Berlin 2016 : un palmarès qui mêle choix politiques et confirmations artistiques

Posté par MpM, le 20 février 2016

Fuocoammare

A l'issue de la compétition de cette 66e Berlinale, les options de palmarès ne manquaient pas pour le jury de Meryl Streep qui a dû départager 18 films éclectiques, parfois audacieux, souvent puissants, et presque tous dotés des qualités requises pour séduire, émouvoir ou intriguer.

Travail d'orfèvre

C'est finalement à un travail d'orfèvre que se sont livrés les jurés en récompensant la plupart des films qui avaient marqué les esprits durant cette dizaine de jours, et en panachant cinéma esthétique, films politiques et œuvres plus intimes. L'ours d'or est ainsi logiquement allé au documentaire italien Fuocoammare de Gianfranco Rosi qui, en dressant un parallèle entre le quotidien des habitants de l'île de Lampedusa et l'arrivée par milliers de migrants ayant traversé l'enfer, avait placé la question brûlante des réfugiés au cœur de la compétition berlinoise. Présenté dès le deuxième jour de la compétition, le film avait immédiatement fait office de favori.

Tout aussi logiquement, le grand prix revient (pour la 2e fois) à Danis Tanovic pour son étonnant Mort à Sarajevo, pamphlet politique articulé autour de trois intrigues parallèles : le tournage d'une émission historique sur l'héritage laissé par Gavrilo Prinzip, l'assassin de l'archiduc Franz Ferdinand en 1914, connu pour avoir précipité le monde dans la première guerre mondiale ; les coulisses d'un grand hôtel qui part à vau l'eau pour cause de crise économique, et la répétition par un comédien de la pièce Hôtel Europe de Bernard-Henri Lévy sur la guerre d'ex-Yougoslavie et l'échec de l'Europe face aux horreurs commises à l'époque, et à l'occasion de chaque conflit depuis.

Constat politique et social

Il propose ainsi un film une nouvelle fois très ancré dans la réalité sociale, économique et politique du pays, et qui pourtant n'hésite pas à se moquer de lui-même. Il pose également un certain nombre de questions brûlantes sur l'échec de la diplomatie européenne face aux conflits majeurs des 50 dernières années, cette "Europe qui meurt dans tous les Sarajevo d'aujourd'hui" évoquant évidemment l'inextricable situation syrienne.

La séquence d'explication entre la journaliste bosniaque et l'héritier (serbe) de Prinzip, qui interprètent chacun à leur manière l'héritage du passé et se rejettent mutuellement la faute des génocides commis pendant la guerre, est à la fois fascinante et d'une extrême violence symbolique. On entrevoit dans ce long échange le nœud gordien de la Bosnie-Herzégovine actuelle, toujours déchirée par les traumatismes enfouis du passé auxquels se mêlent les difficultés économiques et sociales. Son constat, doublée de choix formels singuliers, en faisait le candidat idéal pour ce grand prix du jury qui récompensé souvent une œuvre atypique ou plus difficile d'accès.

Hedi, double révélation

Si le prix d'interprétation féminine est revenu assez classiquement à Trine Dyrholm, la femme trompée et bafouée de The commune de Thomas Vinterberg, l'un des personnages féminins les plus forts de la sélection, le prix d'interprétation masculine est lui un choix plus audacieux, et une vraie belle surprise. On avait été terriblement touché, et séduit, par la performance de Majd Mastoura dans Hedi de Mohammed Ben Attia, où il est ce jeune homme étouffé par une mère aimante mais maladroite qui tente de reprendre possession de son existence.

Mais au-delà de la performance tout en retenue de l'acteur, qui arrive à changer de physionomie d'une scène à l'autre, faisant ressentir physiquement au spectateur son mal de vivre et sa soif de liberté. Le film en lui-même méritait  une place au palmarès, tant il est finement écrit, déjouant tous les pièges du drame familial et se détournant de la trop facile Love story salvatrice. Du début à la fin, Hedi surprend, rassure, et conforte par sa simplicité narrative et son absence d'effets spectaculaires et dramatiques. Cette histoire si douce d'un homme qui s'émancipe et se trouve lui-même a d'ailleurs récolté en parallèle le prix (ô combien mérité) du meilleur premier film du festival, toutes sections confondues.

