Jean-Jacques Annaud piégé par les « Paradise Papers »

Posté par vincy, le 8 novembre 2017

Un an et demi après les Panama Papers qui avait démontré l'évasion fiscale des frères Almodovar (malgré eux), les Paradise Papers ont révélé ce mercredi 8 novembre que le réalisateur français Jean-Jacques Annaud avait utilisé durant vingt ans un processus d'optimisation fiscale en plaçant plus d'1,2 million d'euros dans divers pays (des îles anglo-normandes à Hong Kong en passant par les Caraïbes). La situation serait régularisée depuis un mois, au moment où les médias se sont ouvertement intéressés à son cas, avant la révélation publique de ce dossier international qui touche aussi bien Shakira que la Reine d'Angleterre, un proche de Justin Trudeau qu'un ministre de Donald Trump, Bono de U2 que des multinationales comme Apple ou Nike.

"Contacté début octobre pour répondre aux interrogations du Monde et de Radio France, le cinéaste a rapidement demandé à ses nouveaux avocats fiscalistes de régulariser sa situation : les avoirs, qui ont fait le tour du monde, auraient finalement été déclarés au fisc français le 12 octobre, « afin d’éviter toute discussion et d’être dans la plus totale transparence ». Les avocats plaident la méconnaissance de leur client vis-à-vis de la fiscalité, sans nier que Jean-Jacques Annaud était informé du montage et de ses conséquences fiscales" expliquent les deux médias. Maître Eric Delloye résume: "Jean-Jacques Annaud est un bon cinéaste mais ce n'est pas un fiscaliste."

"Les Paradise Papers sont une nouvelle enquête menée par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et ses 96 médias partenaires, dont Le Monde. Ces révélations s’appuient sur une fuite de documents initialement transmis, en 2016, au quotidien allemand Süddeutsche Zeitung par une source anonyme. Cette nouvelle enquête permet de lever le voile sur les mécanismes sophistiqués d’optimisation fiscale dont profitent les multinationales et les grandes fortunes mondiales" soit 13,5 millions de documents du cabinet international d’avocats Appleby, basé aux Bermudes, 566 000 documents internes du cabinet Asiaciti Trust, installé à Singapour et 6,2 millions de documents issus des registres confidentiels des sociétés de dix-neuf paradis fiscaux aux Caraïbes, à Malte, au Liban et dans les îles de l'Océan Pacifique.

Il faut remonter à 1997. Ecran Noir était né depuis un an. Jean-Jacques Annaud avenait de tourner Sept ans au Tibet, avec Brad Pitt, en Argentine. Le 30 septembre de cette année-là, le réalisateur, dix jours avant la sortie américaine du film, créé  un trust discrétionnaire baptisé Los Condores Trust, sur l’île anglo-normande de Guernesey. Le nom provient de l'unique hôtel de la ville argentine où se tournait la super-production.

Le salaire du cinéaste non imposé

Cette structure, très opaque et "ouverte par la Royal Bank of Scotland", "abrite une société écran nommée Uspallata Limited". "La singulière concordance des noms et des dates laisse à penser que l’argent du trust provient de la rémunération du réalisateur. Ses avocats ont bien affirmé que l’argent « a été versé sur ce compte (…) non pas à l’initiative de M. Annaud, mais à l’initiative du studio de cinéma »" détaille le quotidien français. À France Inter, l'avocat se fait plus précis. "À partir des années 1995, Monsieur Annaud a été lié à un studio de cinéma qui dépend du Groupe Sony, et notamment de Columbia. Ce studio lui a versé une rémunération, en lui indiquant qu'il devait la percevoir à travers une structure montée par l'avocat-conseil du studio. L'argent a donc été versé sur ce compte détenu par l'intermédiaire d'un trust, qui n'était donc pas créé à l'initiative de Monsieur Annaud, mais à la demande du studio, qui souhaitait le rémunérer de cette manière. Je ne pense pas qu'il y ait eu d'autres rémunérations, je n'ai pas d'informations précises sur ce point."

En 2003, la société Uspallata se délocalise aux îles Vierges britanniqueset son compte en banque est transféré à Ansbacher, banque privée située aux Bahamas. Le trust Los Condores se délocalise aux îles Caïmans en juillet 2007. "La firme Appleby en prend alors la gestion" précise Le Monde. Soit 1,2 million d’euros dans le portefeuille.

Alors qu'il tourne Le dernier Loup en Chine, avec des coproducteurs chinois, Jean-Jacques Annaud ouvre en 2014 une nouvelle société à Hongkong, Rising Dragon, qui sera renommée plus tard Ginkgo Holdings Limited. "Un an plus tard, le trust Los Condores est dissous ; puis c’est au tour de la société Uspallata, en février 2017".

La peur d'être pris en flagrant délit

Le cinéaste a, entre temps, vidé le compte en banque et transféré 1,15 million d'euros vers le compte hongkongais de la société Ginkgo Holdings. "Le reste des fonds atterrit sur les comptes de Calico Entertainment LLC, une société californienne de Jean-Jacques Annaud, succursale d’une autre société installée dans l’Etat américain du Delaware, connu pour ses largesses fiscales" révèle l'enquête.

Pour le quotidien français, cette réorganisation du patrimoine coïncide "avec l’avalanche des scandales offshore qui déferlent sur la place publique (« Offshore Leaks », « SwissLeaks »…)" et par la mise en place "d’un échange automatique des données entre les banques et les Etats pour lutter contre l’évasion fiscale". Autrement dit, les gestionnaires prennent peur.

