L’artisan bricoleur Chris Marker a soufflé sa dernière bougie (1921-2012)

Posté par vincy, le 30 juillet 2012

Chris Marker est mort le jour de son anniversaire, hier, 29 juillet 2012, le jour de ses 91 ans. Dans un tweet, Gilles Jacob, président du Festival de Cannes, lui a immédiatement rendu hommage : "Esprit curieux, cinéaste infatigable, poète amoureux des chats, vidéaste, personnage secret, immense talent, sommes orphelins de Chris Marker."

Christian François Bouche-Villeneuve, alias Chris Marker, gârce à ses documentaires et films expérimentaux, a profondément influencé le cinéma mondial. Il a commencé en coréalisan avec Alain Resnais Les Statues meurent aussi (1953). Il fut aussi directeur de collection chez un grand éditeur, écrivain, illustrateur, traducteur, intellectuel, réalisateur, photographe, éditeur, philosophe, essayiste, critique, poète, artiste vidéaste, professeur à la Fémis, voyageur, communiste, existentialiste (il a eu Sartre comme professeur), résistant, moraliste... Ses photos avaeint aussi fait l'objet d'expositions (y compris aux Rencontres d'Arles).

Son cinéma, singulier et poétique, s'est affirmé au moment où la Nouvelle vague cherchait une nouvelle voie narrative : Dimanche à Pékin (1956), Lettre de Sibérie (1957), Description d’un combat (1961), Cuba Si (1961). Il témoigne d'un monde en pleine guerre froide, entre Guerre du Vietnam et Mai 68, luttes gauchistes et pouvoirs communistes...

C'est évidemment avec La Jetée (1962), montage cinématographique composé de photos fixes qu'il inventa un style et une nouvelle écriture cinématographique.La durée total des rushes e ce photo-roman était de 55 heures! Le film sera culte et inspirera de nombreux cinéastes et sera la base du scénario Twelve Monkeys (L'armée des douze singes) de Terry Gilliam.

En 1963, avec Pierre Lhomme, il coréalise son premier long métrage, Le joli mai (prix de la meilleure oeuvre au Festival de Venise).you

Dans les années 70, il réalisera La Solitude du chanteur de fond (sur Yves Montand, en 1974), Le fond de l’air est rouge (1977), Junktopia (César du meilleur cout métrage), Sans Soleil (1983), A.K. , film sur le tournage de Ran, d’Akira Kurosawa (1985), Mémoires pour Simone (1986), en hommage à Simone Signoret, sa grande amie et sa protectrice, L’Héritage de la Chouette (1989), Le Tombeau d’Alexandre (1993), Level Five (1997), Le Souvenir d’un avenir (2003), et enfin dernier court-métrage réalisé en 2007 Leila Attacks.

La Cinémathèque française lui a immédiatement rendu hommage : "Grand moraliste, Chris Marker avait le regard d’un ethnographe engagé, soucieux de styliser son écriture cinématographique. Ecrivain, photographe, auteur de nombreux collages qu’il envoyait à ses amis de par le monde, au Japon, en Amérique et partout ailleurs, en se servant des nouvelles technologies et d’Internet, grand voyageur solitaire, Chris Marker, figure libre et souveraine, aimait entretenir le mystère sur sa personne, refusant d’être photographié ou de présenter ses propres films."

"Dans le monde cinématographique de Marker, tout se tient : l’individuel et le collectif, le présent et la mémoire, l’intime et le spectaculaire des luttes, le bricolage et la haute technologie, la « petite forme » (la danse sublime de l’éléphant sur une musique de Stravinsky pendant les quatre minutes de Slon Tango, 1993) et la grande histoire (Le fond de l’air est rouge, L’Héritage de la chouette). Du grand art à l’échelle d’un seul homme" poursuit le communiqué.

Dans un entretien à Image & Son en 1963, Resnais disait de lui : "Chris Marker me paraît un personnage fascinant, à ma connaissance unique au monde. Je ne connais personne qui puisse avoir à la fois ce sens des problèmes politiques contemporains, ce goût du beau, cette espèce de joie devant la culture et devant l'art, cet humour ; et qui arrive, lorsqu'il fait un film à ne se séparer d'aucune de ces tendances." Il avait été son assistant réalisateur sur Nuit et brouillard.

Il a également collaboré avec Costa Gavras (L'aveu, photographe de playeau), Jorge Semprun (Les deux mémoires, monteur, ingénieur du son), Patrico Guzman et Alexandre Sokourov (producteur) , Arielle Dombasle (conseiller artistique avec Eric Rohmer sur Les Pyramide bleues). Sans oublier ses innombrables participations (devant la caméra ou à d'autres format comme les vidéo-clips).

