Immense écrivain, Jim Harrison, surnommé « Big Jim », est mort dimanche à l'âge de 78 ans. L'Amérique n'était pour lui qu'un Disneyland fasciste obsédé par le fric. Il préférait René Char, Arthur Rimbaud, Paris et surtout les grands espaces américains, ceux des Western, cette Amérique originelle. Dans ses romans, on baisait, on buvait (beaucoup, le vin pour lui apportait plus de bonheur à l'humanité que toutes les décisions politiques de l'Histoire), on s'interrogeait sur le sens de la vie et par conséquent on se rapprochait de la mère Nature.
On comprend mieux qu'avec Hollywood, ça ne se soit pas très bien passé. L'épicurien qu'il était avait quand même ramé avant d'être riche. Il avait consacré sa vie à l'écriture. Et durant les trente premières années où il a tapé ses romans, nouvelles et poèmes sur sa machine à écrire, n'a pas gagné beaucoup de dollars. Rencontré en 1975, son ami Jack Nicholson jouait les mécènes (et le poussait à travailler pour le cinéma). Car Jim Harrison, pas beaucoup lu à l'époque, ne manquait pas d'admirateurs, Sean Connery et Warren Beatty en tête. Mais lui ne se gênait pas pour détester Hollywood.
Au dessus de son bureau, il y avait un morceau de papier qui lui rappelait toujours ce que lui avait sorti un patron de studio. "Tu n'es rien qu'un écrivain". Ce mépris pour l'écriture de la part de l'industrie cinématographique a sans doute conduit Jim Harrison à ne pas trop fricoter avec elle. Il n'y a eu que six adaptations de ses oeuvres sur petit et grand écran. David Lean et John Huston ont pourtant pris des options sur des nouvelles qu'il avait écrites, sans pouvoir les tourner.
En manque de fric, il a quand même cédé à la fin des années 1980 aux sirènes d'Hollywood. En 1989, il coécrit le scénario de Cold Feet, entre polar et comédie, signé Robert Dornhelm. L'année suivante, il adapte Une vengeance, nouvelle inclue dans le recueil Légendes d'automne. Sydney Pollack, Jonathan Demme et Walter Hill furent intéressés. John Huston devait finalement la filmer. Mais il ne voulait pas de Kevin Costner dans le rôle principal. Celui-ci, en pleine ascension, a donc choisi Tony Scott pour réaliser Revenge. Le polar, honnête, est un joli succès en salles, sans plus.
En 1994, deux hits avec Jim Harrison au générique sortent sur les écrans. Légendes d’automne, l'une de ses trois nouvelles issues du recueil éponyme, est réalisé par Edward Zwick, avec Brad Pitt (qui a pris le rôle à Tom Cruise), Anthony Hopkins (après l'abandon de Sean Connery), Aidan Quinn et Julia Ormond. Le "mélo", dont il n'a pas écrit le scénario, n'est pas forcément à la hauteur de l'oeuvre littéraire, mais le film est gros succès public et récupère un Oscar (pour la photo). Jim Harrison encaisse un million de dollars qu'il dépense en alcool et cocaïne.
La même année, son ami Jack Nicholson parvient à monter Wolf, après douze ans d'efforts. Sur proposition de Nicholson, Mike Nichols réalise ce film fantastique avec Michelle Pfeiffer, James Spader et Christopher Plummer. Jim Harrison scénarise cette histoire (qui n'a rien à voir avec son premier roman, Wolf: mémoires fictifs) d'un éditeur (des comptes à régler, Jim?) qui se transforme en loup-garou. Le tournage est un cauchemar. Le scénario est massacré par le studio quand celui-ci demande une réécriture complète du dernier tiers du film. Harrison quitte la production pour "différences créatives", estimant que leur vision du projet était incompatible: "Je voulais un loup, il en fait un chihuaha". Le film est pourtant un succès en salles.
De là date sa fâcherie avec Hollywood. Deux adaptations verront quand même le jour. Etats de force (Carried Away), d'après son roman Nord Michigan (Farmer). Réalisé par Bruno Barreto, avec Dennis Hopper et Amy Irving, le film est un fiasco total. Et Dalva, l'un de ses meilleurs romans, porté de manière pas trop honteuse sur le petit écran, avec Farrah Fawcett, Peter Coyote et Rod Steiger.
Jim Harrison ne voulait plus entendre parler de cinéma. Pour lui, assister à une projection d'un film qu'il avait écrit ou qui était une adaptation d'une de ses oeuvres c'était comme avoir "le sentiment distinct de se sentir violer par un éléphant ou - si votre imagination est plutôt maritime - par une baleine".
Il reste à savoir si dans son testament l'écrivain a laissé l'ordre de ne pas adapter ses écrits. Ou si Hollywood va désormais pouvoir s'emparer librement des histoires naturalistes et intimes, sans se soucier de l'avis de celui qui fut, jusqu'au bout, un homme libre qui avait la réputation d'être un ours.