Mon film de l’année : Aquarius, œuvre libertaire et anti-libérale

Posté par vincy, le 26 décembre 2016

Parmi la quinzaine de films marquants cette année, c'est Aquarius, la fresque intime et politique de Kleber Mendonça Filho, qui me vient immédiatement à l'esprit. Sans doute parce qu'il allie parfaitement deux états d'esprit qui ne son pas dans l'air du temps. Un personnage principal, Clara, magnifié par une Sonia Braga impériale qu'on avait perdu depuis plusieurs années, revendiquant sa liberté de penser, de vivre, affirmant à la fois sa place conquise en tant que femme, assumant pleinement son indépendance, se désolant du conservatisme ambiant, et constatant que ses victoires du passé (sur le racisme, le sexisme, les droits fondamentaux) sont plus vulnérables qu'elle ne le croyait. Et puis il y a sa lutte, sa résistance même, contre un ordre établi, corrompu et cupide, déshumanisé et cynique. La destruction de son immeuble n'est pas qu'un symbole dans ce conflit. C'est un avertissement.

Ironiquement, l'histoire du film a croisé l'histoire du Brésil cette année avec un "coup d'état" institutionnel et une succession de démissions et de poursuites judiciaires dans le système politique, tous bords confondus. La crise évoquée dans Aquarius n'est qu'une infime représentation des symptômes qui gangrènent le développement du pays. D'ailleurs le pouvoir en place a fait pression pour qu'Aquarius ne représente pas le Brésil aux Oscars. Ces ultra-libéraux n'ont pas supporté la contestation des artistes et l'opposition des équipes du film (jusque sur les marches de Cannes) à leur hold-up sur la présidence et le gouvernement.

Mais ce qui épate avec cette épopée d'une veuve pleine de vigueur contre des promoteurs véreux est ailleurs: dans des séquences hors-limites, dans ce récit ample et multi-dimensionnel, dans cette incarnation chaleureuse d'une famille éclatée. Tel un feuilleton, d'une folle intelligence, on suit le temps qui passe, les rebondissements de cette sale affaire, entre le calme et les tempêtes, le sexe cru et le carpe diem. Mais si les répliques sont franches, si les nus sont frontaux, tout est contourné avec une mise en scène qui maîtrise parfaitement ses limites, n'allant jamais trop loin dans la critique, la satire, le mélo, le drame ou la dénonciation manichéenne. Car au bout de cette bataille, il y a la volonté de croire qu'on peut changer les choses, qu'on peut refuser le fatalisme. Le film est aussi riche dans sa complexité que son personnage est radieux dans l'adversité.

Evidemment, ce ne sera pas forcément le cas, et c'est là toute la beauté de l'immoralité. Après tout Aquarius fait l'éloge du désir, du souvenir, de la conscience, de la transmission. Mais c'est aussi un manifeste qui rappelle les points faibles de cette liberté tant aspirée dans un monde profondément chaotique où la loi du plus fort est aussi celle du plus riche, où l'ignorant, l'inconscient et l'aveugle sont soumis aux règles dictées par les puissants. Et malgré le propos sombre, l'œuvre demeure lumineuse de bout en bout. Pourtant, cet immeuble Aquarius est une utopie qu'on détruit. Mais tant qu'il y aura des Clara pour se tenir debout, danser et baiser comme elle en a envie, alors tout n'est sans doute pas perdu.

Mes autres coups de cœur : Mademoiselle et Carol pour leur esthétisme hypnotisant et le soufre immoral de leurs liaisons dangereuses, Ma vie de Courgette et Quand on a 17 ans car dans les deux cas Céline Sciamma prouve qu'elle traduit les émotions et sentiments de la jeunesse avec une justesse impressionnante, Diamant noir parce qu'il s'agit assurément du meilleur film noir de l'année, genre snobé par le cinéma francophone, Mekong Stories et L'ornithologue pour leurs audaces narratives où spiritualité, sexualité et nature s'entrelacent merveilleusement et Manchester by the Sea car il s'agit de loin du plus beau drame familial de l'année, aussi sobre et pudique que ténu et tragique.

Cabourg 2016 : Grand prix du jury pour Diamond Island de Davy Chou

Posté par kristofy, le 13 juin 2016

La cérémonie de clôture du 30ème Festival du Film de Cabourg a cette année tout particulièrement fait rimer ‘amour’ avec ‘toujours’ avec plusieurs "bravos" à l’équipe qui organise ce rendez-vous à la fois évènementiel et convivial depuis tant d’années (Suzel Piétri, Marielle Piétri, l’association du festival, le comité des Swann, les bénévoles…) dont son premier président Gonzague Saint-Bris amoureux des mots : "trente ans de création et d’amour pour le plus grand bonheur des habitants de Cabourg, cinéphiles de naissance, chaque court-métrage et long-métrage projetés, chaque comédienne et acteur récompensés, participent à la résurrection de cette immortelle impression… ".

