Puisque cette 71e édition nous emmène dans les étoiles avec l’avant-première mondiale de Solo: A Star Wars Story, nouvel épisode de l'univers étendu de la saga Star Wars, présenté hors compétition, et la projection de 2001, l'Odyssée de l'espace de Stanley Kubrick dans une nouvelle copie 70 mm restaurée (sans modification numérique de l'oeuvre de 1968) à Cannes Classics, profitons-en pour un petit tour d’horizon des « Space opéras » qui ont eu les honneurs de la sélection officielle.
Cannes ce n'est à priori pas le lieu où on s'imagine voir un film de vaisseau spatial et de bataille intergalactique, et pourtant certains gros films de science-fiction ont bel et bien décollé depuis la croisette. Retour sur le moins spectaculaire, mais le plus intrigant, d'entre eux.
Solaris, troisième long métrage d'Andreï Tarkovski, est en compétition à Cannes en 1972, soit trois ans après la sélection d'André Roublev. Il a beaucoup été dit qu'il s'agissait de la réponse de l'URSS à 2001 Odyssée de l'espace sorti 4 ans auparavant, et donc celle de Tarkovski à Kubrik, mais le réalisateur russe lui-même rejetait cette vision des choses. Lui qui jugeait le film de Kubrik "froid et stérile", "misant trop sur la technologie", affirme, au contraire, s’être attaché à faire de Solaris son opposé.
En 1972, le cinéaste est dans un période compliqué de sa carrière. Depuis André Roublev, tous ses scénarios personnels ont été refusés, et le projet qui lui tient le plus à cœur, et qui deviendra Le Miroir, est toujours en attente. Les autorités soviétiques, elles, sont soucieuses de rivaliser avec les Etats-unis dans le domaine du film spatial. Tarkovski adapte donc (plutôt fidèlement) le roman Solaris de Stanislaw Lem et obtient enfin une autorisation de filmer.
Ici, les amateurs de space opera spectaculaires en sont pour leur frais : après 45 minutes de préparatifs, sur terre, de la mission spatiale amenant le héros dans la base d'observation de Solaris, une ellipse le montre arrivé à son bord. Tout ce que l'on verra de l'espace est le fameux océan vivant et intelligent qui recouvre la surface de la planète. Pour le voyage dans les étoiles, on repassera. Mais pour le parcours intérieur métaphysique, on a définitivement frappé à la bonne porte !
Dans la station, les scientifiques restants ont à moitié perdu la raison, et Kris Kelvin, le personnage principal, est avant-tout envoyé pour évaluer la situation. Les Hommes ont enfin trouvé une autre forme de vie que la leur, mais échouent à établir un contact avec elle. Pire, ils sont effrayés par les messages que leur envoie cette entité sous la forme d'êtres issus de leur passé ou de leurs souvenirs.
Kelvin croit ainsi devenir fou en voyant apparaître sa propre femme, qui s'est suicidée dix ans plus tôt. Dans le huis clos de la station se bousculent alors les questions existentielles et métaphysiques sur la nature des créatures et de l'Océan. Maléfiques ? Divines ? Bien sûr le film ne livre pas de réponses, mais sa fin laisse peu de place à l'espoir : les hommes sont bien seuls devant l’immensité de l'espace, incapables de ne serait-ce que toucher du doigt le mystère de la vie et de la création.
D'une beauté douloureuse et austère, assez éloigné de ce que les autorités soviétiques attendaient de lui, Solaris fait une forte impression et repart de Cannes avec un grand prix spécial du jury (le grand prix international va à La classe ouvrière va au Paradis de Elio Petri ex-aequo avec L'Affaire Mattei de Francesco Rosi). Bien qu'il soit le plus minimaliste des films de science fiction présentés à Cannes (et probablement de toute l'histoire du space opera), il n'en est pas moins l'un des plus célèbres, envoûtant et mystérieux, qui apporte à chaque vision son nouveau lot de questions... et si peu de réponses définitives.