Rencontres Henri Langlois 2013 : Anne-Dominique Toussaint, productrice proactive
Anne-Dominique Toussaint, fondatrice des Film des Tournelles, et heureuse productrice de succès populaires comme Le coût de la vie de Philippe Le Guay, Les beaux gosses de Riad Sattouf ou Caramel de Nadine Labaki, a immédiatement répondu présente lorsque les Rencontres Henri Langlois lui ont demandé d'animer leur désormais très courue leçon de cinéma.
"J'ai été très flattée qu'on me choisisse", déclare-t-elle, "car les leçons de cinéma des Rencontres Henri Langlois sont très célèbres. Et surtout je suis toujours très contente qu'on me propose de parler de mon métier car c'est un métier que j'aime beaucoup, que je trouve passionnant, et qui est très méconnu, en tout cas très caricaturé. La production, en gros, c'est faire exister un film. Le rôle d'un producteur, c'est accompagner un artiste dans la réalisation d'une idée, jusqu'à un film qui est projeté à un public sur grand écran."
Presque seule en scène durant deux heures, celle qui a reçu en 2011 le prix "Veuve Cliquot" de la femme d'affaires de l'année, a ainsi donné devant une salle comble un véritable cours magistral sur les réalités de la production et notamment sur ses étapes, qui vont de la rencontre décisive avec un réalisateur et son projet à la collaboration avec le distributeur pour accompagner au mieux le film terminé, en passant par le soutien pendant l'écriture du scénario, le choix du casting, les recherches de financement, et bien sûr le tournage, le montage, la post-production...
Anne-Dominique Toussaint, passionnée par son métier, tranche avec la vision un peu poussiéreuse que l'on pourrait avoir de cette fonction. Ainsi, plutôt que d'attendre l'arrivée miraculeuse du scénario idéal sur son bureau, elle préfère prendre les devants, quitte à être à l'origine même des projets qu'elle produit. "Chaque producteur a sa propre méthode", explique-t-elle en revendiquant sa part de subjectivité. "Mais pour moi, la chose la plus importante, c'est la rencontre avec un réalisateur. Il faut avoir envie de passer deux ans avec quelqu'un."
C'est ainsi qu'elle est allée chercher Emmanuel Carrère avant même qu'il n'ait un projet en tête (ils tourneront ensemble Retour à Kotelnitch en 2003 et La moustache en 2005) mais aussi qu'elle a suggéré à Riad Sattouf d'écrire un scénario sur les adolescents, lui offrant l'opportunité dont il rêvait de passer derrière une caméra. Ce fut Les beaux gosses en 2009, suivi par Jacky au royaume des filles qui sortira le 29 janvier prochain.
Parfois, cela va encore plus loin. Lors de son premier séjour au Liban, où elle accompagnait Respiro d'Emanuele Crialese, Anne-Dominique Toussaint a croisé la route d'une jeune Libanaise qui ne pouvait pas concevoir sa vie sans faire de cinéma. "Elle m'a fait un effet très fort", se souvient-elle. "Touchée, je lui ai demandé ce qu'elle voulait raconter et elle m'a dit : "je veux parler des femmes de mon pays.""
"C'est comme en amour : il y a des hommes, peut-être que ce serait formidable de les avoir rencontrés, mais je ne les ai pas rencontrés, et ce n'est pas très grave non plus"
La productrice lui propose alors de lui envoyer son projet. "Elle m'avait tellement marquée que quand je suis rentrée, comme au bout de quinze jours, trois semaines, elle ne m'avait toujours rien envoyé, c'est moi qui l'ai relancée ! Je n'ai jamais refait ça de ma vie après, parce que j'en rencontre quand même beaucoup des gens qui veulent faire du cinéma, qui me proposent des choses..." La jeune Libanaise, c'était Nadine Labaki avec qui elle tournera Caramel et Et maintenant on va où. Deux très beaux succès public et critiques.
Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'Anne-Dominique Toussaint a un 6e sens pour découvrir et soutenir des talents en devenir. Peut-être parce que la production n'est pas qu'une question de gros sous, de copinage et de jeux de pouvoir. Bien sûr, il faut un certain réalisme, et l'art de garder la tête froide pour ne s'enthousiasmer que sur des projets susceptibles de rencontrer leur public. Mais il faut surtout une sensibilité artistique presque divinatoire, pour débusquer, dans l'esprit de ses interlocuteurs, les bons films en gestation.
Et tant pis si la perle rare reste à l'état de scénario qu'Anne-Dominique Toussaint n'a pas le temps de lire : "Je n'ai pas de culpabilité par rapport à ça, je ne peux pas tout lire. C'est très impliquant de lire un scénario. C'est essayer de comprendre le film, de voir le film. Après, quand on a lu, la personne attend un retour... Donc c'est une vraie énergie intellectuelle. Je fais les choses à mon rythme, donc tous les scénarios que je choisis, je suis heureuse de les faire et de les choisir. Il y a des choses, je vais passer à côté, mais forcément ! C'est comme en amour : il y a des hommes, peut-être que ce serait formidable de les avoir rencontrés, mais je ne les ai pas rencontrés, et ce n'est pas très grave non plus. Je me suis auto-conditionnée pour n'avoir aucune culpabilité par rapport à ça, ni regret. J'assume."
Une posture qui, jusque-là, lui a plutôt bien réussi.
Copyright photo d'illustration : Sébastien Laval, Rencontres Henri Langlois, Poitiers.
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