Mon film de l’année : Okja de Bong Joon-ho, fable virtuose et film refuge

Posté par kristofy, le 27 décembre 2017

Vendredi 19 mai dans le Palais du Festival de Cannes: la première projection du matin est celle du nouveau film très attendu Bong Joon-ho, tout se passe bien dans la salle Debussy (c’est en salle Lumière qu’il y a eu des sifflets surtout à cause d’un incident technique de lever de rideau pendant le début), et en sortant on a tous un peu les yeux qui brillent. Alors que la croisette était agitée par la question de juger si un film Netflix (donc sans impôts payés en France ni participation au CNC pour le financement du cinéma, et sans sortie en salles…) peut ou ne doit pas être récompensé, une réponse est trouvée vers 11h : ce film, Okja, pourrait mériter d’être au palmarès. Il y a eu ensuite diverses tentatives pour faire en sorte que le public puisse le découvrir dans certaines salles de cinéma soit avec un visa temporaire soit avec des projections gratuites (contrecarrées par l’opposition des exploitants). Avec ce nouveau poids lourds de la production/diffusion, rien n’est réglé et on reparlera de nouveau de la chronologie des médias et d’éventuelles sorties simultanées en salles à propos du prochain film de Martin Scorsese The Irishman. Autre problème avec Netflix: l’absence du film en dvd/bluray. Bref, ce coup de cœur n’a rien à voir avec Netfli. Okja mérite simplement d'être cité dans les grands films de l'année.

Pourquoi Okja ? La jeune actrice Ahn Seo-hyun est épatante, Jake Gyllenhaal est impayable en guignol, et Tilda Swinton est encore métamorphosée avec le rôle de deux sœurs. Et puis il y a, bien entendu, l’énorme Okja, adorable avec son regard attendrissant. L’histoire démarre avec le calme d’une vie traditionnelle dans une campagne coréenne pour se déplacer jusqu’au capitalisme outrancier d’une corporation agro-alimentaire à New-York. Une fiction qui ne serait pas tellement éloignée du réel : mensonges à propos des OGM, violence des coups de matraque des policiers contre des manifestants altermondialistes, un immense abattoir qui ressemble un peu à un camp d’extermination… On peut être indigné par le cynisme verbal de l’industriel (Tilda à propos des consommateurs : ‘si c’est pas cher, ils mangeront’), bouleversé par la torture faite aux animaux (Okja est violée pour être inséminée), touché par le sauvetage d’un bébé cochon à la fin. Bong Joon-ho réalise avec brio une longue séquence d’action longue d’une dizaine de minutes avec une gamine poursuivant un camion conduit par des activistes qui kidnappe ce gros cochon convoité, jusqu'au carnage à la Marx brothers dans un centre commercial provoquant une panique générale…

Pour résumer au plus simple l’histoire de Okja : un enfant a pour meilleure amie une créature qui est capturée par des scientifiques qui vont lui faire du mal. Oui c’est un peu la trame narrative du célèbre ET de Steven Spielberg, comme un archétype de film-refuge. Bong Joon-ho est parvenu ici à nous exalter avec du spectaculaire, à nous faire vibrer avec du suspens, à nous émouvoir avec du merveilleux, et même à faire vibrer notre corde sensible prête à verser une larme. Ce film Okja a tout d’une aventure qui touche notre imaginaire de grand enfant.

Les autres films marquants de l'année

Le film de chorégraphie : romantique en plans larges avec la comédie musicale La La Land de Damien Chazelle ou sanglant ultra-découpé avec le film de sabre Blade Of The Immortal de Takashi Miike. La mise en scène c’est aussi mettre des corps en mouvements.

Le film français : le corps affaibli a besoin de médicaments contre le sida dans 120 battements par minute de Robin Campillo et de viande humaine pour assouvir un besoin cannibale dans Grave de Julia Ducournau, même si la mort plane le sexe reste une pulsion de vie. Quand il faut s’afficher ou se cacher de la société...

Le ‘blockbuster’ passé inaperçu : vu dans quelques festivals mais malheureusement pas sorti en salles Their Finest (Une belle rencontre) de Lone Scherfig a tous les atouts : réalisé par une femme, une histoire féministe avec la production d’un film durant la guerre, avec Gemma Aterton qui n’avait pas été valorisée ainsi depuis longtemps, et Bill Nighy très drôle qui joue avec son image. C’est le gros film britannique de l’année qui aurait dû rassembler.

Le film surfait : 2017 a été catastrophique pour des grands réalisateurs qui ont fait des films décevants comme Happy end de Michael Haneke, Valérian et la Cité des mille planètes de Luc Besson, Song to song de Terrence Malick, D’ après une histoire vraie de Roman Polanski, Creepy de Kiyoshi Kurosawa… 2017 a été également cataclysmique pour les comédies françaises à leur pire niveau comme Faut pas lui dire, Si j'étais un homme, Telle mère telle fille, Bad buzz, Loue moi, Mission pays basque.. :-(

L'objet filmique non identifié : Retour en 1983 avec le clip musical en forme de court-métrage Thriller pour lequel Michael Jackson avait demandé au réalisateur John Landis d’en faire un loup-garrou. Considéré comme le meilleur clip de tous les temps, il a été restauré avec une conversion en 3D pour quelques projections évènementielles avec son making-of (après le festival de Venise) Thriller 3D + Making Michael Jackson's Thriller (14 + 45 minutes).

