Comme à Ecran Noir on aime vous faire partager nos découvertes, alors après Playgirl réalisé par Gilles Guerraz, voici l’instant Court n° 4.
Le dessin-animé a longtemps souffert de n’être pas assez considéré comme un film à part entière. C’est au Japon que l’animation trouvera ses lettres de noblesse jusqu’à influencer les films de cinéma traditionnel : Mamoru Oshii (Ghost in the Shell), Hayao Miyazaki (Princesse Mononoké), et le regretté Satoshi Kon (Paprika)… Depuis il y a des records de fréquentation en salles avec par exemple Shrek, Toy Story 3 (et à la télé avec la famille Simpson, South Park…), désormais on parle bel et bien de film d’animation.
Maintenant les initiales du CNC se lisent "Centre National du Cinéma et de l’Image Animée". En 2011 pour la première fois, la cérémonie des Césars aura enfin une catégorie meilleur film d’animation. Preuve que les choses changent lentement. Car si le court-métrage français Logorama a gagné un Oscar l’année dernière, il sera seulement cette année en compétition pour le César...
Voila donc le court-métrage Attrapez-les toutes réalisé par un groupe d’étudiants (Guillaume Duchemin, Hugo Touzé, Romain Levavasseur, Marc Domingo, Alexandre Prod'homme) en formation aux différentes techniques d’animation à l’école EMCA. Ils reprennent à leur compte les clichés des mangas japonais pour les réunir en un concentré explosif…
Le réalisateur Alexandre Prod'homme nous raconte cette expérience :
Ecran Noir : Quelles sont les principales étapes pour le rendu d’une scène en animation ?
Alexandre Prod'homme : Je dirais que ce qu'il faut chercher c'est la cohérence plus que quelques étapes-clef en particulier. La démarche en animation n'est pas si éloignée de la prise de vue réelle : on pense un scenario, on réfléchit en terme de découpage/cadrage... Et si on met de côté toute considération technique, on place plus ou moins un décor, un éclairage et enfin un jeu d'acteur... Vient la post-prod, puis le son ! C’est un projet de fin d'étude réalisé en trois mois, il nous a permis d'exercer des outils que l'on venais tout juste d'acquérir.
EN : Quels sont les clichés qui circulent sur cette culture japonaise manga ?
AP : Ouh, vaste sujet ! À une époque, une très sale étiquette collait à la culture nippone. On entendait des choses comme "les mangas sont violents et pornographiques..." Et bien sur c'était vrai, mais aussi très réducteur. Depuis, heureusement, les mentalités ont évolué et l'occident découvre la richesse de la production nippone et maintenant assimile certains de ces codes. Pour parler du film ce dernier est très "gratuit" sur son scenario : nous avons exploré des clichés car c'était très amusant. Quel est le point commun entre ma mère et la petite sœur de ma copine ? Les deux connaissent Pikachu, c'est une véritable icône. Il y a aussi le cliché, international lui, du gars qui vit littéralement derrière son ordinateur. On lui a simplement greffé une composante perverse : ça serait mentir que de nier que l'érotisme, les jupes et les fortes poitrines sont omniprésentes dans cette culture. Mais ce n'est pas forcement quelque chose d'aussi malsain que ce que l'on montre, on exagère. En revanche la chorégraphie est un "mème" (=une iconographie persistante au sein d'une communauté virtuelle. Elle prend la forme d'expressions, d'illustrations, de photographies ou bien encore de personnes plus ou moins célèbres. ) qui circule sur internet, sur une chanson appelé Caramelldansen !
EN : Pourquoi cette culture japonaise a-t-elle tant d’influence sur un futur réalisateur d’animation ?
AP : Je pense que beaucoup de jeunes animateurs sont plus ou moins directement influencés par la culture pop japonaise. Certains l'assument, d'autres moins. Mais la France est le deuxième pays consommateur de manga au monde, derrière le japon lui même, et ces deux pays sont de très gros producteurs d'animation : les échanges culturels sont inévitables. Au dernier Festival International du Film d'Animation d'Annecy, c'est 2 longs-métrages en compétition sur 7 qui étaient japonais. Après, ce qui plait aux jeunes réalisateurs, c'est ce qui plait inconsciemment je pense à n'importe quel personne qui "goute" au manga : narration très fluide, découpages et/ou cadrages dynamiques, variétés des scénarios et des traitements. Bien loin des clichés, on trouve des mangas d'absolument tout : même sur des types voulant devenir boulanger à tout prix. Comme créateur, au-delà de l'animation, c'est un pays qui fascine, qui mélange au quotidien une ultra modernité et des valeurs ancestrales. Ce qui était amusant dans notre groupe, c'est que nous ne sommes pas tous à 100% des dingues de "japanimation".
Guillaume est l'initiateur du projet, c'est un dessinateur hors pair qui en connait effectivement un rayon sur les mangas ; Romain est un monstre de travail , pour les scènes dans la chambre chaque livre/dvd sur l'étagère est unique, on peut compter les tomes, il a placé des dizaines de tomes de ‘One Piece’ mais il n'en a jamais lu un seul, c'est celui qui a surement la culture manga la plus ténue ; Hugo a grandi avec les jeux-vidéos et il a beaucoup apporté au film ; Marc (alias l'Indien) a une culture plus Science Fiction/Star Wars/Zombies, tout le passage planche de manga fut son idée, pour boucler une scène avant la dead-line ; et moi je suis certainement l'un des pires ‘otaku’ (ce terme est moins péjoratif en France où il désigne plus généralement les fans de manga et de japanimation sans les connotations d'isolation sociale) de l'équipe, je me suis occupé d'écrire au Japon pour avoir l'accord de la vraie chanteuse japonaise qui double des animés car ça me tenait vraiment à cœur !
EN : Les films de type blockbusters spectaculaires font appel de plus en plus aux outils numériques. Qu’est ce qui les distingue des films d’animation ?
AP : Justement, la barrière entre ces genres s'amincit sérieusement ! La différence capitale reste bien sûr que l'acteur en chair et en os reste au milieu de la production... Encore que dans Avatar, les gens sont vraiment allés voir pour moi un film d'animation ! Un film comme le Pôle Express, où la technique de motion-capture a été utilisé pour digitaliser l'acteur Tom Hanks, le produit final est un film d'animation assumé ! Un autre bon exemple de l'effacement de ces frontières dans l'actualité est Le Royaume de Ga'Hoole . Enfin, dans les blockbuster, on a un soucis de réalisme permanent dans le traitement graphique, là où en animation on peut s'affranchir de certaines limites visuelles (jouer avec les textures, animation, gravité etc...) mais il convient quand même de rester cohérent vis-à-vis de l'univers que l'on définit.
L’univers du manga japonais et ses produits dérivés (surtout les séries d’animation en dvd) sont à la fête cette semaine à Paris avec le spectacle Japan Anime Live, avec la venue de la troupe Tokyo Decadance, avec le salon Chibi Japan Expo jusqu'au 31 octobre…
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