Notre guide pour le 17e Carrefour de l’animation

Posté par MpM, le 10 décembre 2019

La 17e édition du Carrefour de l'animation, qui se tient au Forum des images du 11 au 15 décembre, vient clore une année qui fut extrêmement riche pour le cinéma d'animation en général, et pour l'animation française en particulier.

Citons en vrac le Grand prix à la Semaine de la critique pour J'ai perdu mon corps de Jérémy Clapin, puis son doublé Cristal du long métrage et prix du public à Annecy, la sélection à Un Certain Regard des Hirondelles de Kaboul de Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec et de La Fameuse invasion des ours en Sicile de Lorenzo Mattotti, les multiples hommages rendus à Jean-François Laguionie dont le dernier film en date, Le Voyage du Prince, vient tout juste de sortir... sans oublier la formidable vitalité du court métrage, de L'Heure de l'Ours d'Agnès Patron qui était en sélection officielle à Cannes et vient de remporter le grand prix des Sommets de l'animation de Montréal, à Moutons, loup et tasse de thé de Marion Lacourt découvert notamment à Locarno, en passant par Mémorable de Bruno Collet qui a lui aussi réussi un doublé Cristal et Prix du Public à Annecy.

On a le sentiment que l'animation a de plus en plus la visibilité qu'elle mérite, parvenant enfin à s'extraire des préjugés et du manque de connaissance, voire parfois d'intérêt, de la part des professionnels comme du public. Il reste évidemment beaucoup à faire, mais aussi beaucoup à découvrir, et tout autant de raisons de s'enthousiasmer. C'est pourquoi la longévité du Carrefour de l'animation, organisé pour la 17e fois par le Forum des images, est une chance pour les cinéphiles franciliens, qui pourront cette année encore découvrir un vaste panorama de ce qu'est l'animation contemporaine à travers des avant-premières, des programmes de courts, des focus sur des studios ou des réalisateurs et des work-in-progress. Pour ne rien rater de cette édition 2019 et de ses multiples événements, suivez le guide !

Bombay Rose de Gitanjali Rao : une ouverture sous le signe de la peinture animée

C'est rien de dire que l'on attendait le premier long métrage de Gitanjali Rao, réalisatrice indienne dont le travail fut notamment montré à la Semaine de la Critique à Cannes en 2014 (TrueLoveStory). Après une première remarquée en ouverture de la Semaine de la Critique de Venise cette année, Bombay rose sera présenté en grande avant-première au Carrefour. Le film, qui raconte une romance impossible sur fond de cinéma bollywoodien, a été entièrement peint à la main. Une rencontre avec la réalisatrice permettra notamment d'en savoir plus sur ce mode de création particulier à travers un making-off exceptionnel.

Focus sur Konstantin Bronzit : la masterclasse phare


C'est la première fois que le réalisateur russe Konstantin Bronzit vient au Carrefour de l'animation ! Il présentera une rétrospective de son travail et donnera par ailleurs une masterclasse exceptionnelle. L'occasion de découvrir son long métrage inédit Aliocha Popovitch et Tougarine Zmeï et une sélection de ses courts métrages (Le Chat et la Renarde, Le Dieu, Au bout du monde, etc.), mais aussi d'en savoir plus sur la méthode de travail et les inspirations de cet acteur central de l'animation contemporaine.

Away de Gints Zilbalodis : l'inédit à ne rater sous aucun prétexte


Récompensé par le premier prix de la section Contrechamp lors du dernier festival d'Annecy, Away est probablement la plus grande découverte de l'année côté cinéma d'animation. Rares sont ceux qui avaient vu venir ce long métrage letton réalisé quasiment seul par un jeune cinéaste de 25 ans ! D’une grande beauté sensorielle, il raconte sur un mode minimaliste et contemplatif la quête d'un jeune homme littéralement tombé du ciel dans un monde inconnu pour trouver une issue et échapper à la créature fantomatique qui le poursuit.

L'extraordinaire voyage de Marona : l'avant-première à voir en famille


Attendu dans les salles le 8 janvier, L'extraordinaire voyage de Marona pourrait bien déjà être le plus beau film de l'année 2020 (il fait en tout cas résolument partie des coups de coeur du dernier festival d'Annecy où il était en compétition). Explosion de couleurs et d'émotions, le nouveau long métrage de la réalisatrice Anca Damian (Le voyage de Monsieur Crulic) est une splendeur visuelle qui raconte la vie mouvementée d'une petite chienne nommée Marona. Si le sujet peut a priori sembler rebutant pour un public adulte, l'audace formelle et les innombrables idées visuelles et poétiques de la réalisatrice en font un film éblouissant et précieux.

Coup de projecteur sur Patar et Aubier : la rencontre décalée


On ne présente plus Vincent Patar et Stéphane Aubier à qui l'on doit l'inénarrable Panique au village, décliné en une série, un long et plusieurs courts métrages. Le duo viendra présenter son prochain projet, la série Chien Pourri, ainsi qu'un documentaire qui lui est consacré, signé Fabrice du Welz, et proposera également une rencontre autour d'une sélection de leurs cours métrages.

Les courts métrages pro et étudiants : les fondamentaux


Format phare du cinéma d'animation, le court métrage est évidemment à l'honneur au Carrefour, qui propose quatre programmes de courts français et une sélection de films d'école. On pourra ainsi revoir certains des grands succès de l'année, comme L'Heure de l'ours d'Agnès Patron ou Moutons, loup et tasse de thé de Marion Lacourt, mais aussi des films qui sont en début de carrière à l'image des Songes de Lhomme de Florent Morin et d'Asmahan, la diva de Chloé Mazlo.

Hommage à Rosto : la mémoire vive


"Voir ou revoir ses films, écouter sa musique, pleurer et rire", tel est le programme de la soirée imaginée avec Nicolas Schmerkin, son producteur français fidèle (Autour de Minuit), et ses proches pour rendre hommage à l'auteur, réalisateur, illustrateur et musicien néerlandais Rosto décédé en mars dernier. Les quatre films de sa tétralogie (No Place Like Home (2008) ; Lonely Bones (2013) ; Splintertime (2014) et Reruns (2018)) et le documentaire Everything’s Different, Nothing Has Changed de Joao MB Costa et Rob Gradisen seront projetés.

A noter enfin que de nombreuses rencontres autour de la "fabrication de l'animation" auront également lieu tout au long du festival, avec notamment une rencontre autour du prochain long métrage de Benoit Chieux, Sirocco et le royaume des courants d'air, et un focus sur le studio Vivement Lundi ! Les amateurs de cinéma japonais seront également comblés avec une programmation dédiée : hommage à Satoshi Kon, avant-premières des Mondes parallèles de Yuhei Sakuragi et de Ride your wave de Masaaki Yuasa, ou encore projection du film culte Ghost in the shell de Mamoru Oshii. Par ailleurs, plusieurs événement à destination des professionnels sont également organisés, dont un rendez-vous autour de l'écriture du court métrage d'animation.

Winterthur 2019 : retour sur la 23e édition du festival suisse consacré aux courts métrages

Posté par MpM, le 29 novembre 2019

Ayant idéalement lieu au cours de la première quinzaine de novembre, le festival de courts métrages de Winterthur permet à la fois de faire un bilan de l'année écoulée, en réunissant les films les plus marquants passés par les principaux festivals européens comme Berlin, Cannes, Locarno et Venise, et en lançant ceux qui sont en début de carrière sur le continent. Comme à son habitude, cette 23 édition faisait la part belle au cinéma expérimental et à des films singuliers, souvent peu narratifs, qui s'affranchissent du carcan de la fiction traditionnelle pour donner une vision singulière du monde contemporain.

