Venise 2017 : Abdellatif Kechiche, amours et marivaudage avec « Mektoub, my love »

Posté par kristofy, le 8 septembre 2017

C’était en mai 2013 : Abdellatif Kechiche gagne une Palme d’or au festival de Cannes avec La Vie d'Adèle - Chapitres 1 et 2, d’ailleurs presque une triple palme puisque les actrices Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos remportent aussi chacune ce prix. Puis quelques semaines avant la sortie du film en octobre un curieuse polémique survient au travers d'une interview des actrices: Léa Seydoux aurait dit que le tournage a été horrible et qu’elle ne souhaitait pas refaire un film avec lui. Kechiche piqué dans son ego réplique en disant que Seydoux est une privilégiée d’un système, bref le genre de clash ridicule qui fait le sel des news sur le web, avide de répercuter une polémique. Sachant qu’il filme des longues prises à répétition et qu’il y avait du sexe et des larmes, c’est pourtant assez compréhensible d'imaginer que le tournage était peut-être pénible…

L’orgueil de Kéchiche qui ne supporte peu la critique à propos de son tournage (accompagné des protestations de techniciens…) est blessé. Il va même estimer le film sali, alors que personne n’a désavoué la qualité de cette Palme amplement méritée. Mais le mal est fait. Un seul César (pour Exarchopoulos): sa grande œuvre va se faire humilier à la cérémonie glorifiante du cinéma français par Les garçons et Guillaume à table!, pas vraiment du même niveau.

Mai 2017 : Le nouveau film de Abdellatif Kechiche ne sera pas sélectionné à Cannes, pour cause de problème juridique avec un partenaire financier. Le contrat était de livrer un film mais au final, le cinéaste décide en salle de montage d'en faire plusieurs.

Mektoub, my love (chant 1) vient donc d’être présenté en compétition à Venise.

Est-ce qu’il y a matière à une quelconque polémique? Non, comme pour le film précédent.

Est-ce que Abdellatif Kechiche a toujours le même défaut de parfois trop étirer des séquences sans couper et d’être toujours un excellent directeur d’acteurs ? Oui, le film dure 180 minutes (!) et il aurait sans doute gagné à être raccourci, peut-être d’une vingtaine de minutes. Mais il lui faut vraiment cette longue durée de trois heures pour dérouler toute son amplitude.

Les acteurs, et surtout les actrices, sont encore une fois formidables : en particulier les nouvelles têtes de Shaïn Boumedine, Ophélie Bau, Lou Luttiau, Alexia Chardard, et aussi les déjà connus Salim Kechiouche et Hafsia Herzi (leur deuxième film avec lui).

Est-ce que ce film peut prétendre à un Lion d’or où une autre récompense ? Oui, la fin ouverte de Mektoub, my love (chant 1) constitue bien un film entier et solide, sans suite. Une nouvelle fois Abdellatif Kechiche s’inspire d’un livre, La Blessure, la vraie de François Bégaudeau, qu’il a adapté très librement en changeant les âges, les lieux, l’époque.

Ici, le film débute en 1994 dans la ville de Sète le temps d’un été. Amine arrive de Paris pour des vacances avec sa famille, il surprend Ophélie et Tony en train de faire l’amour, il reste derrière une fenêtre à les regarder avant de sonner pour parler à Ophélie, après le départ de Tony. Alors qu’il y a éventuel projet de mariage avec un militaire, celle-ci avoue qu’elle le voit depuis longtemps. Puis Tony et Amine iront à la plage, ils draguent Charlotte et Céline. Celles-ci vont alors sortir avec eux et leurs amis, Charlotte s’amourache de Tony qui lui va de fille en fille, Céline papillonne entre plusieurs garçons et filles, Amine attire plusieurs filles sans rien faire car il semble aimer quelqu'un en secret… Le film se déroule principalement entre plage, restaurant et boite de nuit. A la bande de jeunes se mélange la génération précédente (mère, oncle, tante…). Abdellatif Kechiche reprend quelques motifs typiques de ses films précédents, par exemple une longue scène de sexe, certains corps sont filmés de manière érotisée (en particulier Ophélie Bau et Lou Luttiau). Comme souvent dans son cinéma, il filme aussi une très longue séquence où les jeunes dansent. Mektoub, my love (chant 1) se révèle être autant un marivaudage de dialogues et de corps qu’un épisode de la chronique d’une famille.