Sur Youtube, il diffusait des vidéos sous le pseudo de Kosinki.

Les Archives d’Eric Rohmer remises à l’Imec

Posté par vincy, le 13 janvier 2011

"Conformément à la volonté du cinéaste, les archives d'Éric Rohmer ont rejoint les collections de l'Imec", a annoncé aujourd'hui l'institut Mémoires de l'édition contemporain. Tout juste un an après sa mort.

Créé en 1988, l'institut rassemble les fonds d'archives et d'études consacrés aux principales maisons d'édition, aux revues et aux différents acteurs de la vie du livre et de la création.

L'établissement situé à Caen en Normandie a reçu aujourd'hui "plus de 140 boîtes de documentaires et près de 20 000 pièces d'archives qui viennent éclairer la généalogie du cinéma rohmérien, et révèlent notamment l'importance de son activité littéraire dès les années 1940".

Il ne reste plus qu'à traiter les archives et classer le fonds.  «Ce fonds d’une exceptionnelle richesse permet de retracer l’ensemble de la carrière cinématographique et critique » indique le communiqué. Il comprend notamment une importante quantité d'écrits (récits, nouvelles, romans, théâtre, correspondance d’Eric Rohmer avec, notamment, François Truffaut, Jean Cocteau, Jean-Luc Godard ou André Bazin) mais surtout des témoignages «de ses talents de metteur en scène, de photographe, de dessinateur, de concepteur de costumes et de décors, de compositeur de chansons et de musiques.»

L’Imec fait aussi savoir qu’Antoine de Baecque, qui vient de sortir le documentaire sur Truffaut et Godard Deux de la vague,  et Noël Herpe travaillent à une biographie d’Eric Rohmer pour l'éditeur Grasset.

Claude Chabrol nous fait passer un dernier dimanche au vinaigre (1930-2010)

Posté par vincy, le 12 septembre 2010

Après Rohmer (disparu le 11 janvier dernier), Chabrol. Les deux avaient écrit ensemble un ouvrage sur Hitchcock. Ils vont se marrer là-haut tous les trois.

La nouvelle vague commence à perdre de sa vitalité. Claude Chabrol n'était pas seulement l'un des piliers fondateurs du cinéma français de la deuxième moitié du XXe siècle, il était aussi un homme populaire, l'un des rares cinéastes à être invité sur les plateaux télévisés en soirée dans des émissions de mass-media. Plus étonnant, il fut surtout un cinéaste qui alterna les succès en salles et des échecs sans trop de retentissements, sans que cela impacte sur sa filmographie. Il y avait les bons et les mauvais crus, mais il y avait toujours un producteur pour le soutenir. Il n'hésitait jamais à faire de l'alimentaire s'il le fallait. Jamais césarisé (il ne fut nommé que deux fois pour Une affaire de femmes et La Cérémonie), snobbé souvent par la critique, adoré des comédiens, fumiste et bon vivant, Chabrol, jovial en tournage, était de ces artistes qui étaient vénérés à l'étranger : rétrospectives, prix, conférences... Et c'est bien ce qui va nous manquer.

Sa connaissance du cinéma, sa maîtrise du genre qui le rendit célèbre (le film noir ou à suspens l'avait conduit à devenir un "Hitchcock français"), sa truculence vont créer un vide : celui d'un Français aimant croquer avec ironie et férocité les petits travers de ses compatriotes, petits ou grands bourgeois, en se délectant de décrire un coin du pays. Cet aspect satirique n'est pas inutile dans une industrie souvent très sage dès qu'il s'agit de se moquer de soi-même. Le scandale et les hypocrisies lui servaient de ressors pour faire rire (jaune) le spectateur malgré la noirceur des propos. Il s'attaque à Pétain avec L'oeil de Vichy, aux affaires de corruption dans L'ivresse du pouvoir,  comme il crée une famille recomposée improbable à partir d'un motif cynique dans Dr Popaul ou à la télévision et son univers cruel dans Masques. Mais c'est bien le genre policier qu'il aimait le plus. "Mon goût pour le polar remonte à l'enfance, expliquait-il, quand je lisais Agatha Christie. Un mauvais polar vaut toujours mieux qu'un autre mauvais film. Normal, parce qu'il touche à des questions graves, la vie, la mort, le bien, le mal, mais sans aucune prétention". "J'utilise le cadavre comme d'autres utilisent le gag".

