Pourquoi il ne faut surtout pas rater « Senses » de Ryusuke Hamaguchi

Posté par MpM, le 2 mai 2018

C'est l'événement cinéma de cette semaine, et des deux suivantes : la sortie sur grand écran du film fleuve Senses de Ryusuke Hamaguchi sous la forme de cinq épisodes réunis en trois longs métrages. Soit une formidable saga intime mettant en scène quatre femmes reliées par une forte amitié que les aléas de la vie amènent à se remettre soudainement en question.

A Kobe, de nos jours, Akari, Sakurako, Fumi et Jun sont quatre femmes qui approchent de la quarantaine et mènent des vies assez rangées : Sakurako est une parfaite mère au foyer, Akari est une infirmière modèle, Fumi travaille pour un centre d'art et Jun dans un bar. Mais la jeune femme est surtout engagée dans une longue procédure de divorce, malgré le refus catégorique de son mari. Ce combat, qui était un secret jusqu'à la fin du premier épisode, fait l'effet d'une bombe dans le groupe d'amies, et place brutalement chacune face aux contradictions ou aux ratés de sa propre existence.

On est bien dans une intrigue intime, pour ne pas dire intimiste, qui ne bascule jamais ni dans le spectaculaire, ni dans le suspense un peu facile. Ryusuke Hamaguchi met en place un dispositif extrêmement simple (la plupart des scènes consistent en de longs dialogues introspectifs durant lesquels les personnages livrent leurs expériences ou leur ressenti) qui révèle peu à peu l'intériorité des protagonistes, et les pousse à réévaluer leur existence ou leurs comportements. La parole joue en effet tout au long du film un rôle central, déterminant, qui donne à sentir à travers les confidences, les reproches, les confessions et même les conversations les plus anodines la violence bouillonnant derrière les comportements uniformément policés.

Cela permet une auscultation en profondeur de la société japonaise corsetée, comme handicapée des émotions. Les cinq volets du film (qui correspondent logiquement aux cinq sens) permettent ainsi une plongée effrénée dans le tumulte des sentiments et l’envers de l'image que l'on a (et que le cinéma contribue souvent à nous donner) du pays et de ses mœurs tout en retenue.

Cela tient pour beaucoup à la force de l'écriture de Hamaguchi, qui transforme les mots en armes presque mortelles, si acérées qu'elles remplacent avantageusement toute brutalité physique pour témoigner de la violence des émotions intérieures. Ce que se disent les personnages est ainsi plus insupportable à entendre que s'ils criaient, ou en venaient aux mains, car ces propos, toujours prononcés avec calme et politesse, ne touchent pas tant à ce que font les protagonistes qu'à ce qu'ils sont intrinsèquement : égoïste, superficiel, lâche...

Les quatre comédiennes principales sont évidemment à saluer tant elles sont justes et sensibles tout au long des cinq épisodes. C'est d'autant plus impressionnant que toutes les quatre sont non professionnelles, de même que les autres comédiens qui les accompagnent. Senses est en effet né d'un atelier d’improvisation autour du thème "comment pouvons-nous mieux nous écouter les uns les autres ?". Dès le départ, il a été conçu dans l'optique de faire un film. Un scénario a ainsi été écrit en fonction de chacun des participants, et a évolué avec eux au moment du tournage.

Dans sa première version, le film durait plus de 5h. Après son accueil triomphal à Locarno en 2015 (prix d'interprétation féminine collectif et mention spéciale pour le scénario), puis au Festival des trois continents (Montgolfière d'argent et prix du public) et au festival Kinotayo (Soleil d'or), Eric Le Bot, distributeur pour Art House, a décidé de le proposer sous la forme de la "série de cinéma" que l'on découvrira tout au long du mois de mai. Une décision courageuse, car bien sûr le format est atypique, et le film lui-même singulier.

