La disparition de l’actrice Fan Bing Bing en six étapes

Posté par vincy, le 21 septembre 2018

Les faits. A 37 ans. Fan Bing Bing est la plus grande star du cinéma chinois, la mieux payée de Chine (notamment en étant le visage de L'Oréal pour l'Asie) et la plus connue (membre du jury du Festival de Cannes). Lundi dernier, la chaîne thaïlandaise de duty-free King Power a annoncé qu'elle rompait son contrat d'ambassadrice globale de la marque. Mardi c'est une université chinoise qui publiait un palmarès de la " responsabilité sociale "  et elle a décroché la note de zéro. Cette descente aux enfers a commencé fin mai, quand l'animateur TV Cui Yongyuan a érévélé sur Weibo (le Twitter chinois) un extrait d'un contrat de la star où elle demande 1,25 million d'euros pour quatre jours de tournage. Puis il dévoile un autre contrat, pour la même prestation, établi à 6,2 millions d'euros. On appelle ça les contrat "yin et yang " où la partie la plus modeste est déclaré au fisc, mais pas l'autre.

Le soupçon. Depuis trois mois ce scandale de fraude fiscale a entraîné la perte de l'actrice. Le 6 septembre, le Securities Daily, journal financier chinois, annonce qu'elle est " placée sous contrôle " (une sorte de détention) et qu'elle "accepterait les décisions de justice". Ses cachets truqués ne sont ne serait que "la partie émergée de l'iceberg" puisque le média évoque des opérations de prêts illégaux et autres formes de corruption.

Pour l'exemple: Le gouvernement chinois, depuis quelques années, emprisonne et condamne les élites, politiques ou économiques, qui sont soupçonnées de corruption, pour l'exemple. Ils vont plus loin en arrêtant, kidnappant,  séquestrant des intellectuels, sans passer par la case justice, et en soutirant des aveux douteux. Le département de la propagande du parti a une aversion pour l'industrie du cinéma jugée cupide (alors même que le box office chinois explose et rapporte énormément de recettes au pays). Huayi Brothers, producteur de la plupart de ses films, a vu son cours de bourse chuter (32% en un jour). Le réalisateur de Cell 2, qui devait être son prochain film, Feng Xiaogang, a aussi été ciblé par les pouvoirs publics pour fraude fiscale.

Lynchage: Pour l'instant, il y a peu de réactions. Ce n'est pas la première fois qu'une vedette chinoise est l'objet de boycott ou de litiges avec le pouvoir. Beaucoup de chinois, par zèle ou patriotisme, la conspuent sur les réseaux, critiquant son jeu comme son mode de vie.

La disparition: L'actrice, dans un premier temps, choisit la défense en lançant ses avocats contre l'animateur TV à l'origine du scandale. Celui-ci s'excuse et accuse finalement son entourage. Début juillet, Fan Bingbing se rend aux Etats-Unis, à Londres, et  en Australie.  Depuis elle est revenue en Chine mi-juillet, mais son passeport a été confisqué. Son agent aurait lui aussi été arrêt. Finalement Fan Bing Bing est arrêtée, sans qu'on sache à quelle date. Et selon les sources chinoises, ce n'est que le début...

Le bannissement: Son nom a été retiré de l'affiche d'un film à venir. La série dans laquelle elle joue ne sera pas diffusée.  Finalement c'est un effacement de l'actrice qui se prépare. Le projet annoncé à Cannes, 355, avec Jessica Chastain, Marion Cotillard, Penelope Cruz, et Lupita Nyong’o, se fera finalement sans elle. Ce qui impacte Huayi Brothers une fois de plus, qui avait acquis les droits de distribution en Chine pour 20M$. Cell 2, suite de son succès de 2003 qui l'a fait décoller, ne verra sans doute pas le jour. Dans la version chinoise de Ash is Purest White, le dernier Jia Zhangke, elle a été coupée au montage. Le film L.O.R.D.: Lord of Ravaging Dynasties 2, qui devait sortir le 6 juillet, n'a finalement plus de date de sortie. The Perfect Blue, tournage achevé en mai, va être retourné avec un autre casting pour la remplacer. Quant à Air Strike, avec Bruce Willis, la sortie a été décalée du 17 août au 26 octobre, et son nom sur l'affiche effacé. Certains pensent que le film est retourné au montage pour la supprimer de l'écran.