Décédé ce dimanche 12 septembre à l'âge de 80 ans (et ce n'est pas un gag mais bien un cadavre), Chabrol, licencié ès lettres, aura lancé les Cahiers du Cinéma. En 1957, il séduit tout le monde avec son premier film, Le beau Serge (prix Jean Vigo, grand prix à Locarno). L'année suivante avec Les Cousins il obtient l'Ours d'or à Berlin. Après sa longue complicité cinématographique et amoureuse avec Stéphane Audran, il découvre une jeune Isabelle Huppert, qu'il transforme en muse. Violette Nozière, Une affaire de femmes, La cérémonie (son film le plus primé, de Toronto à Venise), Merci pour le chocolat (prix Louis-Delluc) : autant de films qu'ils ont tournés ensemble et qui ont marqué les esprits. Sans oublier Madame Bovary. Car Chabrol le lettré aimait les classiques de la littérature. Il le prouva aussi en adaptant Maupassant pour le petit écran. Mais aussi Dard, De Beauvoir, son maître Simenon (qui, comme lui, refusait les honneurs et aimait la monstruosité humaine) ou encore Ruth Rendell et Patricia Highsmith.

Le grand public retiendra évidemment les rôles de Jean Poiret en Inspecteur Lavardin et sa recette merveilleuse de l'oeuf au plat parfait. Summum d'humour noir. Poulet au Vinaigre eut même le droit à une sélection cannoise (la seule avec Violette Nozière pour Chabrol). Dans le même genre, Rien ne va plus, plus drôle et léger, reçu le prix du meilleur film au Festival de San Sebastian. Ses comédiens reçoivent souvent des prix, de Jean Yanne (Que la bête meurt, Le boucher) à Isabelle Huppert (primée à Cannes et Venise grâce à lui).

Ces dernières années, il récoltait les prix pour l'ensemble de sa carrière (Prix René Clair de l'Académie française en 2005 et Grand prix 2010 des auteurs et compositeurs dramatiques), à défaut de nous emballer avec ses films, un peu plus mous, même si la mise en scène était toujours bien ficelée, très soignée. Il laisse une oeuvre prolifique, moins uniforme que ce qui est généralement perçue. Mais surtout, il nous laisse, comme les peintres de la Renaissance, de multiples portraits d'un pays qui se consume par les petits calculs mesquins et qui ne se fédère qu'autour de la bouffe.

Ecran Noir décerne « ses » Césars 2010

Posté par vincy, le 27 février 2010

Nous serons à coups sûrs déçus par les vainqueurs des Césars, comme souvent. On reste surpris de certaines nominations (La journée de la jupe, un téléfilm à l'origine), de certains oublis (Chiara Mastroianni) et de quelques obstinations (l'absence persévérante d'un César du meilleur film d'animation).

Si on voit mal le treize fois nommé Un prophète repartir bredouille, et s'il mérite le César du meilleur film et du meilleur réalisateur, il reste qu'on peut s'attendre à une surprise dans la catégorie reine. Welcome, avec son sujet politique et l'actualité récente sur l'identité nationale, peut s'avérer un outsider redoutable.
La catégorie meilleur acteur est l'une des plus ovuertes. Cluzet part en tête, si l'on prend en compte les récents prix distribués par différents corps de la profession. Mais, deux fois nommé, il peut aussi voir ses soutiens se dilluer. Un César pour Attal et surtout Lindon aurait plus de caractère : ils ne l'ont jamais eu, et les films qu'ils représentent sont clairement meilleurs.

Côté actrice, tout le monde souhaite la résurrection d'Isabelle Adjani. Ce serait un choix facile et injuste pour Kristin Scott-Thomas, qui signe clairement la meilleure performance de l'année, avec Dominique Blanc dans L'autre. Là encore Scott-Thomas n'a jamais été césarisée.
Les seconds rôles sont très ouverts; on miserait volontiers sur Niels Arestrup et Noémie Lvovsky; même si un César pour Anglade aurait de la gueule après sa traversée du désert, et pour Atika, par pure amitié. Enfin, on voit mal Tahir Rahim ne pas être sacré espoir masculin.

Dans les catégories techniques, les Césars auront le choix de prolonger la razzia attendue du Prophète. Mais c'est aussi avec ce prix que Welcome a le plus de chance. Dans les deux cas, ce serait un bon choix.  Trois adaptations parmi les cinq sont particulièrement réussies : Coco avant Chanel, Mademoiselle Chambon et Les herbes folles.

