Sortie de route pour Peter Yates (1929-2011)

Posté par vincy, le 11 janvier 2011

Sa filmographie a peut-être moins marqué les esprits que celle de ses confrères de la même époque, pourtant Peter Yates a signé une scène d'anthologie du 7e art : LA course-poursuite du siècle. Dans Bullitt (1968), une Mustang et une Dodge se filent dans les rues et les faubourgs de San Francisco, avec une allure variant de 120 à 180 kilomètres heure. La séquence a nécessité trois semaines de tournages pour une durée sur grand écran de 9 minutes 42 secondes. Seul regret, il n'y eut pas l'autorisation pour faire passer les deux voitures sur le pont du Golden Gate. Mais il y a tout le reste : certes le découpage est habile et les deux voitures deviennent des personnages à part entière. Cependant, les deux modèles offraient aussi des sons différents : une boîte de vitesse manuelle, nerveuse donc, pour la Mustang, et la boîte automatique, plus silencieuse de la Dodge. Les crissements des pneus rajoutaient une dose de stress. Et surtout, la musique de Lalo Schiffrin accompagnait à la perfection les images, s'effaçant presque au moment de l'explosion de la Dodge.

Le britannique Peter Yates fut donc le réalisateur qui réalisa cette folie. Né en 1929, il est décédé dimanche 9 janvier, à l'âge de 81 ans, des suite d'une longue maladie.

Il a débuté dans les années 1950 en étant assistant doubleur, puis assistant réalisateur (Les Canons de Navarone, Un brin d'escroquerie). Alternant petit et grand écran, il se forme au style britannique, mélangeant le réalisme social et les thrillers à forte tension, où sexe et violence font des arrière-plans dignes des films noirs.

Son premier film de cinéma, Vacances d'été, il le réalise en 1963. Une comédie musicale romantique avec Cliff Richard que devait faire Ken Russell. Puis il signe l'adaptation d'une pièce comique à succès, One Way Pendulum. Mais c'est en 1967 qu'il se fait remarquer, après plusieurs épisodes du Saint et de Destination Danger, en "modernisant" le premier western américain, Trois milliards d'un coup (The Great Train Robbery), film de braquage où il met déjà en scène une poursuite de voitures (dans les rues de Londres). Elle est si réaliste que cette séquence décidera Steve McQueen à l'engager pour Bullitt, l'année suivante.

Ce dernier est évidemment un de ces polars indémodables, mélange de corruption, volupté et de suspens, où la direction artistique et les comédiens (magnifiques Steve McQueen, Jacqueline Bisset et Robert Vaughn) sont aussi importants que le cadre et le montage. Énorme succès, le film gagne l'Oscar du meilleur montage, le prix Edgar Allan Poe du meilleur film, et rentrera au Patrimoine National du Cinéma en 2007.

Si ses films sont méconnus, c'est injuste. John et Mary (1969) avec Dustin Hoffman (meilleur acteur aux prix BAFTA) et Mia Farrow,  La Guerre de Murphy (1971), avec Peter O'Toole et Philippe Noiret, Les Quatre malfrats (1972, nommé à l'Oscar du meilleur montage) avec Robert Redford et George Segal, Les Copains d'Eddie Coyle (1973) avec Robert Mitchum sont des divertissements qui méritent le détour, et pas simplement pour leurs stars. Il touche à tout, du film de guerre à la comédie (son genre de prédilection) à raison d'un film par an : Ma femme est dingue (1974) avec Barbra Streisand, Ambulances tous risques (1976) avec Bill Cosby (du Cosby Show), Raquel Welch et Harvey Keitel (jeune), le film d'horreur Les grands fonds (1977, en pleines Dents de la mer "mania"), avec Jacqueline Bisset et Nick Nolte..

En 1979, il réalise La Bande des quatre, l'un des meilleurs films sportifs, et sans doute le meilleur sur le vélo. Le film est un fiasco financier mais il glane 5 nominations aux Oscars (film, actrice, réalisateur, musique et scénario, qu'il remporte). Il gagne aussi le Golden Globe du meilleur film dans la catégorie comédie.

Il se dirige alors vers le thriller. L'oeil du témoin (1981) avec Sigourney Weaver et William Hurt, le film fantastique Krull (1983), semi échec présenté à Avoriaz, ou encore Eleni (1985) avec un jeune John Malkovich, Suspect dangereux (1987) avec Cher, Dennis Quaid et Liam Neeson, succès de l'époque, Une femme en péril (1988) où il gagna le prix du meilleur film au Mystfest, avant de sombrer dans des séries B voire pire, malgré des castings plus ou moins chics. Une succession d'échecs artistiques et publics. Ironiquement son dernier film se nommera Curtain Call (1999). Le rideau est baissé.