L'un des meilleurs exemples est probablement le lauréat du Grand Prix de la compétition internationale, Bab Sebta de Randa Maroufi (France/Maroc), qui reconstitue dans un dispositif dépouillé la frontière de Ceuta, enclave espagnole sur le sol marocain et théâtre d'une économie parallèle constituée notamment de multiples petits trafics. Le décor est simplement dessiné au sol, sur une vaste surface plane découpée en diverses zones qui représentent la géographie de cet espace frontalier. En voix-off, des témoignages émanant des différents protagonistes, passeurs ou douaniers. Mais ce sont surtout les images, ces longues files de gens qui attendent, ces hommes endormis, ces femmes qui fixent sur leur dos d'énormes ballots de marchandises..., qui captent à la fois la réalité du lieu, et son écho symbolique dans le monde actuel. Allégorie de la frontière, enjeu de pouvoir et de rapports de force induits par la nécessité de la traverser, mais aussi du mirage européen et de son reflet économique presque absurde, s'il n'était aussi violemment concret.

L'autre grand gagnant de la compétition internationale est un autre film français, portrait intime d'une jeune femme en pleine confusion. Automne malade de Lola Cambourieu et Yann Berlier, prix "d'encouragement", est une fiction pensée comme un documentaire, à moins que cela ne soit l'inverse. C'est au départ l'actrice principale, Milène Tournier, qui a donné envie au duo de réalisateurs de tourner un film sur elle. Ils ont eu l'idée de mettre sur son chemin "Momo" (Michel Maciazek), et de les laisser improviser lors de longues conversations qui ponctuent le récit. Pour ajouter au portrait, véritablement singulier, qui se forme ainsi, des images d'enfance de la jeune femme viennent alterner avec la partie plus fictionnelle dans laquelle Milène, qui prépare le concours de l'ENA alors que sa mère malade est sur le point de mourir, s'enfuit dans le Cantal. En parallèle, la nature, en pleine décomposition automnale, vient sans cesse rappeler aux protagonistes la brièveté de la vie terrestre comme sa forme cyclique.

Il y a beaucoup de choses dans ce court métrage autoproduit, au départ pensé comme un long, qui n'est pas exempt de maladresses (l'effet facile du bébé dans sa couveuse juste après l'évocation du décès de la mère) et de bizarreries formelles (le visage presque déformé de Milène dans de très gros plans malaisants), et qui malgré tout ménage des instants de grâce suspendus, justement parce qu'ils ne sont ni calculés ni formatés. On ne peut qu'approuver cet "encouragement" (qui n'a rien d'honorifique, il est doté de 10 000 francs suisses), qui salue la sincérité du projet et ouvre la porte aux prochains.

D'autres films, s'ils n'ont pas eu les honneurs du palmarès, ont également retenu notre attention, à commencer par l'incontournable Physique de la tristesse de Théodore Ushev, notre grand coup de coeur dont vous pouvez retrouver la critique intégrale ici. Ce film-somme intime et introspectif, qui frôle les 30 minutes de plaisir cinématographique pur, est réalisé dans une technique d'animation unique que le cinéaste est le premier à mettre au point, celle de la peinture à l'encaustique. Jouant sur la perpétuelle métamorphose de l'image et sur la dualité lumière-obscurité, ce récit poignant raconté à la première personne nous entraîne dans les souvenirs d'un narrateur qui se remémore son enfance et sa jeunesse, tout en évoquant le déracinement et la mélancolie prégnante de ceux qui ne se sentent chez eux nulle part.

Face à un tel déferlement de maîtrise artistique et d'émotions profondes, les autres films de la compétition auraient parfois pu nous sembler fades, si la sélection dans son ensemble n'était pas aussi riche en propositions singulières et en expérimentations formelles. Certains n'étaient pas tout à fait des inconnus, à l'image de Hector, le premier film de Victoria Giesen Carvajal (sélectionné à Berlin), fable étrange imprégnée par un paysage époustouflant, dans lequel un jeune Chilien en vacances est troublé par sa rencontre avec Hector, être androgyne et mystérieux dont l'existence même est incertaine ; Deux soeurs qui ne sont pas soeurs de Beatrice Gibson (sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes), film inclassable en forme de rêve fragmenté qui interroge notamment la maternité et la grossesse ; ou encore Acid Rain de Tomek Popakul (vu notamment à Annecy), qui nous fait vivre une immersion effectivement sous acide dans un monde de la nuit tour à tour peuplé de cauchemars et d’hallucinations.

A noter également la présence de trois films qui ont eu les honneurs de la Semaine de la critique à Cannes cette année : le thriller fantastique et formaliste Please speak continuously and describe your experiences as they come to you de brandon Cronenberg, Community gardens de Vytautas Katkus, portrait ténu d'une relation père-fils en demi-teinte, et The manila lover de Johanna Pyykkö, subtile romance déçue entre un quinquagénaire norvégien et sa maîtresse philippine.

D'autres films, malgré un beau parcours, avaient jusque-là échappé à notre vigilance, ou faisaient à Winterthur leur première internationale ou européenne. C'est le cas de Mary, Mary, so contrary de Nelson Yeo, court métrage singapourien qui mêle des images de deux films tombés dans le domaine public et des images personnelles du réalisateur. Constitué de rêves et de cauchemars imbriqués, que même les protagonistes sont incapables de distinguer de la réalité, il installe une atmosphère surnaturelle et étrangement esthétique, renforcée par l'utilisation de filtres de couleurs, de surimpressions et de déformations (personnages dédoublés, corps démesurément étirés...) qui transforment le récit en terrain d'expérimentation cinématographique.

On a également été séduit par Gujiga de Sunjha Kim, sorte d'ode aux tortues qui emprunte autant aux traditions coréennes (mythes, légendes, chants) qu'aux préoccupations actuelles de retour à l'harmonie entre l'homme et la nature. C'est une évocation à la fois éthnologique et poétique, filmée dans de très beaux beaux plans fixes en noir et blanc, avec une approche "macro" qui place le spectateur aux premières loges pour assister à l'éclosion des oeufs et aux premiers pas des "nouveaux-nés". Mais au-delà de l'aspect purement esthétique, voire très mignon des images, on est frappé par les résonances diverses que peut avoir l'observation des moeurs de cette sorte de tortues (qui enfouit ses oeufs au bord de la rivière et les y "abandonne") avec des questionnements beaucoup plus humains. Un entrelacement entre la destinée des deux espèces qui apporte une dimension métaphysique passionnante.

Passionnant également, No History in a room filled with people with funny names 5 de Korakrit Arunanondchai et Alex Gvojic est une oeuvre dense, foisonnante et complexe qui aborde la notion de collectif dans la Thaïlande contemporaine. Dans une esthétique très soignée où se mêlent éclairages au néon et magnifique lumière naturelle, il réunit des séquences qui ressemblent à des performances (à l'image de ces "fantômes" qui assistent à une projection nocturne), des passages plus documentaires et même des images d'actualité, dont le fil rouge est un fait divers médiatisé à travers toute la planète, le sauvetage de treize personnes qui étaient coincés dans une grotte inondée par les pluies. Interrogeant cet événement et ses répercussions, le film dérive sur des croyances ancestrales mettant en scène les nagas, ces créatures mythiques de l'hindouisme, et entame une réflexion plus générale sur le monde animal, tel un poème visuel ultra-contemporain et allégorique.