Car avec le courrier du Monde et de France Inter, le réalisateur, qui tourne actuellement l'adaptation de L'affaire Harry Québert au Canada, demande une régularisation. "Saisi de votre courrier, Monsieur Annaud a souhaité que nous étudiions précisément ses obligations fiscales, afin de vérifier la conformité de sa situation fiscale vis-à-vis de l'administration fiscale française. Afin d'éviter toute discussion, nous avons, au cours du mois d'octobre 2017, transmis l'ensemble des informations à l'administration fiscale. Nous leur avons dit que nous étions en train de procéder à un audit de la situation fiscale de Monsieur Annaud, et que nous voulions, en toute transparence, signaler l'existence de ces structures et de ce compte bancaire détenu à l'étranger" avoue son avocat.

Il le défend en renvoyant la balle dans le camp des banquiers qui "géraient ses comptes qui, ne voulant pas avoir la moindre responsabilité, ont préféré transférer ses avoirs" vers des juridictions plus conciliantes avec l'optimisation fiscale. Une forme d'aveu: responsable mais pas coupable.

990 000 euros, prix maximum pour un acteur-scénariste-réalisateur-producteur

Posté par vincy, le 5 décembre 2014

On ne retient que ça des mesures prises par le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) à l’occasion de son dernier conseil d’administration, il y a une semaine, pour maîtriser les coûts du secteur cinématographique et soutenir la distribution.

Une seule mesure parmi des dizaines a retenu l'attention des médias après les révélations des Echos.

Faisons bref. Deux ans après la tribune explosive de Vincent Maraval sur l'indécence ruineuse des cachets des comédiens dans le cinéma français (lire notre dossier), le CNC a décidé de réguler le marché. En cas de « coût artistique disproportionné », le film sera privé des soutiens publics. « Cette disposition ne vise pas à empêcher les très fortes rémunérations. Mais si c’est le cas, le producteur devra aller chercher des financements ailleurs », note un spécialiste dans le journal économique.

Le barème est variable en fonction des devis de production. a rémunération la plus élevée ne pourra dépasser 5?% du devis. Cette règle s’applique aux rémunérations fixes, mais pas à la part variable que peuvent toucher les stars en fonction du succès en salle.

Rémunérations maximales:

  • Film inférieur à 4 millions d’euros : 15 % du coût de production
  • Film entre 4 et 7 millions d’euros : 8 % du coût de production
  • Film entre 7 et 10 millions d’euros : 5 % du coût de production
  • Film supérieur à 10 millions : 990 000 euros

Qu'on soit clair: le cachet maximal de 990000 euros touche très peu d'acteurs en France. On les compte sur les doigts d'une main. Mais cette mesure touche aussi réalisateurs, scénaristes ou producteurs. Ce plafond s'entend par personne et non par fonction: si un acteur assure également le scénario et/ou la réalisation, les plafonds restent les mêmes, ils ne se cumulent pas Cela veut dire qu'un Dany Boon ou un Jean Dujardin - comme autrefois un Pierre Richard ou un Alain Delon - sont directement concernés, cumulant parfois les quatre postes. Roman Polanski avec 1,3 millions d'euros de revenus en 2013 est impacté (réalisateur, scénariste). Une dizaine de réalisateurs en France pourrait subir ce plafonnement. Et pas forcément Laurent Tirard ou Fabien Onteniente.

En cas de dépassement de ces plafonds, le film sera privé des aides sélectives et le producteur ne pourra pas réinvestir son fonds de soutien du CNC dans cette production. Les chaînes de télévision seront aussi empêchées (en tant que coproductrices) d’investir leur fonds de soutien dans ces films. Vincent Maraval posait une question simple : "Est-il normal qu’un film reçoive du soutien alors qu’il fait travailler des gens pour des salaires qui dépassent le million d’euros ? Etait-ce cela le but du système de financement du cinéma français ?" Le CNC l'a entendu. Et sur le fond, il n'a pas tort. Pourquoi payer un film dont le but est commercial avec de l'argent public?

Mais, derrière ce "choc de simplication", apparaît finalement un casse-tête bien français. Car pour quelques stars concernées, on créé une règle stricte, qui, par définition, s'adapte mal à une "industrie" comme celle du cinéma. Surtout, les films du milieu vont souffrir. Ceux-là ont souvent besoin de têtes d'affiche ET d'aides publiques pour se financer puis se vendre à l'international. Comme l'explique également l'agent Elisabeth Tanner dans un entretien au Monde, "Pourquoi le fait d’écrire un scénario pendant un an et de jouer ensuite dans le film devrait-il conduire à limiter votre rémunération, alors qu’elle ne l’aurait pas été si vous vous étiez contenté d’écrire le scénario ?"

Au final, cette mesure pourrait entraîner quelques effet pervers: on réduira les cachets, mais, comme le souligne Marc Missionnier, producteur et président de l'Association des producteurs de cinéma: "Ce que les agents peuvent perdre en raison de cachets moindres, ils peuvent le gagner par un intéressement accru aux recettes". Ce qui réduira les marges de tout le monde et poussera les comédiens à prendre davantage de pouvoir dans le processus du film, comme aux Etats-Unis. Va-t-on arriver à un système où un acteur bankable bradera sa valeur marchande (certes aléatoire) mais réclamera un pourcentage astronomique sur les tickets, les ventes internationales et les diffusions TV/VOD/DVD en échange? Après tout c'est ce qui était proposé dans le rapport Bonnell, qui incitait au partage du risque commercial par les stars très bien payées.