On est plus dubitatif sur le prix du meilleur réalisateur qui couronne étrangement Mia Hansen-Love et son Avenir, certes sympathique, et même drôle, mais qui vaut sûrement plus par son scénario que par sa mise en scène. On ne peut s'empêcher de trouver que quitte à distinguer un réalisateur français, le jury s'est trompé, et laisse injustement André Téchiné repartir bredouille.

Regrets pour CrossCurrent

Au finale, ce sont les propositions esthétiques qui tirent peut-être le moins bien leur épingle du jeu. Banalement, le prix Alfred Bauer récompense en la Berceuse au mystère douloureux de Lav Diaz un film "qui offre de nouvelles perspectives", ce qui est une manière peu compromettante de valider l'aspect singulier de cette vaste fresque historique de plus de 8h. Quant au sublime Contre courants (Crosscurrent) de Yang Chao, il repart avec un certes incontestable prix de la meilleure contribution artistique, mais il était sans doute le film le plus sensible et envoûtant de la compétition, et le candidat idéal au prix de mise en scène, si ce n'est mieux. C'est décidément ce cinéma formel qui semble avoir le moins convaincu (intéressé ?) le jury qui le cantonne à des prix "techniques".

Dernier grand oublié, le captivant documentaire Zero days d'Alex Gibney sur l'utilisation par les Etats-Unis d'un virus informatique pour mettra au pas le nucléaire iranien. Deux documentaires au palmarès, peut-être était-ce finalement trop ?

Berlin 2016: Fuocoammare, Mort à Sarajevo, Mia Hansen-Love, Hedi, Lav Diaz récompensés

Posté par vincy, le 20 février 2016

La 66e Berlinale s'achève. Les jurys ont rendu leur verdict. Dans la compétition, Meryl Streep (présidente) était entourée de Lars Eidinger (acteur), Nick James (critique), Brigitte Lacombe (chef op), Clive Owen (acteur), Alba Rohrwacher (actrice) et Margorzata Szumowska (réalisatrice). Pour le jury du premier film était composé de Enrico Lo Verso (acteur), Ursula Meier (réalisatrice) et Michel Franco (réalisateur).

Avec un Ours d'or, Gianfranco Rosi réalise un doublé après son Lion d'or à Venise en 2013 pour Sacro GRA. Danis Tanovic réussit aussi un autre doublé, un deuxième Grand prix du jury berlinois, trois ans après celui de La femme du ferrailleur.

Si le cinéma européen est en force dans ce palmarès, notons les beaux prix pour le philippin Lav Diaz et le chinois Yang Chao, deux oeuvres dont l'esthétisme a été salué. Enfin, le cinéma français n'est pas en reste avec le prix de la meilleure réalisatrice pour Mia Hansen-Love, manière de signaler que les femmes existent aussi derrière la caméra, et surtout pour Hedi, le film tunisien de Mohamed Ben Attia, récompensé par deux jurys: celui pour le meilleur premier film et celui de la compétition pour son acteur.

Ours d'or (meilleur film): Fuocoammare (La mer en feu) de Gianfranco Rosi (Italie)
Ours d'argent - Grand prix du jury: Smrt u Sarajevu (Mort à Sarajevo) de Danis Tanovic
Prix Alfred Bauer pour un film qui offre de nouvelles perspectives: Hele Sa Hiwagang Hapis (Une berceuse au mystère douloureux) de Lav Diaz (Philippin)
Ours d'argent du meilleur réalisateur: Mia Hansen-Love pour L'amour (France)
Ours d'argent de la meilleure actrice: Trine Dyrholm dans La commune de Thomas Vinterberg (Danemark)
Ours d'argent du meilleur acteur: Majd Mastoura dans Hedi (Tunisie)
Ours d'argent du meilleur scénario:: Tomasz Wasilewski pour son film Zjednoczone Stany Milosci (United States of Love / Les Etats-Unis de l'amour) (Pologne)
Ours d'argent pour la meilleure contribution artistique: Le chef opérateur Mark Lee Ping-Bing pour Chang Jiang Tu (Courant contraire) de Yang Chao (Chine)

Prix du meilleur premier film (toutes sélections confondues): Inhebbek Hedi (Hedi) de Mohamed Ben Attia (Tunisie) en section Compétition - photo