Egalement passé par Rotterdam, Little lower than the angels de Neozoon (qui avait fait sa première à Rotterdam), est un essai ironique sur les croyances religieuses, et notamment le créationnisme, à travers un montage percutant d'images trouvées sur youtube, combinées à des musiques tantôt sacrées, tantôt lénifiantes, et aux effets faciles des vidéos amateurs qui circulent sur internet.  Le film tourne en dérision les prêcheurs de toutes sortes qu'il montre répétant à l'envi les mêmes phrases ("Dieu a choisi de faire l'homme à son image") ou les témoignages anonymes de ceux qui ont "vu Jésus" et entreprennent de le décrire et de le dessiner. Une oeuvre pas très charitable, mais tellement savoureuse, qui livre un instantané fascinant de l'époque dans laquelle nous vivons.

Dans un style plus austère, Volcano : what does a lake dream ? de Diana Vidrascu (qui a fait sa première à Locarno) s'appuie sur des récits et des images de l'archipel des Açores pour interroger les réalités d'un lieu situé sur une zone tectonique en mouvement. A quoi rêve le lac au-dessus du volcan momentanément endormi ? Il se dérobe aux yeux des spectateurs, emporté au son d'une musique lancinante dans des jeux de surimpressions et de projections qui mettent en perspective la géographique et l'histoire de ce petit coin du monde où se manifeste plus qu'ailleurs la volonté toute puissante de la nature. On est comme à l'écoute de ce mystère insondable, yeux écarquillés et sens en alerte.

Il faut enfin mentionner Douma underground de Tim Alsiofi (repéré lui aussi à Locarno), tout à la fois document brut sur les réalités concrètes de la guerre et réflexion sur l'acte de filmer. Pendant les bombardements incessants sur la région de la Goutha orientale, en Syrie, les civils se réfugient dans les sous-sols où s'organise un semblant de vie. Tim Alsiofi est l'un d'entre eux. Caméra au poing, il capte justement ces instants suspendus entre angoisse et besoin d'extérioriser, dérision noire et désespoir. On est là au-delà du cinéma à proprement parler, face à témoignage direct qui nous intègre littéralement à la guerre, et nous fait sortir vacillant de la séance.

A noter qu'en parallèle de la compétition et des différentes séances thématiques était proposée une sélection de courts métrages en réalité virtuelle, dont les spectateurs étaient invités à faire l'expérience de manière collective dans une salle dédiée. Une douzaine de films étaient ainsi proposés en trois séances d'une trentaine de minutes. L'occasion de vérifier que le format, a priori passionnant, et dont on sait qu'il peut produire d'excellents films, reste malgré tout balbutiant. La majorité des films présentés n'avaient pas de réel intérêt cinématographique, et certains n'exploitaient même pas réellement les possibilités de la VR en restant très directifs et peu immersifs.

On soulignera quand même l'efficacité de Claude Monet, l'obsession des nymphéas de Nicolas Thépot qui nous plonge littéralement dans les tableaux du peintre ; l'expérience Das Totale Tanz Theater 360 de Maya Puig, adaptation en VR du concept de théâtre total imaginé par le mouvement Bauhaus, dans lequel les danseurs mi-humains, mi-robots nous environnement de toutes parts ; ou encore la quête presque mystique du musicien Molécule dans le grand Nord arctique, transcendée par le réalisateur Jan Kounen accompagné d'Aumaury La Burthe (-22,7°C).

Pour finir, impossible de ne pas mentionner la séance la plus hallucinée du festival qui était consacrée aux liens entre couleurs, musique et films, dans le cadre du focus "Color Moods". On a pu y (re)découvrir un documentaire scientifique d'Eric Duvivier (La perception et l'imaginaire) qui explore les changements de perception opérés par la prise de substance hallucinogènes, mais aussi plusieurs courts métrages (projetés pour la plupart en 16mm) d'Oskar Fishinger (Kreise, Allegretto), pionnier du cinéma abstrait, de Len Lye (Trade Tattoo, Rainbow dance), artiste néozélandais expérimental, ou encore de Walter Ruttmann (Lichtspiel Opus III et IV), lui aussi chantre du cinéma expérimental.

Explosion de couleurs et de notes, vibrations intenses, matérialisation graphique des sons (dont certains joués en direct par un DJ), formes en surimpression, musique oppressante, pellicule qui semble prendre feu... le spectateur passe par une succession de sensations physiques et psychiques qui reposent sur des formes abstraites, du mouvement et parfois un détournement d'images en prises de vue réelles.  Un feu d'artifices sensoriels qui est un parfait hommage aux cinéastes de l'avant-garde, pour qui le cinéma était avant tout un art de l'expérimentation, et à leurs héritiers, nombreux à Winterthur cette année encore.

Winterthur 2019 : coup de coeur pour « Physique de la tristesse » de Theodore Ushev

Posté par MpM, le 28 novembre 2019

Déjà multi-récompensé au Canada (meilleur court métrage à Toronto, meilleur film d'animation à Ottawa, doublé à Montréal, etc.), Physique de la tristesse est le nouveau court métrage de Theodore Ushev (nommé aux Oscar en 2017 pour Vaysha l’aveugle), que l'on a eu la chance de découvrir sur grand écran lors de la 23e édition du Festival de Winterthur. Film-somme intime et introspectif qui frôle les 30 minutes de plaisir cinématographique pur, il a d'ailleurs à nos yeux largement dominé la compétition, sans pour autant séduire un jury plus clairement porté sur une forme de cinéma documentaire et naturaliste.

Adapté du roman Physique de la mélancolie de l'écrivain bulgare Gueorgui Gospodinov, il s'agit d'un récit à la première personne qui fait écho avec acuité à la propre vie du réalisateur, et plus généralement de quiconque a connu l'exil, le désenchantement et la nostalgie de l'enfance. "J’avais l’impression d’y trouver, non seulement ma propre vie, mais celle de toute une génération également", explique Theodore Ushev, qui a lui-même quitté la Bulgarie pour le Québec à la fin des années 90.

Réalisé dans une technique d'animation unique que le cinéaste est le premier à mettre au point, celle de la peinture à l'encaustique, le film nous entraîne dans les souvenirs d'un narrateur qui se remémore son enfance et sa jeunesse, tout en évoquant le déracinement et la mélancolie prégnante de ceux qui ne se sentent chez eux nulle part. La relation père-fils est également l'un des nombreux fils d'un récit qui s'avère foisonnant et multiple comme le sont les souvenirs. Le film est d'ailleurs dédié au père de Theodore Ushev, décédé en 2018, tandis que les comédiens qui prêtent leur voix aux personnages sont également des duos père-fils. Dans la version française, ce sont Xavier Dolan et son père Manuel Tadros, et dans la version anglaise, montrée à Winterthur, Rossif et Donald Sutherland.

Construit comme une succession de moments, de pensées, d'expériences multiples ("Je suis nous" déclare le personnage), Physique de la tristesse montre l'être humain comme une créature solitaire perdue dans son propre labyrinthe (en référence au Minotaure de la mythologie grecque), se raccrochant à sa propre "capsule spatio-temporelle" (en référence à celle qui fut enfouie en 1938, destinée à l'Humanité du 7e millénaire), pleine de souvenirs intimes matérialisés par des objets dérisoires et minuscules qui englobent toute notre existence : un papier de bonbon qui évoque le premier amour, un soldat de plomb qui symbolise la mort, une image de western qui ramène à l'enfance...

Rarement un film si terriblement personnel n'aura à ce point donné l'impression de s'adresser à chacun de ses spectateurs, ne cessant de réveiller par résonance d'autres souvenirs, d'autres sensations, d'autres émotions dont l'essence est identique. C'est en cela que Physique de la tristesse est déchirant et sublime, touchant directement à notre part d'humanité, au sens de ce que cela signifie, tout simplement, d'être humain. La forme choisie par le réalisateur participe de cette appropriation que l'on se fait du film : l'animation à l'encaustique est mouvement et lumière combinés, la matière venant sans cesse se superposer sur les personnages ou les décors pour les recomposer à l'infini, proposant une image mouvante qui embrasse toutes les images.

