing ovation avant et après la projection de gala. Ayant fait le déplacement, Hayden Christensen et Natalie Portman se retrouvent confrontés à l'un des publics les plus difficiles de la planète. Mais décrit comme "un grand film commercial" par le réalisateur Souleymane Cissé, le film est accueilli à bras ouverts par les people présents dans la salle ce soir-là : Sharon Stone, Alain Chabat, Clovis Cornillac...
Bien plus sombre que les films précédents, La Revanche des Sith dispose du parfait dosage entre scènes de combats spatiaux et dilemme shakespearienne sur l'immortalité. La dimension politique du film (on assiste au basculement d'une démocratie en dictature) permet à l'époque à George Lucas de faire le parallèle avec la guerre en Irak.
Mardi 15 mai 2018 | Solo : A Star Wars Story
A l'heure où les grands studios "réservent" des réalisateurs et dates de sortie des mois (voire des années) à l'avance, l'affaire Solo est un cas d'école. L'an dernier, presque à la même période, Disney, le studio qui a racheté les droits de la saga Star Wars pour 4 milliards de dollars, se séparait des deux réalisateurs jusque-là aux commandes du film : Phil Lord et Chris Miller. La raison évoquée est sans surprise des "différends créatifs". Et bien que cela ne nous apprenne pas grand-chose, il y a fort à parier que le ton que les réalisateurs de La Grande Aventure Lego souhaitaient donner à ce spin-off n'a pas plu à Kathleen Kennedy, la grande patronne de la franchise, issue de l'écurie Spielberg. Dès lors, c'est Ron Howard qui est entré en scène pour les remplacer.
Et si la production du film a très certainement dépassé son budget initial en raison de reshoots nécessaires et d'un tournage rallongé, c'est bien lui qui devrait fouler le tapis rouge avant la projection au Grand Théâtre Lumière. Par chance, le héros de son film, Alden Ehrenreich n'est pas un inconnu de la Croisette. Il était présent en 2009 pour Tetro de Francis Ford Coppola. La seule question qui demeure aujourd'hui, en sachant qu'Alden Ehrenreich a signé pour "3 films", est de savoir si Solo aura la singularité et l'originalité d'un Rogue One, le premier stand alone de Disney au succès et à la qualité indéniables.
Nandita Das n'est pas une inconnue du Festival de Cannes Il y a treize ans, elle était membre du jury des longs métrages et il y a cinq ans elle était revenue pour être jurée de la Cinéfondation et des courts métrages.Mais cette fois-ci, plus question de juger les autres: c'est son film Manto qui se retrouve sous les projecteurs, à Un Certain Regard.
Manto est basé sur une histoire vraie, celle de l'amitié entre l'auteur et dramaturge Saadat Hasan Manto et de l'acteur vedette de Bollywood Shyam Chadda dans une Inde tout juste indépendante à la fin des années 1940. Pour annoncer la production de son film, Nandita Das avait réalisé un court-métrage, In Defence of Freedom, juste avant le Festival de Cannes de l'an dernier.
Fille du peintre Jatin Das et de l'écrivaine Varsha Das, athée, diplômée en géographie, fondatrice de l'agence de pub "éthique" Leapfrog avec son ex-mari, Nandita Das appartient à l'élite intellectuelle indienne. Elle est impliqué dans différentes actions (droit des enfants, lutte contre le sida, violences faites aux femmes). Elle a tourné dans plus de 40 films comme comédienne dont Aamaar Bhuvan, un Jules & Jim de Mrinal Sen (2002), ou Neer Paravai de Seenu Ramasamy (2012), un mélo autour d'une communauté catholique vivant dans la misère. En début d'année, elle était la vedette de Dhaad, un drame d'action de Paresh Naik.
Actrice et réalisatrice indienne hors-Bollywood, Nandita Das, 48 ans, s'est fait connaître avec des films aux sujets un peu tabous dans son pays. Fire, en 1996, de Deepa Metha, traitait ainsi de l'homosexualité féminine. Le rôle lui permet cependant de devenir célèbre. Toujours avec le cinéaste Deepa Metha, deux ans plus tard, elle est au générique de Earth, film sensible sur l'indépendance et la partition de l'Inde et du Pakistan. En 2000, elle incarne une femme victime d'un viol collectif en quête de justice dans Bawandar de Jag Mundhra. Elle retrouve le cinéaste pour Provoked en 2007, interprétant une femme soutenant une épouse maltraitée qui a tué son mari.
En 2008, Nandita Das décide de réaliser ses propres films, souvent politiques et engagés, offrant un regard critique sur un pays qui se nourrit de la violence entre les castes, entre les religions, entre les ethnies. Son premier film Firaaq évoque ainsi les violences au Gujarat de 2002, quand l'incendie d'un train de pèlerins hindous ayant entrainés 58 morts conduit à des émeutes visant les populations musulmanes de cette région limitrophe du Pakistan tuant de 800 à 2000 personnes. Le point de vue singulier e la réalisatrice permet de "donner de la voix" aux délaissés comme aux puissants. Le film a remporté une dizaine de prix dans le monde.
Dix ans plus tard, elle revient derrière la caméra avec Manto. Et par la grande porte cannoise.
Le réalisateur japonais Seijun Suzuki , connu pour ses films aux studios Nikkats, notamment pour son film La marque du tueur (1967) est mort à Tokyo le 13 février dernier à l'âge de 93 ans.