Une des plus belles déclarations romantiques dans un dialogue a été entendue dans le court-métrage Aucun regret de Emmanuel Mouret : "Je reste à côté de toi et puis si tu as envie d’embrasser quelqu’un je suis là" Mais Cabourg ce n'est pas Meetic ou Tindr. Et le romantisme est un spectre cinématographique très large.

Un Swann d’Or d’honneur a été remis au réalisateur le plus amoureux des acteur Claude Lelouch pour saluer le jubilé du 50ème anniversaire de son film Un homme et une femme (Palme d’or et Oscar).

Aucune unanimité
Pour la compétition, 7 films de tous horizons étaient en compétition (Suède, France, Royaume-Uni, Cambodge, Vanuatu, Espagne, Taïwan…), autant de propositions diversement appréciées par les 3 jurys (grand jury, jury jeunesse) qui ont chacun voté pour un lauréat différent.

Le jury présidé par Emmanuelle Béart, avec JoeyStarr, Julia Roy, Loubna Abidar, Samuel Benchetrit, Éric Reinhardt, Céline Sciamma et Pierre Rochefort a donc préféré Diamond Island de Davy Chou, déjà porté par des bons échos depuis sa présentation à La Semaine de la Critique durant le festival de Cannes où il a reçu le Prix SACD. Le jury jeunes a préféré Departure, de Andrew Steggall.

Voici le palmarès des Swann d'Or du Festival du Film de Cabourg 2016 :

- Swann d’Or Hommage au jubilé de 50 ans : Un homme et une femme, de Claude Lelouch

- Grand Prix du Jury : Diamond Island, de Davy Chou (Cambodge)
- Prix de la Jeunesse: Departure, de Andrew Steggall (avec Juliet Stevenson, Alex Lawther, Phénix Brossard). Le film avait reçu une mention spéciale pour tout son casting au dernier festival du film britannique de Dinard. (Royaume Uni)
- Prix du public: A man called Ove, de Hanes Holm (Suède)

- Swann d’Or du meilleur film: Les Ogres, de Léa Fehner
- Swann d’Or du meilleur réalisateur: Bouli Lanners pour Les Premiers, les Derniers
- Swann d’Or de la meilleure actrice: Louise Bourgoin dans Je suis un soldat
- Swann d’Or du meilleur acteur: Manu Payet dans Tout pour être heureux
- Swann d’Or de la Révélation féminine : Christa Theret dans  La fille du patron
- Swann d’Or de la Révélation masculine : Kacey Mottet-Klein dans Quand on a 17 ans

-Meilleur court-métrage : Hotaru, de William Laboury (avec Julia Artamonov)
-mention spéciale court-métrage : Gabber lover, de Anna Cazenave-Cambet
-Meilleure actrice court-métrage : Antonia Buresi, dans Que vive l'empereur
-Meilleur acteur court-métrage : Jonathan Couzinié, dans Que vive l'empereur

Par ailleurs les Prix Premiers Rendez-Vous qui récompensent les débuts à l’écran d’une actrice et d’un acteur dans un  premier grand rôle ont été donné à l’actrice Noémie Schmidt pour L'étudiante et monsieur Henri et aux acteurs Geoffrey Couët et François Nambot pour Théo et Hugo dans le même bateau.

Edito: L’avenir, quand on a 17 ans

Posté par redaction, le 7 avril 2016

Quand on a 17 ans, on a l'avenir devant soi. Mais il semble que ce soit plus compliqué à imaginer quand on vieillit, que la mort rode. Etrangement, cette semaine, les fantômes hantent les salles de cinéma. Le deuil est ainsi diversement vécu. Jake Gyllenhaal est prêt à tout démolir, avec une certaine jubilation. Tom Hiddleston cherche vainement un anonymat au milieu de gens qu'il ne connaît pas. Kate Dickie et Paul Higgins se sont isolés dans une forêt, se coupant de tout contact avec le reste du monde. Dakota Johnson fuit le paradis factice d'une villa italienne pour retourner chez sa mère. Le peuple argentin refuse qu'on lui retire le corps de son idole défunte, Evita, prête à être embaumée. Et le spectre de Manoel de Oliveira plane dans un film posthume.