Pourtant, globalement, les producteurs sont satisfaits. Ils rappellent que cette mesure ne concerne que 10 à 15 films par an au maximum. Et même moins cette année. Car, depuis la tribune de Vincent Maraval, la prise de conscience a été collective. Le marché s'est régulé de lui-même. Au final, avec ce cadre règlementaire, il y aura donc deux systèmes: un cinéma privé-public et un cinéma privé à but commercial, mais plus risqué.

Cependant, tout cela ne répond pas au véritable problème du moment: le financement des films (et pas seulement ceux du milieu). L'économie du cinéma français se précarise (lire également notre actualité du 15 novembre: La production française connaît sa pire année depuis 2010). La moyenne des budgets diminue année après année. Les tournages s'exilent dans des territoires fiscalement et socialement plus attractifs. La durée des tournages se réduit fortement, et, par conséquent, les intermittents affichent moins d'heures au compteur. Investissements en chute, distributeurs de plus en plus fragiles, tensions sociales (convention collective, régime des intermittents), etc.: les autres mesures, celles qui soutiennent la distribution par exemple, sont plus pertinentes.

Le débat sur les cachets est un faux débat quand un film est de plus en plus difficile à financer, même avec une vedette au générique. Le problème du cinéma français, c'est la place qu'il accorde aux scénaristes et aux réalisateurs qui ne sont plus assez "mainstream" pour les grandes chaînes de télévision. L'enjeu ce n'est pas de juger le salaire exorbitant d'une star (qui attire un million de personnes dans les salles et sept millions derrière le petit écran) mais de savoir pourquoi on produit encore et toujours de mauvaises comédies, avec des castings improbables.  Comme le titrait Première le mois dernier, la question est plutôt "Et si on faisait de bons films?" (dans de bonnes conditions) et pas "Et si on payait moins les acteurs?" (avec de bonnes intentions).

Face aux menaces, le cinéma français doit se réinventer et passer à l’offensive

Posté par vincy, le 6 mai 2013

L'exercice du pouvoir

Le Monde se penche sur l'économie du cinéma aujourd'hui. A lire les titres des articles et interviews, on se doute que tout ne va pas si bien dans le cinéma français. Les débats du début d'année (lire Ça balance pas mal à Paris (sur le cinéma français)) ont finalement fait émerger un malaise et surtout d'énormes interrogations.

Internet bouscule évidemment la donne : d'Amazon qui lance des séries en VOD à YouTube qui crée des chaînes avec abonnement, le centre de gravité bascule vers une télé connectée, une vision multi-supports, et des contenus transmédias. Dans ce contexte, on comprend mieux le psychodrame autour de Dailymotion ces derniers jours au niveau gouvernemental : la 2e plateforme vidéo du monde doit grandir, mais avec qui? Des américains, mais avec quels pouvoirs? En plein débat sur l'exception culturelle dans les futurs accords de libre-échange européano-américain (nous y reviendrons durant le Festival de Cannes), la question est sensible. Et pourquoi pas un partenaire chinois, européen? Imagine-t-on le scandale national si Canal + (que Lagardère veut racheter à Vivendi) avait été cédé à Warner Bros? Ce n'est pas propre à la France : une véritable nippophobie était née aux USA quand les géants japonais faisaient des OPA sur les joyaux de l'industrie hollywoodienne dans les années 80/90.

Canal + : la dernière digue

L'éco-système français (une taxe sur chaque billet, des obligations d'investissements pour les chaînes de télévision, un soutien aux exploitants indépendants...) a consolidé la production de films hexagonaux ou de coproductions internationales. Mais tout cela reste dépendant du nombre d'entrées (très haut ces dernières années) et de Canal +, "la dernière digue" comme l'explique Le Monde, dont dépendent de nombreux films du milieu, ceux qui sont si difficiles à produire mais qui sont, de loin, souvent les meilleurs à regarder. Canal + investit 12,5% de ses recettes dans le 7e art et préachète plus de la moitié des films produits en France.

La guerre des écrans

Pour l'instant, le système est protégé par une chronologie des médias très stricte mais de moins en moins adaptée à l'époque. La VOD explose (mais pourrait être largement optimisée, n'empêchant pas le piratage, malgré HADOPI, système coûteux et inefficace) et ne compense pas la chute des ventes de DVD/Blu-ray. Et si la télévision investit toujours dans des films, en contraignant hélas souvent l'imagination, le cinéma fait le bonheur des nouvelles petites chaînes et déçoit de plus en plus les directeurs de programmes des grandes chaînes. The Voice ou L'amour est dans le pré font chaque semaine une audience bien plus forte qu'un blockbuster le dimanche soir sur TF1. Chaque année, de moins en moins de films apparaissent dans les 100 plus fortes audiences annuelles.

Avec l'arrivée d'Apple et de Netflix, le cinéma peut craindre des répercussions identiques à ce qu'ont vécu la musique et le livre : une distribution en fort déclin, des revenus qui se réduisent, une production qui doit comprimer ses coûts. C'est la guerre des écrans version 3.0. La dématérialisation a commencé. Et quid des résultats de Canal +, et donc de ses investissements dans le cinéma français, le jour où l'un de ces géants américains aura plus d'abonnés que la chaîne cryptée? Déjà la chaîne commence à être plus regardante qu'auparavant, préférant, notamment, investir dans des séries "maison" qui font des cartons d'audience.