La meilleure première oeuvre devrait revenir, logiquement, aux Beaux Gosses, tout comme le meilleur documentaire aurait de la classe avec L'enfer de HG Clouzot. On ne se fait pas d'illusions : Le Ruban Blanc devrait recevoir son énième prix ce soir.

Pour le court-métrage soyons subjectif : nous votons pour nos amies Claire Burger et Marie Amachoukeli (C'est gratuit pour les filles). Et pour la musique, Le concert a toutes ses chances, vu son sujet. Ce qui nous ferait plaisir pour Camille Adrien qui a supervisé les orchestrations et les compositions d'Armand Amar.

Enfin deux Césars qui ne nous décevront pas : Eric Rohmer et Harrison Ford. Un grand écart qui souligne à quel point le 7e Art est riche de ses contrastes. Ce que souvent les Césars oublient dans leurs nominations.

Berlin 2010 : Les français bredouilles, mais pas trop

Posté par vincy, le 21 février 2010

l illusionniste de sylvain chometPas un seul prix en repartant de la Berlinale, hormis l'Ours d'argent pour le cinéaste franco-polonais Roman Polanski. Le cinéma français, relativement absent de la compétition, était surtout présent au marché du film (avec 15 producteurs à l'European Film Market). Unifrance revendiquait pourtant 19 films qui avaient fait le déplacement dans la capitale allemande : Mammuth et The Ghost Writer en compétition, Henri IV, L'autre Dumas, L'illusionniste (le nouveau dessin animé de Sylvain Chomet), Moloch Tropical (de l'haïtien Raoul Peck), le documentaire Michel Ciment, le cinéma en partage hors compétition. Un hommage à Eric Rohmer, une masterclass de Claire Denis, les nouveaux Ducastel-Martineau et Lifshitz (section Panorama) complétaient la délégation.

Pourtant le business n'a pas été mauvais. StudioCanal a signé un accord avec la société belge nWave, de Ben Stassen, grand spécialiste de l'Imax, pour pouvoir mettre en ouvre des films en 3D. Le premier projet annoncé devrait être Les aventures de Samy (Around the World in 50 Years 3D), qui sort dans les salles cet été.

MK2 a négocié avec l'israélien Orlando Films qui va devenir son distributeur multi-plateformes en Israël. La merditude des choses (103 000 spectateurs en France) devrait être le premier film diffusé suite à cet accord.

Last but not least, trois firmes, la française Celluloïd Dreams, le financier bavarois Clou Partners et le Studio Babelsberg (qui est à côté de Berlin), ont décidé de créer un studio européen, TheManipulators (tout attaché), pour produire (et coproduire) des films à vocation internationale, à moyens et gros budgets. Le premier film qui bénéficiera de ce nouvel outil sera Waiting for Azrael, de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud (Persépolis). Le film sera tourné cette année à Babelsberg avant, sans doute, de faire son avant-première à Berlin 2011.

Serge Moati consacre son émission TV à Rohmer

Posté par vincy, le 13 janvier 2010

Parmi les TRES rares hommages de la télévision à Eric Rohmer, notons celui-ci : Cinémas, l'émission sur France 5 de Serge Moati (samedi 16 janvier à 17h55), recevra sur son plateau les comédiens Arielle Dombasle, Marie Rivière, Pascal Greggory et Melvil Poupaud. Accompagnés de Serge Kaganski (Les Inrocks), ils retraceront la carrière du cinéaste. Marie-Christine Barrault interviendra dans un document enregistré. L'actrice était déjà présente (sur plateau ce coup-ci) hier soir dans l'émission de Frédéric Taddei, Ce soir (ou jamais), sur France 3, qui diffusait (très tardivement) Ma nuit chez Maud.

Ce n'est pas parce qu'on s'appelle Rohmer que les patrons de chaîne vont bousculer leur magnifiques programmes...

Eric Rohmer ou l’écume des amours (1920-2010)

Posté par christophe, le 11 janvier 2010

Eric RohmerC'est comme critique qu'il a fait ses premières armes. Son érudition et son acuité de jugement font référence. Cinéaste du théâtre des sentiments et de la morale, Eric Rohmer emprunte aux textes de Marivaux et de Musset leur causticité souvent cruelle qu'il mêle à un questionnement métaphysique. Ses Contes moraux et ses Comédies et proverbes épinglent les contradictions de ses héros et surtout de ses héroïnes post-adolescentes dans leur quête un peu narcissique de l'idéal amoureux. Oscillant entre un système parfois trop distant avec ses personnages et un sens aigu des tendances du comportement et des sentiments. Rohmer nous a livré régulièrement d'essentielles chroniques sur le libertinage d'aujourd'hui et l'éternelle difficulté d'aimer.