Quand on a 17 ans, que son père meurt, on peut toujours lutter: on ne pense qu'à l'amour, aux sentiments, aux sensations, à ce désir prégnant qui nous donne l'impression d'être invincible, capable de toutes les audaces, d'être comme des lions, de passer des nuits debout, de croire que Demain sera toujours meilleur. Il suffit de faire confiance à la vie. Le cinéma, quand il nous renvoie cette envie folle de vivre par procuration des moments que l'on a pu vivre ou, mieux, que l'on aurait aimé vivre, est alors doté d'une force ensorcelante qui réveille en nous le plaisir pervers qui nous conduit dans une zone floue où réalité et rêve se confondent.

Quand on 17 ans, on peut aimer croire aux fantômes ; et on ne sait pas encore qu'ils existent vraiment quand nos proches sont passés de l'autre côté du Styx. On dérive alors sur son Y. En espérant atteindre l'instant X. Le 7e art joue alors de catalyseur et même, parfois, d'embarcation vers ces limbes virtuelles où les personnages fictifs deviennent comme nos amis. On se prend d'empathie ou de compassion pour ces gens qui souffrent de la perte de leur épouse, soeur, fils, père, icône.

"Et si la mélancolie nous gagne infailliblement lorsque nous sommes au bord des eaux, une autre loi de notre nature impressible fait que, sur les montagnes, nos sentiments s'épurent". Quand on a 17 ans, on devrait lire Honoré de Balzac.

Festival 2 Valenciennes : La Saison des femmes et Chala, une enfance cubaine font sensation !

Posté par wyzman, le 20 mars 2016

Au terme de 4 jours de compétition acharnée, le Festival 2 Valenciennes côté Fictions referme ses portes avec de belles, de très belles surprises. En effet, hier soir, le Prix Etudiant a été remis à Dégradé d'Arab et Tarzan Nasser, un film franco-qatari-palestinien sur des femmes coincées dans un salon de coiffure de Gaza. Atypique et drôle mais parfois un peu fouillis, le film avait déjà été présenté lors de la Semaine de la Critique du dernier festival de Cannes.

Sans grande surprise, le Prix du Public est revenu à Colonia de Florian Gallenberger, film dur mais parfaitement porté par Emma Watson et Daniel Brühl. Par la suite, Mia Hansen-Love s'est vue décerner le Prix de la Critique avec son nouveau bébé, L'Avenir, dans lequel on retrouve une Isabelle Huppert en pleine déliquescence et un Romain Kolinka plein de doutes. La surprise est venue du Prix d'interprétation masculine. Alors que l'on pouvait s'attendre à ce que les deux acteurs principaux de Quand on a 17 ans (Kacey Mottet Klein et Corentin Fila) soient sacrés ex-aequo, le premier s'est vu détrôner par le plus jeune Armando Valdes Freire pour sa prestation d'enfant des rues dans Chala, une enfance cubaine. En voilà des récompenses logiques et justifiées.

Et le penchant féminin du Prix d'interprétation n'a pas démérité non plus. Parce que le film est politiquement engagé et scénaristiquement intense, ce sont les quatre actrices principales de La Saison des femmes (Tannishta Chatterje, Radhika Apte, Surven Chawla, Lehar Khan) qui ont été récompensées. Et c'est pas fini ! Eh oui, la réalisatrice du film, Leena Yadav qui avait spécialement fait le déplacement depuis Bombay, est repartie avec le Prix du Jury. Plus que mérités, ces deux prix devraient booster le film lors de sa sortie en salles, le 20 avril prochain.

Pour finir, le Grand Prix a été attribué à Chala, une enfance cubaine d'Ernesto Daranas. Ce film poignant mais non moins percutant sort le 23 mars au cinéma et a désormais tout pour faire parler de lui. C'est en tout cas ce qu'on lui souhaite ! Très cohérent et appréciable, le palmarès de cette sixième édition reflète parfaitement l'éclectisme propre à la sélection. Une chose est sûre : le petit Festival de Valenciennes a une nouvelle fois prouvé qu'il avait tout d'un grand. Seul regret, l'absence d'A War de Tobias Lindholm et Demolition de Jean-Marc Vallée parmi les gagnants car ils avaient secoué la salle lors de leur projection respective.

Festival 2 Valenciennes : André Téchiné et Tobias Lindholm reviennent par la grande porte !

Posté par wyzman, le 19 mars 2016

Une chose est sûre, côté fiction, le Festival 2 Valenciennes comblerait de bonheur n'importe quel cinéphile. Comédie sociale (Tout pour être heureux) ou drame psychologique (Colonia), il y a en pour tous les goûts. Et hier, la troisième journée n'a pas manqué de délivrer son lot de bonnes surprises. A commencer par Chala, une enfance cubaine d'Ernesto Danaras. Avec cette histoire de jeune garçon malin et débrouillard livré à lui-même, le réalisateur parvient à montrer un Cuba que l'on ne voit que trop peu, le vrai Cuba, celui que l'on fantasme et qui fait froid dans le dos à la fois. Tout cela à travers les destins de ces deux personnages principaux : Chala et son enseignante Carmela. Le jeune Armando Valdes Freire est impressionnant de justesse, tandis qu'Alina Rodriguez éblouit. Mercredi prochain, à défaut d'aller voir Batman v. Superman, nous vous conseillerons Chala !