Ours d'or du meilleur court métrage: Balada de um batraquio de Leonor Teles (Portugal)
Ours d'argent du court métrage - Prix du jury: A man returned de Mahdi Fleifel (Royaume Uni)
Prix Audi du meilleur court métrage: Jin Zhi Xia Mao (Anchorage Prohibited) de Chiang Wei Liang (Taiwan)

Ours d'or d'honneur: Michael Ballhaus
Berlinale Kamera: Ben Barenholtz, Tim Robbins, Marlies Kirchner

Tous les autres prix remis au Festival du film de Berlin 2016

Berlin 2016: Fuocoammare et Mort à Sarajevo parmi les premiers films récompensés

Posté par vincy, le 20 février 2016

fuocoammare

Avant la remise du palmarès de la compétition, le Festival de Berlin a décerné une multitude de prix dans toutes ses sections. Fuocoammare de Gianfranco Rosi apparaît comme l'un des favoris pour l'Ours d'or avec un prix du public, un prix du jury écuménique et le prix Amnisty international. La critique a préféré le film de Danis Tanovic, Mort à Sarajevo.

Notons que le film de Bouli Lanners, Les premiers, les derniers a récolté deux prix distincts (prix du jury écuménique, Label Europa cinémas).

Enfin les Teddy Awards qui célébraient leur trentième anniversaire ont choisi le deuxième film de l'autrichien Händl Klaus, Tomcat (section Panorama), parabole de l'expulsion d'Adam et Eve du paradis.

Prix du jury des lecteurs du Berliner Morgenpost:
Fuocoammare de Gianfranco Rosi

Prix du public section Panorama:
- fiction: Junction 48 d'Udi Aloni
- documentaire: Who's Gonna Love Me Now? de Barak Heymann et Tomer Heymann

Prix du jury des lecteurs du Tagesspiegel (section Forum):
Nikdy nejsme sami (We Are Never Alone) de Petr Vaclav

Prix du jury FIPRESCI:
- Compétition. Mort à Sarajevo (Death in Sarajevo) de Danis Tanovic
- Panorama. Aloys de Tobias Nölle
- Forum. The Revolution Won't Be Televised de Rama Thiaw

Prix du jury écuménique:
- Compétition. Fuocoammare de Gianfranco Rosi
- Panorama. Les premiers, les derniers de Bouli Lanners
- Forum. Barakah yoqabil Barakah (Barakah Meets Barakah) de Mahmoud Sabbagh et Les Sauteurs de Abou Bakar Sidibé, Estephan Wagner et Moritz Siebert

Teddy Awards:
- Meilleur long métrage de fiction: Kater (Tomcat) de Händl Klaus
- Meilleur documentaire: Kiki de Sara Jordenö
- Meilleur court métrage: Moms On Fire de Joanna Rytel
- Prix spécial du jury: Nunca vas a estar solo (You'll Never Be Alone) de Alex Anwandter
- Special Teddy Award 2016: la productrice Christine Vachon

Prix de la Guilde des cinémas art et essai allemands:
24 Wochen (24 Weeks) de Anne Zohra Berrached

Prix des cinémas art et essai européens CICAE:
- Panorama: Grüße aus Fukushima (Fukushima, mon Amour) de Doris Dörrie
- Forum: Ilegitim (Illegitimate) d'Adrian Sitaru

Label Europa Cinemas:
Les premiers, les derniers de Bouli Lanners

Prix Caligari (section Forum):
Akher ayam el madina (In the Last Days of the City) de Tamer El Said

Prix de la paix (Peace Film Prize):
Makhdoumin (A Maid for Each) de Maher Abi Samra

Prix du meilleur film Amnesty international:
Fuocoammare de Gianfranco Rosi et Royahaye Dame Sobh de Mehrdad Oskouei

Prix Heiner Carow (documentaire allemand):
Grüße aus Fukushima (Fukushima, mon Amour) de Doris Dörrie

Prix Arte:
Le réalisateur Alvaro Brechner pour Memories from the Cell

Prix Eurimage pour le développement en coproduction:
Cinéma Defacto (France) et Proton Cinema (Hongrie) for Blind Willow, Sleeping Woman de Pierre Földes
Mentions spéciales: Tornasol Films (Espagne) pour Memories from the Cell d'Alvaro Brechner et Amrion (Estonie) pour The Little Comrade de Moonika Siimets