Cannes 2018: Qui est Feng Xiaogang ?

Posté par MpM, le 11 mai 2018

C’est en 1985, à l’âge de 27 ans, que Feng Xiaogang commence à travailler pour le centre d'art de la télévision de Pékin. Il écrit d’abord des scénarios pour la télévision et réalise des séries, avant de passer au long métrage de cinéma. En 1997, il rencontre le succès avec Dream factory, une comédie qui annonce un nouveau style de films extrêmement populaires, celui du « récit de nouvel an ».

Tour à tour acteur (il tient par exemple un petit rôle dans Sous la chaleur du soleil de Jiang Wen en 1994 et dans Crazy kung-fu de Stephen Chow en 2004), réalisateur et scénariste, il enchaîne les tournages et les projets, principalement des comédies destinées au marché local. En 2006, changement de cap avec La légende du scorpion noir, une adaptation du Hamlet de Shakespeare dans la Chine du Xe siècle et en version kung-fu (!!!), qui réunit Zhang Ziyi et Zhou Xun dans les rôles principaux.

L’année suivante, il se tourne vers le film de guerre avec Héros de guerre, qui relate un épisode réel de la guerre civile chinoise et suit un vétéran qui se bat pour obtenir une forme de reconnaissance officielle pour ses hommes morts héroïquement face aux armées nationalistes.

Après une nouvelle incursion par la comédie romantique, Feng Xiaogang se penche ensuite sur un autre épisode de l’histoire chinoise, le tremblement de terre de Tangshan, survenu en 1976. Aftershock se concentre sur le destin épique d’une famille séparée par la catastrophe, et qui ne se retrouvera qu’à l’occasion d’un autre tremblement de terre, celui du Sichuan, plus de trente ans plus tard. Le film bat tous les records d’entrées de l’année 2010 et rapporte 100 millions de dollars, soit cinq fois plus que son budget initial. Il s’agit de la première superproduction IMAX réalisée en dehors des Etats-Unis.

En 2012, le cinéaste s’essaye à une autre forme de drame historique avec Back to 1942, qui raconte la famine au Henan durant la guerre contre le Japon du point de vue de deux occidentaux incarnés par Adrien Brody et Tim Robbins. Le film, adapté d’un roman de Liu Zhenyun, remporte deux prix au festival de Rome 2012 et est présélectionné pour représenter son pays aux Oscar.

Pour son film suivant, Feng Xiaogang retravaille avec Liu Zhenyun dont il adapte un autre roman, Je ne suis pas une garce.  Sorti en France en 2017 sous le titre I am not Madame Bovary, le film est à nouveau un récit épique suivant une femme dans des tribulations judiciaires qui oscillent entre l’absurdité et la farce. Ses choix esthétiques (notamment le cadre circulaire et les références à la peinture traditionnelle chinoise), son ton ultra-décalé et sa dimension de satire sociale assumée lui garantissent un énorme succès à l’international, et notamment dans des festivals de premier plan comme San Sebastian, où il remporte la Coquille d'or du meilleur film et le coquillage d'argent de la meilleure actrice, et à Toronto où il est couronné du prix de la critique internationale.

Il tourne ensuite un film encore inédit en France, Fang hua (Youth), qui est lui aussi présenté à Toronto en 2017. Il y est cette fois question d’un groupe d’adolescents idéalistes dans la Chine des années 70 et 80.

Mais c’est en tant qu’acteur, et non de réalisateur à succès, qu’il est attendu à Cannes. Feng Xiaogang tient en effet un petit rôle dans Ash is the purest white de Jia Zhang-ke, une nouvelle fresque historique dans les tourbillons de l’histoire chinoise récente et contemporaine où il côtoiera notamment Zhao Tao et Liao Fan. Des premiers pas cannois qui lui permettront de connaître le chemin du tapis rouge. On ne sait jamais.