L'utilisation du clair obscur dans certaines scènes intimistes, avec de gros plans sur les visages qui paraissent éclairés à la bougie et cernés par les ombres, le recours à l'abstraction dans le passage joyeux des acrobaties, la juxtaposition "cut" d'images fixes qui semble décomposer le principe même de l'animation... tout concourt à faire du film non plus un récit, justement, ni même une imitation de la pensée, mais une plongée directe dans l'esprit d'un homme qui, à travers ses expériences subjectives et ses angoisses ancestrales irraisonnées, de la peur de l'oubli à l'impossibilité de retenir le temps, devient précisément une allégorie de tous les Hommes.

Sortie DVD : La petite chanteuse de Ladislas Starewitch

Posté par MpM, le 5 novembre 2019

Ladislas Starewitch, cinéaste russe exilé en France, fut un pionnier de l'animation de marionnettes et un précurseur des effets spéciaux réalisés directement devant la caméra. Ses films les plus célèbres (Le rat des villes et le rat des champs, Fétiche mascotte ou encore Le roman de Renard) ont été réalisés en à peine plus d'une décennie, du début des années 20 au milieu des années 30.

Installé à Fontenay-sous-Bois où il installe son propre studio, le réalisateur tourne alors beaucoup (environ deux films par an) et expérimente tout autant. Il poursuit notamment son travail mêlant prise de vues continue et animation, dans des courts métrages réalisés en famille, avec sa fille aînée Irène comme assistante et la cadette, Jeanne, à l'écran, sous le nom de Nina Star. Quatre de ces films (L'épouvantail, Le Mariage de Babylas, La Voix du rossignol, La reine des papillons) ont déjà été édités en DVD en 2013 par Doriane Films. Les trois suivants, La Petite chanteuse des rues (1924), La petite parade (1928) et L'Horloge magique (1928), composent le nouveau programme proposé par l'éditeur sous le titre La petite Chanteuse.

Étrangement, La petite Chanteuse des rues est l'un des films les moins "animés" du cinéaste. On y suit une jeune adolescente (incarnée par Jeanne Starewitch, donc) qui décide de chanter dans la rue en compagnie de son singe pour aider sa mère à payer ses dettes et récupérer la maison dont les a expulsées un usurier plus qu'antipathique. Le fond éminemment social de l'intrigue n'empêche pas une certaine forme d'humour, porté justement par le personnage du singe, tantôt réel, tantôt marionnette animée.

C'est d'ailleurs lui qui finit par sauver la situation en terrorisant au passage le personnage du "méchant". Pris par l'espièglerie du récit autant que par sa dimension tragique, on oublie bien vite que le singe n'est pas toujours réel pour ne voir que ses tentatives audacieuses pour sauver sa maîtresse (et au passage retrouver sa liberté). L'animation est ici entièrement au service du film, destinée à demeurer invisible pour ne pas gâcher le plaisir et l'émerveillement du spectateur.

Moins atypique dans l'oeuvre de Starewitch, La petite parade est au contraire animé à 90%. Inspiré d'un conte d'Andersen (L'intrépide soldat de plomb), il met en scène une danseuse, ses deux soupirants (le Casse-Noisette et un soldat) et le diable, échappé de sa boîte grâce à l'intervention malicieuse d'une poupée de chiffon. Interviennent également des rats et même une sirène. Ce que l'on admire dans ce récit plein de fantaisie au rythme effréné, ce sont les multiples métamorphoses qui y sont présentées, à l'image de ces cigares qui deviennent des danseuses, et du diable qui ne cesse lui-aussi de se transformer devant la caméra, comme autant de tours de magie.

L'autre élément frappant est la vitesse de l'animation, qu'il s'agisse d'une foule de rats attaquant un château-fort ou d'une course poursuite frénétique entre la petite danseuse, le diable déguisé en rat, et un chat valeureux. Le récit semble ainsi ne jamais reprendre son souffle, jusqu'à la conclusion à la fois poétique (deux âmes enfin unies) , morale (la punition du casse-noisettes) et légèrement inquiétante : retourné dans sa cachette initiale, le diable est prêt à sévir à nouveau.

Incontestablement, L'horloge magique est le plus abouti des trois films, et c'est d'ailleurs le plus long. Plusieurs récits s'y mêlent étroitement : la réalité, filmée en prise de vues réelles, le monde de l'horloge, d'inspiration médiévale, et l'univers fantastique de la forêt dans lequel sera possible la rencontre entre la petite-fille de l'horloger et le valeureux chevalier de l'horloge. En plus de la tonalité singulière du récit, qui joue ironiquement avec la vie et la mort de ses personnages ("Réveille-toi, tu vas rater l'heure de ta mort !" s'exclame un personnage), on est frappé par cette horloge monumentale qui semble une allégorie de l'existence. D'autant que lorsque la fillette recule l'heure du destin, les personnages redeviennent de simples figurines que l'on peut jeter par la fenêtre. Certes sauvées d'une mort certaine, elles connaissent l'humiliation d'être des pantins privés de libre arbitre.

Pour réaliser cette histoire ambitieuse aux multiples niveaux de lecture, Starewitch fait une démonstration de sa maîtrise des effets spéciaux, à grands renforts de surimpressions, de rétro-projections et de technique du "cache-contre cache" qui permettent aux créatures de toutes sortes de cohabiter dans un même plan. L'un des passages les plus impressionnants est d'ailleurs celui où Nina rétrécit sous nos yeux puis est hissée, minuscule, dans la main du monstre de la forêt. Il ne faudrait pourtant pas réduire L'horloge magique à un catalogue de prouesses techniques. Au contraire, le spectateur oublie en un instant cet aspect du récit pour se concentrer sur son humour, sa vivacité et son irrévérence. C'est pour cette raison que l'on peut revoir l'oeuvre de Starewitch presque un siècle plus tard, à l'ère du tout numérique, et y trouver un plaisir inchangé : chez lui, le trucage, l'effet spécial et les rouages de l'animation demeurent en permanence au service d'une certaine idée de la poésie et du cinéma de divertissement.

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La petite chanteuse de Ladislas Starewitch, 1924-1928, Doriane Films

Palmarès, films à suivre et animation russe : retour sur la 15e édition de Mon premier festival

Posté par MpM, le 4 novembre 2019

La 15e édition de Mon Premier Festival s'est achevée mardi 29 octobre par l'annonce très attendue du palmarès. C'est le film néerlandais Fight girl de Johan Timmers (sans date de sortie pour le moment) qui a séduit le jury composé d'enfants. Il s'agit de l'histoire de Bo, une jeune fille en souffrance, qui retrouve un équilibre à travers la pratique de la boxe.

Pour la première fois, le jury a également récompensé la meilleure musique de film. Fabien Leclercq (alias Le Motel) a ainsi été distingué pour Binti de Frederike Migom (sans date de sortie) qui aborde à hauteur d'enfants la question des sans-papiers. Le public avait lui aussi la possibilité de voter, et c'est La dernière vie de Simon de Léo Karmann (attendu en salle en 2020) qui a été plébiscité par les jeunes spectateurs. On y suit Simon, 8 ans, un orphelin qui rêve d'être adopté. Mais Simon a un pouvoir secret : celui de pouvoir prendre l’apparence de chaque personne qu’il a déjà touchée.

Le Festival fut également l'occasion de repérer les films à suivre parmi les avant-premières. Pour les plus jeunes, le programme Zibilla ou la vie zébrée raconte avec douceur et humour des histoires d'exclusion qui font toujours écho d'une manière ou d'une autre avec leur vécu. Zibilla, l'héroïne du court métrage principal, est une enfant adoptée qui vient s'installer dans une nouvelle ville. Problème : elle est une zèbre dans un monde de chevaux. Mais c'est en affirmant sa personnalité bien à elle qu'elle viendra à bout des moqueries et des préjugés.