Berlin 2016 : nos pronostics et favoris pour le palmarès

Posté par MpM, le 19 février 2016

Fuocoammare

L'heure est déjà aux pronostics et bilans en vue du palmarès du 66e festival de Berlin qui sera révélé samedi 20 février, après dix jours d'une compétition éclectique et de bonne facture qui a permis de mettre à l'honneur le cinéma dans tous ses états. Premier constat, c'est que là où Cannes entérine le talent en invitant chaque année les plus grands réalisateurs du monde, Berlin essaye de le révéler, de donner une chance aux nouveaux venus ou cinéastes moins réputés, et se concentre pour cela en priorité sur ce que proposent les films sélectionnés plus que sur ceux qui les font, stars et paillettes incluses.

Pour le jury, il ne s'agit donc plus de distinguer le plus "méritant" parmi ses pairs, mais bien de choisir une direction, un type de cinéma, une esthétique, voire un message à défendre, en prenant en compte au-delà des qualités purement  cinématographiques, une notion d'urgence et de nécessité, d'expérimentation ou d'audace. Dans cette optique, bien des choix s'offrent à la présidente Meryl Streep et aux jurés.

Fuocoammare, ours d'or trop évident ?

crosscurrentDans la droite ligne de la tradition berlinoise, l'Ours d'or pourrait aller à l'un des films les plus politiques de la sélection. Un choix logique serait Fuocoammare de Gianfranco Rosi qui aborde avec beaucoup de subtilité le sort terrible des migrants en recherche d'une terre d’accueil. Mais peut-être est-ce trop évident, dans une Berlinale qui a mis continuellement l'accent sur l'aide aux réfugiés. Un Grand prix pourrait alors faire l'affaire, à condition de choisir un ours d'or qui fasse contrepoint.

De notre point de vue, CrossCurrent de Yang Chao serait le choix idéal, mêlant des qualités cinématographiques sidérantes à un propos complexe sur la Chine contemporaine. Ce serait alors le 2e Ours d'or pour un film chinois en l'espace de trois éditions (Black coal, thin ice de Diao Yi'nan en 2014) et le 3e en 10 ans (Le mariage de Tuya de Wang Quan'an en 2007).

Mais ce sont loin d'être les seules options du jury pour les deux plus grands prix. S'il souhaite être radical, il s'orientera vers A Lullaby to the Sorrowful Mystery de Lav Diaz et ses 8 heures de projection-marathon dans un noir et blanc classieux. S'il souhaite être politique, il choisira Mort à Sarajevo de Danis Tanovic et sa vision corrosive de l'ex-Yougoslavie et de l'Europe, ou même Zero days, l'impressionnant documentaire d'Alex Gibney sur le virus Stuxnet et le recours par les Etats-Unis à la guerre virale pour lutter contre le nucléaire iranien... A condition que Meryl Streep n'ait rien contre le fait de se fâcher avec l'administration Obama.

Hedi, prix du scénario du coeur

Le point fort de la compétition cette année hediétait clairement le scénario, et les candidats au prix ne manquent pas. On a une préférence pour Hedi de Mohammed Ben Attia qui raconte l'émancipation d'un jeune homme jusque là étouffé par une famille trop aimante. Avec une subtilité déconcertante, le film évite tous les écueils du drame familial qui tourne au cauchemar pour aller systématiquement vers la lumière et l'espoir.

A côté des sujets plutôt lourds abordés par les autres concurrents, ce premier film tunisien intimiste a quelque chose de l'outsider improbable, et pourtant il est incontestablement la découverte du festival. A défaut du scénario, Meryl Streep pourrait choisir de distinguer l'acteur masculin, le caméléon Majd Mastoura qui arrive à changer de physionomie d'une scène à l'autre, recroquevillé et maladroit quand il est sous le joug de sa mère, ouvert et séduisant quand il est enfin libre.

Quand on a 17 ans d'André Téchiné serait également un choix intéressant de prix du scénario, tant le film vaut par sa finesse d'écriture, là encore toujours plus subtile que son sujet ne le laissait présager. Même chose pour The commune de Thomas Vinterberg qui a par ailleurs l'avantage d'être l'un des films les plus drôles, quoique grinçant, de la compétition, avec l'Avenir de Mia Hansen-Love, lui aussi joliment écrit. Toutefois, les jurés pourraient leur préférer 24 Wochen d'Anne Zohra Berrached, pas vraiment un grand film, mais qui tient un propos intelligent et mesuré sur la difficile question de l'avortement thérapeutique.

