[69, année érotique] Cannes 2016: Shortbus en 2006

Posté par MpM, le 20 mai 2016

A Cannes, qui dit sexe cru dit presque toujours polémique, huées et sifflements, sans oublier l’inévitable parfum de scandale potentiel qui envahit la Croisette avant même la projection du film. Dans le cas de Shortbus de John Cameron Mitchell, pourtant, rien de tout ça. Oh, bien sûr, quelques esprits chagrins n’auront pu s’empêcher de qualifier le film de "sulfureux", de "transgressif", voire de "pornographique", sous prétexte de relations sexuelles non simulées.

Mais il fallait assister à la projection officielle du film, une séance de minuit joyeuse et pleine à craquer de ce mois de mai 2006, pour mesurer le degré d’enthousiasme générés par cette œuvre audacieuse et émouvante. Face à l’ovation qui a suivi le générique de fin, pendant plusieurs longues minutes, à une heure déjà très avancée de la nuit, le réalisateur a d’ailleurs eu bien du mal à retenir ses larmes.

Pas si étonnant si l’on considère que Shortbus parle avant tout… d’amour, réconciliant un cinéma cru, c’est-à-dire pas hypocrite dans sa manière d’aborder la sexualité, et un cinéma d’auteur intelligent et sensible capable de capter l’essence d’une époque. Les couples et les personnages au cœur du film sont tous en quête d’un accomplissement, personnel ou sentimental, fait de désirs assouvis, de plaisirs assumés et d’émotions véritables. Cela passe, évidemment, par la recherche d’une sexualité désinhibée et épanouissante, ou plutôt, il faudrait dire de sexualités au pluriel, tant Shortbus réunit sans les opposer, ni bien sûr les juger, toutes les sexualités : féminines comme masculines, gays et hétéros, en couple, en trio ou en groupe… à partir du moment où elles sont libres et consenties, tout est possible.

Si le film multiplie les scènes crues (autofellation, simili-orgies…), elles ne sont jamais filmées de manière glauque ou provocante, mais au contraire toujours montrées avec sensualité et bienveillance. Et parfois avec humour, car rire de nos fantasmes et de nos frustrations est déjà un premier pas dans cet accomplissement qui a besoin d’être individuel avant de pouvoir devenir collectif. Les trentenaires de Shortbus ont peut-être du mal à jouir, au sens propre comme au sens figuré, mais personne ne le leur interdit. Et cette liberté contamine joyeusement un film coloré, festif, charnel et électrique qui fait un bien fou. Malgré son constat doux-amer, si ce n’est désenchanté, il incarne le feel-good movie par excellence, de ceux qui réveillent tous les appétits du spectateur.

[69, année érotique] Cannes 2016 : Kids en 1995

Posté par wyzman, le 19 mai 2016


La sexualité adolescente. Plus sérieux qu'American Pie et moins stylisé que Kaboom, Kids de Larry Clark est une œuvre puissante et intemporelle sur la naissance du désir sexuel chez les jeunes. Ça tâtonne, ça se vante à outrance et ça fait des erreurs. Bref, c'est un film sur des ados qui découvrent leur corps, le rapport à l'autre et surtout l'envie de l'autre. Véritable révélation du Festival de Cannes 1995, Kids est produit par Gus Van Sant (Elephant) et co-écrit par Harmony Korine (Spring Breakers).

Pas étonnant dès lors qu'ils aient mis en scène une œuvre que l'on rapproche sans cesse des livres (les bons) de Bret Easton Ellis et qui dépeint avec une subtilité effarante toute une génération d'adolescents. Celle qui a conscience du danger que représente le sida mais qui refuse tout de même de se protéger. Persuadée que cela touche davantage les homosexuels, cette génération pense sincèrement que lors du premier rapport sexuel, seule une grossesse non désirée est à craindre...