Dinard 2017 : Bill Nighy, guest-star triomphante qui, un jour, a dormi sous l’Arc-de-Triomphe

Posté par kristofy, le 29 septembre 2017

© ecran noirOn dit souvent que les meilleurs acteurs du monde sont britanniques, et l'un des meilleurs d'entre eux est justement venu présenter au Festival du film britannique de Dinard deux grands films en avant-première. Bill Nighy a une carrière déjà longue d'une quarantaine d'années entre télévision et cinéma. Il est devenu un visage familier dans des films cultes ou chéris du public : on le retrouve plusieurs fois chez Richard Curtis (dans Love actually évidemment en chanteur sur le retour qui fait un hit inattendu, dans Good morning England et Il était temps) tout comme chez Edgar Wright (dans Shaun of the dead, Hot fuzz, Le dernier pub avant la fin du monde), et aussi dans des sagas spectaculaires comme les Harry Potter, Underworld, Pirates des Caraïbes...

Quand on rencontre Bill Nighy, on est immédiatement charmé par son élégance, son charme et son humour: ce je-ne-sais-quoi très britannique...

La France de Bill
"J’ai lu dans mon adolescence tous les grands auteurs comme James Joyce, Ernest Hemingway, F. Scott Fitzgerald, et très jeune je suis allé à Paris pour y écrire le prochain grand roman anglais... et je n’ai rien écrit du tout. J’étais parti à Paris au lieu de passer mes examens, alors, à mon retour en Angleterre, sans diplôme, j'ai voulu devenir acteur. A Paris, pour ma première nuit, je n’avais aucun endroit où aller et j’ai dormi sous l’Arc de Triomphe, aucun policier ne m’a trouvé, et j’ai été réveillé par le trafic des voitures. C'était ma première nuit en France. J’ai toujours aimé venir en France, particulièrement à Paris mais aussi dans le sud, il n’y a pas longtemps j’étais à Arles. Je connaissais déjà Dinard de réputation, le festival avait déjà voulu m’y inviter mais ça n’a pu se faire parce que je travaillais sur un film, je suis heureux d'y être maintenant."

A Dinard il est venu accompagner le nouveau film de Lone Scherfig Une belle rencontre (avec Gemma Aterton, Sam Claflin et Eddie Marsan). Durant la guerre une femme devient scénariste dans une société de production de films, dominée par les hommes. Il faut produire un film à propos d'une opération de sauvetage de soldats à Dunkerque (le même fait historique que le Dunkirk de Christopher Nolan). C'est elle qui doit s'imposer en tant que femme contre les autres hommes pour sauver la réussite du film... Bill Nighy y joue un grand comédien vaniteux, qui va s'adoucir à son contact, avec beaucoup d'humour.

Dans un tout autre genre, le comédien accompagnait The Limehouse Golem de Juan Carlos Medina (avec Olivia Cooke, Douglas Booth, et encore Eddie Marsan...), déjà sélectionné dans différents festivals de films fantastiques (Bruxelles, Neufchâtel, Sitges..) : dans le Londres victorien de 1880 un tueur en série signe ses crimes du surnom de 'Golem' et un des suspects est un comédien de music-hall qui aurait été lui tué par sa femme. Qui a vraiment tué qui et pourquoi, les assassinats vont-ils continuer, plusieurs suspects aux motivations troubles sont la cible de l'enquête de l'inspecteur Kildare, alias Bill Nighy...

L'époque victorienne
"Cette époque victorienne est visuellement très intéressante comme cadre pour un film. Le scénario était étonnant avec un mix de personnages de fictions et de personnages réels. J’ai adoré l’idée que Karl Marx puisse être un suspect tout comme George Gissing qui est un grand écrivain , et Dan Leno qui était un comédien célèbre de l’époque. Le scénario est très intelligent, il se rapproche d’une sorte de film de genre en étant peut-être un sub-genre (ndlr : le whodunit), j’aime beaucoup les films de détectives. A cette époque l’Est de Londres c’était un peu une sorte de Far-West dangereux, ce qu’on appellerai presque aujourd’hui une no-go zone, personne n’y allait si on n'avait aucune nécessité à y aller. Il y avait des vols et des meurtres...  J’ai aimé le fait que ce policier ait été un peu mis à l’écart, peut-être à cause d’une rumeur d’homosexualité, sans que le film ne précise vraiment ce qui s’est passé ou pas. En tout cas ce genre de chose à Londres en 1880 était presque synonyme de bannissement si on était un représentant de l’ordre. Bref, Ce que j’admire c’est la subtilité du scénario qui laisse deviner que ce détective est probablement gay tout en étant aussi séduit d’une manière romantique par cette femme jouée par Olivia Cooke, puisqu'il ressent une certaine attraction envers elle pour différentes raisons. Cet homme est mis de côté par sa hiérarchie, il y a de la corruption parmi ses supérieurs. Son sens de l’injustice est aiguisé et il est donc sensible à sa situation d’avoir été mise en prison, alors il est sans doute un peu protecteur pour elle. On lui a confié l’enquête avec la supposition qu’il échouerai, car la résolutions des meurtres semble insolubles donc c’est lui qui serait discrédité et pas d’autres. On lui a confié une affaire vraiment empoisonnée..."

Le film sera à découvrir dans quelques mois (en vod), et on vous le recommande...