Cette année encore, le Festival de Berlin a privilégié un cinéma éclectique, majoritairement européen, conçu comme un panorama des sujets, genres et styles constituant l'instantané de la production cinématographique contemporaine. On aura ainsi vu en compétition des comédies, des films historiques, un film de science fiction... Et même un biopic.
Beaucoup de longs métrages sélectionnés privilégient le scénario et la narration, et ils le font avec un certain talent. On aurait envie de récompenser la finesse d'écriture de la moitié des films en compétition, de Quand on a 17 ans d'André Téchiné à Hedi de Mohammed Ben Attia en passant par 24 Wochen d'Anne Zohra Berrached ou The commune de Thomas Vinterberg.
En revanche, c'est plus décevant sur l'aspect purement esthétique. A l'exception des films de réalisateurs comme Yang Chao (Crosscurrent) ou Lav Diaz (A Lullaby to the sorrowful mystery, photo ci-dessus), on a vu peu de véritables propositions formelles, au profit de mises en scène très classiques, voire académiques.
Une compétition qui interroge son époque
Sur le fond, Berlin méritait cette année encore sa réputation de festival politique qui interroge son époque. Le fil directeur de la sélection semble ainsi avoir été le changement, qu'il s'agisse des mutations profondes de la société ou de choix de vie plus intimes.
De nombreux films semblaient ainsi poser la question du chemin à prendre, sous la forme de personnages arrivés à un tournant de leur vie (Le bien nommé L'avenir de Mia Hansen-Love), de l'Europe qui vacille (Death in Sarajevo de Danis Tanovic), de migrants qui cherchent une nouvelle patrie (Fuocoammare de Gianfranco Rosi). Même la guerre est apparue en pleine mutation, sur le point d'écrire un nouveau chapitre de notre ère (Zero days d'Alex Gibney).
Cela explique sans doute la profusion de films initiatiques présentés, à l'image du très sensible Hedi dans lequel un jeune homme apprend peu à peu à se libérer des contraintes familiales et sociales auxquelles il est soumis, ou du très inégal Boris sans Béatrice de Denis Côté où un homme d'affaires antipathique doit se débarrasser de ses défauts pour sauver sa femme de la folie. Les adolescents de Quand on a 17 ans doivent eux faire l'apprentissage d'eux-mêmes et apprendre à se départir de leur agressivité pour accepter qui ils sont, tandis que celui de Soy Nero (Rafi Pitts) est sans cesse rejeté de place en place. Il y a également dans un autre registre la femme enceinte de 24 Wochen qui est face à une décision impliquant toute sa vie : garder, ou non, son bébé atteint de trisomie et de lourds problèmes cardiaques. Dans tous les cas, il s'agit de prendre ses responsabilités, de trouver son chemin et d'affirmer son identité.
Portraits de femmes
On a aussi vu quelques beaux portraits de femmes, notamment des cinquantenaires brutalement rattrapés par l'existence dans L'avenir et The commune : abandonnées pour une autre femme, dépossédées de leur activité professionnelle, donnant l'impression d'être chassées de leur propre vie et se retrouvant encombrées par une liberté soudaine et sans objet.
Il ne fait pas bon vieillir pour les personnages féminins cette année... à l'exception peut-être du très joli personnage de mère incarnée avec légèreté et humour par la lumineuse Sandrine Kimberlain dans Quand on a 17 ans.
On ne sait pas si cela suffit pour trouver cette édition "féministe" tant les femmes aperçues dans la plupart des autres films sont des fantômes, des silhouettes, des rôles sociaux. La mère chez Jeff Nichols (Midnight special), la femme compréhensive et la maîtresse encombrante dans Genius de Michael Grandage, l'épouse fantasmée de Lettres de guerre d'Ivo M. Ferreira... Sans oublier la femme de pouvoir de Boris sans Béatrice qui sombre dans la dépression lourde parce son mari est un imbécile prétentieux et guérit lorsqu'il s'amende. Plus simpliste, on ne voit pas.
La guerre et ses déclinaisons
Enfin, les conflits armés et les affres de la guerre auront été peut-être plus discrets que lors d’autres éditions, mais on les retrouve malgré tout souvent en toile de fond.
La résistance au nazisme dans l'incontournable film sur la 2e guerre mondiale (Alone in Berlin de Vincent Perez, adaptation d'un roman lui-même inspiré d'une histoire vraie), l'Afghanistan dans Soy Nero, l'Angola dans Lettres de guerre, la révolution contre l'occupation espagnole aux Philippines dans A Lullaby to the sorrowful mystery. Et bien sûr la guerre virtuelle, impalpable, avec Alex Gibney (Zero days).
Curieusement, deux thèmes eux-aussi d'actualité, le terrorisme et la crise économique, sont eux quasiment absents des films en course pour l'Ours d'or. Manque de recul pour l'un, lassitude pour l'autre ? Cette 66e édition berlinoise était quoi qu'il en soit plus ancrée sur l'humain et l'intime que sur le collectif. Peut-être justement parce que dans un monde sur le point de basculer, la sphère privée redevient la valeur refuge par excellence, lieu à la fois de réconfort et d'observation clinique des drames qui se jouent à l'échelle internationale.