Cinéaste culte, il avait réalisé une quarantaine de séries B entre 1956 et 1968, qui lui ont permis d'être admiré par des confrères aussi divers que Jim Jarmusch (Ghost Dog s'est inspiré de La marque du tueur), Quentin Tarantino ou Wong Kar-wai (qui lui emprunta le th§me musical d'un de ses films pour la bande originale de In the mood for love).
Né le 24 mai 1923, il a fait ses premières armes dans la marine durant la seconde guerre mondiale, développant en lui un goût pour démontrer la violence comme un sujet aussi grotesque qu'absurde. Juste après la guerre, il devient assistant-réalisateur. En 1954, il est engagé par les studios Nikkatsu, se mettant à l'écart de la Nouvelle vague japonaise (tout en étant parfois assez proche du cinéma de Godard, nul n'est prophète en son pays). Le studio lui offrait de confortables revenus et ce choix matériel a dicté son cinéma tandis que ses collègues brillaient dans les festivals internationaux.
"Je n'avais jamais rêvé de devenir réalisateur. Je souhaitais seulement devenir un homme d'affaires. [...] J'ai fini par échouer à l'examen pour devenir étudiant en commerce. Au même moment, il y avait un examen pour devenir assistant réalisateur à la Shochiku. Je l'ai tenté, et j'ai réussi. C'était le début de ma carrière dans le cinéma, et c'était quelque peu par accident" a-t-il expliqué dans un grand entretien pour le livre Outlaw masters of Japanese film en 2005.
Ses deux films les plus cultes ont conduit à sa perte
Il réalise son premier long en 1956 (À la santé du port: La victoire est à nous). Durant douze ans, il réalise des films à bas coûts, tournés rapidement, mais stylistiquement originaux pour séduire un public jeune. Mais son style très personnel, mélange de film noir et d'humour absurde, de surréalisme et d'expérimental, déconcertait. Trop iconoclaste pour le studio, il était sous pression. C'est alors qu'il réalise ses deux plus grands films, Le vagabond de Tokyo, film de yakuzas assez pop pour ne pas dire kitsch, et La marque du tueur, à l'esthétique noir et blanc sensuelle. Mais la patron de la Nikkatsu trouvait ces deux films invendables et le vira en 1968.
Dès lors le calvaire commence: le réalisateur sera interdit de tourner au Japon pendant 10 ans. Il devra intenter un procès contre son ancien employeur. Cette longue absence l'a conduit à devenir publicitaire et écrivain. Le procès achevé, il s'est remis au cinéma, avec une plus grande liberté. Mélodie Tzigane fut élu meilleur film japonais de l'année en 1981 aux Japanese Academy awards, et il remporta également le titre du meilleur réalisateur.
Sombrant dans l'oubli, avec des œuvres mal diffusées, il aurait pu déchoir complètement. Mais c'était sans compter le travail acharné de certains programmateurs et l'influence qu'il a eu sur de nombreux cinéastes... Son sens de la satire, sa critique sociale, son goût pour une violence presque comique, ses couleurs franches et son sens de l'action rappellent d'ailleurs quelques séquences de Tarantino. Si il a peu tourné depuis son retour derrière la caméra (10 films en 30 ans), il a réussi à filmer une comédie musicale, Princess Raccoon, en 2005 (son ultime film), présentée au Festival de Cannes en séance spéciale.
En regardant le palmarès de l'année 2005, on constate finalement que la jeune génération de cinéastes a eu du mal à s'imposer cette année là. Certes Wang Xiaoshuai a reçu le prix du jury et Cristi Puiu a été révélé avec le Prix Un Certain regard. Mais les rares nouveaux venus - Carlos Reygadas, Hiner Salem - n'ont pas fait le poids face à une édition qui avait des airs de Best-of: Hong Sang-soo, Hou Hsiao-shien, Atom Egoyan, Gus van Sant, David Cronenberg, Lars von Trier... Il n'y avait pas moins de cinq cinéastes déjà palmés en compétition. Et les Dardenne sont d'ailleurs reparti avec leur seconde Palme avec L'enfant, comme pour confirmer cette tendance de non-renouvellement. Jarmush, Haneke, Gitaï, pas vraiment des perdraux de l'année, complètent le palmarès, avec le pas tout jeune Tommy Lee Jones et son premier long métrage.
On retient surtout un festival pas très joyeux, pour ne pas dire très sérieux, malgré la présence de Star Wars, du Match Point de Woody Allen et du jouissif Kiss Kiss Bang Bang de Shane Black.
Et, étrangement, l'année suivante sera totalement différente. Les oeuvres en compétition renouent avec un cinéma moins aride, moins sombre. Là encore, les vieux ne lâchent rien. Ken Loach est enfin palmé, Almodovar nous déride avec son Volver, Moretti fait grincer et rire avec son Caïman, Kaurismäki livre un de ses plus beaux films avec Les lumières du faubourg, pas triste, etc... Cependant, on sent le basculement poindre. Bruno Dumont renoue avec un Grand prix du jury, Rachid Bouchareb, Alejandro González Iñárritu, Andera Arnold se retrouvent au palmarès également. Dans des genres différents, Guillermo del Toro, Paolo Sorrentino, Richard Kelly, Richard Linklater et Lou Ye nous emballent avec leur ton, leur style, leur envie gourmande de cinéma.
Et si on a du subir Da Vinci Code, on s'est régalé avec les X-Men - alors que c'est le plus mauvais opus de la franchise - et surtout Shortbus.
D'une année sur l'autre, on a vécu deux festivals aux antipodes l'un de l'autre. Mais Cannes a confirmé que les "habitués" n'étaient pas prêts à laisser leur place chèrement acquise sous l'ère de Gilles Jacob.