A l'occasion de cette pause estivale, Ecran Noir part à la rencontre du cinéma d'animation. Six réalisatrices et réalisateurs de courts métrages parlent de leur travail, de leurs influences et du cinéma en général.
Pour ce premier épisode, nous avons posé nos questions à Nara Normande, réalisatrice brésilienne révélée dès son premier film Dia estrelado en 2011, puis sélectionnée à la Quinzaine des réalisateurs en 2014 avec Sem Coração, co-réalisé avec Tião.
Au dernier festival d'Annecy, elle présentait Guaxuma, un court métrage intime sur ses souvenirs d'enfance, et la profonde amitié qui la liait à son amie Tayra. Une oeuvre délicate qui donne toute sa mesure à l'animation de sable et évoque la douceur des paradis perdus, avant de se voiler peu à peu d'une mélancolie contagieuse et profonde.
Ecran Noir : Comment est né le film ?
Nara Normande : La plage où j’ai passé mon enfance m’inspire toujours. C’était à Guaxuma, où j’ai tourné mon court précédent (Sem Coração, co-réalisé par Tião). Après la mort de mon amie d’enfance Tayra, j’ai eu envie de parler de cette plage et de cette amitié avec un rapport plus personnel.
EN : Pouvez-vous nous dire quelques mots sur les choix esthétiques ? Comment se sont-ils faits ?
NN : La technique que j’utilise dans mes films dépend de l’histoire que je veux raconter. Guaxuma parle des souvenirs et des rêves, et pour moi le film est arrivé naturellement comme une animation. Utiliser le sable de différentes façons me semblait un bon choix. Je n’avais jamais travaillé avec du sable, mais j'aime découvrir des nouveaux univers et les défis me motivent.
EN : Le film traite d'un sujet intime. Comment avez-vous abordé cet aspect-là tout au long du processus ?
NN : Au début c’était dur, c’est un sujet très émouvant pour moi. Mais il y a eu des personnes essentielles dans le processus comme Tião (consultant scénario) - qui m’a suivie depuis la première version - et Eduardo Serrano (monteur) - qui a commencé à travailler au montage depuis les premiers dessins du story-board. Ils avaient une vision plus éloignée de l’histoire et ça m’a aidée. Mais avec le temps, j’ai pu laisser l’émotion de côté et penser plus objectivement au film. J’étais tranquille quand on a commencé la tournage. La décision de laisser ma propre voix (prise juste au dernier moment) était aussi difficile, et l'actrice Maeve Jinkings, qui a fait la direction de voix, a également été essentielle pour le processus.
EN : Quel a été le principal challenge au moment de la réalisation ?
NN : Avoir la persévérance et la patience pour finir le film comme il le méritait et ne pas laisser les animateurs et animatrices perdre leur motivation. C’est un film assez compliqué techniquement, l’animation de sable est une de plus difficiles à faire - chaque personne faisait une moyenne de 5 images par jour.
EN : Quel genre de cinéphile êtes-vous ?
NN : Mauvaise ! S’il y a un film qui m’inspire, je prends des notes, je le revois souvent… mais je ne vais pas nécessairement voir toute la filmographie du réalisateur ou de la réalisatrice. C’est arrivé quelques fois, bien sûr, mais ce n’est pas commun. Il y a beaucoup de films que je veux voir, mais j’y vais doucement. Mon père, lui, il est un cinéphile! Il connait le cinéma beaucoup mieux que moi et il m’a clairement inspirée pour travailler dans le cinéma…
EN : De quel réalisateur, qu’il soit ou non une référence pour votre travail, admirez-vous les films ?
J’aime beaucoup Lucrecia Martel et Agnès Varda, par exemple. Dans Guaxuma, j’ai fait un hommage direct à Agnès, à ces plages. Aussi, j’ai choisi de faire le mix du son avec Emmanuel Croset, qui est le mixeur de la plupart de films de Lucrecia. J’aime le cinéma des Dardenne aussi. Ici, au Brésil, il y avait Hector Babenco (Pixote) et Andrea Tonacci (Serras da Desordem). Il y a aussi des films d’animation qui m’ont inspirée pour Guaxuma, comme les courts The man with the beautiful eyes, de Jonathan Hodgson et This Could Be Me, de Michaela Pavlátóva. Dans les longs animés, j’aime bien Persepolis. Il y a pas mal de gens qui m’inspirent !
Quel film (d’animation ou non) auriez-vous aimé réaliser ?
La Cienaga de Lucrecia Martel.
Comment vous êtes-vous tournée vers le cinéma d’animation ?
J’ai toujours aimé le cinéma, mais je n’aimais pas les films d’animation que je voyais pendant l’adolescence (je ne suis pas très partisane de l’animation 3D). J’aimais aussi sculpter des poupées, dessiner. Peu à peu j’ai commencé à découvrir les courts métrages d’animation indépendants et j’ai été fascinée. Au lycée, j’ai fait mes premiers tests de cinéma en stop motion, c’était plus facile car je n’avais pas besoin d’une grande équipe. Après, j’ai écrit mon premier film professionnel en stop motion. J’ai eu un budget pour le faire et j’appris à le réaliser pendant la production avec beaucoup de recherches et d’efforts. En 2010, j’ai commencé à travailler dans un festival international d’animation, j’étais en charge de la programmation du festival pendant 5 ans. Encore aujourd'hui je travaille dans la programmation de quelques festivals au Brésil (surtout les programmes animés) et cette expérience est super important pour ma formation comme réalisatrice.
Comment vous situez-vous par rapport au long métrage ? Est-ce un format qui vous fait envie ou qui vous semble accessible ?
J’ai un projet de long-métrage avec Tião, co-réalisateur de Sem Coração, qui sera produit par Emilie Lesclaux (Les Bruits de Recife, Aquarius). C’est un film en prise de vues réelles inspiré de l’univers de notre court-métrage Sem Coração. J’ai un projet d’un deuxième long que je vais réaliser toute seule, c’est aussi en prise de vues réelles, mais il y a un rapport avec un monde fantastique et l’univers artistique de l’animation. Je veux réaliser un long-métrage d’animation d’ici quelques années quand j’aurai plus d’expérience. Il faut avoir un bon budget et être encore plus persévérante pour le faire et je ne suis pas prête encore.
Comment voyez-vous l’avenir du cinéma d’animation ?
Je pourrais emprunter beaucoup de chemins pour répondre votre question. Mais je vais en choisir un : je vois aujourd'hui moins de préjugés et de barrières entre le cinéma en prise de vues réelles et le cinéma animé et je pense que c’est un bon signe. Mais le cinéma animé est encore jugé comme un genre et pas comme un moyen de raconter une histoire, soit-elle fiction, documentaire ou expérimentale. Je pense qu’il faut séparer la façon de les produire et de les financer car c’est un processus technique assez différent, mais pas la façon de les voir.
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