Audit Festival de Cannes, le film n'a pas manqué de marquer les esprits car au lieu d'aller chercher des acteurs au visage juvénile, Larry Clark a préféré caster de jeunes inconnus dénichés dans la rue. Dès lors, la gêne était totale sur la Croisette. Le langage est cru - mais authentique. Les scènes de sexe sont dérangeantes - car réalistes. Les transgressions sont nombreuses - et tellement faciles. Sans le savoir, Larry Clark a filmé avec Kids, le film qui deviendra rapidement la référence en termes de teen movie trash. Voilà sans doute pourquoi, deux décennies plus tard, The Smell Of Us fait mal au cœur quand Bang Gang (Une histoire d'amour moderne) agace par son manque d'originalité !

[69, année érotique] Cannes 2016: The Brown Bunny en 2003

Posté par vincy, le 17 mai 2016

Plus les années avancent, et plus le public semble anesthésié à Cannes. Il y a bien quelques huées à la fin de certains films. Quelques accrédités qui quittent la salle. Mais les scandales sont devenus très rares. Quand Vincent Gallo est sélectionné en compétition au Festival en 2003, il ne se doute pas encore que son film sera rejeté par les festivaliers.

Il faut dire que The Brown Bunny n'était pas terminé. Certains l'ont quand même assassiné en lui décernant le titre de pire film de l'année. Depuis Gallo est devenu rare sur les grands écrans. Mais son actrice, Chloë Sevigny, est encore sur la Croisette cette année. Pourtant elle a pris cher. Elle aura offert à nos regards (forcément voyeurs) la pie inattendue de l'année avec un réalisateur-acteur exhib et bien monté. Certains voudront défendre cette scène pornographique en clamant que ce n'est qu'une prothèse pénienne. Mais Gallo et Sevigny ont démenti, toujours. Ceci est bien une vraie pipe.

Summum de la scène, la jeune fille avale bruyamment le sperme de son partenaire. Rien que pour son ça, l'actrice fut virée par son agent.

Le plus désolant dans cette histoire fut sans doute que le film n'était pas prêt et que le cinéaste a du refaire son montage. Les critiques furent meilleures, mais l'échec retentissant. Une fellation même non simulée ça n'est pas un argument de vente.

[69, année érotique] Cannes 2016: Tenue de Soirée en 1986

Posté par vincy, le 16 mai 2016

Putain de film? En tout cas, Tenue de Soirée, qui a valu à Michel Blanc un prix d'interprétation masculine à Cannes en 1986, a été un sacré succès en salles et au festival. Les répliques de Bertrand Blier ont bien visé: "Une serrure il faut qu'ça mouille, c'est comme tous les orifices. Tu la démarres à la salive et t'attends qu'elle se donne." Ici le sexe est avant tout paroles.

Enfin, à quelques nuances. Car Tenue de Soirée c'est un peu "Tout ce que vous avez toujours voulu savoir pour sodomiser un hétéro sans jamais oser le demander".

En trois phrases dites par Michel Blanc, on comprend tout.
Acte I: - Ton passé on le connaît… Collection de bites et puis c'est tout.
Acte II: - Mais je vais quand même pas me faire enculer sous prétexte que c'est un ami.
Acte III : - Le mec qu'est dans ton lit, il vient de se faire enculer, ma petite fille. Voilà. Après ça, on me dira que la vie est belle.

Top and Bottom. Il y a le dominant, Depardieu, et le dominé, Blanc. L'actif qui lime le passif. C'est cru. Et ça ne choque pas. Tout le monde finit sur le trottoir, les deux mecs en travestis. Et ça fait sourire. Dans ce ménage à trois, la femme laisse tomber son époux et le jette dans les bras d'un homme plus amateur de couilles que de seins. L'époux va devenir épouse, très jalouse. C'est caustique.

Au départ Tenue de Soirée était une sorte de suite des Valseuses, avec le même trio, dix ans plus tard: Depardieu-Miou Miou-Dewaere. Ce dernier a mis fin à ses jours, Blier a laissé trainer le projet, et finalement Blanc a repris le rôle, se rasant la moustache du loser des Bronzés et changeant d'image en se convertissant à des rôles dramatiques.

