Cannes 2014 : Capra, Wenders, Oshima, Hitchcock, Truffaut, Kieslowski parmi les chefs d’oeuvres de Cannes Classics

Posté par MpM, le 30 avril 2014

cannes 2014Voilà déjà dix ans que le Festival de Cannes a créé la section Cannes Classics qui met à l'honneur le travail de valorisation du patrimoine effectué à travers le monde par les sociétés de production, les ayants droit, les cinémathèques ou les archives nationales.

Films anciens et chefs-d’œuvre de l’histoire du cinéma sont ainsi présentés dans des copies restaurées, en présence de ceux qui les ont restaurés et, quand ils sont encore vivants, de ceux qui les ont réalisés ou interprétés. Une manière pour le Festival "d’enchanter le rapport du public d’aujourd’hui avec la mémoire du cinéma" en accompagnant toutes les nouvelles exploitations des grandes œuvres du passé.

Pour cette 67e édition, 22 longs métrages et deux documentaires ont été sélectionnés. Ils seront projetés selon le désir de leurs ayants droit en format DCP 2K ou 4K. Comme le souligne le Festival "pour la première fois, qu’on le déplore ou qu’on le célèbre, aucune copie 35mm ne sera projetée à Cannes Classic". La fin d'une époque ?

Après la blonde Kim Novak, c'est Sophia Loren qui sera l'invitée d'honneur de la sélection. Pour l'occasion, deux films seront montrés en sa présence : La voce umana d'Edoardo Ponti qui marque son retour au cinéma et Mariage à l'italienne de Vittorio De Sica dont on fête le 50e anniversaire. L'actrice a par ailleurs accepté de présenter une "masterclass".

Deux autres anniversaires seront particulièrement célébrés : celui du western italien, né en 1964, avec la projection de Pour une poignée de dollars de Sergio Leone et celui de la Palme d'or 1984, l'envoûtant Paris, Texas de Wim Wenders.

Le reste de la sélection est éclectique et savoureux, permettant de naviguer un peu au hasard dans le meilleur du patrimoine cinématographique ou au contraire de découvrir des œuvres méconnues : Regards sur une révolution : comment Yukong déplaça les montagnes de Marceline Loridan et Joris Ivens, Contes cruels de la jeunesse de Nagisa Oshima, Les croix de bois de Raymond Bernard, Overlord de Stuart Cooper, La peur de Roberto Rossellini, Le hasard de Krzysztof Kieslowski, Le dernier métro de François Truffaut (à l’occasion des trente ans de la disparition de François Truffaut), Dragon Inn de King Hu, Le jour se lève de Marcel Carné, La couleur de la grenade de Sergei Parajanov, Leolo de Jean-Claude Lauzon, La vie de château de Jean-Paul Rappeneau, La taverne de la Jamaïque d'Alfred Hitchcock, Les violons du bal de Michel Drach, Les montagnes bleues d'Eldar Shengelaia, Horizons perdus de Frank Capra, La chienne de Jean Renoir, Tokyo Olympiades de Kon Ichikawa.

Il faut ajouter deux documentaires produits cette année : Life itself de Steve James, sur le critique de cinéma américain Roger Ebert, et The go-go boys: the inside story of cannon films sur l’histoire de Cannon Films et des producteurs Menahem Golan et Yoram Globus.

Enfin, Cannes Classics s'invite à nouveau au Cinéma de la plage (dont le programme complet sera annoncé ultérieurement) en faisant l'ouverture avec Huit et demi de Federico Fellini, projeté en hommage à Marcello Mastroianni et en écho à l’affiche de cette 67e édition du Festival.

Et Nagisa Oshima s’éclipsa… (1932-2013)

Posté par vincy, le 15 janvier 2013

Le réalisateur japonais Nagisa Oshima est décédé d'une infection pulmonaire cet après-midi à Tokyo à l'âge de 80 ans. Né le 3 mars 1932 à Kyoto, on lui doit l'un des films les plus cultes de l'histoire du cinéma, L'Empire des sens.

Débuts

Juste après avoir obtenu son diplôme en droit et politique en 1954, il se lance dans le cinéma en tant qu'assistant réalisateur auprès de Kobayashi et Nomura. Fasciné par la nouvelle vague française, par ailleurs critique de cinéma, il devient réalisateur en 1959 avec Une ville d'amour et d'espoir. Mais c'est avec Contes cruels de la jeunesse l'année suivante qu'il se fera connaître. Ce portrait d'une jeunesse désoeuvrée, en marge, loin des représentations traditionnelles du Japon, entre délinquance et romantisme, coïncide avec l'émergence d'un nouveau cinéma japonais, porté par Shohei Imamura, entre autres. A l'inverse, il s'opposait aux styles et aux sujets des grands Maîtres comme Ozu, Mizogushi et Kurosawa.