A voir à partir de 5 ans, Le monde animé de Grimault permet de redécouvrir 4 films du maître de l'animation française : L'épouvantail, Le Voleur de paratonnerres, La Flûte magique et Le Petit soldat. Des histoires drôles et subversives dans lesquelles le faible défie systématiquement le fort ou l'autorité, et qui sont un formidable moyen de (re)nouer avec l'oeuvre sautillante, ironique et poétique de Grimault. A redécouvrir sur grand écran dès le 6 novembre, accompagné d'un autre programme, destiné aux plus grands, qui comporte quatre autres films donnant un large aperçu de la palette sensible du réalisateur.

Pour les plus grands (à partir de 8 ans), le festival a également permis de découvrir L'extraordinaire voyage de Marona d'Anca Damian plusieurs mois avant sa sortie (8 janvier). Le film qui a enchanté Annecy, et dont nous avons déjà eu l'occasion de vous dire le plus grand bien, à la fois en raison de sa sensibilité, de sa fantaisie, et de sa liberté, figure définitivement parmi les incontournables de 2020.

Enfin, Mon Premier festival est toujours l'occasion de se pencher sur une cinématographie particulière, et cette année les jeunes festivaliers étaient particulièrement gâtés puisqu'il s'agissait de l'animation russe ! Ils ont ainsi pu se régaler toute la semaine avec différents programmes de courts métrages, un focus sur le réalisateur Garri Bardine et la (re)découverte de deux très beaux longs métrages : Tout en haut du monde de Rémi Chayé (2016) et La Reine des neiges de Lev Atamanov (1957).

Garri Bardine demeure irrémédiablement l'un des cinéastes d'animation russes les plus captivants de ces trente dernières années. En plus de son humour et de sa fantaisie, flagrante dans l'ode à l'imagination et à l'enfance qu'est La Nounou, dans lequel un petit garçon se crée de toutes pièces une nounou aux nombreux pouvoirs magiques, on est frappé par la manière dont il utilise les conventions de l'animation comme éléments de l'intrigue, notamment en jouant sans cesse sur les matériaux, ou la matière, qui constituent ses personnages.

Dans La Nounou, on assiste à rien de moins que la mise en abyme du processus de création de la marionnette. Dans Le Loup gris et le petit chaperon rouge, ce sont les corps qui s'étirent, s'allongent, se déforment au gré de l'histoire et de ses péripéties, jusqu'à l'explosion finale du ventre du loup. Dans Hop-là badigeonneurs, les multiples accidents provoqués par les apprentis-peintres les obligent sans cesse à se remodeler eux-mêmes. Dans Adagio, allégorie anxiogène sur le rejet de l'Autre et le fanatisme, les personnages sont de simples feuilles de papier pliées, uniformément grises, qui renvoient à une humanité universelle. Il y a ainsi chez le réalisateur une volonté d'améliorer sans cesse la réalité grâce aux artifices de l'animation qui lui permettent d'ajouter des niveaux de lecture complémentaires.

Il faut enfin souligner l'oeuvre d'un autre maître de l'animation russe, Youri Norstein, dont étaient présentés deux courts métrages : Le Héron et la cigogne et Le Hérisson dans le brouillard. On entre avec ces deux films dans l’œuvre particulière du cinéaste russe à qui l’on doit également le magnifique Conte des contes. Dépouillé, dans un registre de couleurs qui se cantonne à un camaïeu de gris, de verts foncés, de marron, de noirs et de blanc, les deux films sont des démonstrations de la finesse et de la poésie mélancolique de Norstein. Dans le premier, un héron et une cigogne ne cessent de se courtiser puis de se refuser, à tour de rôle. Dans le second, un petit hérisson se rend chez son ami l’ourson pour observer les étoiles, mais se trouve pris dans une nappe de brouillard qui rend inquiétant le décor familier.

Dans les deux films, les éléments météorologiques (la pluie dans l’un, le brouillard dans l'autre) influent sur l’ambiance feutrée et intimiste des récits, brouillent l’image, et vont dans le cas du hérisson jusqu’à plonger le spectateur dans une angoisse diffuse. Dans ce dernier, on est par ailleurs émerveillé par le rendu duveteux du brouillard, le travail sur les ombres, et la tension anxiogène créée à partir d’un jeu de « caméra » subjective qui nous met à la place du hérisson, soudain plongé dans un monde flou où tout est menace potentielle. Un conte délicat qui se termine bien mais laisse malgré tout notre hérisson songeur et mélancolique, et le spectateur stupéfait par une telle splendeur.  D'ailleurs, entre les enfants qui assistaient à la projection, et les adultes présents, on ne saurait dire lesquels étaient les plus émerveillés.

Jeune public : le programme « Loups tendres et Loufoques » dédramatise les peurs enfantines

Posté par MpM, le 18 octobre 2019

Parmi l’offre florissante de films et programmes à destination du jeune public, il ne faut pas rater Loups tendres et loufoques, qui propose six courts métrages d’animation autour de l’animal le plus présent dans l’imaginaire enfantin. Destiné aux plus petits spectateurs (succès garanti auprès de notre petit cobaye de tout juste trois ans), il revisite et détourne les peurs et les légendes autour du loup, tantôt ridicule, tantôt attachant, tantôt majestueux.

On passera rapidement sur les deux films qui ouvrent le programme : C’est moi le plus fort et C’est moi le plus beau, signés Anaïs Sorrentino et Arnaud Demuynck, et adaptés des albums jeunesse de Marcel Ramos. Un loup prétentieux et pas très malin tyrannise les habitants de la forêt (de Blanche Neige au Petit Chaperon rouge) pour obtenir des compliments sur sa force et son apparence. Mais par deux fois, un bébé dragon lui cloue le bec, renversant les principes de la loi du plus fort. C’est simple, gentiment répétitif, et tout à fait efficace pour dédiaboliser la figure inquiétante du loup de conte de fées.

Dans le même genre, Le retour du grand méchant loup de Pascale Hecquet fait carrément passer l’animal de prédateur craint et respecté à espèce en voie de disparition. Revisitant joyeusement l’histoire du petit chaperon rouge, le film montre un loup qui n’est plus vraiment à sa place dans l’époque moderne (où il est un objet de curiosité et de nostalgie plus que d’angoisse), et se retrouve sous la protection du chasseur. Si l’on excepte l’habitude agaçante des personnages de réclamer une récompense en échange de tout service (« qu’est-ce que j’y gagne ? » demande sans cesse le petit chaperon rouge), le film est attachant et subtilement décalé.

Joli, aussi, ce Trop petit loup d'Arnaud Demuynck, qui raconte les mésaventures douces d'un louveteau qui a décidé de chasser seul. A distance, son père assiste avec humour et détachement aux stratégies des "proies" pour se moquer de l'apprenti chasseur. Le graphisme tout simple (les loups sont stylisés avec des traits de contour noirs et des aplats de  bleu) et la bienveillance du propos rappellent aux petits spectateurs que les petits loups rencontrent les mêmes difficultés qu'eux à s'affranchir de leurs parents, et qu'ils ont encore bien le temps avant de réclamer leur indépendance.