Le terme "série", par exemple, ne doit pas faire imaginer un récit à suspense, rebondissements effrénés, cliffhangers et autres climax incessants. Ce n'est pas La Casa de Papel. Si l'on aime tant Senses, c'est justement qu'il brise les codes les plus faciles de la narration romanesque pour n'en garder que l'essence. C'est donc à son rythme que Ryusuke Hamaguchi observe les glissements, les changements, les plus petits détails du comportement de ses personnages. Ce faisant, il propose une captivante étude de la nature humaine, doublée d'une réflexion complexe sur l'existence et le temps.

La durée est en effet une donnée fondamentale de son cinéma qui privilégie les plans larges et les scènes longues, permettant aux personnages d'aller jusqu'au bout de ce qu'ils ont à dire. Il n'hésite pas, notamment, à consacrer presque la totalité d'un épisode (le quatrième, intitulé "Sentir"] à une lecture en temps réel qui est à la fois comme une mise en abyme du tourbillon des sentiments traversé par les personnages, et une caisse de résonance à leurs doutes et interrogations.

Jusque-là relativement confidentiel en France, Ryusuke Hamaguchi impose en un film son style exigeant et son regard singulier, démontrant qu'il est un cinéaste à suivre absolument. Ça tombe bien, il sera à Cannes dans quelques jours, pour ses premiers pas en compétition officielle avec Asako.  C'est sûr, la planète cinéphile est sur le point de s’arracher son travail !

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  • Senses 1&2 de Ryusuke Hamaguchi au cinéma le 2 mai
  • Senses 2&3 de Ryusuke Hamaguchi au cinéma le 9 mai
  • Senses 5 de Ryusuke Hamaguchi au cinéma le 16 mai

Festival des 3 continents: Le cinéma égyptien sacré avec Tamer El Said et drôle grâce à Yousry Nasrallah

Posté par cynthia, le 30 novembre 2016

Les meilleures choses ont une fin et les festivals n'échappent pas à cette triste règle. Le 38e festival des 3 continents s'est achevé lundi soir dans une ambiance conviviale et chaleureuse. Retour sur un festival qui prône la diversité et l'amour des autres, des valeurs dont nous avons besoin ces temps-ci.

Ce qu'il faut retenir:

  • Nous avons débuté notre dernière journée avec le lent mais tout de même passionnant Bitter Money de Wang Bing (véritable star en soi). Un film documentaire, filmé caméra à la main sur le manque cruellement d'argent en Chine et plus particulièrement la maigre paie des Chinois travaillant dans le textile (cela vous passera l'envie d'acheter des vêtements made in China). Une femme battue par son mari depuis qu'ils ont leur propre affaire (le réalisateur montre que l'argent est une difficulté et qu'il peut être une zone de conflit même dans un foyer), un homme qui n'a pas vu sa femme depuis des lustres afin de travailler ou encore une jeune fille de 15 ans qui ment sur son âge pour travailler. Le sujet est si prenant qu'il est impossible de détester ce film malgré ses langueurs.
  • Les queues pour aller voir les films. Qui aime faire la queue? Personne et surtout pas les journalistes. Mais lorsque l'on connaît les queues de ce festival on ne peut que changer d'avis. Certes, on se fait toujours autant doubler, mais tout le monde (journaliste, retraités, spectateurs) rentre en même temps, le premier est servi. De plus, pour patienter on vous offre un café, un journal et même un carré de chocolat issu du commerce équitable. Imaginez deux minutes si à Cannes il y avait un truc pareil (certes, à Berlin, les food-trucks ne son pas loin): tout le monde rentrerait en même tempes (certains journalistes hauts placés seraient en larmes dans leur hôtel 4 étoiles) et on vous offrirait un verre de jus d'orange (bah oui au mois de mai, c'est approprié) et un canapé de saumon. Autant vous dire que niveau ambiance ce ne serait pas la même chose.
  • L'ambiance bon enfant. Tout comme le festival d'Albi et d'autres en Province, le festival des 3 continents est une jolie réunion de famille où règnent la diversité et l'ouverture d'esprit.