Ce qu'on retient surtout, au delà des provocations qui font jubiler son auteur, c'est que Tenue de soirée est une comédie grinçante, complexe, où réalité et fantasme s'entremêlent. Mais surtout il est un des premiers films populaires français à poser des questions sur l'identité sexuelle et le genre. 30 ans plus tard, il est toujours aussi efficace sur ce point.

[69, année érotique] Cannes 2016: L’empire des sens en 1976

Posté par vincy, le 14 mai 2016

L'Empire des sens ou La corrida de l'amour de Nagisa Oshima est assurément un film culte. Pourtant sa sortie en 1976 a été mouvementée. Au Japon, le film fit littéralement scandale. La censure a ainsi flouté les parties génitales visibles et coupé des scènes entières, comme l'héroïne mutile son maître. Le réalisateur a même été poursuivi en justice (il fut relaxé des années plus tard). Sans la coproduction française, L'Empire des sens aurait certainement été maudit.

A l'étranger, ce ne fut pas simple non plus. Le coproducteur français possédait un négatif qui permit au film d'être présenté dans les festivals, et consacré assez vite comme le premier film "pornographique" réalisé par un grand cinéaste. Porno, L'Empire des sens? C'est comme ça que les festivaliers de Berlin, qui eurent la primeur en Occident, le qualifièrent, même si un an demi après la justice allemande accepta la diffusion dans les salles, sans censure. Trois mois après Berlin, il arrivait sur la Croisette, à la Quinzaine des réalisateurs, où le triomphe fut total. Les festivaliers se précipitaient par curiosité, odeur du soufre, voyeurisme.

L'emprise des sens avait fait son oeuvre. Un sexe masculin au coeur d'une histoire de désir et d'amour absolue, un huis-clos sado-maso où le plaisir, la jouissance se mélange au morbide et à la violence. Bien sûr, avant le film d'Oshima, John Waters avait déjà filmé une pipe entre deux mecs dans Pink Flamingos et Paul Verhoeven n'avait pas hésité à pointer sa caméra sur des scènes explicites dans Turkish Délices. Mais Oshima va plus loin, notamment avec cette fellation, jusqu'à éjaculation, entre autres. Bien avant les pipes du Diable au corps, de Romance, d'O Fantasma, de Ken Park ou de The Brown Bunny. Et cette séquence où Eiko Matsuda s'enfile un oeuf dans le vagin (Catherine Breillat avait fait pire l'année précédente avec Une vraie jeune fille, où il s'agissait d'un ver de terre)...

Mais c'est évidemment la seule scène non simulée qui marque les esprits: la mutilation du pénis, don ultime et abandon total (et fatal). Inspiré d'une histoire vraie, cette spirale érotique où strangulation et émasculation se combineront pour un dernier orgasme n'a jamais eu d'équivalent, même si l'oeuvre a ouvert les portes du possible aux réalisateurs. Oshima a osé.

[69, année érotique] Cannes 2016: La vie d’Adèle et L’inconnu du lac en 2013

Posté par cynthia, le 13 mai 2016

Gros, dur, mou, large, ouvert ou mouillé, le sexe se révèle sans pudeur depuis quelques temps et l'anatomie humaine devient un sujet abordable et traité de manière poétique, romantique, ou plus trash selon les films. En 2013, le semi-soft porno a déboulé sur la Croisette. La vie d'Adèle (en compétition, Palme d'or) et L'inconnu du lac (Un certain regard, primé plusieurs fois) en avaient choqué plus d'un(e) - certains journalistes (des gens ouverts d'esprits normalement surtout quand on se vante d'être critique de cinéma) avaient claqué leurs sièges (et d'autres bandaient secrètement sans doute). Ces deux films majeurs du cinéma Français de ces dernières années ont en effet un point commun: le sexe cru et homosexuel.