Abdellatif Kechiche laisse paraître une certaine sérénité pour ce nouveau chapitre de sa filmographie : "On a tourné 2 volets, et j’envisage de tourner une 3ème partie après Venise. Dans le prochain film des nœuds dramatiques noués dans celui-ci vont se dénouer. Je suis le producteur de mon film, c’est moi qui décide de sa durée. Mektoub c’est le destin, le destin est souvent lié à l’amour. A part Hafsia et Salim, pour les autres acteurs c’est leur première fois à l’écran. Il y a eu un long processus pour chercher les meilleures actrices pour ce film, et je suis fasciné par leur don. Le tournage a été agréable, fluide, léger. Pour ce qui est de la représentation du corps féminin il n’y a rien de machiste dans mon approche, je montre des femmes fortes, puissantes et libres. Le roman a été une source d’inspiration, et le processus d’écriture a duré très longtemps, j’ai changé des choses mais il n’y a rien d’autobiographique. Les années 90 représentent la fin d’un siècle, pour comprendre le présent c’est important de comprendre le passé. Dans les années 80 et 90 je crois que les gens vivaient de manière plus harmonieuse. J’ai essayé de diluer le discours, si discours il y a. Le film se déroule de manière impressionniste, je préfère qu’on reçoive ce film plutôt que le raisonner."

Kechiche va adapter Bégaudeau

Posté par vincy, le 16 avril 2014

kechiche cannes 2013

Palme d'or en 2013, mais boudé aux Césars et inéligible aux Oscars, La vie d'Adèle a séduit un million de spectateurs en France. Son réalisateur Abdellatif Kechiche avait plusieurs projets sur le feu. Il a finalement opté pour La Blessure, comme le confirme Le film français et l'appel à casting sur Picatnovo, site de la communauté de l'image du Nord-Pas-de-Calais.

Le sixième film de Kechiche est librement adapté du roman de Frédéric Bégaudeau, à qui l'on doit déjà Entre les murs autre Palme d'or cette fois-ci réalisée par Laurent Cantet. Le roman, La blessure, la vraie, est paru en janvier 2011 chez Verticales. Il se déroule durant l'été 1986. Un adolescent décide de trouver une fille, échafaude des stratégies, joue de malchance, puis s'engage dans une relation amoureuse imprévie. Des détours accidentels et des contretemps malheureux compliquent son douloureux apprentissage. Au bal du 14 Juillet, tout s'accélère et tourne au cauchemar. 25 ans plus tard, la plaie est toujours vive. Le livre avait reçu le Prix du Cercle littéraire de Canal+ Cinéma. Ici la Vendée de Bégaudeau sera remplacée par la Tunisie.

Pour son tournage, qui doit commencer cet été, Kechiche recherche actuellement des filles et des garçons d'origine maghrébine de 14 à 22 ans, notamment dans la région Nord.

Cannes : Qui est François Bégaudeau?

Posté par vincy, le 23 septembre 2008

francoisbegaudeau.jpgFrançois Bégaudeau. Un nantais de 37 ans. Jolie gueule. Un peu froid, un peu hautain pour ceux qui l’ont croisé. Il sait qu'il est doué (mention très bien au bac). Il travaille aussi énormément.

Un écrivain (son  Anti-manuel de littérature  sort le 2 octobre en librairie). Un journaliste littéraire sur Canal + et cinématographique dans Transfuge et Playboy. Un chroniqueur sportif. Fan de foot, il a commenté le dernier championnat européen dans le journal Le Monde. C'est d'ailleurs un mauvais pronostiqueur... De sa passion, il avait même fait un roman, Jouer juste, où il mélangeait amour et football.

Un asocial, c’est ce qu’on lit Dans la diagonale, considérations de trentenaires qui n’ont plus rien à dire. Un cynique aussi ? Ou plutôt un habile écrivain maniant parfaitement l’ironie. Un ancien professeur (de français), donc. Pour manger. Il plaide pour qu'on ne note plus rien, pour que l'école soit moins un outil sélectif qu'un moyen d'émancipation.

Un chanteur aussi. Dans un groupe punk, Zabriskie point (le titre d’un film d’ailleurs). Il a tout du gendre idéal, hétéro, belle gueule, bonne tête. « Féminisme viril », c’est lui qui le dit.  « Je me trouvais plus séduisant quand j’étais jeune », affirme-t-il pourtant. Un coup de mou ? Ou alors plus assez la pêche pour sauter sur scène, chanter, hurler, grimacer (la tournée du groupe a été filmée dans un enregistrement,  Je suis une vidéo machine). Là encore le corps se mixe avec le bonhomme. Pas pour rien qu’il écrira un roman sur Mick Jaeger. Forcément. « Jouer n’est pas cette chose si difficile, profonde et éprouvante. Les acteurs réfléchissent mal. Un bon acteur accepte le vide. Le rôle se construit comme cela. » Bien réfléchi tout cela. Il aime théoriser sur le corps et la pensée, qui s’entrelacent, qui dépendent l’un de l’autre, qui se mélangent l’un à l’autre.

Un politique bien sûr. Et même un militant (Réseau Education Sans Frontières). Il est de gauche, prépare un documentaire sur la jeunesse sarkozyste. Bégaudeau est un homme qui écrit (beaucoup), mais qui est avant tout un démocrate. Ce qu’il prouve dans Entre les murs (Prix France Culture-Télérama), qui débat constamment du sujet.

Un enfant gâté enfin. « A 15 ans, j'adorais le rock, la littérature et le cinéma et j'ai eu la chance de faire les trois.» Il est un homme de son temps, médiateur et médiatique.