Vision défensive de la profession

Internet offre une programmation à la carte, ce qui déstabilise la chronologie des médias, inscrite dans la loi. La perspective idéale serait-elle de raccourcir les délais de diffusion? Encore faut-il que les règles soient les mêmes pour tous les diffuseurs. Comme le rappelle au Monde Vincent Grimond (Wild Bunch), "actuellement, iTunes exploite la VOD du Luxembourg avec un taux de TVA qui est inférieur au nôtre, avec des obligations moins contraignantes. En vendant les films un euro de moins que nous, ils gagnent plus d'argent !" (lire l'entretien). Il avoue être frappé par la frilosité de la profession : "plutôt que de penser que les nouveaux acteurs vont casser notre système, il faut se saisir de ces formidables opportunités pour créer des emplois, générer des revenus et promouvoir notre culture.". Et d'ailleurs, personne ne songe à une réflexion sur la surabondance des films en salles et les inégalités de plus en plus fortes entre les sorties au cinéma.

Et que dire du système de financement : Selon les chiffres de 2012 du CNC, l'argent du cinéma provient des chaînes de télévision (31,9 %), puis des producteurs français (28,9 %), des distributeurs au sens large (19,5 %) et des coproductions étrangères (9,3 %). Autant dire que le risque est très partagé... et n'incite pas à faire du cinéma une industrie financièrement responsable. Et ce à une époque où l'image est omniprésente : de la grosse production hollywoodienne aux capsules humoristiques qu'on se partage sur le web, en passant par les séries TV et le piratage de films inaccessibles.

Jusqu'ici tout va bien

On en revient toujours là depuis ce début d'année. Et Michel Hazanavicius (The Artist, président de l'ARP) dans une tribune parue samedi dans Le Monde (Cinéma : jusqu'ici tout va bien), a fait la synthèse des thèses et antithèses. En attendant une éventuelle prothèse politique. Toujours est-il que sa vision lucide ne manque pas de piques placées aux bons endroits : on sacrifie des films, le système de financement est perverti et obsolète, les budgets augmentent mais se concentrent sur quelques films.... et l'Europe laisse faire, méprisant tout le secteur culturel.

- "Avec plus de 200 films français par an et plus de 200 millions d'entrées en 2012, le cinéma a atteint des résultats jamais égalés depuis les années 1960. Quelques films hexagonaux s'exportent à nouveau et certains sont dignement reconnus internationalement. Cette singularité du cinéma français s'explique moins par la supériorité de ses talents que par la subtilité de son mode de financement."

- "Aujourd'hui, notre système de financement connaît une "bulle" inflationniste particulièrement dangereuse en période de crise économique. Cette inflation est notamment due à un non-partage des recettes. Le fait que les gens qui fabriquent les films – réalisateurs, auteurs, acteurs, techniciens, et producteurs dans certains cas – ne soient plus intéressés financièrement au succès des films provoque des comportements qui pervertissent le système."

- "Tous préfèrent gagner de l'argent en amont de la sortie, sur le financement et la fabrication même du film, puisque l'espoir d'en gagner dans la phase d'exploitation est quasi nul dans l'immense majorité des cas. Le jeu, pour certaines productions, devient d'une part de gonfler les devis pour récupérer le maximum d'argent pendant le financement, d'autre part de dépenser le minimum de cet argent pendant la fabrication – entraînant ainsi le sous-paiement des techniciens, la délocalisation, la fabrication au rabais, etc. –, et enfin de produire un maximum de films, quelle que soit la qualité des scénarios en cours... La qualité des films en fait souvent les frais."

- "On assiste donc, depuis ces dernières années, à une concentration de plus en plus importante des financements, créant une radicalisation du marché, et par là même participant à l'inflation des budgets."

- "Dans le même temps, nous sommes pour l'instant incapables de repenser le lien de la création avec les chaînes historiques, et tétanisés à l'idée d'imaginer un rapport avec les nouveaux entrants que sont les diffuseurs d'Internet."

- "Il faut sans doute renégocier avec les chaînes de télévision et repenser ce contrat moral de la création avec les diffuseurs. Accepter de se dire qu'Internet c'est de la télévision, et que la télévision c'est de l'Internet, et tirer les conséquences de ces nouvelles définitions, notamment pour le financement de nos oeuvres."

Mais l'enjeu dans l'immédiat est ailleurs, à Bruxelles :

- "A l'heure où le président Barroso n'a pas peur de demander à faire entrer la culture dans le champ des négociations des accords commerciaux entre les Etats-Unis et l'Europe, bafouant ainsi ce qui est l'essence même de l'exception culturelle – la souveraineté des Etats en matière de politique culturelle –, la France n'arrive pas à imposer à Bruxelles l'amendement d'un texte de loi français, pourtant notifié en 2007, qui oblige les fournisseurs d'accès Internet (FAI) à participer financièrement à la création, en leur qualité de diffuseurs. L'hyperbienveillance fiscale dont bénéficient les géants du numérique n'engage pas en la matière à un optimisme démesuré. (...) Il faut enfin réinventer une forme de régulation qui corresponde à l'ère économique et technologique que nous vivons. Et surtout l'imposer aux autorités bruxelloises. Le mot "régulation" est devenu une forme d'obscénité depuis que Google, Apple et Amazon ont décidé ensemble de le rayer du dictionnaire international et qu'ils le prononcent avec un léger accent luxembourgeois. (...) Que Bruxelles réfléchisse enfin à une fiscalité de ces acteurs voraces qui s'épanouissent entre autres sur le lit de notre culture. Qu'elle favorise enfin ceux qui sont à l'origine des oeuvres, les créateurs. Que l'Europe décide enfin de protéger sa culture et qu'elle comprenne que celle-ci, en plus d'être une industrie qui emploie huit millions de personnes en Europe, a une influence positive sur bon nombre d'autres industries, de la gastronomie au tourisme, en passant par la mode, le design, l'urbanisme ou encore la presse."