La semaine suivante, il ne faudra certainement pas manquer Quand on a 17 ans, le nouveau film d'André Téchiné qui narre le chassé-croisé tumultueux entre deux garçons un brin paumés. Le film a été injustement boudé par le jury à Berlin. Deux ans après L'homme qu'on aimait trop, le réalisateur de La Fille du RER réalise (et co-signe avec Céline Sciamma) un film touchant, au scénario fort et aux dialogues parfaits. Plus encore, son trio d'acteurs principaux est absolument bluffant. Bientôt à l'affiche de Keeper, Kacey Mottet-Klein impressionne. A l'instar de l'alchimie qui existe avec son partenaire Corentin Fila, dont c'est le premier rôle au cinéma mais certainement pas le dernier ! En doctoresse aimante et douce, Sandrine Kiberlain subjugue et devrait attirer en masse. Drame peut-être, Quand on a 17 ans n'en demeure pas moins salvateur et porteur d'espoir.

Et l'espoir, nous avons failli le perdre devant A War de Tobias Lindholm. Déjà auteur du brillant Hijacking, le réalisateur danois retrouve son acteur fétiche (Pilou Asbaek) dans ce drame qui suit le procès instigué à l'encontre d'un militaire qui a donné l'ordre qui a ôté la vie à 11 civils alors qu'il tentait de protéger ses hommes. Intense, passionnant et violent, A War n'a laissé aucun spectateur insensible. Plus encore, dans cette course à l'acquittement, Tobias Lindholm a réussi l'exploit de nous rendre aussi anxieux que la femme du militaire Claus, Maria, incarnée avec brio par Tuva Novotny. En salles le 1er juin, A War vaut largement le détour, et méritait sa nomination pour l'Oscar du meilleur film en langue étrangère,  et il ne serait pas étonnant de le voir repartir avec le Prix du public.

Pour rappel, le festival 2 Valenciennes se termine ce dimanche.

Berlin 2016 : nos pronostics et favoris pour le palmarès

Posté par MpM, le 19 février 2016

Fuocoammare

L'heure est déjà aux pronostics et bilans en vue du palmarès du 66e festival de Berlin qui sera révélé samedi 20 février, après dix jours d'une compétition éclectique et de bonne facture qui a permis de mettre à l'honneur le cinéma dans tous ses états. Premier constat, c'est que là où Cannes entérine le talent en invitant chaque année les plus grands réalisateurs du monde, Berlin essaye de le révéler, de donner une chance aux nouveaux venus ou cinéastes moins réputés, et se concentre pour cela en priorité sur ce que proposent les films sélectionnés plus que sur ceux qui les font, stars et paillettes incluses.

Pour le jury, il ne s'agit donc plus de distinguer le plus "méritant" parmi ses pairs, mais bien de choisir une direction, un type de cinéma, une esthétique, voire un message à défendre, en prenant en compte au-delà des qualités purement  cinématographiques, une notion d'urgence et de nécessité, d'expérimentation ou d'audace. Dans cette optique, bien des choix s'offrent à la présidente Meryl Streep et aux jurés.

Fuocoammare, ours d'or trop évident ?

crosscurrentDans la droite ligne de la tradition berlinoise, l'Ours d'or pourrait aller à l'un des films les plus politiques de la sélection. Un choix logique serait Fuocoammare de Gianfranco Rosi qui aborde avec beaucoup de subtilité le sort terrible des migrants en recherche d'une terre d’accueil. Mais peut-être est-ce trop évident, dans une Berlinale qui a mis continuellement l'accent sur l'aide aux réfugiés. Un Grand prix pourrait alors faire l'affaire, à condition de choisir un ours d'or qui fasse contrepoint.

De notre point de vue, CrossCurrent de Yang Chao serait le choix idéal, mêlant des qualités cinématographiques sidérantes à un propos complexe sur la Chine contemporaine. Ce serait alors le 2e Ours d'or pour un film chinois en l'espace de trois éditions (Black coal, thin ice de Diao Yi'nan en 2014) et le 3e en 10 ans (Le mariage de Tuya de Wang Quan'an en 2007).

