Claude Chabrol nous fait passer un dernier dimanche au vinaigre (1930-2010)

Posté par vincy, le 12 septembre 2010, dans In memoriam, Personnalités, célébrités, stars.

Après Rohmer (disparu le 11 janvier dernier), Chabrol. Les deux avaient écrit ensemble un ouvrage sur Hitchcock. Ils vont se marrer là-haut tous les trois.

La nouvelle vague commence à perdre de sa vitalité. Claude Chabrol n'était pas seulement l'un des piliers fondateurs du cinéma français de la deuxième moitié du XXe siècle, il était aussi un homme populaire, l'un des rares cinéastes à être invité sur les plateaux télévisés en soirée dans des émissions de mass-media. Plus étonnant, il fut surtout un cinéaste qui alterna les succès en salles et des échecs sans trop de retentissements, sans que cela impacte sur sa filmographie. Il y avait les bons et les mauvais crus, mais il y avait toujours un producteur pour le soutenir. Il n'hésitait jamais à faire de l'alimentaire s'il le fallait. Jamais césarisé (il ne fut nommé que deux fois pour Une affaire de femmes et La Cérémonie), snobbé souvent par la critique, adoré des comédiens, fumiste et bon vivant, Chabrol, jovial en tournage, était de ces artistes qui étaient vénérés à l'étranger : rétrospectives, prix, conférences... Et c'est bien ce qui va nous manquer.

Sa connaissance du cinéma, sa maîtrise du genre qui le rendit célèbre (le film noir ou à suspens l'avait conduit à devenir un "Hitchcock français"), sa truculence vont créer un vide : celui d'un Français aimant croquer avec ironie et férocité les petits travers de ses compatriotes, petits ou grands bourgeois, en se délectant de décrire un coin du pays. Cet aspect satirique n'est pas inutile dans une industrie souvent très sage dès qu'il s'agit de se moquer de soi-même. Le scandale et les hypocrisies lui servaient de ressors pour faire rire (jaune) le spectateur malgré la noirceur des propos. Il s'attaque à Pétain avec L'oeil de Vichy, aux affaires de corruption dans L'ivresse du pouvoir,  comme il crée une famille recomposée improbable à partir d'un motif cynique dans Dr Popaul ou à la télévision et son univers cruel dans Masques. Mais c'est bien le genre policier qu'il aimait le plus. "Mon goût pour le polar remonte à l'enfance, expliquait-il, quand je lisais Agatha Christie. Un mauvais polar vaut toujours mieux qu'un autre mauvais film. Normal, parce qu'il touche à des questions graves, la vie, la mort, le bien, le mal, mais sans aucune prétention". "J'utilise le cadavre comme d'autres utilisent le gag".

Décédé ce dimanche 12 septembre à l'âge de 80 ans (et ce n'est pas un gag mais bien un cadavre), Chabrol, licencié ès lettres, aura lancé les Cahiers du Cinéma. En 1957, il séduit tout le monde avec son premier film, Le beau Serge (prix Jean Vigo, grand prix à Locarno). L'année suivante avec Les Cousins il obtient l'Ours d'or à Berlin. Après sa longue complicité cinématographique et amoureuse avec Stéphane Audran, il découvre une jeune Isabelle Huppert, qu'il transforme en muse. Violette Nozière, Une affaire de femmes, La cérémonie (son film le plus primé, de Toronto à Venise), Merci pour le chocolat (prix Louis-Delluc) : autant de films qu'ils ont tournés ensemble et qui ont marqué les esprits. Sans oublier Madame Bovary. Car Chabrol le lettré aimait les classiques de la littérature. Il le prouva aussi en adaptant Maupassant pour le petit écran. Mais aussi Dard, De Beauvoir, son maître Simenon (qui, comme lui, refusait les honneurs et aimait la monstruosité humaine) ou encore Ruth Rendell et Patricia Highsmith.

Le grand public retiendra évidemment les rôles de Jean Poiret en Inspecteur Lavardin et sa recette merveilleuse de l'oeuf au plat parfait. Summum d'humour noir. Poulet au Vinaigre eut même le droit à une sélection cannoise (la seule avec Violette Nozière pour Chabrol). Dans le même genre, Rien ne va plus, plus drôle et léger, reçu le prix du meilleur film au Festival de San Sebastian. Ses comédiens reçoivent souvent des prix, de Jean Yanne (Que la bête meurt, Le boucher) à Isabelle Huppert (primée à Cannes et Venise grâce à lui).

Ces dernières années, il récoltait les prix pour l'ensemble de sa carrière (Prix René Clair de l'Académie française en 2005 et Grand prix 2010 des auteurs et compositeurs dramatiques), à défaut de nous emballer avec ses films, un peu plus mous, même si la mise en scène était toujours bien ficelée, très soignée. Il laisse une oeuvre prolifique, moins uniforme que ce qui est généralement perçue. Mais surtout, il nous laisse, comme les peintres de la Renaissance, de multiples portraits d'un pays qui se consume par les petits calculs mesquins et qui ne se fédère qu'autour de la bouffe.

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commentairesUn commentaire
  1. Posté par lingerie, le 12 septembre 2010 à 20:37

    J’éprouve une grande tristesse en apprenant la mort de Claude Chabrol.
    La vie nous avait séparés mais je gardais, et lui aussi, je crois, un souvenir attendri de nos années de jeunesse. Claude avait été membre du Comité de la Corpo de droit que je présidais. Il était déjà fou de cinéma et nous entraînait, au détriment de nos cours de droit, tous les matins au cinéma « Le Paris » pour voir les films qui allaient sortir et dont nous discutions à perte de vue à la sortie.

    Nous étions, à son instar, des fans des clubs de cinéma et de Hitchcock, dont il s’est inspiré dans beaucoup des films, dont certains très grands, qu’il a produits au long de sa grande carrière.

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