Après avoir rigolé aux éclats devant le film égyptien de Yousry Nasrallah, Le ruisseau, le pré vert et le doux visage, une comédie familiale qui change les codes du genre réunissant la famille et les mariages, la soirée de palmarès a débuté. Le grand gagnant (ému aux larmes) a été le réalisateur égyptien Tamer El Said avec son In last days of the city qui emporte le prix du jury jeune et LE montgolfière d'or (le grand prix du festival). La soirée s'est terminée par des petits canapés, beaucoup de verres et surtout un melting-pot de toutes les origines... et c'est ça qui est beau!

Le palmarès:

Prix du jury jeune: In the last days of city de Tamer El Said

Prix du public: My father's wings de Kivanç Sezer

Mention spécial du jury: El Limonero real de Gustavo Fontan

Montgolfière d'argent: Destruction babies de Tetsuya Mariko (lire notre article sur le film)

Montgolfière d'or: In the last days of city de Tamer El Said

Festival des 3 continents: l’individu dans le chaos du monde

Posté par cynthia, le 28 novembre 2016

Nouvelle journée festivalière qui démarre sous le soleil de Nantes au 38e Festival des 3 Continents. Nous avons voyagé en Egypte et en Turquie mais notre esprit est resté coincé en Chine avec Old Stone (Lao Shi), premier long métrage de Johnny Ma, thriller à l'américaine, bien ficelé jusqu' à son dénouement final à la Nicolas Winding Refn.

Le film s'inspire d'un fait divers accablant qui s'est déroulé à Shanghaï: un homme renverse un individu et décide tout simplement de lui repasser dessus pour l'achever afin d'éviter de payer les frais médicaux de sa victime. Mais, à l'inverse, dans cette macabre histoire, le héros sauve sa victime mais oublie de prévenir au préalable la compagnie de taxi pour laquelle il travaille, ce qui va littéralement lui causer du tort. Obligé de payer les frais médicaux de la victime, Lao Shi bataille avec les forces de l'ordre qui préfèrent recevoir des cigarettes et des fruits plutôt que de remplir un rapport d'accident et tente de retrouver la famille de la victime ainsi que son client bourré, qui a légèrement provoqué la mauvaise conduite du pauvre chauffeur de taxi.

Entre thriller et drame social, nous sommes baladés de minute en minute. L'œil avisé du réalisateur et l'aspect pertinent, prenant et émouvant (on en vient à avoir pitié pour ce héros malgré lui) d'Old Stone nous ont donnés le petit coup de chaud du jour.

Grâce à ce thriller, Johnny Ma, sino-canadien, a remporté le prix du Meilleur premier film à Toronto. Diplômé de la prestigieuse université de Columbia, il s'était fait remarqué avec ses courts métrages dans de nombreux festivals.

Il faut bien dire que le cinéma asiatique est en forme. Mais est-ce la raison pour laquelle les films asiatiques dominent cette cuvée 2016? Pas seulement, nous confirme Jérôme Baron, directeur artistique du festival des 3 continents. Si les films asiatiques sont si présents cette année, c'est parce qu'il s'agit d'un continent extrêmement producteur: "Ils produisent beaucoup de films à l'inverse du continent Africain par exemple." CQFD.

Chercher sa voie

En cette avant dernière journée de compétition, le turc My father's wings de Kivanc Seze nous a aussi séduit. Mondialisée, la ville d'Istanbul s'érige à la verticale avec de nouveaux buildings. Travaillant sur un chantier avec son frère Yusuf, Ibrahim apprend qu'il a un cancer. Le film est centré sur ces deux hommes tiraillés, tout comme leur pays, entre plusieurs voies. Kivanc Seze dresse, dans son premier long-métrage, le portrait calme et lucide de la Turquie d'aujourd'hui et de son évolution. À travers son économie, les questions sociales et les liens amoureux, My father's wings offre une réflexion douce et amère sur un pays torturé.

Question torture, l'étouffant film de Tamer El Said, In the last days of the city propose une sérieuse dose. Avec une mise en scène en dents de scie et manquant de constance, le film dresse le portrait d'un réalisateur perdu entre sa vie et sa ville chaotique, Le Caire, et encombrée. Sans doute parce qu'il est bien trop étouffant, le film échoue à nous passionner.