Réservé, secret, Jean-Marie Maurice Scherer a été professeur de lettres avant de se consacrer au cinéma. A partir de 1948, il écrit dans diverses revues dont Les Cahiers du Cinéma où il se lie avec les Jeunes-Turcs de la critique, les Truffaut, Godard et autres Chabrol. L'un d'eux, le romancier et bientôt scénariste Paul Gégauff le décrit avec humour: "Rohmer, c'est un honnête, un intègre, très prof". Rohmer a fait son apprentissage par des courts métrages amateur, en 16 mm muet, avant même d'écrire pour les Cahiers du cinéma. Certains de ces premiers essais n'ont apparemment jamais été répertoriés, et Journal d'un scélérat (1950), Bérénice (d'après Poe, 1954) et La Sonate à Kreutzer (d'après Tolstoï, 1956), sonorisés sur magnétophone, sont depuis longtemps invisibles.

En outre, il rate le départ de la "Nouvelle Vague": Le Signe du lion, avec Jess Hahn et Stéphane Audran, tourné en 1959 mais sorti en 1962, demeure confidentiel. Eric Rohmer doit attendre 1967 et le succès, public et critique, de La Collectionneuse pour connaître la notoriété de ses cadets. Devenu célèbre, il reste toujours aussi discret. A l'évidence, l'homme entend s'effacer derrière le cinéaste et laisser son oeuvre s'exprimer pour lui: "Au fond, je ne dis pas, je montre, je montre des gens qui agissent et qui parlent. C'est tout ce que je sais faire, mais là est mon vrai propos".

Contes moraux
Présenté au festival de Cannes en 1969, Ma nuit chez Maud, dont le premier titre était La Fille à bicyclette, est le quatrième des contes moraux réalisés par Eric Rohmer, et le troisième selon la numérotation que le cinéaste leur attribue. Jean-Louis Trintignant y est un ingénieur, catholique pratiquant, à la morale parfois ambiguë, nouvellement installé à Clermont-Ferrand. Un ami lui présente Maud, une jeune divorcée qui revendique sa liberté et qu'incarne Françoise Fabian. Au cours d'une discussion qui oppose évidemment leurs principes respectifs, Maud en arrive à accuser son interlocuteur d'être "un chrétien honteux, doublé d'un don Juan honteux". Cela n'entame absolument pas la fermeté ni la résolution du narrateur : il ne cède pas au charme de Maud et se décide même à aborder Françoise (Marie-Christine Barrault), la jeune fille qu'il s'est promis d'épouser.

"Tandis que le narrateur est à la recherche d'une femme, il en rencontre une autre qui accapare son attention jusqu'au moment où il retrouve la première". C'est ainsi que Rohmer résume le sujet de ses Contes moraux. Dans L'Amour l'après midi (1972), le narrateur, Frédéric/Bernard Verley, est plus que jamais amoureux de sa femme Hélène/Françoise Verley. Dans un contexte social et religieux où la monogamie est la règle, Frédéric se prétend comblé: "En étreignant Hélène, j'étreins toutes les femmes; je rêve que je les possède toutes". Et pourtant lorsqu'il retrouve Chloé, l'amie d'autrefois, il se prend à envisager "vivre deux vies en même temps" avec l'épouse et avec la maîtresse. "Je rêve d'une vie qui ne soit faite que de premières amours et d'amours durables; c'est dire que je veux l'impossible". Aussi Frédéric revient-il vers Hélène, au nom de principes moraux qui condamnent la polygamie. Et ainsi ont fait, avant lui, les personnages des Contes moraux. Heureux, sages ou résignés ?

