Berlin 2010 : Shah Rukh Khan plus fort que les extrêmistes

Posté par vincy, le 19 février 2010

my name is khanHors-compétition, la Berlinale présentait un film bollywoodien pas comme les autres. My Name is Khan, de Karan Johar, met en vedette la superstar indienne Shah Rukh Khan (ou Sha Rukh Khan ou Shahrukh Kha), après quasiment une année de disette pour ses fans. Surtout, son sujet était éminemment politique puisqu'il traite de la discrimination subie par les musulmans aux Etats-Unis après les attentats terroristes du 11 septembre 2001, tout en prêchant un retour à la tolérance.

Mais le film n'est sorti que dans quelques salles à Mumbay (Bombay) car les exploitants ont du céder aux pressions du Shiv Sena, parti d'extrême droite local.  Le parti voulait que l'on boycotte cette production coûteuse. Les producteurs ont alors réclamé auprès de la police que l'on garantisse la sécurité des spectateurs à l'entrée et à la sortie des cinémas. De quoi plomber un démarrage.

Car ne plaisantons pas, les membres de ce parti sont extrêmement violents. Ils avaient attaqué des salles, brûlé des affiches et encerclé la résidence de l'acteur dans les jours qui précédaient la sortie du film la semaine dernière. Au total, la police a arrêté 1 800 extrêmistes.

Mais qu'on ne se méprenne pas : leur colère n'est pas à l'égard du film mais de l'acteur. Shah Rukh Khan a en effet osé dire publiquement qu'il regrettait qu'aucun joueur pakistanais n'était dans la sélection de la Ligue de cricket indienne! Outrage patriotique! Quant au parti xénophobe Shiv sena, il a de moins en moins de crédit et cherche ainsi à rebondir médiatiquement.

Manque de chance, leur calcul s'est avéré faux. Quelque soit leur communauté, les habitants de la métropole sont venus manifestés, se mobilisent pour pacifier la ville et sont allés voir le film en masse. Le film a effectué le plus gros démarrage pour une production indienne en trois jours, avec au niveau mondial des recettes s'élevant à 18 millions de $, dont 2 millions de $ dans les 120 cinémas d'Inde. Aux USA, il a rapporté 2,5 millions de $ le même week-end, lui permettant, en étant 13e du box office, de devenirle plus gros succès bollywoodien en Amérique.

De là à dire que les extrêmistes lui ont fait sa pub...

Berlin 2010 : vous reprendrez bien un peu de polémique nazie ?

Posté par MpM, le 19 février 2010

judsuss.jpgQue serait un festival sans polémique ? Mérité, recherché ou fabriqué de toute pièce, le scandale permet d'entretenir le buzz, de provoquer la curiosité et surtout de faire parler. C'est bon pour l'image comme pour le business, même si la plupart du temps "l'affaire" retombe d'elle-même comme un soufflé en moins de 48h. Que voulez-vous : un film chasse l'autre.

Deux jours avant la remise de l'Ours d'or, et alors qu'il ne reste que trois films en compétition à découvrir, la Berlinale a donc connu sa première mini-polémique 2010, forcément politique. Comme cela arrive souvent ici, la cause en est un film traitant de l'époque nazie. Jud Süss (Film ohne Gewissen) d'Oskar Roehler (Les particules élémentaires) raconte la genèse du film de propagande nazie "Le juif Süss" commandé par Goebbels dans le but de renforcer la haine des Allemands envers le peuple juif. Cette œuvre, qui fut à l'époque montrée à plus de 20 millions de personnes, met en scène un marchand juif censé personnifier la lâcheté, la duplicité et la perversité dans la Prusse du 18e siècle. Elle est aujourd'hui encore interdite en Allemagne.

Le plus grand scandale provient probablement de sa mise en scène outrée et grandiloquente

Ce qui a le plus choqué les journalistes présents à la séance de presse (et qui ont sifflé le film, pratique bien plus rare à Berlin qu'à Cannes), c'est la liberté prise par Oskar Roehler et son scénariste Klaus Richter avec la vérité historique. L'épouse de Ferdinand Marian (l'acteur qui jouait Süss) devient ainsi juive pour les facilités du scénario (plus de compassion, moins de réflexion). Le film oublie aussi de préciser que le comédien continua sa carrière après le succès de Süss, donnant l'impression qu'il n'est qu'une malheureuse victime de Goebbels. Ces "évolutions arbitraires" revendiquées par le réalisateur ôtent à Jud Süss (Film ohne Gewissen) toute caution documentaire, ou au moins historique.

Privé de cela, il ne lui reste plus grand chose tant il est artistiquement raté. Le plus grand scandale provient probablement de sa mise en scène outrée et grandiloquente... mais d'une courte tête seulement devant son scénario si mal ficelé qu'il oublie la moitié des enjeux en route. Ne parlons pas des personnages qui sont au-delà de la caricature, réduits au degré zéro de la psychologie (alcoolique, neurasthénique, fanatique...).

Le sujet, malgré tout, éveille une nouvelle fois la mauvaise conscience et le sentiment de culpabilité des Allemands. D'où la réaction épidermique de certains, et l'ambiance gênée durant la projection. Probablement afin d'éviter tout débordement, la conférence de presse avec l'équipe du film a quant à elle été particulièrement bordée. Le modérateur a très largement monopolisé la parole en interrogeant longuement (et de manière purement inoffensive) les différents intervenants. Ensuite, les autres questions ont surtout porté sur des points de détail concernant les différences entre fiction et réalité.

Pas de quoi lancer une vraie polémique, mais suffisant pour souligner le malaise qui, aujourd'hui encore, accompagne systématiquement toute œuvre touchant au nazisme. Etant Allemand lui-même, Oskar Roehler savait à quoi s'en tenir en choisissant précisément la forme du mélodrame flamboyant et approximatif pour un sujet pareil. De là à penser que les sifflements et la menace de scandale faisaient partie de ses calculs, ou de ceux du Festival de Berlin...