Festival des 3 continents: la violence de la société par Tetsuya Mariko

Posté par cynthia, le 27 novembre 2016

Depuis le 22 novembre dernier, la ville de Nantes accueille le 38e festival des 3 continents. Créé en 1979, ce festival de cinéma est consacré aux films qui proviennent d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine. Cette filmographie souvent placée au second plan par d'autres festivals et encore plus marginale dans les salles de cinéma s'offre ainsi un bel éclairage durant une semaine. Certains films présents n'ont jamais été diffusés ailleurs que dans leur pays d'origine et ont été révélés à Nantes.

Le Festival des 3 Continents est très tourné vers l'Asie cette année. C'est au Japon et plus particulièrement vers la jeunesse désenchantée japonaise que nos yeux ont regardé . Avec Destruction Babies de Tetsuya Mariko, notre corde sensible a été mise à rude épreuve. Le film est en compétition.

Sushi Mécanique

Taira jeune japonais, apparemment sans emploi ni famille, cherche la bagarre à tout va au grand désespoir de son petit frère et des gens du quartier. Il enchaîne les attaques et semble prendre du plaisir à se faire tabasser (une forme de masochisme brutal) et à faire saigner les autres. Adulé par un adolescent en quête d’existence, le film se transforme très vite en version nippone d' Orange Mécanique de Kubrick. Si Taira s’attaque à plus fort que lui, son acolyte lui préfère filmer son ami et taper les femmes (tellement plus facile).

Violent et dénonciateur, Destruction Babies montre une génération détruite qui répond à une société minée et conduite par le sentiment de destruction. Un problème présent au Japon et qui se reflète à travers la rage des poings de ce héros perdu et sans âme. Tetsuya Mariko n'en est pas à son coup d'essai. L'un de ses premiers films Les 30 pirates de Mariko (2004) a été sélectionné dans 18 festivals dont celui de Rotterdam. Pro des courts-métrages, son dernier bébé court, Ninfuni (2010), a été sélectionné au festival de Locarno. C'est d'ailleurs à Locarno cette année que Destruction Babies a séduit le jury de la section "Cinéastes du présent" où il a remporté le prix du meilleur nouveau réalisateur.

Nantes 2009 : bilan et palmarès

Posté par MpM, le 2 décembre 2009

bandhobiExcellente édition pour le festival des 3 Continents qui a attiré  28 000 spectateurs en 123 séances ! C’étaient en effet 76 films venus de 35 pays qui étaient présentés cette année en présence de 60 invités venus des trois continents.

Côté compétition, le jury composé de Barmak Akram (Afghanistan - réalisateur, plasticien et musicien), Paz Fabrega (Costa Rica - réalisatrice et scénariste), Bouchra Khalili (Maroc - artiste vidéaste et plasticienne, programmatrice de la Cinémathèque de Tanger), Catherine Ruelle (France - journaliste politique, critique, productrice radio), Guillaume de Seille (France - producteur indépendant) et Daniel Taye Worku (Éthiopie - réalisateur, producteur) a récompensé deux films ayant en commun une observation aiguë des manifestations de racisme dans leurs sociétés.

Bandhobi de Shin Dong-il (Corée du Sud) a reçu le Grand Prix du Festival, la Montgolfière d’Or. Le film raconte l’étrange relation se nouant entre Min-suh, une lycéenne boudeuse, et Karim, un travailleur émigré venu du Bangladesh. Avec beaucoup de subtilité et pas mal d’humour, le réalisateur (à qui l’on doit également My friend and his wife) dénonce la fermeture de la société coréenne face à tout ce qui lui est étranger, et fait de ce couple improbable un duo attachant et profondément humain.

Pas très éloigné, quoi que dans un registre diamétralement opposé, l’Indonésien Edwin Blind pig who wants to fly(lauréat de la Montgolfière d’Argent et du Prix du jury jeune) aborde la question du racisme anti-chinois en Indonésie avec Blind pig who wants to fly. Sa mise en scène ultra-maîtrisée et inventive, qui dynamite les codes traditionnels du récit, s’accompagne d’un ton radical et provocant. C’est à la fois hilarant et déroutant, décousu et efficace, violent et potache. Une œuvre qui n’a pas laissé indifférent le public nantais, et qui donne envie de suivre la carrière du jeune réalisateur dont c’est le premier long métrage.