CrossCurrent et A Lullaby to the Sorrowful Mystery favoris pour le Prix de mise en scène ?

lullabyLe choix sera sans doute plus facile pour le prix de mise en scène qui devrait en toute logique récompenser l'une des propositions esthétiques de la compétition, à condition que les plus fortes d'entre elles (CrossCurrent de Yang Chao et A Lullaby to the Sorrowful Mystery de Lav Diaz) n'aient pas déjà reçu une récompense plus importante.

Les teintes désaturées du film polonais United states of love de Tomasz Wasilewski ou la construction expérimentale de A dragon arrives de Mani Haghighi peuvent alors être des seconds choix intéressants.

En revanche, il faut espérer que le jury ne tombera pas dans le piège du noir et blanc maniéré d'Ivo M. Ferreira pour Lettres de guerre. A la limite, on préférerait voir distinguée la rigueur stylistique de Jeff Nichols dans Midnight special, même si le film se perd en route.

Isabelle Huppert, Julia Jentsch et Trine Dyrholm en tête

On a vu plusieurs grands rôles féminins juliacette année, et il est possible que la présence de Meryl Streep au jury fasse pencher la balance en faveur d'une des deux cinquantenaires délaissées : celle de l'Avenir de Mia Hansen-Love, incarnée avec humour par une Isabelle Huppert très juste, ou celle de The commune de Thomas Vinterberg, Trine Dyrholm, qui propose une composition plus dramatique.

Julia Jentsch (24 Wochen) serait elle-aussi une candidate sérieuse en femme contrainte à une décision impossible, mais elle a déjà obtenu le prix en 2005 pour son rôle dans Sophie Scholl, les derniers jours. Un doublé à l'horizon ?

Bien sûr, la surprise pourrait aussi venir du casting féminin d'United states of love avec un prix collectif pour les quatre actrices Julia Kijowska, Magdalena Cielecka, Dorota Kolak et Marta Nieradkiewicz.

Pas de favori pour le prix d'interprétation masculine

soy neroCôté acteurs masculins, personne ne se détache vraiment, ce qui laisse la possibilité au jury de mettre en avant un film sur lequel il n'arrive pas à se mettre d'accord. On pense notamment à Johnny Ortiz, le jeune homme déraciné de Soy Nero, à Majd Mastoura pour Hedi, à Amir Jadidi pour A dragon arrives, à Qin Hao pour Crosscurrent, au casting masculin dans sa globalité du film de Lav Diaz, ou même au duo Kacey Mottet Klein et Corentin Fila pour Quand on a 17 ans.

S'ils sont vraiment désespérés, les jurés pourraient toutefois aller jusqu'à se tourner vers des performances pensées pour impressionner comme celles de Brendan Gleeson en résistant au nazisme dans Alone in Berlin de Vincent Perez, de Denis Lavant dans Boris sans Béatrice de Denis Côté ou de Colin Firth et Jude Law, respectivement éditeur de génie et écrivain grandiloquent dans Genius de Michael Grandage.

Mais avant même de connaître les lauréats 2016, on peut d'ores et déjà se réjouir des belles propositions de cinéma découvertes pendant cette 66e édition de la Berlinale, qui viennent rappeler que le cinéma ne se résume pas aux suites, prequels, franchises, comédies décérébrées et autres blockbusters qui se bousculent au box-office à longueurs d'année. Un cinéma engagé (politiquement comme artistiquement), ancré dans son époque, qui propose des pistes de réflexion et d'interrogation au spectateur, et refuse les voies formatées du prêt-à-penser. Contrairement à ce que laissait entendre un titre de la compétition, le cinéphile, lui, n'est jamais seul à Berlin.

Berlin 2016 : des films initiatiques, une société en mutation, et la guerre en toile de fond

Posté par MpM, le 18 février 2016

lullaby de Lav Diaz

Cette année encore, le Festival de Berlin a privilégié un cinéma éclectique, majoritairement européen, conçu comme un panorama des sujets, genres et styles constituant l'instantané de la production cinématographique contemporaine. On aura ainsi vu en compétition des comédies, des films historiques, un film de science fiction... Et même un biopic.