Mais ce sont loin d'être les seules options du jury pour les deux plus grands prix. S'il souhaite être radical, il s'orientera vers A Lullaby to the Sorrowful Mystery de Lav Diaz et ses 8 heures de projection-marathon dans un noir et blanc classieux. S'il souhaite être politique, il choisira Mort à Sarajevo de Danis Tanovic et sa vision corrosive de l'ex-Yougoslavie et de l'Europe, ou même Zero days, l'impressionnant documentaire d'Alex Gibney sur le virus Stuxnet et le recours par les Etats-Unis à la guerre virale pour lutter contre le nucléaire iranien... A condition que Meryl Streep n'ait rien contre le fait de se fâcher avec l'administration Obama.

Hedi, prix du scénario du coeur

Le point fort de la compétition cette année hediétait clairement le scénario, et les candidats au prix ne manquent pas. On a une préférence pour Hedi de Mohammed Ben Attia qui raconte l'émancipation d'un jeune homme jusque là étouffé par une famille trop aimante. Avec une subtilité déconcertante, le film évite tous les écueils du drame familial qui tourne au cauchemar pour aller systématiquement vers la lumière et l'espoir.

A côté des sujets plutôt lourds abordés par les autres concurrents, ce premier film tunisien intimiste a quelque chose de l'outsider improbable, et pourtant il est incontestablement la découverte du festival. A défaut du scénario, Meryl Streep pourrait choisir de distinguer l'acteur masculin, le caméléon Majd Mastoura qui arrive à changer de physionomie d'une scène à l'autre, recroquevillé et maladroit quand il est sous le joug de sa mère, ouvert et séduisant quand il est enfin libre.

Quand on a 17 ans d'André Téchiné serait également un choix intéressant de prix du scénario, tant le film vaut par sa finesse d'écriture, là encore toujours plus subtile que son sujet ne le laissait présager. Même chose pour The commune de Thomas Vinterberg qui a par ailleurs l'avantage d'être l'un des films les plus drôles, quoique grinçant, de la compétition, avec l'Avenir de Mia Hansen-Love, lui aussi joliment écrit. Toutefois, les jurés pourraient leur préférer 24 Wochen d'Anne Zohra Berrached, pas vraiment un grand film, mais qui tient un propos intelligent et mesuré sur la difficile question de l'avortement thérapeutique.

CrossCurrent et A Lullaby to the Sorrowful Mystery favoris pour le Prix de mise en scène ?

lullabyLe choix sera sans doute plus facile pour le prix de mise en scène qui devrait en toute logique récompenser l'une des propositions esthétiques de la compétition, à condition que les plus fortes d'entre elles (CrossCurrent de Yang Chao et A Lullaby to the Sorrowful Mystery de Lav Diaz) n'aient pas déjà reçu une récompense plus importante.

Les teintes désaturées du film polonais United states of love de Tomasz Wasilewski ou la construction expérimentale de A dragon arrives de Mani Haghighi peuvent alors être des seconds choix intéressants.

En revanche, il faut espérer que le jury ne tombera pas dans le piège du noir et blanc maniéré d'Ivo M. Ferreira pour Lettres de guerre. A la limite, on préférerait voir distinguée la rigueur stylistique de Jeff Nichols dans Midnight special, même si le film se perd en route.

Isabelle Huppert, Julia Jentsch et Trine Dyrholm en tête

On a vu plusieurs grands rôles féminins juliacette année, et il est possible que la présence de Meryl Streep au jury fasse pencher la balance en faveur d'une des deux cinquantenaires délaissées : celle de l'Avenir de Mia Hansen-Love, incarnée avec humour par une Isabelle Huppert très juste, ou celle de The commune de Thomas Vinterberg, Trine Dyrholm, qui propose une composition plus dramatique.

Julia Jentsch (24 Wochen) serait elle-aussi une candidate sérieuse en femme contrainte à une décision impossible, mais elle a déjà obtenu le prix en 2005 pour son rôle dans Sophie Scholl, les derniers jours. Un doublé à l'horizon ?

Bien sûr, la surprise pourrait aussi venir du casting féminin d'United states of love avec un prix collectif pour les quatre actrices Julia Kijowska, Magdalena Cielecka, Dorota Kolak et Marta Nieradkiewicz.

Pas de favori pour le prix d'interprétation masculine

soy neroCôté acteurs masculins, personne ne se détache vraiment, ce qui laisse la possibilité au jury de mettre en avant un film sur lequel il n'arrive pas à se mettre d'accord. On pense notamment à Johnny Ortiz, le jeune homme déraciné de Soy Nero, à Majd Mastoura pour Hedi, à Amir Jadidi pour A dragon arrives, à Qin Hao pour Crosscurrent, au casting masculin dans sa globalité du film de Lav Diaz, ou même au duo Kacey Mottet Klein et Corentin Fila pour Quand on a 17 ans.