Ce qu’il faut savoir sur « I am not Madame Bovary » de Feng Xiaogang

Posté par MpM, le 5 juillet 2017

Flaubert en Chine

Le titre international est un peu abusif car dans le roman original de Liu Zhenyun (Je ne suis pas une garce, 2015), il est fait référence à Pan Jinlian qui est un personnage mythologique ayant conspiré avec son amant pour assassiner son mari. Son nom est désormais utilisé en Chine pour désigner une femme indigne, infidèle ou débauchée. L’utilisation du nom d’Emma Bovary est plutôt abusif, dans la mesure où l’héroïne de Flaubert tient plus de la femme fantasque empêtrée dans une vie monotone que de la dévergondée assoiffée de sang.

Fresque ironique

Le film se passe sur plus d'une dizaine d'années et met en scène l'héroïne Li Xuelian qui multiplie les procès pour recouvrer son honneur perdu. A l'origine de l'histoire, il y a un divorce blanc contracté par l'héroïne et son mari dans le but d'obtenir un deuxième logement. Mais l'homme volage en profite pour se remarier avec une autre. Bafouée et meurtrie, Li Xuelian se porte alors en justice pour faire reconnaître qu'il s'agissait d'un faux divorce. Son idée est de se remarier avec son ex-mari puis de divorcer à nouveau, cette fois-ci sans ambiguïté. Son combat est évidemment dérisoire, destiné à plonger le spectateur dans l'étonnant labyrinthe judiciaire chinois.

Satire sociale

Le film accompagne Li Xuelian dans des tribulations judiciaires qui oscillent entre l’absurdité et la farce. La jeune femme remonte en effet la hiérarchie locale (du juge au préfet) pour faire entendre ses doléances, et multiplie les procès et les recours. Ces rouages un peu grippés dévoilent le portrait d'une Chine en pleine mutation judiciaire dans laquelle les responsables sont terrorisés par une simple femme en quête de justice. Le film balance ainsi entre un registre volontairement comique (le harcèlement insidieux de l’héroïne envers les officiels devient une sorte de running gag, et son indéfectible ténacité en est presque comique) et une touche nettement plus sombre quand son acharnement la conduit en prison, et gâche toute son existence.

Cadre rond

En plus d’une esthétique très soignée qui évoque la peinture traditionnelle chinoise, Feng Xiaogang recourt à un cadre circulaire pendant presque la totalité du film. Ce procédé empêche évidemment tout gros plan sur les personnages, et donne le sentiment au spectateur d’être un voyeur observant chaque scène à travers un télescope. Comme l’héroïne, il n'a pas une bonne vision d’ensemble, puisque tout ce qui est hors du cercle lui échappe. C’est uniquement lorsqu’elle parvient à Pékin que son horizon s’élargit (momentanément), et avec lui le cadre.

Fan BingBing

C’est Fan BingBing, aperçue auparavant dans des superproductions chinoises comme Bodyguards and assassins ou Shaolin ainsi que dans l’univers des XMen (Days of future past) qui incarne avec justesse et vitalité le cette Antigone des temps modernes. Le drame qu’elle traverse, et dont on connaîtra seulement à la fin toutes les facettes, atteint physiquement le personnage qui n'est plus que l'ombre d'elle-même à la fin du film.

Récompenses

I am not Madame Bovary a reçu le prix de la critique internationale au Festival de Toronto et le Coquillage d'or du meilleur film ainsi que le coquillage d'argent de la meilleure actrice à San Sebastian. Il a également été distingué par trois Asian Awards dont meilleur film et meilleure actrice et par le Golden horse de la meilleure actrice.

San Sebastian consacre les cinémas de l’Extrême-Orient et du monde hispanique

Posté par vincy, le 25 septembre 2016

Le 64e Festival du Film de San Sebastian qui se déroulait du 16 au 24 septembre s'est achevée avec la révélation du palmarès. Le jury présidé par Bille August (deux fois palme d'or) était composé de Anahi Berneri, Esther García, Jia Zhang-ke, Bina Daigeler, Matthew Libatique et Nadia Turincev. La compétition du plus grand festival espagnol souffre toujours d'un manque d'avant-première mondiale voire européenne. De nombreux films, et notamment parmi les lauréats, avaient déjà été présentés (et primés) à Toronto.

