Lors de la soirée d'ouverture du festival d'Arras, où était présenté Potiche, Fabrice Luchini avait fait le déplacement avec son réalisateur François Ozon (notre photo) pour parler du film et plus particulièrement du personnage qu'il incarne, l'antipathique Robert Pujol.
EN : Interpréter un personnage comme celui de Robert Pujol dans Potiche, est-ce jubilatoire ?
Fabrice Luchini : Oh non, rentrer dans la peau de Pujol, ce n'est pas jubilatoire car c'est une peau abjecte. Ce qui est jubilatoire, c'est la proposition. Les situations les plus fortes au cinéma, ce sont les partitions qui demandent à ce que l'on n'ait pas peur. Il ne faut pas être tiède. Des fois je joue des films en creux, psychologiques, vraisemblables. Là ça ne va pas, il faut une audace, disons une certaine audace, il ne faut pas non plus exagérer ! Mais il faut une manière d'exécuter concrètement et non pas psychologiquement la situation. La situation doit être exécutée avec urgence. Il ne faut pas forcer le trait, pour que l'outrance ne soit jamais là, et pourtant il faut être dans la démesure.Il faut quand même être dans la vérité même si cela apparaît à certaines personnes comme "trop". C'est un trop qui doit être maîtrisé. On joue la comédie, c'est notre métier ! Un jour on joue des choses très raffinées sur le psychologique, un an après ou six mois plus tard on se "déplace". C'est ce concept de Jean Carmet : se déplacer, c'est la liberté d'un acteur. Un jour tu fais un film très compliqué psychologiquement, après tu fais autre chose...
EN : Le film se passe dans les années 70 mais fait explicitement référence à notre époque, cela vous a amusé ?
FL : Vous savez, moi on me paye pour dire les textes. Je m'en fous, tant que c'est pas des grands classiques du 17e siècle, La Fontaine, Molière, de grands écrivains absolument somptueux, le cinéma pour moi c'est un divertissement. Je suis très heureux qu'Ozon ait voulu travailler avec moi. Mais qu'il y ait des références sur la modernité, je m'en fiche complétement. Evidemment ça fait rire car il y a le fameux "travailler plus", etc. Moi je joue l'ignoble personnage de droite. J'étais en train de me dire que c'est un mélange d'orgueil et de grande humilité d'accepter des rôles comme ça. Parce que quand même jouer un rôle où tu es enlaidi physiquement, "caractériellement", sexuellement... c'est peut-être de l'orgueil. Mais en tout cas j'y ai pris du plaisir. Vous savez jouer la comédie avec des scènes immensément intenses, c'est mon métier, donc c'est normal.
EN : Même si le personnage est profondément antipathique...
FL : Moi je pense qu'il n'y a rien de pire que les acteurs qui font des choix de carrière pour la "belle gueule", pour les bons héros qui sauvent les pauvres femmes dans les maisons qui brûlent. Pour moi, ça, ce sont les grands ringards. J'ai l'ego un peu démesuré de penser qu'un acteur doit s'enlaidir, jouer les rôles minables. Il y a des vedettes qui disent "non, ça je ne peux pas jouer, mon public ne me suivra pas". Comme si on avait un public... Personne n'a de public et tout le monde s'en tape !
Le métier d'acteur n'est pas pour jouir personnellement, mais pour faire jouir le public. Donc jouer un assassin ou jouer un prêtre, c'est la même chose. C'est la même intensité. Quand Jouvet dit que les grands personnages ont un ascendant, ça peut être un ascendant dans le mal ou dans le bien. Moi je ne juge jamais un personnage d'un point de vue moral. je le juge d'un point de vue de puissance, d'efficacité de réplique.
EN : Vous qui êtes sensible au rythme et à la musique des mots, comment caractériseriez-vous la langue du film ?
FL : Faut comparer ce qui est comparable. On n'est ni chez Molière, ni chez La Fontaine, on est chez Barillet et Gredy. Mais y'a un avantage dans ces écritures-là c'est qu'elles n'ont aucune obligation psychologique. Elles exigent de la part de l'interprète une précision absolument redoutable. Parce que si tu n'es pas précis tu deviens outré. Pourtant tu dois jouer absolument pas psychologique. Barillet et Gredy ce sont de petits enfants de Feydeau. Je ne dis pas que ça a le génie de Feydeau, parce qu'il n'y a qu'un Feydeay, mais cela a les mêmes exigences que ce théâtre qui nous libère de la psychologie et c'est quand même une qualité.
Ecran Noir : Quelle est la réplique du film que vous préférez ?
FL : "Ton avis ? Quel avis ? Tu as un avis ?" Ca me fait rire... Je me demande s'il en existe encore, des hommes comme ça... Je ne crois pas, mais enfin...