Almodovar évoque sept projets

Posté par vincy, le 26 mars 2013

Lors d'un entretien au journal Le Monde, Pedro Almodovar évoque pas moins de sept projets en développement! Peu de chance que tous voient le jour. A raison d'un film tous les deux trois ans, le cinéaste fera sans doute des choix en cours d'écriture.

Passage en revue :
- l'adaptation des mémoires d'un communiste ayant participé à la guerre d'Espagne. Le réalisateur n'a jamais réalisé de film de guerre jusqu'à présent.
- un film à New York et tourné en anglais. Almodovar n'a jamais tourné hors d'Espagne.
- un film en panjabi ou en ourdou, sur le ghetto pakistanais de Barcelone.
- une suite très personnelle, très espagnoles et sans effets spéciaux de Blade Runner.
- un film à teneur écolo, sur les catastrophes maritimes.
- une sorte de remake de La Féline, de Jacques Tourneur.
- un Don Quichotte de la maternité.

Mais pour l'instant ce sont Les amants passagers, son nouveau film, qui sort en salles demain. Le film a attiré 450 000 spectateurs en trois semaines en Espagne.

Ça balance pas mal à Paris (sur le cinéma français)

Posté par vincy, le 2 janvier 2013

[Actualisé le 10 janvier 2013]

Plutôt que de vous faire une synthèse, nous vous laisseront lire les différentes tribunes et coups de gueule pour/contre le système actuel du cinéma Français. Une revue de web que nous mettrons à jour si besoin est.

Tout est parti du fameux exil fiscal de Gérard Depardieu. Les acteurs se sont enflammés. Torreton a pris sa plume, belle, pour renvoyer Cyrano à son métier. Deneuve, pourtant avare en paroles publiques, a répliqué, avec justesse. Libération a alors donné la parole à d'autres : Moreau, Goupil, Berling... Globalement, ce n'était finalement pas l'usage que Depardieu faisait de son fric qui choquait mais plutôt la déchéance du personnage, s'acoquinant avec des dictateurs ou remplissant les chroniques "faits divers".

Puis Vincent Maraval, producteur et distributeur (Wild Bunch) profita de cet élan pour taper du poing en révélant chiffres et scandales financiers du moment. Le problème est plus profond, plus lourd, moins flatteur. Depardieu et consorts sont surtout trop payés. La charge est lourde, parfois difficile à suivre tant le système est plus complexe, omettant des revenus dérivés (recettes publicitaires à la TV, nouvelles chaînes de TV à remplir de contenus, ventes de DVD/Blu-Ray, exportation des films...). Mais au moins, on mettait le débat sur la table. Et depuis, chacun y va de ses témoignages, analyses, points de vue. En moins d'une semaine, entre 2012 et 2013, on n'en a jamais autant su sur les rouages du cinéma français qu'en 5 ans. Il faut remonter au Club des 13 de Pascale Ferran pour avoir une vision aussi clinique des tumeurs qui rongent le système.

Ce n'est pas une polémique, c'est un cap : celui d'un débat. La Ministre de la Culture a d'abord rappelé un constat : le cinéma français est en forme. «La fréquentation des salles augmente depuis plus de 10 ans. Les Français vont de plus en plus au cinéma. Ils vont surtout voir de plus en plus de films français. On est quasiment à 40% de spectateurs pour des films français. Ce qui est exceptionnel. Nulle part ailleurs dans le monde, si ce n'est en Inde, vous ne trouverez un pays qui résiste à ce point au cinéma américain», a déclaré Aurélie Filippetti.

Filippetti ouvre cependant la porte à une éventuelle réforme : «Maintenant, évidemment il y a des améliorations à apporter. Et ce qu'il [Vincent Maraval] dit sur la participation des chaînes de télé au financement cinéma, et bien à l'heure où les chaînes ont des budgets qui diminuent des recettes moindres, c'est une question que l'on pourra se poser dans le cadre d'une réflexion globale sur l'amélioration des services rendus à nos concitoyens à travers la télévision notamment le financement de la création, le soutien et l'accompagnement des films d'auteur et des films de qualité».

Une réforme qui semble plus qu'utile. Joann Sfar en parlait déjà en septembre!