Grand loup et petit loup de Rémi Durin (librement adapté de l'album de Nadine Brun-Cosme) est l'autre coup de coeur du programme, qui s'affranchir délibérément de l'imagerie autour du grand méchant loup. Ici, le personnage principal est un loup noir dessiné à grands traits, et au museau démesuré, qui mène une vie paisible sous son arbre. Un être solitaire et tranquille, qui voit d'un mauvais oeil l'arrivée d'un petit loup bleu beaucoup trop remuant pour lui. Et pourtant, lorsque ce dernier repart, il laisse un immense vide dans l'existence de Grand Loup, qui n'aura alors plus de cesse que d'imaginer tout ce qu'ils feront ensemble à son retour. Une fable douce et tendre sur l'amitié et les préjugés, qui raconte combien il est parfois bon de se laisser un peu bousculer par la vie et ses surprises.

Enfin, c'est Promenons-nous de Hugo Frassetto qui clôt plutôt habilement le programme. Entonnant la célèbre comptine enfantine "Promenons-nous dans les bois", des louveteaux déguisés en autres animaux attendent leur père. Lorsqu'il arrive, ce dernier leur chante alors l'histoire du "loup qui est de retour dans les bois". "Il a bien le droit d'être là-bas" reprennent en choeur les louveteaux, alors qu'apparaît à l'écran un loup beaucoup plus réaliste, esquissé sur fond blanc, au milieu d'une nature stylisée. Une conclusion qui sensibilise les jeunes spectateurs à la nécessité pour l'homme de vivre en harmonie avec son éco-système, et de protéger toutes les espèces vivantes qui en font partie.

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Loups tendres et loufoques, distribué par Cinéma Public Films
En salle depuis le 16 octobre

18e Fête du cinéma d’animation : des films, des ateliers, des rencontres, et un hommage à Jean-François Laguionie

Posté par MpM, le 3 octobre 2019

C'est avec la projection en avant-première du très attendu J'ai perdu mon corps de Jérémy Clapin (en salles à partir du 6 novembre) que s'est ouverte la 18e Fête du cinéma d'animation organisée depuis 2002 par l'Association française du cinéma d'animation (AFCA). Une manifestation qui se poursuit tout au long du mois d'octobre en France et dans 32 pays à travers près de 450 films programmés et une tournée de 5 réalisatrices et réalisateurs. Son but, au-delà de proposer une programmation riche et variée de films d’animation, est bien entendu de sensibiliser les différents publics au cinéma "image par image" qui, on l'oublie trop souvent, préexista au cinéma en prise de vues continues.

C'est en effet le 28 octobre 1892 qu'Emile Reynaud, pionnier du genre, organisa la première projection publique de "bandes animées" au Musée Grévin à Paris. Afin de célébrer ce moment historique dans l'histoire du 7e art, une Journée mondiale de l'animation se tient chaque année le 28 octobre. Par ailleurs, le Prix Emile Reynaud sera quant à lui remis lors d'une soirée spéciale le 25 octobre. Cette récompense, créée en 1977,  est décernée par les adhérents de l'AFCA à un court métrage d’animation français. Parmi les films en lice pour succéder à Je sors acheter des cigarettes d'Osman Cerfon, on retrouve notamment quatre films primés à Annecy : Mémorable de Bruno Collet (Cristal du court et prix du public), Oncle Tomas de Regina Pessoa (prix du jury), Flow d'Adriaan Lokman (mention du Prix André Martin) et Tétard de Jean-Claude Rozec (Prix Fipresci).

La programmation de cette 18e Fête de l'animation s'articule autour de trois thématiques, qui proposent chacune un mélange de longs et courts métrages : En pleine mer (avec notamment La Prophétie des grenouilles et Capitaine Morten et la reine des araignées), La famille dans tous ses états (Ernest et Célestine, Panda, petit Panda...) et Le Chien, meilleur ami de l'homme ? (Croc-Blanc, Le chien, le général et les oiseaux...). Il sera également possible de redécouvrir l'oeuvre de l'invité d'honneur de cette édition, le cinéaste Jean-François Laguionie, qui accompagnera lui-même ses cinq longs métrages lors de plusieurs projections à Paris, mais aussi à Nice et Douardenez. En parallèle, son premier long métrage Gwen et le livre de sable vient de ressortir en salles en version restaurée, ainsi que deux programmes de courts métrages (voir notre actualité du 2 octobre).

Quatre autres réalisateurs participeront eux-aussi à une "tournée" dans toute la France, afin de présenter leur travail et partager leur passion pour le cinéma d'animation. Il s'agit de Lia Bertels (Nuit chérie), Julie Rembauville (Merci mon chien), Nicolas Bianco-Lévrin (Merci mon chien) et Denis Walgenwitz (La mort, père et fils).

De nombreux ateliers (bruitage, papiers découpés...), ciné-concerts et spectacles sont également organisés dans toute la France, ainsi que plusieurs expositions rendant hommage au cinéma d'animation. Enfin, le grand temps fort des 25 et 26 septembre au Carreau du Temple permettra au public d'assister à des projections de courts métrages, à des ateliers de pixilation et de pâte à modeler, et à une masterclass de Jean-François Laguionie autour de son nouveau film Le Voyage du prince.

Les films en lice pour le prix Emile Reynaud 2019

Alien TV d'Eléonore Geissler
Flow d'Adriaan Lokman
Les songes de l'homme de Florent Morin
Mémorable de Bruno Collet
Moutons, Loups et Tasse de thé de Marion Lacourt
Mr Mare de Luca Toth
Oncle Tomas de Regina Pessoa
Tétard de Jean-Claude Rozec

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18e Fête du cinéma d'animation
Jusqu'au 31 octobre
Infos et programme sur le site de la manifestation

Les mondes animés de Jean-François Laguionie

Posté par MpM, le 2 octobre 2019

Alors qu'il s’apprête à fêter son 80e anniversaire ce 4 octobre, Jean-François Laguionie semble n'avoir jamais connu année plus remplie. Après avoir reçu un hommage en juin dernier au Festival du film d'animation d'Annecy, puis avoir été l'invité du Festival de la Rochelle en juillet, il est à l'honneur tout le mois d'octobre dans le cadre de la Fête de l'animation, ce qui l'amènera à accompagner une rétrospective de ses films à travers la France.

En parallèle, trois possibilités de (re)découvrir son travail sont offertes au spectateur, en attendant son nouveau long métrage Le Voyage du prince (le 4 décembre), et le suivant, Slocum, annoncé en 2020. Ce 2 octobre, place donc à la sortie restaurée de son premier long métrage ainsi qu'à deux programmes de courts.

Gwen et le livre de sable

Gwen et le livre de sable est sorti en 1984, réalisé au sein de l'aventure collective et indépendante de La Fabrique, dans les Cévennes. Il s'agit d'un "conte pour tout le monde" réalisé dans une "addition" de dessins animés et de papiers découpés, selon les propres mots du réalisateur. Après le départ des Dieux, les Hommes vivent dans le désert, au milieu d'objets étranges qui ont perdu pour eux toute signification. Leur vie est ponctuée par la chasse aux sortes d'autruches colorées dont ils mangent les plumes et par les apparitions du "Makou", une créature féroce qu'ils craignent plus que tout.

Construit en trois parties, le film est un mélange de récit d'aventures et de voyage initiatique existentiel qui porte sur le monde réel un regard distancié, ironique et moqueur. Jean-François Laguionie, avec le ton qu'on lui connaît, fustige la société de consommation, le poids des religions, la tentation du repli sur soi et l'absurdité galopante de nos modes de vie. Les personnages croisent ainsi des pyramides d'objets à l'abandon, devenus obsolètes ou détournés de leur usage, que les êtres humains appelle "images". Une fourchette gigantesque devient un pont-levis, un enchevêtrement de portes forme un labyrinthe. Quant à la "cité des morts", on y voue un culte très sérieux à un livre trouvé dans le désert, qui n'est autre qu'un catalogue de vente par correspondance plein d'arrosoirs, de caisses à outils et autres perceuses dont le "prêtre" psalmodie avec dévotion les descriptifs.