Beaucoup de longs métrages sélectionnés privilégient le scénario et la narration, et ils le font avec un certain talent. On aurait envie de récompenser la finesse d'écriture de la moitié des films en compétition, de Quand on a 17 ans d'André Téchiné à Hedi de Mohammed Ben Attia en passant par 24 Wochen d'Anne Zohra Berrached ou The commune de Thomas Vinterberg.

En revanche, c'est plus décevant sur l'aspect purement esthétique. A l'exception des films de réalisateurs comme Yang Chao (Crosscurrent) ou Lav Diaz (A Lullaby to the sorrowful mystery, photo ci-dessus), on a vu peu de véritables propositions formelles, au profit de mises en scène très classiques, voire académiques.

Une compétition qui interroge son époque

avenirSur le fond, Berlin méritait cette année encore sa réputation de festival politique qui interroge son époque. Le fil directeur de la sélection semble ainsi avoir été le changement, qu'il s'agisse des mutations profondes de la société ou de choix de vie plus intimes.

De nombreux films semblaient ainsi poser la question du chemin à prendre, sous la forme de personnages arrivés à un tournant de leur vie (Le bien nommé L'avenir de Mia Hansen-Love), de l'Europe qui vacille (Death in Sarajevo de Danis Tanovic), de migrants qui cherchent une nouvelle patrie (Fuocoammare de Gianfranco Rosi). Même la guerre est apparue en pleine mutation, sur le point d'écrire un nouveau chapitre de notre ère (Zero days d'Alex Gibney).

Cela explique sans doute la profusion de films initiatiques présentés, à l'image du très sensible Hedi dans lequel un jeune homme apprend peu à peu à se libérer des contraintes familiales et sociales auxquelles il est soumis, ou du très inégal Boris sans Béatrice de Denis Côté où un homme d'affaires antipathique doit se débarrasser de ses défauts pour sauver sa femme de la folie. Les adolescents de Quand on a 17 ans doivent eux faire l'apprentissage d'eux-mêmes et apprendre à se départir de leur agressivité pour accepter qui ils sont, tandis que celui de Soy Nero (Rafi Pitts) est sans cesse rejeté de place en place. Il y a également dans un autre registre la femme enceinte de 24 Wochen qui est face à une décision impliquant toute sa vie : garder, ou non, son bébé atteint de trisomie et de lourds problèmes cardiaques. Dans tous les cas, il s'agit de prendre ses responsabilités, de trouver son chemin et d'affirmer son identité.

Portraits de femmes

On a aussi vu quelques beaux portraits de femmes, notamment des cinquantenaires brutalement rattrapés par l'existence dans L'avenir et The commune : abandonnées pour une autre femme, dépossédées de leur activité professionnelle, donnant l'impression d'être chassées de leur propre vie et se retrouvant encombrées par une liberté soudaine et sans objet.

Il ne fait pas bon vieillir pour les personnages féminins cette année... à l'exception peut-être du très joli personnage de mère incarnée avec légèreté et humour par la lumineuse Sandrine Kimberlain dans Quand on a 17 ans.

On ne sait pas si cela suffit pour trouver cette édition "féministe" tant les femmes aperçues dans la plupart des autres films sont des fantômes, des silhouettes, des rôles sociaux. La mère chez Jeff Nichols (Midnight special), la femme compréhensive et la maîtresse encombrante dans Genius de Michael Grandage, l'épouse fantasmée de Lettres de guerre d'Ivo M. Ferreira... Sans oublier la femme de pouvoir de Boris sans Béatrice qui sombre dans la dépression lourde parce son mari est un imbécile prétentieux et guérit lorsqu'il s'amende. Plus simpliste, on ne voit pas.

La guerre et ses déclinaisons

cartes de guerreEnfin, les conflits armés et les affres de la guerre auront été peut-être plus discrets que lors d’autres éditions, mais on les retrouve malgré tout souvent en toile de fond.

La résistance au nazisme dans l'incontournable film sur la 2e guerre mondiale (Alone in Berlin de Vincent Perez, adaptation d'un roman lui-même inspiré d'une histoire vraie), l'Afghanistan dans Soy Nero, l'Angola dans Lettres de guerre, la révolution contre l'occupation espagnole aux Philippines dans A Lullaby to the sorrowful mystery. Et bien sûr la guerre virtuelle, impalpable, avec Alex Gibney (Zero days).