Une femme avec une femme. Terminée la blondasse de service qui se fait tringler par un homme poilu et musclé sur du Barry White, ici elle se fait lécher et elle a les cheveux bleus. La vie d'Adèle est une histoire d'amour entre deux femmes (Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos). Entre les gros plans sur la bouche d'Adèle qui mange des spaghettis avec une sensualité apparente et son touche pipi en solitaire, le spectateur est souvent ébullition. Mais c'est la fameuse scène de sexe entre les deux femmes qui surprend: longue, intense quoique un peu banale), les corps fusionnent, les sexes se frottent, le plaisir fait monter la sève. Impossible de ne pas imaginer la tête du gentil papa Steven Spielberg (président du jury de l'époque) devant ces images, lui qui n'a jamais osé ne serait-ce qu'un bout de fesses dans ses films.

Donc voilà 7 minutes et des poussières devant une partie de jambes en l'air sulfureuse avec pour seul fond sonore les claquements de peau, les fessées et les gémissements de nos deux interprètes. Il n'est donc pas étonnant de lire certains témoignages de spectateurs qui en avaient gros dans le pantalon durant cette scène. Cru et beau, est-ce possible? Lorsqu'on se retrouve face au film de Kéchiche, ce la semble évident. Il signe ici un film magistral. Ce qui débute telle une histoire d'amour pure et tendre se transforme, avec une scène de baise intense, presque une transe chorégraphiée, en une histoire d'amour passionnelle. Car Abdellatif Kechiche n'a-t-il pas voulu montrer avec cette scène la passion destructrice qu'offre l'amour?

Le film n'a pas tant choqué, hormis quelques intégristes et homophobes. Les spectateurs sont plus à l'aise avec l'homosexualité féminine que masculine (merci au porno bad gamme disponible gratuitement sur le net et dédié aux geeks célibataires de plus de 25 ans). Alors que l'image de l'homosexuel à l'écran reste stéréotypée dans les comédies populaires - un mec efféminé, fan de Lady Gaga ou de Mylène Farmer et aux mimiques hyperboliques -, des cinéastes comme Ozon, Ducastel et Martineau, Téchiné ont ouvert la voie à une représentation plus fine et moins caricaturales, y compris en filmant des rapports sexuels un peu crus. Mais c'est Alain Guiraudie à qui l'on devra un changement de paradigme complet sur le sujet avec L'inconnu du lac.

Un homme et des hommes. D'emblée l'affiche du film a été censuré...ça commence bien! On y voit l'image (lointaine mais vraiment lointaine) d'un homme en plein bisou bisou au niveau du phallus. Il n'en a pas fallu plus pour que tout le monde pète un plomb! Ont-ils cru que le sexe d'un homme n'existait que pour faire pipi? Certes, l'affiche est explicite... peut-être qu'ils auraient pu se la jouer façon La vie d'Adèle avec une photo de deux mecs qui ouvrent grand la bouche annonçant ainsi un jeu buccal coquin.

Quant au film, il se déroule dans un lieu nudiste réservé aux homosexuels (clairement on n'y joue pas au Scrabble). On y fait la connaissance de Franck, jeune, beau et frivole (Pierre Deladonchamps) qui s'envoie en l'air comme un fumeur fume clopes sur clopes, mais bon lui c'est plutôt la taille d'un cigare qui l'intéresse. Du jour au lendemain, il tombe sur le charme de Michel, moustachu, musclé, macho et un brin soupçonné de meurtre. Entre parties de jambes en l'air sur la plage ou entre les arbres, on pénètre avec fougue (toutes mes excuses pour cette expression) dans l'intimité de ce couple mystérieux. Comme pour Kéchiche, Alain Guiraudie ne cache rien de l'intimité de ses protagonistes en filmant en gros plans érections, fellations, éjaculations. Ni même de l'intimité des voyeurs, branleurs, enculeurs, qui rodent aux alentours. Les phallus sont exhibés, mous ou raides, les chairs ne sont pas forcément fermes, les regards dévient toujours vers l'entrejambe.

Vous aviez toujours rêvé de voir un kiki en gros plan en dehors d'un porno? Enfin!!! L'inconnu du lac ce n'est pas Game of Thrones qui nous montre des vagins à tous les épisodes et pas de kiki...même pas un rikiki!