Enfin, le prix du public est allé au seul film africain en compétition, Scheherazade, Tell me a Story de l’Egyptien Yousry Nasrallah, une œuvre éminemment politique sur un couple de journalistes confrontés au désir de dénoncer la corruption.

Nantes 2009 : voix d’Iran

Posté par MpM, le 30 novembre 2009

BassidjiPremier film en compétition au Festival des 3 continents de Nantes, le documentaire Bassidji suit le réalisateur Mehran Tamadon (un Iranien vivant en France) qui a décidé d’aller à la rencontre des "Bassidji" (les membres des forces paramilitaires iraniennes créées au moment de la guerre Iran-Irak et qui aujourd’hui font partie des Gardiens de la Révolution islamique) pour tenter de comprendre leur point de vue. Derrière et devant la caméra se rejoue une confrontation digne de Socrate et de ses grands amis les Sophistes.

Si ce n’est qu’à la différence de son illustre prédécesseur,  Mehran Tamadon ne parvient ni à mettre ses adversaires face à leurs contradictions, ni à leur faire partager son point de vue. Aux questions concrètes de plusieurs Iraniens, posées par l’intermédiaire du réalisateur (sur le voile ou la posture d’éternelle victime adoptée par le régime), les Bassidji ne répondent pas vraiment, ou s’empêtrent dans de longs discours théoriques.

Mais peu importe, car le film vaut presque plus pour ce qu’ils ne disent pas, pour cette manière qu’ils ont de ne pas répondre aux questions qui les dérangent ("Ce n’est pas logique", s’emportent-ils. Ou alors : "On s’écarte du sujet"), que par leurs propos, forcément propagandistes. On loue le courage et l’intelligence du réalisateur qui a fait l’effort de provoquer ce débat et d’offrir ainsi un regard intérieur sur une réalité très prégnante du pays.

 Iran et sexualité

Comme en écho, au Lieu unique de Nantes, une installation vidéo est consacrée à l’artiste iranienne Mitra Farahani. Elle aussi vivait en France jusqu’à il y a peu. En juin Tabousdernier, elle a été arrêtée à Téhéran dès sa descente d’avion, maintenue deux semaines en détention puis libérée suite à la mobilisation internationale. Depuis, elle jouit d’une relative liberté mais ne peut pas quitter le territoire, et n’est pas sûre de pouvoir tourner son prochain film, Le coq, écrit dans le cadre de la Cinéfondation du Festival de Cannes.

Outre quelques-unes de ses toiles, on découvre dans cette exposition plusieurs de ses films. Le temps suspendu, sur la peintre iranienne Bejat Sadr. Juste une femme, un documentaire suivant une transsexuelle prostituée à Téhéran. Et Tabous, sorti en France en 2004, enquête gonflée sur le rapport secret que la société iranienne entretient avec la sexualité. Comme son compatriote Tamadon, Mitra Farahani recueille la parole sans la commenter, dans un rôle "d’accoucheuse" plus que d’exégète.

On y entend toutes les voix, de la prostituée qui reste vierge ( !) dans l’optique de se marier un jour au chirurgien spécialiste de la "reconstruction" des hymens, en passant par une mère de famille vantant les mérites de la pureté ou une jeune fille (anonyme) avouant une grande liberté sexuelle. Toutes ces voix et ces points de vue mêlés forment un étonnant portrait de l’Iran d’aujourd’hui, obsédé par les lois morales qui le régissent et pourtant avide d’ouverture et de liberté, contraint et harcelé, mais pas réduit au silence. Malgré le poids des traditions, cette parole libre et audacieuse fait souffler comme un petit vent d'espoir, et apporte un contrepoint salutaire et passionnant au prêchi-prêcha des Bassidji de Tamadon.