Si le ton du film est une merveille d'humour et de poésie mêlés, avec notamment une voix-off d'une très grande beauté, son esthétique est tout aussi admirable, avec ses textures douces et ses mille nuances de couleurs dans le ciel. Le surréalisme, et notamment une certaine parenté avec le travail de Dali, affleure dans les paysages où des mannequins démembrés, des téléphones géants, ou encore des lunettes démesurées surgissent quand on ne les attend pas, au beau milieu d'un désert qu'on devine à perte de vue. L'une des très belles idées visuelles du film consiste également à faire se déplacer les personnages sur de hautes échasses qui leur donnent des airs d'oiseaux gracieux et libres, mais on pourrait citer mille autres petits détails (l'horloge-ascenseur, les rêves projetés sur les murs, les lampions-papillons multicolores...) qui offrent au film un univers singulier à la beauté et à la force incomparables.

Il faut absolument voir et revoir Gwen et le livre de sable pour s'imprégner de ces visions, qui sont celles d'un monde nouveau bâti sur les vestiges de notre civilisation. Un futur non pas apocalyptique, mais dans lequel l'être humain apparaît comme finalement libéré d'une partie de ses chaînes, et où la vie (mais aussi l'amour) reprend le dessus sur tout ce qui n'est pas essentiel. A sa manière, légère et décalée, Jean-François Laguionie annonce au fond l'issue qu'il semble appeler de ses vœux : la fin de l'ère des objets au profit du temps de l'humain.

Bas les masques & Les mondes imaginaires

Côté courts, le programme Bas les masques, destinés aux enfants à partir de 6 ans, comporte quatre films réalisés entre 1964 et 1976 : La demoiselle et le violoncelliste (rencontre sous-marine surréaliste entre un musicien et une jeune pêcheuse de crevettes), Potr' et la fille des eaux (une légende celtique sur un pêcheur et une sirène qui veulent gommer leurs différences pour mieux vivre leur amour), L'acteur (les multiples transformations d'un jeune comédien qui joue un vieillard) et enfin Le Masque du diable (la rencontre, un soir de carnaval, d'une vieille femme et du diable, autour d'un jeu de dominos).

On retrouve dans ces films le goût de Jean-François Laguionie pour le jeu des apparences et des faux semblants, les personnages étant souvent différents de ce qu'ils paraissent au premier abord. Il aime lancer de fausses pistes et ménager des retournements de situation. Il propose également en fil rouge, et toujours avec humour, une réflexion sur les masques que chacun porte au quotidien, sur la question de l'âge, et sur le couple et la dualité. Visuellement, on retrouve là-aussi son style posé fait de larges plans fixes et de lents travellings à l'intérieur de l'image, et un goût certain pour les ciels et les fonds sous-marins.

Le deuxième programme, intitulé Les mondes imaginaires, comporte quant à lui trois films en plus des quatre déjà cités. Il y a tout d'abord L'arche de Noé (1967), dans lequel des scientifiques sont à la recherche des vestiges de l'arche mythique. Mais alors que des pluies diluviennes s'annoncent, un vieil ermite répare l'arche, et entreprend de la repeupler. Une variation plutôt joyeuse autour du récit biblique, qui montre notamment les difficultés concrètes rencontrées par le nouveau Noé pour réunir un couple de chaque espèce.

Une bombe par hasard (1969) raconte quant à lui avec ironie l'arrivée d'un vagabond dans une ville désertée par ses habitants. Mais ces derniers, qui se sont réfugiés à distance à cause d'une bombe sur le point d'exploser, l'observent et, ne pouvant supporter qu'il prenne possession de leurs biens, reviennent juste à temps pour sauter avec l'engin. Là encore, c'est la dérision qui l'emporte, mais aussi la fantaisie, avec ce personnage farfelu qui repeint les maisons en rose, et déchaîne le courroux de villageois plus étroits d'esprit.

Enfin, le programme ne pouvait faire l'impasse sur La Traversée de l'Atlantique à la rame, probablement le court métrage le plus connu de Jean-François Laguionie, qui reçut la Palme d'or en 1978. On y suit un jeune couple qui se lance dans la folle aventure de cette traversée de tous les dangers, et qui rencontre en chemin plus d'obstacles (intérieurs) que prévus. Brillante métaphore de la vie de couple, mêlant à égalité la poésie et l'humour, le film brasse les thèmes évoqués dans les autres films, du temps qui passe aux faux-semblants, en passant par une réflexion plus profonde sur l'existence et sur le couple.

Little Festival : un été animé pour les très jeunes cinéphiles

Posté par MpM, le 1 juillet 2019

Les parents de (très) jeunes enfants le savent, pas toujours facile de trouver une programmation qui leur soit véritablement adaptée en termes de durée, de contenu et de tonalité.

C'est pourquoi on se réjouit de la belle initiative de Little KMBO qui propose tout l'été la première édition du Little Festival destiné au jeune public dès trois ans. Plus de deux cent salles dans toute la France participent à l'opération en proposant l'un des huit films ou programmes d'animation qui constituent la sélection.

Qui dit festival dit avant-premières, et les jeunes spectateurs pourront découvrir avant tout le monde le long métrage Le voyage dans la lune de Rasmus A. Sivertsen (sortie prévue le 6 novembre), véritable odyssée spatiale ludique et ultra-référencée qui célèbre à sa manière le 50e anniversaire du premier pas sur la lune. Ce troisième volet des aventures de Solan et Ludvig (après De la neige pour Noël et La Grande course au fromage, également présenté dans le cadre du festival), est un régal d'humour et de fantaisie, y compris pour les parents qui apprécieront le second degré permanent des personnages et des dialogues.

Autre exclusivité avant sa sortie le 11 septembre, le programme Un petit air de famille qui réunit cinq courts métrages sur les thématiques familiales, à découvrir à partir de 4 ans. En parallèle, les enfants pourront (re)découvrir Dans la forêt enchantée d'Ouky Bouky (également signé par Rasmus A. Sivertsen) ainsi que des programmes de courts comme Les contes de la mer, A la découverte du monde ou encore La ronde des couleurs. Des ateliers d'initiation à l'astronomie et aux arts créatifs seront également organisés en marge des projections. De quoi faire vivre aux jeunes spectateurs un été aussi cinéphile qu'animé !

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Little Festival

Juillet-Août dans toute la France, avec un temps fort les 20 et 21 juillet
Informations sur le site de la manifestation

Annecy 2019 : rencontre avec Annabel Sebag, responsable de la distribution chez Autour de minuit

Posté par MpM, le 11 juin 2019

Créée en 2001 par Nicolas Schmerkin, Autour de minuit est à l’origine une société de production spécialisée en animation, et pensée comme un espace privilégié pour des films hybrides ou expérimentaux. Depuis 2004, elle s’est lancée dans la distribution de ses propres productions, puis d’autres films correspondant à sa ligne éditoriale. Aujourd’hui, elle compte plus de 70 films produits et un catalogue d’environ 350 titres. Principalement du court métrage (dont l’Oscarisé Logorama de H5 - François Alaux, Hervé de Crecy et Ludovic Houplain), mais aussi des séries (Non-Non, l'ornithorynque chouchou des plus jeunes), et même du long métrage (Unicorn Wars, le prochain film d’Alberto Vasquez dont la société avait déjà coproduit Psiconautas).

En mai dernier à Cannes, Autour de Minuit a reçu le premier Prix du distributeur de court-métrage décerné par UniFrance et La Fête du Court Métrage. L’occasion de rencontrer Annabel Sebag, responsable du département distribution et ventes internationales de la société pour parler des enjeux spécifiques de la distribution de courts métrages d’animation et du Festival d’Annecy qui fait chaque année la part belle au format court.