Mais qu'est-ce qui pousse un réalisateur à tourner un film comme cela? Envie de se faire remarquer par Rocco Siffredi? Envie de recevoir un tweet admiratif de Miley Cyrus? Envie de créer la polémique? Non, non et non! Si l'homosexualité est montrée de manière crue ce n'est que pour montrer la réalisation à l'écran du désir sexuel et de son assouvissement, de nos fantasmes et de nos abandons, là où toute classe sociale est à égalité dans la nudité, là où l'appel de la nature se mélange à la nature de l'homme. Evidemment, La vie d'Adèle est avant tout une histoire d'amour qui finit mal, et L'inconnu du lac un thriller psychologique qui se termine mystérieusement.

Mais, avec leur audace, ces films ont pu montrer le sexe sans tabou et même sublimé.

[69, année érotique] Cannes 2016: La grande bouffe en 1973

Posté par vincy, le 12 mai 2016

Mais quel scandale cette Grande Bouffe!  Le film de Marco Ferreri est présenté en 1973 au 26ème Festival de Cannes en 1973 (Prix Fipresci, ex-æquo avec un autre film-scandale,  La Maman et la Putain de Jean Eustache) et on y arrache presque les sièges de colère.  Marcello Mastroianni, Philippe Noiret, Michel Piccoli, Ugo Tognazzi et une Andréa Ferréol qui a du manger 5 fois par jours pour prendre 25 kilos de chair graisseuse, ne s'attendaient certainement pas à ça.

Cette satire anti-consumériste et épicurienne est l'oeuvre de tous les excès: bouffe, alcool, cul. C'est du Rabelais, avec une bourgeoisie pourrie par ses vices, s'autodétruisant par la panse, le foie, le coeur et le cul.

La Grande bouffe est hué à Cannes. Là aussi excessivement. Le film est jugé obscène, scato, malade. Malgré son ironie, et sa part de vérité, les critiques de cinéma n'y voient qu'un objet dégradant, humiliant. Bref on vomit sur un film où l'on gerbe beaucoup. La presse évoque la honte de voir un film aussi décadent.

Forcément, on y prend par derrière, à même la table, le cul Ferréol. On pète, on suce, on branle. La boulimie gourmande conduit au scabreux, aux pulsions, morbides et animales. La Grande bouffe c'est engloutir un gâteau et jouir d'une gâterie. Dans une France pas remise de mai 68, pas encore prête à vivre les années 70 librement, la déflagration est morale plus qu'artistique. Il y a les critiques bourgeois qui se sentent visés et les critiques anti-capitalistes qui se réjouissent. La subversion a ce don de diviser. Et l'époque la provoque, avec Jean Eustache, donc, mais aussi Bernardo Bertolucci et son Dernier Tango à Paris, qui annonce l'avènement de l'industrie pornographique.

Les quatre hommes ont un rapport au sexe qui a certainement dérangé certains festivaliers: frustration, névrose, prédation, homosexualité refoulée. L'érotisme des tableaux et objets, les prostituées qui fuient rapidement cette entreprise de suicide collectif, toute la merde qui pue, toute cette mort qui rode: forcément, ça bouscule le spectateur (si celui-ci n'a pas vu Pasolini en tout cas).

Aujourd'hui, on en rigole. Non pas que le film a perdu de son intérêt - le discours est toujours d'actualité - mais la polémique s'est essoufflée. Contrairement à certaines prophéties, tous les acteurs sont sortis indemnes de l'expérience. Même si les semaines qui ont suivi n'ont pas été simples (on refusait de les servir dans les restaurants, et même s'ils y étaient tolérés, les clients partaient d'eux mêmes). Lors de la projection, un homme a crié à Ferréol, "maintenant vous n'avez plus qu'à nous pisser dessus!". Ferreri n'avait pourtant pas osé le plan uro dans son film.