Mercredi 9 janvier 2013 : "Maraval cherche un bouc émissaire à ses échecs" par Pascal Rogard, président de la SACD
Mardi 8 janvier 2013 : Les matins de France Culture : Faut-il revoir le système de financement du cinéma français avec Robert Guédiguian, Michel Hazanavicius, Marie Masmonteil (vidéo)
Dimanche 6 janvier 2013 : Dany Boon : "Mon vrai salaire" dans le JDD ; plus de détails accessibles dans l'article du Parisien
Samedi 5 janvier 2013 : "Les gros salaires dans le cinéma, ça se règle par la fiscalité" par Aurélie Filippetti, Ministre de la Culture, dans un entretien au Monde
Samedi 5 janvier 2013 : "Payons les acteurs en fonction du budget" par Marc Missonnier, producteur indépendant du dernier "Astérix" et président de l'Association des producteurs de cinéma (APC)
Vendredi 4 janvier 2013 : Non, Vincent Maraval, je ne suis ni un parvenu ni un assisté du cinéma par Philippe Lioret, réalisateur de "Welcome" et scénariste
Vendredi 4 janvier 2013 : Le cinéma français est-il devenu masochiste? par Christine Gozlan, directrice de Thelma Films
Jeudi 3 janvier 2013 : Règles, éditorial de Sylvain Bourmeau (Libération)
+ Star-system : ça tourne avide par Didier Péron, journaliste à Libération
+ «Le système de financement français est peut-être périmé», entretien avec Olivier Bomsel, professeur d’économie
+ L’affaire Maraval agite encore le milieu par Burno Icher, journaliste à Libération
+ Des actrices grand luxe par Clément Ghys, journaliste à Libération
Jeudi 3 janvier 2013 : Le cinéma français desservi par des scénarios trop faibles par Eric Neuhoff, journaliste au Figaro
Jeudi 3 janvier 2013 : Interview sur France Inter d'Eric Garandeau, président du CNC (vidéo)
Mercredi 2 janvier 2013 : Vive l'exception culturelle ! par Jérôme Clément, ancien président du Centre national de la cinématographie et d'Arte
Mardi 1er janvier 2013 : Avis de tempête sur le cinéma français par Isabelle Regnier, journaliste au Monde
Lundi 31 décembre 2012 : Maraval Gate par Florence Gastaud, délégué générale de l'Arp
Lundi 31 décembre 2012 : Hypertension par Pascal Rogard, président de la SACD
Lundi 31 décembre 2012 : Toubiana répond à Maraval sur son blog
Lundi 31 décembre 2012 : Les acteurs français sont trop payés ? C'est un peu plus compliqué que ça... par Aurélien Ferenczi, journaliste à Télérama
Dimanche 30 décembre : Cinéma français : la flambée des prises par Didier Péron et Bruno Icher, journalistes à Libération
Samedi 29 décembre 2012 : De la fortune des vedettes en particulier et des perversions d’un bon système en général par Jean-Michel Frodon, critique de cinéma et ancien directeur des Cahiers du Cinéma
Samedi 29 décembre 2012 : Réponse de Sam Karmann à l’article de Vincent Maraval sur les salaires des acteurs français sur Le Mague
Vendredi 28 décembre 2012 : Les acteurs français sont trop payés! par Vincent Maraval, distributeur et producteur, fondateur de la société de distribution de films Wild Bunch
Mercredi 7 septembre 2012 : Si notre nouvelle ministre de la Culture ne sait pas quoi faire du cinéma français, qu'elle lise cette double page ! par Joann Sfar dans son Journal de Merde sur le site Télérama

Catherine Deneuve : Bette Davis, Jane Fonda, Meryl Streep, Danielle Darrieux et le temps qui passe

Posté par vincy, le 4 septembre 2012

Dans un grand entretien au Monde, Catherine Deneuve, égale à elle-même, mystérieuse et franche, évoque la vieillesse, et son dur impact sur les actrices.

"L'évolution ? A-t-elle seulement un modèle ? Une image d'actrice dont elle admirerait et envierait le parcours ?" s'interroge la journaliste Annick Cojean. A bientôt 69 ans, la comédienne qui a 55 ans de carrière derrière elle, répond "radicale" : « Non. Je ne vois pas dans le cinéma français d'actrices que j'ai pu connaître jeunes et qui auraient eu un itinéraire enviable. Elles ont toutes connu un passage à vide, un moment de disette où les rôles ont quasiment disparu. Et c'est bien pire en Amérique. Je me souviens que Bette Davis avait passé une annonce dans le journal professionnel Variety : actrice, tel âge, cherche rôles... Vous imaginez ? Le culte de la jeunesse est insensé aux Etats-Unis. Autant j'aime leur cinéma, autant il est nettement plus agréable d'être une Européenne !»

Danielle Darrieux, qui fut sa mère plusieurs fois au cinéma, chez Demy, Téchiné, Ozon ? « Ah Danielle ! Bien sûr, Danielle ! Géniale ! La seule à pouvoir vous empêcher d'avoir trop peur de vieillir. Mais elle a aussi connu des moments de creux... Non, des actrices de premiers plans continuant d'assurer des positions de vedette, je n'en vois pas. Il y a bien Meryl Streep, actrice et femme magnifique, avec un vrai caractère et qui, elle aussi, se protège. Mais elle est beaucoup plus jeune !»

Jane Fonda, qui lui succéda dans les bras de Roger Vadim ? « Alors elle, ce n'est vraiment pas un exemple qui me fait rêver ! C'est la caricature de l'Américaine tonique, bon chic bon genre. Pas du tout une image qui m'attire ! Absolument pas l'idée que je me fais d'une femme dans sa maturité.» Elle précise : « - Elle joue essentiellement, c'est vrai, des comédies, des rôles de belle-mère insupportable... Elle a évidemment une silhouette magnifique et un air pétulant. Mais elle est tellement l'archétype de ces grandes bourgeoises américaines que l'on croise à New York ou à Los Angeles, très minces, très actives, très bronzées, parlant excessivement vite avec un entrain effrayant... Le contraire de ce qui me séduit.»

Grandir toujours, vieillir, moins. Indiscipliné demoiselle, mais lucide. « Je ne suis pas obsédée par ça. Je suis même assez fataliste. Le temps passe, OK, je le sais, je le vois. Et les rôles évoluent normalement. Il m'arrive de lire un scénario en pensant : eh bien oui, c'est désormais en phase avec mon âge... Il m'arrive aussi de refuser un film où je me sens trop âgée pour le personnage : non, vraiment, ce ne serait pas crédible. Et je peux repousser un rôle en disant : non, franchement, j'ai encore le temps... Ce n'est pas tant une question d'âge que de comportement. Il y a des rôles de femmes de mon âge qui ne m'intéresseraient pas du tout. Aucune envie de jouer une grand-mère modèle qui va chercher sa petite-fille à l'école ! J'adore ça dans la vie, mais je ne souhaite pas me voir comme ça au cinéma.»

