Posté par MpM, le 12 février 2015
Décidément, la compétition officielle de cette 65e Berlinale fait le pari du rire et de la légèreté. Malgré des sujets souvent graves ou douloureux, les films semblent en effet avoir cherché à rivaliser d'humour, parfois franchement noir, comme dans Aferim de Radu Jude (sur les préjugés racistes) ou plus ironique, comme dans Body de Malgorzata Szumowska (sur une spiritiste persuadée d'être en contact avec les morts).
Peter Greeneway s'est lui carrément tourné vers la farce flamboyante pour rendre hommage à l'un des plus importants cinéastes du début du 20e siècle, le surdoué et fantasque Serguei Eisenstein. Eisenstein in Guanajuato se déroule au Mexique du début des années 30, alors que le réalisateur russe n'a encore que deux films à son actif. Décidé à tourner en Amérique latine, il s'installe dans la petite ville de Guanajuato où il fait la connaissance de Palomino, un fringant Mexicain qui lui sert tout à la fois de guide, d'ange gardien et d'initiateur.
Dans une cinématographie exubérante (plans courts frénétiques et hallucinés, split screens, travellings acrobatiques...), le film aborde tour à tour les mystères de la création artistique, le rapport à la mort et à la sexualité et la révolution intérieure aussi bien physique qu'intellectuelle subie par le cinéaste au cours de son séjour. Greenaway ne recule devant rien (sa scène de dépucelage atteint des sommets d'outrance) pour rendre palpable la personnalité complexe de son personnage, "clown tragique" déjanté et génial.
Il fallait bien toute la folie cinématographique de Greenaway (qui se sert avec maestria de tout ce que la grammaire cinématographique compte d'effets, parfois jusqu'au vertige) pour saisir la folie complexe et structurée d'Eisenstein. Sa logorrhée rapide, sa nonchalance face à l'autorité, ses talents de conteur, son caractère indomptable et provocateur... le portrait est joyeux et décomplexé, savoureuse tranche de vie au dénouement attendu plutôt que biopic tenté par la psychologie de comptoir. On est à la fois bluffé par le rythme trépidant du film et enchanté par l'inventivité du réalisateur qui parvient à mettre en adéquation son style et son sujet.
A Berlin est traditionnellement remis le prix Alfred Bauer qui "ouvre de nouvelles perspectives dans l'art cinématographique ou offre une vision esthétique novatrice et singulière". Pour 2015, Eisenstein in Guanajuato semble tout indiqué. Mais au fond, on serait un peu déçu qu'il ne reparte qu'avec ce prix "singulier" tant il est manifestement l'aboutissement d'une réflexion captivante sur ce qu'est, peut et devrait être le cinéma.
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Posté par vincy, le 12 février 2015
Christian Slater, Gad Elmaleh, Helmut Newton, Lisa Azuelos, Joan Collins, John Malkovich... les célébrités ont été sous les feux des projecteurs ces derniers jours mais pas pour leur talent de comédien, de réalisateur ou de photographe de stars. Ils font tous partis des fichiers révélés par Le Monde dans l'affaire d'évasion fiscale organisée par la filiale suisse de la banque HSBC, affaire communément appelée SwissLeaks.
Certains ont régularisé leur situation. Les sommes n'étaient pas non plus énormes. Mais le symbole fait mal et atteint leur image.
Simultanément sur les écrans français on peut découvrir L'Enquête, thriller journalistique et juridique autour de l'affaire Clearstream (qui soupçonnait un blanchiment d'argent aux plus hauts niveaux du pouvoir). Clearstream c'est une affaire politico-juridico-financière des années 2000 Mais c'est toujours d'actualité. La finance, et notamment la crise de 2007/2008, inspire de plus en plus le cinéma (il suffit de revoir Margin Call) et de nombreux projets sont dans les tuyaux.
Mais les documentaristes ne sont pas en reste. Toujours à l'affiche, sorti il y a une semaine, avec succès, Le Prix à payer, réalisé par le canadien Harold Crooks, décrypte le système mondial de la fraude et de l'optimisation fiscale. Un ciel orageux et menaçant sert de fil conducteur à un récit aussi effarant qu'Inside Job l'était sur la crise financière. L'orage est évidemment une métaphore: c'est le risque de voir les démocraties et les modèles socio-démocrates foudroyés par des mécanismes créés par les banques et les entreprises pour éviter de payer l'impôt, s'enrichir et au passage appauvrir les nations et leurs peuples.
Les témoignages se suivent et l'on constate que cette nouvelle aristocratie qui se croit au dessus des Lois et se permet de s'affranchir de ses droits et devoirs n'a pas de morale.
La pédagogie prime (et c'est en cela où il est passionnant) sur le sensationnalisme. C'est rigoureux et implacable. Un peu trop convenu sans doute, un peu trop sérieux peut-être. Pas de caméra cachée, pas de révélation, pas de secrets dévoilés. Juste une démonstration "technique" qui permet de comprendre comment il est facile de frauder en toute impunité. Il permet aussi de saisir à quel point les parlements et les gouvernements sont impuissants face aux géants bancaires ou aux mastodontes pesant des milliards d'euros en bourse comme Apple, Amazon ou Google. Les auditions des cadres de ces groupes devant des parlementaires sont filmées comme des gardes à vue, des interrogatoires où les rares repentis sont devenus des ardents défenseurs de taxe Robin et de justice fiscale.
Tout est affaire de morale: du pasteur au trader en passant par le mouvement Occupy et des conomistes réputés. En guest-star, l'économiste Thomas Piketty. Face à eux, lobbyistes et fatalistes. Le documentaire plaide pour une riposte politique coordonnée, par une taxation des transactions financières et une harmonisation fiscale des Etats.
Harold Crooks tire le signal d'alarme avec animations et images d'archives. Mais le feu s'est déjà propagé.
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