Musée Guimet : focus sur le cinéma thaïlandais contemporain

Posté par MpM, le 31 janvier 2009

Au fil du MékongAvec son nouveau cycle "Au fil du Mékong", l’auditorium du Musée des arts asiatiques propose jusque fin juin une programmation éclectique s’intéressant à trois pays bordés par le célèbre fleuve : la Birmanie, le Laos et le Thaïlande. Si les deux premiers seront uniquement abordés sous l’angle des "rites et croyances des peuples et minorités ethniques" (les nagas birmans, le peuple karenni, le bouddhisme et les bouddhas d’or, les rites laotiens…) par le biais d’une quinzaine de documentaires, le dernier bénéficiera à la fois de cette facette thématique (les esprits, les Akhas, la fête des eaux…) et d’une exploration plus fictionnelle offrant un véritable panorama du cinéma thaïlandais contemporain.

Cette cinématographie, qui s’impose depuis une dizaine d’années comme l’une des plus originales et novatrices du monde, existe quasiment depuis l’invention des frères Lumière. Elle a connu un premier âge d’or dans les années 30 et un véritable renouveau à la fin des années 70. Mais la concurrence conjointe des films hollywoodiens et de l’essor de la télévision a réduit de manière drastique la production locale après 1981. La Thaïlande est ainsi passée de 150 films locaux par an en 1978 à seulement une dizaine au milieu des années 90.

La nouvelle vague actuelle a été initiée par trois réalisateurs de publicité (Nonzee Nimibutr, Pen-ek Ratanaruang et Wisit Sasanatieng) qui, en 1997, décident de reprendre la Blissfully yourscinématographie locale en mains en proposant une qualité artistique susceptible de séduire aussi bien les investisseurs que le public. Cela donne 2499 antapan krong muang (écrit par Wisit Sasanatieng et réalisé par Nonzee Nimibutr) et Fun Bar Karaoke (de Pen-ek Ratanaruang, Prix spécial du jury au Festival des 3 continents de Nantes), qui sont d'énormes succès au box-office thaïlandais.

Un cinéma en vogue depuis huit ans

Mais très vite, l’engouement gagne les grands festivals internationaux. En 2001, le western stylisé Les larmes du tigre noir de Wisit Sasanatieng est le premier film thaïlandais sélectionné au Festival de Cannes. Suivent Monrak transistor (Quinzaine des réalisateurs 2002) et Ploy de Pen-ek Ratanaruang (Quinzaine des réalisateurs 2007) ainsi que deux autres de ses œuvres qui reçoivent les honneurs de Venise et Berlin : Last life in the universe, présenté à la Mostra en 2003 et Vagues invisibles, en lice pour l’Ours d’or en 2006. Enfin, autre grand réalisateur révélé et porté aux nues par le Festival de Cannes, Apichatpong Weerasethakul y reçoit le prix du meilleur film de la section Un certain regard pour Blissfully yours en 2002 et le prix du jury pour Tropical malady en 2004, avant d’être l’un des jurés de la compétition officielle en 2008.

Citizen DogA noter que tous ces films figurent parmi ceux projetés à Guimet d’ici la fin du mois de juin, ce qui en dit long sur la qualité de la programmation. Ce "Regard sur le cinéma thaïlandais contemporain" offre en effet un panorama passionnant des films et des auteurs qui comptent et ont compté en Thaïlande depuis la fin des années 90, ne faisant l’impasse ni sur le courant léger et ultra-loufoque où s’inscrit par exemple la délirante comédie musicale Citizen dog, ni sur la cinématographie plus exigeante et déconcertante représentée par les longs-métrages oniriques et mystérieux d’Apichatpong Weerasethakul. L’occasion de (re)découvrir, en une douzaine de films, toute la richesse et l’inventivité de ce cinéma thaïlandais que l’on ne se lasse pas de voir venir à nous.
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Du 2 février au 24 juin 2009
Séances à 12h15 les lundis, mercredis ou vendredis selon les semaines
Programme complet et informations sur le site de l’Auditorium Guimet