On datera sa fin artistique à 1983. En réalisant le drame L'habilleur (1983), avec Albert Finney, qu'il obtient ses derniers lauriers : Cinq nominations à l'Oscar (dont film, réalisateur, scénario, et deux fois dans la catégorie acteur), sept nominations aux prix BAFTA et deux prix au Festival de Berlin (acteur, prix CIDALC récompensant un film qui oeuvre à la propagation des arts et de la littérature). Le film, histoire théâtrale où l'apprenti et le maître se combatte à travers Le Roi Lear, a reçu un joli accueil public.

Poupoupidou : une belle au bois dormant qui attend son prince charmant

Posté par elodie, le 11 janvier 2011

L'histoire : Il est parisien et l'auteur de polars à succès. Elle est l'effigie blonde du fromage Belle de Jura, la star de toute la Franche-Comté, persuadée qu'elle était, dans une autre vie, Marilyn Monroe... Quand ils vont se rencontrer à Mouthe, la ville la plus froide de France, lui est en panne totale d'inspiration et elle déjà morte. "Suicide probable aux somnifères" selon la gendarmerie. David Rousseau n'y croit pas. En enquêtant sur le passé de Candice Lecoeur, il est sûr de tenir un sujet pour un nouveau roman.

Notre avis : Le synopsis ainsi que les premières images du film nous laissent un peu dubitatifs. Avec ses plans de grands paysages enneigés, il a tout du style ennuyeux d'un film flirtant avec Fargo. Pourtant, Poupoupidou est une jolie surprise avec cette atmosphère de No Man's Land, cette sous-Marilyn, ce James Ellroy de pacotille. Mouthe, la ville la plus froide de France (autant dire le pôle Nord) est le théâtre de la mort de la star locale de la région. Une histoire policière pas comme les autres se dessine. Avec son deuxième film (Avril, 2006), Gérald Hustache-Mathieu a décidé de jouer dans l'originalité en transposant la propre histoire de Marilyn Monroe sur celle de son héroine, une blonde platine version Franche-Comté.

Poupoupidou est un mélange entre la comédie et le thriller. Le réalisateur manie avec plaisir ces deux genres. Avec subtilité, il parvient à faire rire et à nous tenir en haleine, certes, sans le brio d'un Aki Kaurismäki. La musique séduit par son ambiance jazzy, les gags font presque oublier que nous sommes dans un trou perdu. Les fameux journaux intimes de Candice Lecoeur permettent de faire quelques flashs back sur sa vie du début de sa carrière d'égérie d'un fromage de Franche Comté (le Belle de Jura) à ses prestations en tant que Miss météo pour la chaine locale. On avance ainsi dans l'enquête à travers les yeux d'un paumé fantasmant sur une bombe sexuelle de pacotille.

Le duo Jean-Paul Rouve-Sophie Quinton insuffle le rythme et le charme du film. Le premier exploite une facette méconnue de son jeu. Il est brillant dans son rôle d'écrivain à succès de polars La seconde illumine toute cette froideur. Ils s'amusent de l'imposture qu'ils représentent, comme deux comédiens assument le faux masque qu'ils portent. Divertissant, Poupoupidou se moque de ces vautours qui ne comprennent rien aux tragédies intimes mais savent si bien les exploiter.  Si leur histoire d'amour est vouée à l'impasse, le film puise dans ces malédictions pour offrir quelques moments de délectations.

Le fils à Jo : le cinéma régionaliste gagne du terrain et veut marquer un essai

Posté par kristofy, le 11 janvier 2011

L’histoire : Petit-fils d’une légende de rugby, fils d’une légende, et lui-même légende de rugby, Jo Canavaro élève seul son fils de 13 ans, Tom, dans un petit village du tarn. Au grand dam de Jo, Tom est aussi bon en maths que nul sur un terrain. Pour un Canavaro, la légende ne peut s’arrêter là, quitte à monter une équipe de rugby pour Tom contre la volonté de tout le village et celle de son fils lui-même…

Notre avis : Bienvenue à Doumiac, village du Tarn autant connu pour ses gloires passées en rugby que pour la bonhommie de ses habitants, et en particulier Jo Canavaro ex-joueur de rugby qui entend bien que son fils Tom suive ses pas ("Les Canavaro c’est plus qu’une marque de fabrique, et malheur à qui cassera le moule."). Sauf que le petit Tom est nul en rugby et que les dirigeants de l’équipe locale ne veulent pas de lui…