S'ils sont vraiment désespérés, les jurés pourraient toutefois aller jusqu'à se tourner vers des performances pensées pour impressionner comme celles de Brendan Gleeson en résistant au nazisme dans Alone in Berlin de Vincent Perez, de Denis Lavant dans Boris sans Béatrice de Denis Côté ou de Colin Firth et Jude Law, respectivement éditeur de génie et écrivain grandiloquent dans Genius de Michael Grandage.

Mais avant même de connaître les lauréats 2016, on peut d'ores et déjà se réjouir des belles propositions de cinéma découvertes pendant cette 66e édition de la Berlinale, qui viennent rappeler que le cinéma ne se résume pas aux suites, prequels, franchises, comédies décérébrées et autres blockbusters qui se bousculent au box-office à longueurs d'année. Un cinéma engagé (politiquement comme artistiquement), ancré dans son époque, qui propose des pistes de réflexion et d'interrogation au spectateur, et refuse les voies formatées du prêt-à-penser. Contrairement à ce que laissait entendre un titre de la compétition, le cinéphile, lui, n'est jamais seul à Berlin.

Berlin 2016 : des films initiatiques, une société en mutation, et la guerre en toile de fond

Posté par MpM, le 18 février 2016

lullaby de Lav Diaz

Cette année encore, le Festival de Berlin a privilégié un cinéma éclectique, majoritairement européen, conçu comme un panorama des sujets, genres et styles constituant l'instantané de la production cinématographique contemporaine. On aura ainsi vu en compétition des comédies, des films historiques, un film de science fiction... Et même un biopic.

Beaucoup de longs métrages sélectionnés privilégient le scénario et la narration, et ils le font avec un certain talent. On aurait envie de récompenser la finesse d'écriture de la moitié des films en compétition, de Quand on a 17 ans d'André Téchiné à Hedi de Mohammed Ben Attia en passant par 24 Wochen d'Anne Zohra Berrached ou The commune de Thomas Vinterberg.

En revanche, c'est plus décevant sur l'aspect purement esthétique. A l'exception des films de réalisateurs comme Yang Chao (Crosscurrent) ou Lav Diaz (A Lullaby to the sorrowful mystery, photo ci-dessus), on a vu peu de véritables propositions formelles, au profit de mises en scène très classiques, voire académiques.

Une compétition qui interroge son époque

avenirSur le fond, Berlin méritait cette année encore sa réputation de festival politique qui interroge son époque. Le fil directeur de la sélection semble ainsi avoir été le changement, qu'il s'agisse des mutations profondes de la société ou de choix de vie plus intimes.

De nombreux films semblaient ainsi poser la question du chemin à prendre, sous la forme de personnages arrivés à un tournant de leur vie (Le bien nommé L'avenir de Mia Hansen-Love), de l'Europe qui vacille (Death in Sarajevo de Danis Tanovic), de migrants qui cherchent une nouvelle patrie (Fuocoammare de Gianfranco Rosi). Même la guerre est apparue en pleine mutation, sur le point d'écrire un nouveau chapitre de notre ère (Zero days d'Alex Gibney).

Cela explique sans doute la profusion de films initiatiques présentés, à l'image du très sensible Hedi dans lequel un jeune homme apprend peu à peu à se libérer des contraintes familiales et sociales auxquelles il est soumis, ou du très inégal Boris sans Béatrice de Denis Côté où un homme d'affaires antipathique doit se débarrasser de ses défauts pour sauver sa femme de la folie. Les adolescents de Quand on a 17 ans doivent eux faire l'apprentissage d'eux-mêmes et apprendre à se départir de leur agressivité pour accepter qui ils sont, tandis que celui de Soy Nero (Rafi Pitts) est sans cesse rejeté de place en place. Il y a également dans un autre registre la femme enceinte de 24 Wochen qui est face à une décision impliquant toute sa vie : garder, ou non, son bébé atteint de trisomie et de lourds problèmes cardiaques. Dans tous les cas, il s'agit de prendre ses responsabilités, de trouver son chemin et d'affirmer son identité.

Portraits de femmes

On a aussi vu quelques beaux portraits de femmes, notamment des cinquantenaires brutalement rattrapés par l'existence dans L'avenir et The commune : abandonnées pour une autre femme, dépossédées de leur activité professionnelle, donnant l'impression d'être chassées de leur propre vie et se retrouvant encombrées par une liberté soudaine et sans objet.

Il ne fait pas bon vieillir pour les personnages féminins cette année... à l'exception peut-être du très joli personnage de mère incarnée avec légèreté et humour par la lumineuse Sandrine Kimberlain dans Quand on a 17 ans.