Premières polémiques

La même année, Oshima sort Nuit et brouillard du Japon, où son regard sur la jeunesse nippone croise les événements politiques et les opinions dissidentes qui s'ancrent dans l'Archipel. Le film sera retiré des salles quatre jours après sa sortie, sous prétexte que le film pouvait provoquer des troubles. Le cinéaste se dit alors victime de complot politique et rompt ses liens avec le studio Shoshiku qui l'avant engagé 6 ans plus tôt.

Il faut dire que le réalisateur ne choisit pas des sujets faciles. En 1961, Le Piège raconte l'histoire d'un pilote afro-américain dont l'avion s'est écrasé dans un village montagneux japonais. Captif, il devient gibier d'élevage et ainsi traité comme une bête par les Villageois. On devine que l'emprise, la domination, l'humiliation, les rapports humains aux limites du sado-masochisme commencent à être des thèmes qu'il affectionne.

La face cachée du Japon

Mais ce serait réduire son oeuvre à son film le plus connu. Oshima dénonçait également la corruption, la dépression des individus, la violence d'une société en décomposition, la folie, la guerre... Dans La pendaison (1969), il critique ouvertement la peine de mort et la barbarie du système judiciaire. Ce n'est pas innocent si le réalisateur aimait tant les histoires de voleurs et de criminels... Tout comme il aime les anti-héros, les classes défavorisées. La discrimination versus le modèle hiérarchique japonais, le vivre ensemble impossible face à une société obéissant à des règles niant l'individualité : il éclaire la face cachée d'un Japon glorifiant ses richesses et sa réindustrialisation.

La chair et les scandales

Durant les années 60, il tourna pas moins de 14 films! Et au cours des 30 années suivantes, il n'en filmera que 10... En 1976, il fait scandale avec L'Empire des sens, l'oeuvre érotique par excellence, où la passion charnelle mène à la démence, jusqu'à la scène choc : la mutilation d'un pénis. Pornographique ou pas, le film fut censuré, coupé, démonté au Japon. Il a été présenté à la Quinzaine des réalisateurs au festival de Cannes. Véritable succès, Oshima ne s'arrêtera pas là puisqu'il montera d'un cran dans L'Empire de la passion (Fantôme amour) deux ans plus tard. Le sexe devient synonyme de meurtre, de punition et de torture. Eprouvant sans aucun doute, le film reçoit le prix de la mise en scène à Cannes.

Il ne revient que cinq ans plus tard, avec un film qui marquera le summum de son oeuvre : Furyo (Merry Christmas Mr. Lawrence). David Bowie y croise Takeshi Kitano et Ryuichi Sakamoto. Là encore, Oshima filme un décor qu'il affectionne, la prison, pour mieux y voir s'ébattre des protagonistes entre domination, soumission et humiliation. La charge homo-érotique (une sorte de fantasme homosexuel sublimé par l'aspect uniquement suggestif) renvoie à certains grands films hollywoodiens frustrés par le code de censure, mais aussi à Pasolini et Fassbinder. Le masochisme a rarement été aussi magnifié. La musique de Sakamoto accentuera avec grâce l'ambivalence de l'histoire.

Déclin

A partir de là, Oshima ne livrera plus que trois films : l'audacieux Max mon amour, avec Charlotte Rampling et un chimpanzé ; Kyoto, My Mother's Place ; et Tabou qui évoquait l'homosexualité chez les Samouraïs. Furyo, Max et Tabou ont tous été sélectionnés à Cannes (au total il a présenté 10 de ses films sur la Croisette)

Documentariste prolifique, il tourna également pour la télévision et même quelques films étranges comme Carnets secrets des ninjas, adaptation expérimentale d'un manga à partir de dessins ou encore le satirique La Cérémonie. Il restera comme un grand auteur subversif en Occident, même si sa filmographie est davantage sociale et sombre. Commandeur des Arts et des Lettres, la plus haute distinction française pour un artiste, Oshima, qui aimait Genet et Godard, laissera une oeuvre radicale qui cherchait à réveiller les consciences, sans être consensuel.