Vu en Espagne avec trois semaines d'avance sur le programme cannois. Les étreintes brisées, nouveau mélo plus tragique que comique de Pedro Almodovar, y est sorti le 20 mars, avec un succès relatif, (pour l'instant il a ramassé moins de 5 millions d'euros de recettes).
La signature du cinéaste est présente dès les premiers plans. Un regard singulier sur un tête à tête banal. L'histoire s'avérera pourtant complexe en trahisons, passions, meurtre et tromperies. Mais, ici, Almodovar en profite pour revisiter son oeuvre, se créant un double (Mateo Blanco / Harry Caine, interprété par Lluis Homar). Il s'autocite, en se concentrant essentiellement sur une partie de sa filmographie qui s'étend de 1988 à 1997 avec Angelina Molina (qui voit en Penelope Cruz, sa fille, ce qu'elle était dans En chair et en os), la présence d'un éditeur (La fleur de mon secret), de talons aiguilles (ici très vermillons) ou d'un caméraman obsessionnel (Kika), dérivé homo et pervers de ce qu'aurait pu être Pedro A. Le réalisateur reste ainsi dans le carcan de son scénario, qui fait des allers-retours dans le temps: l'histoire se déroule entre la première moitié des années 90 et aujourd'hui. En puisant dans ses souvenirs, il restitue une époque qui semble bien lointaine : une Espagne arriviste, peuplée de nouveaux riches. Il s'agit surtout, et la scène finale est anthologique pour cela, d'un film miroir à Femmes au bord de la crise de nerfs, son film emblématique (qu'il pense d'ailleurs adapter pour la télévision américaine). Penelope Cruz en double de Carmen Maura nous refait le coup du lit brulé, du gaspaccio qu'il ne faut pas boire, ou de la valise prête à partir. On y croise avec jubilation les protagonistes féminines de cette comédie, et le doublage joue là aussi un rôle primordial dans l'énigme.
Mais le film n'est pas qu'une remise en question, une interrogation de son travail. Toujours sur sa voie exploratrice des nuances de la rédemption, Almodovar fouille un peu plus les chemins de la résurrection. On peut survivre, et renaître différent. On peut aussi mourir, et rester éternel grâce au cinéma. Ces étreintes brisées sont ces impossibilités d'aimer, de laisser l'autre libre, de respecter cet élan qui nous échappe, de se casser en deux parce que l'autre nous sert trop fort. Le maître de la movida espagnole signe ainsi une oeuvre noire, romantique (dans son sens littéraire), pas forcément chaleureuse, mais n'oubliant pas d'être drôle.
Peut-être inégal, sans aucun doute précis, artistiquement fidèle, le film, tacheté du rouge sang, expose les croix (cruz) comme autant de signes intangibles mais bien visibles de ce qu'il veut révéler : l'existence d'un fantôme, comme dans Volver (où il a repris de nombreuses comédiennes), mais qui hante plutôt les souvenirs et les images. Cette croix que tout le monde porte est évidemment le destin de cette secrétaire et actrice jouée par Pénélope Cruz (croix). Il s'amuse avec elle comme on joue à la poupée (perruquée, déshabillée, maquillée). Une star piégée dans un bal (trappe), dont la beauté étourdit d'amour le réalisateur (le faux et le vrai) les rendant ainsi aveugles, aveuglés.
Le spectateur lui est resté bien clairvoyant, aspiré par cette embrassade passionnelle. Depuis La mauvaise éducation, Almodovar n'en a pas finit avec son passé.