On ne sait pas si cela suffit pour trouver cette édition "féministe" tant les femmes aperçues dans la plupart des autres films sont des fantômes, des silhouettes, des rôles sociaux. La mère chez Jeff Nichols (Midnight special), la femme compréhensive et la maîtresse encombrante dans Genius de Michael Grandage, l'épouse fantasmée de Lettres de guerre d'Ivo M. Ferreira... Sans oublier la femme de pouvoir de Boris sans Béatrice qui sombre dans la dépression lourde parce son mari est un imbécile prétentieux et guérit lorsqu'il s'amende. Plus simpliste, on ne voit pas.

La guerre et ses déclinaisons

cartes de guerreEnfin, les conflits armés et les affres de la guerre auront été peut-être plus discrets que lors d’autres éditions, mais on les retrouve malgré tout souvent en toile de fond.

La résistance au nazisme dans l'incontournable film sur la 2e guerre mondiale (Alone in Berlin de Vincent Perez, adaptation d'un roman lui-même inspiré d'une histoire vraie), l'Afghanistan dans Soy Nero, l'Angola dans Lettres de guerre, la révolution contre l'occupation espagnole aux Philippines dans A Lullaby to the sorrowful mystery. Et bien sûr la guerre virtuelle, impalpable, avec Alex Gibney (Zero days).

Curieusement, deux thèmes eux-aussi d'actualité, le terrorisme et la crise économique, sont eux quasiment absents des films en course pour l'Ours d'or. Manque de recul pour l'un, lassitude pour l'autre ? Cette 66e édition berlinoise était quoi qu'il en soit plus ancrée sur l'humain et l'intime que sur le collectif. Peut-être justement parce que dans un monde sur le point de basculer, la sphère privée redevient la valeur refuge par excellence, lieu à la fois de réconfort et d'observation clinique des drames qui se jouent à l'échelle internationale.

Berlin 2016 : le cinéma français dans tous ses états

Posté par MpM, le 16 février 2016

Pour le cinéma français, la Berlinale est une belle vitrine, et même si cela fait 15 ans que l'Ours d'or n'est pas allé à un film français (depuis l'anglophone et londonien Intimité de Patrice Chéreau en 2001), ceux-ci sont toujours présents en nombre dans la compétition ainsi que dans les différentes sections du festival. Les adieux à la reine de Benoit Jacquot avait d'ailleurs fait l'ouverture en 2012.

6 films français en compétition

Pour cette 66e édition, on recense une trentaine de longs métrages français ou coproduits par la France, dont six en compétition et deux en sélection officielle hors compétition. Parmi les prétendants à l'Ours d'or, trois sont des coproductions minoritaires : le désastreux Alone in Berlin de Vincent Perez, adaptation plate du roman de Hans Fallada (Seul dans Berlin) se déroulant en Allemagne nazie pendant la guerre, mais en anglais ; le peu inspiré Soy Nero de Rafi Pitts, qui se passe aux Etats-Unis et en Afghanistan avec des acteurs hispanos rêvant de devenir citoyens américains, et le documentaire italien Fuocoammare de Gianfranco Rosi sur l'île de Lampedusa.

Les films français, ou majoritaires, sont aussi ceux qui présentent le plus de chances d'apparaître au palmarès. Outre Quand on a 17 ans d'André Téchiné dont on a déjà parlé, il s'agit de L'avenir de Mia Hansen-love, un film éminemment français, rempli de citations et de philosophie, qui fait le portrait doux amer d'une femme de 50 ans qui se retrouve soudainement livrée à elle-même et ne sait pas trop quoi faire de cette liberté retrouvée, avec une Isabelle Huppert toujours juste dans la gravité comme dans les séquences plus légères, et de Mort à Sarajevo de Danis Tanovic dont c'est le retour à Berlin après le succès de La femme du ferrailleur en 2013 (Grand prix et prix d'interprétation masculine).

Mort à Sarajevo de Danis Tanovic

Son nouveau film est un pamphlet politique articulé autour de l'anniversaire de l'assassinat par Gavrilo Prinzip de l'archiduc Franz Ferdinand, événement connu pour avoir précipité le monde dans la première guerre mondiale. Reliant l'héritage laissé par Prinzip (criminel ou héros ?) aux horreurs commises pendant la guerre en ex-Yougoslavie, à la pièce Hôtel Europe de Bernard-Henri Lévy (sur l'échec de l'Europe) et aux coulisses d'un hôtel qui part à vau l'eau pour cause de crise économique, il propose un film une nouvelle fois très ancré dans la réalité sociale, économique et politique du pays et qui n'hésite pas à se moquer de lui-même. Il pose également un certain nombre de questions brûlantes sur l'échec de la diplomatie européenne face aux conflits majeurs des 50 dernières années, cette "Europe qui meurt dans tous les Sarajevo d'aujourd'hui" évoquant évidemment l'inextricable situation syrienne.