Comme le disait François Truffaut, « la crainte de Catherine Deneuve n'est pas de se laisser regarder,mais de se laisser deviner... »

Johnnie To s’inquiète du déclin du cinéma de Hong Kong

Posté par vincy, le 31 juillet 2012

Ça ne semble pas briller très fort pour Johnnie To ces temps-ci. Pourtant, le cinéaste hong-kongais va recevoir un Prix honorifique pour l'ensemble de sa carrière à Locarno cette semaine, un mois après celui rendu par Paris Cinéma. Mais ses résultats au box office sont moins explosifs qu'auparavant. La vie sans principe, son dernier film, sorti le 11 juillet, aura du mal à dépasser les 20 000 entrées en France. A Hong Kong, le film s'est classé dans le Top 50 annuel, de justesse. A raison de deux films par an, comme réalisateur, To a déjà 55 films au compteur. Certains ont été choisis en compétition dans les plus grands festivals du monde, d'autres ont marqué le cinéma de genre contemporain.

Dans un entretien au Monde, Johnnie To confesse un certain pessimisme sur le cinéma de Hong Kong. La production est solide (40 à 50 films par an) mais bien moindre qu'avant la rétrocession chinois (200 à 300 à l'époque). La Chine accapare désormais l'essentiel des moyens : les productions les plus importantes se font à Shanghai. C'est aussi à Shanghai que les studios américains investissent (voir notre actualité sur le sujet).

Johnnie To fait figure de résistant en essayant de produire, via sa société Milky Way, un maximum de projets à Hong Kong. Mais face à l'explosion des budgets et des cachets durant la période faste (années 80 et 90), les financements sont devenus compliquer à trouver. D'autant que, paradoxalement, les films de Hong Kong ont touché le public occidental plus tardivement, au moment où le piratage explosait (on trouve des films à peine sortis en salles au coin de n'importe quelle rue asiatique en format DVD).

Dans son interview par la journaliste du Monde, Isabelle Régnier, Johnnie To explique que "dans le même temps, les producteurs hollywoodiens commençaient à s'intéresser aux personnalités étrangères, beaucoup de cinéastes et d'acteurs hongkongais sont partis là-bas. Aujourd'hui, on ne trouve pas de relève. Le cinéma hongkongais a pris une direction de plus en plus déclinante, et le niveau est devenu tellement bas qu'il lui est très difficile de se relever."

Pourtant Hong Kong ne manque pas d'argent ni de talents. Mais Johnnie To avoue qu'il va falloir que ce cinéma s renouvelle s'il ne veut pas être absorbé par un cinéma chinois de plus en plus ambitieux, aidé par son marché en pleine croissance. La vie sans principe, de Johnnie To, a déposé  les armes, pour se focaliser sur un contexte socio-économique. Son autre film de l'année 2011, Don't Go Breaking My Heart, est un triangle amoureux. Sorti en février, High Altitude of Love II est un drame romantique. Il vient de finir un polar, Drug war, et tourne actuellement un thriller plus social, Blind Detective. "J'aime bien diversifier mes sources d'inspiration" se justifie-t-il.

Il s'apprête surtout à produire le prochain film de Jia Zhang-ke, proptotype du cinéma d'auteur et documentariste de la Chine continentale. Johnnie To s'enthousiasme alors : "J'ai pensé que c'était un vrai gâchis de le voir cantonné dans un cinéma très art et essai. (...) Je voulais qu'il puisse se déployer, accéder à des budgets plus importants. Ça ne veut pas dire faire un cinéma plus commercial, mais plus ambitieux, aussi bien en termes de production que sur le plan artistique. (...) Il a pour l'instant un problème lié au planning des comédiens. Il devrait bientôt me communiquer un nouveau casting. Si ça marche, on lancera la production à la fin de cette année ou au début de l'année prochaine."

Fataliste sur l'avenir du cinéma de Hong Kong, malgré des cinéastes qui cartonnent au box office local, comme Ann Hui (A Simple Life) ou Chung Shu Kai (I Love Hong Kong) et des stars bankables comme Andy Lau, Johnnie To se résigne lui aussi à devoir composer avec le cinéma chinois. Même s'il le fera à sa manière.

Cannes 2012 : Une absurde accusation de corruption contre le jury de Nanni Moretti

Posté par vincy, le 3 juin 2012

Il y avait un précédent à l'affaire qui suivit la remise des prix cannois dimanche soir. Souvenez-vous en 2004, Quentin Tarantino remettait la Palme d'or à Fahrenheit 9/11, le documentaire de Michael Moore. Or Tarantino et Moore ont le même producteur, Harvey Weinstein. Il n'en suffisait pas plus pour croire à une connivence, un cadeau, que renforça le Lion d'or que Tarantino, alors président du jury de Venise, décerna à son ex-copine Sofia Coppola en 2010.

Un complot? une corruption passive? De quoi était accusé le jury de Moretti? Que de grands mots! En effet, selon un article du Monde, si "la Palme d'or décernée à Michael Haneke pour Amour n'a guère souffert de contestation", sur internet,  "les critiques se sont concentrées sur le reste des prix attribués. Quatre des six films récompensés par le jury présidé par Nanni Moretti sont en effet coproduits et/ou distribués par une même société, Le Pacte." Le quotidien établissait ainsi un lien insidieux entre la société de production et de distribution Le Pacte et Nanni Moretti, dont le dernier film Habemus Papam a également été produit (et distribué en France) par Le Pacte.