"On nous a reproché d'être grossiers et vulgaires, a récemment dit Michel Piccoli, mais c'est tout le contraire, La Grande Bouffe est un film d'amour. Amour des gens, amour des hommes et amour de la femme." Le temps a fait son oeuvre. Aujourd'hui le spectateur rit et on applaudit unanimement. Il n'y a plus de tels scandales à Cannes. Quand le film a été projeté il y a trois ans à Cannes pour son 40e anniversaire, plus personne n'avait honte, plus personne n'était choqué. On regardait juste ces quatre bourgeois bouffer, des huîtres ou du cul, s'empiffrer jusqu'à mourir.

[69, année érotique] Cannes 2016: Love en 2015

Posté par kristofy, le 11 mai 2016

Pendant longtemps le cinéma français a raconté des histoires sentimentales ponctué de temps en temps d'une scène "osée" de nu : de Brigitte Bardot, à Catherine Deneuve, d'Isabelle Huppert à Anne Parillaud, de Valérie Kaprisky à Sophie Marceau en passant par... Gérard Depardieu. Des seins sous la douche, des fesses sur un lit, mais quasiment jamais de sexe masculin en érection. Il y a bien eu le cas Stéphane Rideau (Sitcom, Presque rien), le films "gays" L'inconnu du lac et Théo et Hugo sont dans le même bateau. Mais les cinéastes hétéros ont une certaine pudeur à montrer un mec qui bande. La sexualité frontale est tabou dans un pays qui a la réputation d'être grivois.

Dans son film Love Gaspar Noé fait dire à son personnage qu’il voudrait "faire un film avec du sexe qui montre des sentiments". Et dès la toute première image de Love, le ton est donné : lui et elle sont nus sur un lit avec les doigts autour et dans le corps de l’autre : la première scène est un plan-séquence de masturbation qui dure 2 minutes et demi jusqu’au moment d’une éjaculation. Le temps de découvrir deux personnages et déjà 7 minutes après une image de pénétration, mais qui est justifiée pour raconter que la femme va tomber enceinte. Si le sexe semble très présent dans le film c’est surtout par la puissance évocatrices des cadrages de l’image: il y a bien une demi-heure de narration avant la scène de sexe suivante : un rapport à trois (l’homme et deux femmes, forcément) très sensuel, en fait l’une des plus belles scènes du film.

Une image qui bien que très courte, 1 minute, a pu surprendre ou choquer : le sexe de l’homme sur lequel s’active la main de sa compagne est filmé face-caméra en très gros plan, et le sperme en jaillit donc à la face des spectateurs devant l'écran. Gaspar Noé s’en est expliqué : c’est Love 3D, sur ce film il utilise une technique de 3D pour le rendu d’un certain relief dès lors il aurait été dommage de ne pas y inclure une image d’éjaculation en relief en direction du public, c’est d’ailleurs aussi une auto-citation d’un plan similaire de son film précédent Enter the void. C'est aussi l'exact opposé d'un autre film qui avait choqué pas mal de festivaliers quelques années plus tôt, Irréversible (que ce soit la backroom SM ou la séquence du viol), où l'on de voyait rien mais où le sexe était malsain, caché, honteux.

Dans Love, présenté en séances de minuit l'an dernier (les places valaient chères), il y a donc plusieurs séquences à caractère sexuel, avec le plus souvent un couple, et parfois un trio (et un 69 d’ailleurs). La caméra s’attarde à plusieurs moments en gros plan sur les seins des femmes et sur le sexe de l’homme durant le plaisir. C’est avant tout et d’abord des images où on fait l’amour: c’est le sujet du film, qu'il soit physique, sexuel et bien entendu sentimental. Bref, intime.

Le film Love était sorti en salles de cinéma (en 3D donc) avec une interdiction aux moins de 16 ans avant qu’une action judiciaire la modifie interdit aux moins de 18 ans, mais pas classé X : la représentation du sexe ce n’est pas forcément pornographique. C'est même, rappelons le, ce qu'il y a de commun à tous les humains, et tous les arts l'ont représenté depuis la nuit des temps.