Ecran Noir : Quels sont les enjeux de la distribution de courts métrages ?

Annabel Sebag : Bien sûr, l’idée principale est de diffuser les films au maximum, donc on réfléchit à la stratégie à mettre en place pour chaque film, en fonction de sa spécificité. La première chose va consister à inscrire les films en festival. C’est extrêmement important parce que les festivals sont un des premiers endroits où l’on peut voir du court. Nous travaillons avec un réseau de 350 festivals en France et à l’étranger et nous mettons en place toute une stratégie pour proposer la “première” internationale ou nationale la plus adaptée à chaque film.

Ensuite, il y a tout ce qui concerne la vente des films. Pour ceux que nous produisons, nous avons souvent des pré-achats par les chaînes de télévision françaises. Longtemps, il y a eu une sorte de chronologie des ventes : d’abord les chaînes et en parallèle les diffusions en salle, et ensuite les mises en ligne sur internet. Mais maintenant, les pistes s’entremêlent. Depuis presque dix ans, les achats télé sont en chute libre, beaucoup de département courts métrages ferment ou ont des budgets en baisse. Tout ce qui est VOD [vidéo à la demande] ou SVOD [service de vidéo à la demande par abonnement] peut donc parfois venir avant. Certains films vont aussi se prêter à une diffusion dans des musées ou des galeries. Par exemple, on travaille assez régulièrement avec Le Cube à Issy-Les-Moulineaux, comme pour le film Aalterate de Christobald de Oliveira autour duquel on avait créé une installation. Pour Estate de Ronny Trocker, il y a aussi eu une installation au 104 où le réalisateur avait fait une résidence. On essaye également de monter des expositions autour des films, notamment la collection “En sortant de l’école”. Globalement, tous les réseaux sont bons pour montrer les films.

EN : Justement, au sujet de la VOD ou SVOD, il y a un public pour le court métrage sur ces plateformes ?
AS : Oui, ça marche pas mal ! Les plateformes commencent à faire vraiment beaucoup d’efforts pour intégrer du court. On a testé différentes choses, et certaines plateformes qui sont éditorialisées fonctionnent bien. Je pense notamment à Benshi, qui fonctionne par abonnement, ce que je trouve particulièrement adapté au court métrage. Avec Universciné par exemple, on est en train de travailler sur des programmes de courts. Bien sûr, ce ne sont pas les montants des chaînes de télé, mais ça marche bien.

EN : Comment choisissez-vous les films que vous souhaitez distribuer ?
AS : Chacun repère des films et les propose au reste de l’équipe. On ne fait pas de choix par rapport au potentiel commercial d’un film. Il faut que ce soit des coups de cœur. S’il marche, c’est super, et s’il est plus difficile à vendre, c’est pas grave, on a quand même envie de le défendre. Ca peut aussi être l’occasion de repérer des réalisateurs avec lesquels faire un film par la suite, parce qu’on a envie de suivre leur travail. C’est ce qui s’est passé pour Donato Sansone (Journal animé, Robhot, Bavure en compétition officielle à Annecy cette année). On a commencé à prendre ses films en distribution parce qu’on aimait beaucoup son univers, et maintenant on produit ses films. Même chose pour Rosto (Le Monstre de Nix, Splintertime, Reruns…) C’était vraiment le coup de cœur de Nicolas Schmerkin. On a d’abord proposé de distribuer sa trilogie, et puis finalement de produire tous ses films. C’est donc aussi une manière de défricher, de repérer des auteurs.

EN : Il y a donc un marché pour le court métrage.
AS : Oui, clairement ! C’est juste qu’il est en évolution depuis une dizaine d’années. Il faut donc comprendre comment il évolue. Après, c’est un travail de fourmi. Le plus gros de l’activité, ce sont des locations de copie pour des projections non commerciales, des programmes de courts. Je pense que je reçois en moyenne une quinzaine de demandes par jour.

EN : Et le fait de proposer des films d’animation, ça aide, ou c’est un frein ?
AS : Tout le monde dit que l’animation se vend mieux. Je crois que c’est vérifié par les dernières études. C’est plus facile pour le jeune public, très clairement. Il y a aussi une question de format : ce sont des films plus courts, souvent sans paroles. Ca s’exporte bien. Je crois aussi que les gens aiment bien l’animation, tout simplement ! Car même si les achats télé, qui représentaient la plus grosse partie des ventes il y a quinze ans, sont en chute libre, on voit que les chiffres d’affaire, eux, restent stables, voire augmentent. C’est bien la preuve qu’il y a d’autres réseaux à défricher. Et toujours beaucoup de demandes pour l’animation ! Il reste bien sûr plein de choses à faire bouger. On aimerait avoir accès à des grosses plateformes comme Netflix, par exemple.

EN : Quelles sont vos attentes pour Annecy ?
AS : Elles sont de deux sortes. D’un côté, une partie de l’équipe y va pour présenter nos activités de production et pitcher des projets, mais aussi rencontrer des acheteurs de longs métrages et de séries, ou trouver un distributeur pour les longs qu’on a en développement. Ils vont aussi rencontrer des distributeurs de salle étrangers ou des télés qui a priori n’achèteraient pas du court, mais qui pourraient être intéressés par un programme. Par exemple les « Panique au Village » de Vincent Patar et Stéphane Aubier : on a coproduit trois spéciaux TV de 26’ (dont le dernier La Foire agricole est en compétition à Annecy), on expérimente un montage sous la forme de programme de 80 minutes pour le présenter à des distributeurs de longs.
Enfin, l’équipe assiste aussi aux pitchs, afin de voir s’il y a des projets qui pourraient nous intéresser.

De mon côté, je m’occupe du court métrage. Je trouve qu’il n’y a pas beaucoup de nouveaux acheteurs de courts au MIFA [le marché du film d’Annecy]. Donc je rencontre peu de gens que je ne connais pas encore, mais surtout ceux avec lesquels je travaille pendant l’année. Ca me permet de voir avec eux ce qu’ils ont envie de développer, quelles thématiques les intéressent, ou les projets qu’ils souhaitent mettre en place dans l’année à venir. Comme ça je peux me positionner tout de suite, et répondre à leurs besoins au plus tôt. Et bien sûr je leur présente les nouveaux films du catalogue. Et si je peux, je vois des films !

EN : On parle beaucoup, actuellement, des problématiques liées à l’animation adulte, qui a du mal à attirer les spectateurs. Quels sont les enjeux de ce type particulier de films ?
AS : Il y a un groupe de travail qui a été monté autour du long métrage d’animation pour adultes, sur l’impulsion de Nicolas Schmerkin. L’AFCA (Association française du cinéma d’animation) travaille dessus et y a associé des producteurs, des distributeurs, des exploitants… On réfléchit à la manière de faciliter la production de longs pour adultes. Comment les positionner et comment bien les sortir en salles. On pense que ce serait vraiment important de mieux impliquer les exploitants, dès la productions, pour qu’ils s’emparent des films. Qu’ils aient envie de les défendre. Il faudrait aussi travailler avec les spectateurs, parce qu’avoir une bonne presse n’est plus prescripteur. Peut-être que ça fonctionne mieux quand les spectateurs portent le film. Comme le réseau des spectateurs ambassadeurs de l’ACID qui choisissent un film “coup de cœur” et en parlent autour d’eux. Il y a une réflexion à mener aussi autour du label « jeune public » qui va jusqu’à 12 ans, et qui parfois n’aide pas la diffusion. Ça permet peut-être de rassurer les exploitants mais au finale ça ne colle pas toujours à la réalité du film, et ça le rend difficile à positionner et à sortir.