La Coquille d'or a récompensé le film chinois de Xiaogang Feng, I am not Madame Bovary, déjà primé à Toronto comme meilleur film dans la section Présentations spéciales. Le film reçoit également le prix de la meilleure actrice pour Fang Bingbing (aperçue dans X-Men: Days of Future Past et qui s'offre ainsi son premier grand prix dans un festival occidental).

Le cinéma asiatique n'est pas en reste puisque le vénérable cinéaste sud-coréen Hong Sang-soo, repart avec la Coquille d'argent du meilleur réalisateur pour son dernier film à date, Yourself and Yours.

Les films espagnols et latino-américains se sont partagés les autres récompenses: meilleur acteur pour l'espagnol Eduard Fernandez (déjà deux fois consacré aux Goyas) dans Smoke & Mirrors, prix spécial du jury pour l'Argentin El Invierno (L'hiver) d'Emiliano Torres (ex-aequo avec Jätten (The Giant) du Suédois Johannes Nyholm). El Invierno est aussi distingué pour son image avec le prix de la meilleure photo pour Ramiro Civita. Enfin le prix du scénario est revenu aux espagnols Isabel Pena et Ricardo Sorogoyen pour leur thriller Que Dios nos perdone (Que Dieu nous pardonne).

Notons, hors jury, quelques autres prix: la cinéaste grecque Sofia Exarchou a reçu celui du Nouveau Cinéaste pour Park tandis que le jeune français Morgan Simon héritait d'une mention spéciale pour Compte tes blessures (avec Kevin Azaïs).

Deux prix du public ont plébiscité deux films cannois: la Palme d'or pour commencer puisque Moi, Daniel Blake de Ken Loach a été choisi par les festivaliers. Dans la catégorie du film européen, le public a choisi Ma vie de courgette, le film d'animation de Claude Barras, déjà consacré à Annecy et Angoulême, candidat suisse aux Oscars et coup de cœur de la Quinzaine des réalisateurs en mai.

Le film de Maysaloun Hamoud, Bar Bahr (In Between), déjà honoré à Toronto en tant que meilleur film asiatique, a reçu deux prix: le prix de la jeunesse et le prix TVE d'un autre regard.

Finissons avec les prix honorifiques qui ont sacré Ethan Hawke et Sigourney Weaver. Gael Garcia Bernal a reçu le prix du cinéma latin Jaeger-Lecoultre.

Aftershock a tenu ses promesses au box office chinois

Posté par vincy, le 25 septembre 2010

20 millions d'euros de budgets. 4 000 écrans lors de sa sortie. 15 millions de chinois l'ont vu dans les salles durant la première semaine. Aftershock (voir actualité du 4 juillet 2010) a tenu toutes ses promesses. Avec un premier jour rapportant 3,6 millions de $, il a même battu le record précédent, détenu par Avatar. Même si les chiffres chinois sont toujours à prendre avec des pincettes, le film (135 minutes) a séduit le public chinois, avide de grands spectacles.

En une semaine, le film retraçant le plus meurtrier tremblement de terre de ses 50 dernières années, a récolté 40 millions d'euros. Dans un contexte de forte croissance (on estime que le box office annuel pourrait grimper de 60% cette année dans l'Empire du milieu), on prévoit un résultat final dépassant les 100 millions d'euros, ce qui est deux fois moins qu'Avatar. Pour l'instant il n'en est qu'à 75 millions d'euros en un mois.

Les Chinois sont en demande de films permettant une forme de catharsis pour évacuer des névroses enfouies. Deux ans après le traumatisme du tremblement de terre du Sitchuan (3 fois moins de morts pourtant que celui de Tangshan en 1976 qui est raconté dans le film), l'oeuvre de Feng Xiaogang arrive à point nommé.

La Chine a annoncé que de nombreuses salles de cinéma allait sortir de terre. Le ministère continue à soutenir la surenchère des budgets cinématographique sur des sujets fédérateurs et patriotiques. Avec Aftershock, cette stratégie est confrontée. Le film est leader au box office taïwanais depuis quelques jours et a été sélectionné au Festival de Toronto.