Fin juin ont eu lieu les Out d'or, première cérémonie pour la visibilité LGBT dans les médias. Cette semaine sort en salles Une femme fantastique, Teddy Award à Berlin du meilleur film en février dernier, avec une actrice transgenre. A Locarno, Fanny Ardant interprétera une femme transgenre dans Lola Pater. Sans oublier 120 battements par minute, Grand prix du jury à Cannes (en salles le 23 août) qui évoque les premières années de lutte d'Act Up contre des institutions et des lobbys qui ne comprennent pas l'urgence sanitaire qui touche prostituées, gays, bis, lesbiennes, prisonniers, hétéros. Et on peut se féliciter qu'une histoire d'amour gay (Moonlight) ait enfin été consacrée par un Oscar cette année. Trois ans après les (longs) débats hystériques autour du Mariage pour tous, qui a réveillé l'homophobie en France, dans un pays où "PD", "Sale gouine", "enculé" restent des insultes normales, tout est loin d'être gagné. Alors que les Allemands ont voté il y a quelques jours par surprise et très rapidement une Loi pouvant marier deux hommes ou deux femmes, en France, on débat encore de PMA, d'homoparentalité, de droits pour les transsexuels.
Il n'est donc pas superflu que le cinéma et les médias donnent davantage de visibilité à des citoyens (qui ne forment pas une communauté homogène rappelons-le) afin de jouer leur rôle pédagogique et de regarder le monde actuel en face. Des documentaires de Sébastien Lifshitz aux enquêtes diffusées sur les chaînes publiques, ce n'est pas de trop face à l'amoncellement de clichés et de stéréotypes véhiculés depuis des décennies au cinéma et à la télévision (des reality-shows aux remarques désobligeantes et beaufs de pas mal d'animateurs qui ont un souci avec leur virilité).
Le coming-out de personnalités devient ainsi un acte de résistance autant qu'une affirmation. C'est une volonté personnelle de banaliser la différence sexuelle (par rapport à la "norme" hétérosexuelle qui n'est finalement que dominante par le nombre). Il ne devrait pas être nécessaire d'étaler sa vie privée sur la place publique. A priori, les histoires de cul des uns et des autres ne devraient pas nous intéresser. Il serait même essentiel de garder ce "jardin secret" pour nous. Cela n'a aucune importance (ce qui ne veut pas dire que cela n'a pas d'influence) sur notre rapport à l'autre, au même titre que sa religion, nationalité, couleur de peau, taille, ou couleur de cheveux. Mais face à des activismes (minoritaires ou majoritaires selon les pays) qui haïssent ouvertement, torturent, brûlent, massacrent des homosexuels, a-t-on le choix que de crier haut et fort son orientation sexuelle.
Dans Une femme fantastique, pendant les vingt premières minutes du film, on croit que Marina est "une femme comme les autres". Cela ne change rien à notre regard lorsqu'on apprend qu'elle n'est pas née femme. Dans 120 battements par minute, on voit des hommes et des femmes, des mères et des jeunes, des homos et des hétéros faire cause commune. Cela renforce même l'émotion que le film procure quand il se recentre sur l'histoire d'amour entre deux hommes, une histoire d'amour comme toutes les autres.
Changer les regards
Mais force est de constater qu'il y a un sacré retard à rattraper. Combien de couples homos sur les tapis rouges? Combien de personnages LGBT dans les films? 17,5% parmi les films de majors si on prend en compte les rôles secondaires, majoritairement des gays (65%), les autres ne doivent pas exister aux yeux des scénaristes et producteurs. A la TV, c'est 4,8% parmi 895 séries américaines répertoriées! Les choses changent mais très lentement. Ponctuellement, des cinéastes (hétéros) reconnus élargissent le cinéma LGBT au grand public à travers des œuvres universelles. Des cinéastes homos se voient confier des projets hors cinéma de niche. On attend toujours un personnage homo chez Tarantino. On espère que Epouse-moi mon pote de Tarek Boudali ne sera pas un ramassis de préjugés sur les gays.
Mais voilà: il y en a assez des "pédales", "taffioles", "tapettes", "goudous", "bucheronne",etc... Ou des "Qui fait l'homme", "Qui fait la femme", "t'es actif ou passif?". Assez de voir des lesbiennes ou des gays devant toujours baiser avec le sexe opposé à un moment donné. Assez de voir des histoires où les travestis sont des animaux de cirques, les transsexuels toujours plongés dans des histoires sordides. Assez de croire qu'un gay passe son temps à baiser à droite à gauche, qu'une lesbienne a besoin d'enfant (en fait une lesbienne peut aussi avoir envie de baiser à droite à gauche et un gay aspirer à être papa).
Les producteurs doivent comprendre que le cinéma est un média d'influence comme les autres. De la même manière qu'il faut plus de diversité et plus de femmes sur les écrans, il est urgent de changer le regard des gens sur les LGBTIQA (acronyme complet) pour éviter que l'ignorance ou la peur de l'autre ne conduisent à des actes stupides, violents, des offenses verbales ou physiques, qui aboutissent parfois à de la discrimination, un mal-être irrémédiable ou au suicide. Une femme fantastique, comme 120 battements par minute, montrent justement que les LGBTIQA sont des personnes comme les autres, et souvent des personnages plus grands que les autres. Il n'est pas question d'être politiquement correct, d'avoir des quotas, etc... Il est question de montrer la société telle qu'elle est et de ne pas enfermer des pans entiers de citoyens dans une image négative ou caricaturale.