Autres sections

Hors-compétition, Saint Amour de Gustave Kervern et Benoît Delépine et Des nouvelles de la planète Mars de Dominik Moll sont attendus. En forum et en panorama, ce sont en tout 18 longs métrages qui ont été sélectionnés sous la bannière française, parmi lesquels TheEend de Guillaume Nicloux, Le fils de Joseph d'Eugène Green, Théo et Hugo dans le même bateau de Olivier Ducastel et Jacques Martineau ou encore La Route d'Istanbul de Rachid Bouchareb. Parmi les coproductions, on nota le présence de Baden Baden de Rachel Lang, L'Ange blessé de Emir Baigazin et Les Premiers, les Derniers de Bouli Lanners, déjà sorti en France.

Berlin 2016 : André Téchiné au top avec Quand on a 17 ans

Posté par MpM, le 14 février 2016

Quand on a 17 ans

Cela fait presque dix ans qu'André Téchiné n'avait plus été en compétition à Berlin, depuis Les témoins en 2007. Pour son grand retour, il accompagne Quand on a 17 ans, un long métrage co-écrit avec la réalisatrice Céline Sciamma (Tomboy, Bande de filles), qui raconte les relations complexes entre Thomas (Corentin Fila) et Damien (Kacey Mottet Klein), deux lycéens qui ne cessent de se battre.

Construit comme un triptyque autour des trois trimestres d'une année scolaire, le film prend d'abord le temps de poser son récit, de caractériser les personnages et d'installer des intrigues secondaires qui sont autant de fondations. Il y a bien sûr les deux adolescents que tout semble opposer : l'intellectuel et le costaud, le fils du médecin et l'enfant adopté par des cultivateurs, le gars de la ville et celui du haut de la montagne. Immédiatement, cela fourmille de thèmes et de sous-texte.

Narration limpide et évidente

Il y a également leurs parents (Sandrine Kiberlain en tête, parfaite dans le rôle de cette mère fantasque et joyeuse), que Téchiné inclut largement au récit, prenant le contrepied des habituels films sur une adolescence évoluant dans sa propre sphère, loin du monde des adultes. Il est en cela d'une redoutable modernité, montrant notamment une relation mère-fils harmonieuse et simple qui dynamite les clichés du genre.

Et puis, au fur et à mesure qu'avance le film, le réalisateur continue de nourrir le scénario avec des intrigues parallèles qui tour à tour font écho à l'histoire des deux adolescents, ou lui servent de catalyseur. Cela permet de faire exister les personnages plus secondaires et de garder une grande homogénéité dans la narration qui devient limpide et presque évidente, tout en ménageant surprises, chemins de traverse et rebondissements.

Car si, au départ, on croit voir arriver les grosses ficelles du scénario, on s'aperçoit rapidement que Téchiné neutralise tout ce qui pourrait être outré, se contente de suggérer ce qui est indispensable, et s'amuse avec les attentes du spectateur. Passée une première demi-heure hésitante, le film bascule ainsi dans un mélange d'humour, de douceur et de complicité qui rend la situation de départ éminemment plus subtile qu'elle ne le paraissait au départ.

Corps à corps sensuels

On est alors bouleversé par la manière dont le cinéaste (âgé tout de même de 72 ans) s'approprie les affres de l'adolescence et filme avec grâce leurs corps à corps brutaux, expiatoires et ambigües. Il capte avec une simplicité déconcertante cet aspect purement physique de la relation conflictuelle entre Thomas et Damien qui ont besoin de passer par les coups pour en arriver aux mots. Puis aux gestes d'amour, filmés eux-aussi avec une sensualité spontanée, sans effets ni calculs.

Interrogé par l'AFP sur cette place de l'homosexualité dans son oeuvre (souvent sous un angle très charnel), André Téchiné a la réponse la plus intelligente qui soit : "L'hétérosexualité prend quand même dans les fictions beaucoup de place, donc peut-être qu'on peut aussi laisser un peu de place pour montrer autre chose qui n'a pas l'habitude d'être regardé".

Et d'ailleurs comme souvent, il n'est pas tant question dans Quand on a 17 ans d'homosexualité que de la rencontre amoureuse entre deux adolescents qui s'avèrent être des garçons. Nuance de taille pour un film lumineux qui prend le sujet de l'adolescence à bras le corps mais joue la carte de la retenue, du sens du détail et de la légèreté.