Comédies et proverbes
"On continuera à parler beaucoup dans ces Comédies. On essaiera moins d'établir une attitude morale que des règles pratiques. On n'y débattra plus guère des fins, mais des moyens..." (E. Rohmer) De La Femme de l'aviateur (1981) à L'Amie de mon amie (1987), le cinéaste observe, avec l'apparent détachement du scientifique, les errances d'une jeunesse à la recherche de repères moraux sur une carte du Tendre dont la société a perdu la boussole. "Il ne faut pas chercher à connaître une époque par ce qu'on en dit. A mon avis, on la connaît d'autant plus si l'on s'attache au particulier et non au général. En prenant des gens qui vivent maintenant, ils sont forcément situés dans le présent, mais également dans l'éternité, dans l'immuable, parce qu'il y a des soucis qui ont toujours existé" (E. Rohmer)

Le rayon de la lune
De ces soucis, La Marquise d'O (1976) et Perceval le Gallois (1979) avaient dit la permanence, d'hier à aujourd'hui, au coeur du Moyen Age comme au début du XIXe siècle. Le prétexte en est "tout simplement cette chose totalement imprévisible qu'est l'amour" et dont "le feu doit prendre tout de suite, comme par surprise" (Marion/Arielle Dombasle, Pauline à la plage, 1983), ou se révéler "profond et durable parce que comme la vie [il] est dans le temps" (Pierre/Pascal Greggory, ibid) ; l'amour dans lequel entre "une part de volonté" (Sabine/Béatrice Romand, Le Beau mariage, 1982) alors que pour Louise et Rémi (Pascale Ogier et Tchéky Karyo), à l'inverse, il apparaît et disparaît Les Nuits de la pleine lune, (1984), comme si l'astre de la nuit était le seul maître du destin des hommes.

L'amour dont l'absence condamnerait Delphine (Marie Rivière) à la solitude si n'apparaissait à l'horizon de l'infini Le Rayon vert (1986), dont la fulgurante lumière impose le silence aux morales, aux certitudes, aux proverbes, à tous ces dérisoires remparts de mots qu'érige l'être humain pour se protéger de l'inconnu. Un silence semblable à celui de L'heure bleue qu'attendent la fille des champs et celle des villes (Joëlle Miquel et Jessica Forde, Quatre aventures de Reinette et Mirabelle, 1987), entre la nuit et l'aube, lorsque, dans la paix de la nature, tout paraît possible, même le bonheur.
C'est dans ces instants de plénitude et de beauté qu'Eric Rohmer s'est enfin révélé...

Destin impitoyable pour Jocelyn Quivrin (1979-2009)

Posté par MpM, le 16 novembre 2009

Jocelyn QuivrinJocelyn Quivrin est mort dans un accident de la route dans la nuit du 15 au 16 novembre. Cet acteur éclectique qui fréquentait les plateaux de cinéma depuis l'âge de treize ans (il est Philippe, le Duc d'Anjou, dans Louis, enfant roi de Roger Planchon) semblait avoir pris le temps de gravir un à un les échelons de la notoriété.

Tout d'abord à la télévision, dans les séries à succès Navarro ou Julie Lescaut, puis au théâtre à Avignon (Do you love me de Redjep Mitrovista en 1998) et chez Oscar Wilde (L'éventail de Lady Wintermere mis en scène par François-Louis Tilly en 2003) et au cinéma pour Cédric Klapisch (Peut-être) ou Alexandre Jardin (Le prof). Il est souvent "le jeune mec, le cousin qui figure dans le plan, le lycéen de service".

Jusqu'à la révélation dans Rastignac ou les ambitieux d'Alain Tasma, un téléfilm diffusé par France 2 en 2001. A 22 ans, il crève l'écran en flamboyant héros de Balzac et reçoit le prix d'interprétation masculine au Festival de Luchon.Il faudra malgré tout attendre 2005 et l'Empire des loups de Chris Nahon pour que les choses s'accélèrent un peu pour lui. Il tourne beaucoup, sans s'attacher à un registre précis : à Hollywood (Syriana de Stephen Gaghan), en costumes (Jacquou le croquant, Jean de la Fontaine, Le défi), chez Eric Rohmer (Les amours d'Astrée et de Céladon), dans des comédies (99 francs qui lui vaut une nomination aux César, Cash, à nouveau aux côtés de Jean Dujardin), avec sa compagne Alice Taglioni (Notre univers impitoyable)... Une frénésie et une curiosité récompensées en 2008 par le prestigieux Prix Patrick-Dewaere (anciennement prix Jean Gabin).

Dernièrement, on l'avait bien aimé face à un Bénabar rongé par la culpabilité (Incognito) et à l'affiche du grand succès populaire LOL de Lisa Azuelos, tout en regrettant que personne ne lui confie un vrai premier rôle à sa  mesure. Peut-être pourra-t-on se consoler avec La famille Wolberg en décembre. Il incarne à nouveau un personnage secondaire, mais il y est intense et saisissant. Plus tard, on le verra à l'affiche de L'île aux parents de Léa Fazer et Fashion week de Claude Zidi jr.