Jo Canavaro est une figure du village, les Canavaro font du rugby de père en fils, ils ont même un terrain pour jouer qu’ils utilisent de génération en génération. A Doumiac il est naturel pour tout le monde que n’importe quel gamin fasse des passes avec un ballon ovale, alors Jo commence à désespérer de son fils, comme d'autres désespéraient de voir un gamin préférer le ballet à la boxe. Simultanément, ‘son’ terrain de rugby géré par la municipalité est finalement vendu à une société britannique qui va redémarrer l’activité de l’entreprise du coin : Jo Canavaro doit partir... A partir de ces bouleversements, il va s’entêter à retrouver un autre terrain et reformer une équipe de rugby pour y intégrer son fils. Il n’a aucun moyen ni même aucune chance de réussir, mais il est entouré du simplet du village Pompon et de son fidèle pote Le Chinois qui est de retour après avoir bourlingué. Jo Canavaro se rend compte alors qu’il s’accroche aux souvenirs d’une autre époque et qu’il craint ne pas réussir à les transmettre à son fils. Les choses pourraient peut-être s’arranger mais les évènements lui échappent…

Le rugby c’est plus qu’une religion.

Le monde du rugby était encore peu ou mal représenté au cinéma, l’occasion était belle de s’en servir pour une comédie. Toutefois, même si le rugby y tient une place importante, le film évite de d’aborder les gestes techniques, ni même la fameuse troisième mi-temps festive. Le sport est presque laissé de côté car Le fils à Jo raconte surtout l’histoire des hommes qui le pratiquent. Même les néophytes ne seront pas perdus puisque la caméra est de toute façon plus tournée vers ceux qui sont au bord du terrain. C’est une histoire d’hommes qui en ont : des principes, de l’obstination, et du caractère à l’ancienne. Il est avant tout question de transmission d’une passion et de valeurs entre un père et son fils et en même temps de fidélité à ses amis. Le hasard fait bien les choses puisque autant le réalisateur que les acteurs Gérard Lanvin (Jo Canavaro) et Olivier Marchal (Le Chinois) ont pratiqué le rugby. Quant à Vincent Moscato, c'est un joueur de haut niveau reconverti en comédien. Ces personnages qui portent une virilité gaillarde en étendard ont une grosse carapace avec bien entendu derrière un grand cœur. Ils vont enfin prendre la mesure du temps qui a passé et qu’ils vont essayer de rattraper...

Premier film réalisé par Phillipe Guillard, qui a œuvré comme co-scénariste des "comédies" de Fabien Onteniente (3 zéros, Camping, Disco…), lui-même ancien rugbyman (champion de France), Le fils à Jo ne sort pas forcément de la mêlée mais ne mérite pas les sifflets. Si les péripéties sont certes prévisibles, il y a quand même quelques moments touchants, sans trop de vulgarité.

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Nota bene : Tour de Gaule (par V.)

Le fils à Jo est un film-terroir. Une tendance qui prend de l'ampleur dans un pays de plus en plus nombriliste, nostalgique d'une certaine idée de lui-même, peu enclin à s'ouvrir aux métissages. L'identité française n'est plus le "vivre ensemble" mais le "vivre chez nous". Bienvenue chez les Ch'tis reste à date le sommet du genre, et fut d'ailleurs copié. Désormais on sort les films "régionaux" dans leur région en avant-première, où ils bénéficient d'un circuit de distribution "de proximité". Loin de l'intelligentsia parisienne accusée de tous les maux. Ainsi Mariage chez les Bodin's a cartonné dans la région Centre, L'Apprenti a fait l'essentiel de ses entrées en Franche-Comté et Dany Boon remet ça avec son prochain film, Rien à déclarer, qui sortira d'abord en Belgique et dans le Nord de la France. Le fils à Jo n'a pas fait exception, en étant en salles depuis deux semaines dans le sud-ouest.

Ce populisme ("tendance artistique et en particulier littéraire qui s'attache à l'expression de la vie et des sentiments des milieux populaires" selon le Larousse) mériterait peut-être davantage de films dignes des romans de Zola que des comédies nous prenant par les sentiments. Mais ça c'est une autre histoire. À force de dénigrer les élites et de flatter le public, une chose est certaine : on nivellera plus qu'on élèvera par le haut. Le terroir ça a du bon, mais il serait plus intéressant de le confronter au monde, non en tant qu'ennemi mais en tant qu'apporteur de richesses. Cet anti-impérialisme qui soutient les scripts de ces films ne peut pas déboucher sur autre chose qu'un repli sur soi.