Curieusement, deux thèmes eux-aussi d'actualité, le terrorisme et la crise économique, sont eux quasiment absents des films en course pour l'Ours d'or. Manque de recul pour l'un, lassitude pour l'autre ? Cette 66e édition berlinoise était quoi qu'il en soit plus ancrée sur l'humain et l'intime que sur le collectif. Peut-être justement parce que dans un monde sur le point de basculer, la sphère privée redevient la valeur refuge par excellence, lieu à la fois de réconfort et d'observation clinique des drames qui se jouent à l'échelle internationale.

Berlin 2016 : le cinéma français dans tous ses états

Posté par MpM, le 16 février 2016

Pour le cinéma français, la Berlinale est une belle vitrine, et même si cela fait 15 ans que l'Ours d'or n'est pas allé à un film français (depuis l'anglophone et londonien Intimité de Patrice Chéreau en 2001), ceux-ci sont toujours présents en nombre dans la compétition ainsi que dans les différentes sections du festival. Les adieux à la reine de Benoit Jacquot avait d'ailleurs fait l'ouverture en 2012.

6 films français en compétition

Pour cette 66e édition, on recense une trentaine de longs métrages français ou coproduits par la France, dont six en compétition et deux en sélection officielle hors compétition. Parmi les prétendants à l'Ours d'or, trois sont des coproductions minoritaires : le désastreux Alone in Berlin de Vincent Perez, adaptation plate du roman de Hans Fallada (Seul dans Berlin) se déroulant en Allemagne nazie pendant la guerre, mais en anglais ; le peu inspiré Soy Nero de Rafi Pitts, qui se passe aux Etats-Unis et en Afghanistan avec des acteurs hispanos rêvant de devenir citoyens américains, et le documentaire italien Fuocoammare de Gianfranco Rosi sur l'île de Lampedusa.

Les films français, ou majoritaires, sont aussi ceux qui présentent le plus de chances d'apparaître au palmarès. Outre Quand on a 17 ans d'André Téchiné dont on a déjà parlé, il s'agit de L'avenir de Mia Hansen-love, un film éminemment français, rempli de citations et de philosophie, qui fait le portrait doux amer d'une femme de 50 ans qui se retrouve soudainement livrée à elle-même et ne sait pas trop quoi faire de cette liberté retrouvée, avec une Isabelle Huppert toujours juste dans la gravité comme dans les séquences plus légères, et de Mort à Sarajevo de Danis Tanovic dont c'est le retour à Berlin après le succès de La femme du ferrailleur en 2013 (Grand prix et prix d'interprétation masculine).

Mort à Sarajevo de Danis Tanovic

Son nouveau film est un pamphlet politique articulé autour de l'anniversaire de l'assassinat par Gavrilo Prinzip de l'archiduc Franz Ferdinand, événement connu pour avoir précipité le monde dans la première guerre mondiale. Reliant l'héritage laissé par Prinzip (criminel ou héros ?) aux horreurs commises pendant la guerre en ex-Yougoslavie, à la pièce Hôtel Europe de Bernard-Henri Lévy (sur l'échec de l'Europe) et aux coulisses d'un hôtel qui part à vau l'eau pour cause de crise économique, il propose un film une nouvelle fois très ancré dans la réalité sociale, économique et politique du pays et qui n'hésite pas à se moquer de lui-même. Il pose également un certain nombre de questions brûlantes sur l'échec de la diplomatie européenne face aux conflits majeurs des 50 dernières années, cette "Europe qui meurt dans tous les Sarajevo d'aujourd'hui" évoquant évidemment l'inextricable situation syrienne.

Autres sections

Hors-compétition, Saint Amour de Gustave Kervern et Benoît Delépine et Des nouvelles de la planète Mars de Dominik Moll sont attendus. En forum et en panorama, ce sont en tout 18 longs métrages qui ont été sélectionnés sous la bannière française, parmi lesquels TheEend de Guillaume Nicloux, Le fils de Joseph d'Eugène Green, Théo et Hugo dans le même bateau de Olivier Ducastel et Jacques Martineau ou encore La Route d'Istanbul de Rachid Bouchareb. Parmi les coproductions, on nota le présence de Baden Baden de Rachel Lang, L'Ange blessé de Emir Baigazin et Les Premiers, les Derniers de Bouli Lanners, déjà sorti en France.