Certes, on pouvait s'étonner de la concentration par un distributeur des films primés ; d'autant que le film de Mungiu a récolté deux prix, le très contesté (pour ne pas dire rejeté) Reygadas a eu les honneurs de la mise en scène et l'italien Matteo Garonne, moyennement apprécié par les festivaliers, a hérité du Grand Prix. Mais Le Pacte, créé par Jean Labadie en 2007, monte en puissance années après années. Rien d'étonnant donc à le voir avec autant de films en compétition. En 2011, le distributeur avait 7 films sur la Croisette (dont le Moretti, Drive, Les bien-aimés, ...). Cette année, idem : 7 films (dont cinq en compétition et le film d'ouverture de la Semaine de la critique).

Thierry Frémaux, délégué artistique du Festival, a remis les pendules à l'heure, sur Twitter, en jouant la transparence. Déjà il est revenu en arrière en mentionnant le soupçon qui pesait sur le jury de Tarantino : « Sans enquête et en se faisant l'écho "des réseaux sociaux", Le Monde affirme l'existence d'un supposé conflit d'intérêt Moretti/Palmarès. C'est oublier que Moretti n'a qu'une voix sur 9, c'est mal le connaître que le croire corrompu, comme le serait tout le jury. Aggravant son cas, Aureliano Tonet dénonce Tarantino accordant en 2004 la Palme à Michael Moore produit comme lui par Harvey Weinstein. En 2004, Michael Moore l'avait emporté 5 voix à 4 contre Park Chon-wok (Old Boy). Il y a prescription: TARANTINO N'AVAIT PAS VOTE MOORE! »

Voilà, désormais, on le sait, Park Chan-wok a frôlé la Palme, et ce n'est pas la faute de Tarantino. Frémaux a raison de rappeler qu'un jury est une somme d'individualités. Même si Gilles Jacob a rappelé dans ses livres que certains Présidents avaient une autorité parfois trop pressante, que certains choix ont divisé et même déchiré des jurys, il reste qu'il faut choisir 7 ou 8 films sur 22. Le reproche que l'on peut faire à Moretti et son jury, outre l'absence du Carax, c'est d'avoir gâché un prix en en remettant deux à un même film ou encore de ne pas avoir utilisé le cadeau bonus du prix du 65e anniversaire. Mais reconnaissons que le Mungiu, le Garrone et le Loach avaient toute légitimité d'être sur scène dimanche soir.

Il a fallu 8 ans pour connaître les détails des délibérations du jury de Tarantino. Le temps est souvent long à Cannes. Il y a une sorte de durée de prescription respectée par la direction du Festival. Peut-être qu'en 2020, on saura pourquoi et à cause de qui Reygadas l'a emporté sur Carax.

Thierry Frémaux rappelle le bon sens de ce jeu injuste qu'est une délibération de jury : « Que le jury fasse bien ou mal, c'est une chose et on peut le juger. Le soumettre à cette culture du soupçon, c'en est une autre ». Il ajoute : « Vous savez quoi? A Cannes comme ailleurs, les jurés votent selon leurs… convictions. Décevant, non? Rassurant, plutôt, hein. »

Concentration et transparence

Rien n'empêche le public d'aller voir ailleurs, les films préférés par les critiques ou les festivaliers par exemple (même si trois des primés ont fait plutôt consensus). Le palmarès n'est pas parole d'évangile. Le Festival de Cannes cette année fut bon, mais son palmarès n'en est pas la meilleure illustration.

Quant au soupçon généralisé, il traduit deux choses : les films présentés dans les festivals sont de plus en plus liés à un petit nombre de sociétés qui misent encore sur une politique d'auteurs et de cinéma art et essai (c'est le cas du Pacte comme celui des frères Weinstein) ; et puis, il y a ce diktat contemporain de la transparence. Les rumeurs cannoises le dimanche font partie du jeu, mais celui-ci devient de plus en plus agressif. Comme si la frustration de ne pas en être - ce qui explique pourquoi on fait payer si cher un jury qui se serait égaré - accentuait la nervosité de chacun. Faut-il skyper ou webcamer les délibérations? Les diffuser le lendemain comme on filme le moindre pas d'une campagne électorale? En cela, pas sûr que les tweets ludiques et légers de Gilles Jacob, Président du Festival, photographiant les jurés dans leur conclave, révélant l'animation des débats avec des gestes saisis sur le vif, arrangent les choses : les médias en voudront toujours plus, encore plus, insatiables.

Ce serait regrettable d'aller plus loin. Le mystère et la surprise ont du bon. Cela sert un certain suspens. Et par conséquent, le plaisir (ou pas) de découvrir le palmarès, à égalité avec tous les téléspectateurs. Journalistes, nous avons quand même eu l'immense privilège de voir ces films avant tout le monde. C'est aussi notre rôle de ne pas se soucier des prix (les Oscars et les Césars ont rarement récompensés les meilleurs films de l'année) et de convaincre le public, parce que nous avons vu ces films dans des conditions exceptionnelles, de nous faire confiance en suivant nos recommandations.

Mise à jour 4 juin 2012

Cannes 2012 : coup de gueule au féminin pluriel de Fanny Cottençon, Virginie Despentes et Coline Serreau

Posté par vincy, le 12 mai 2012

Il faut bien un début de polémique. Aujourd'hui, dans Le Monde, une comédienne, une réalisatrice et écrivaine et une cinéaste signent une tribune intitulée "À Cannes, les femmes montrent leurs bobines, les hommes leurs films". Fanny Cottençon, Virginie Despentes et Coline Serreau interpellent le plus grand festival du monde. Alors que l'égalité homme-femme est plébiscitée par les Français (et promise par le nouveau Président élu), ces trois artistes se plaignent de l'absence de réalisatrices dans la Compétition : "Les vingt-deux films de la sélection officielle ont été réalisés, heureux hasard, par vingt-deux hommes. Le Festival couronnera donc pour la 63e fois l'un d'entre eux, défendant ainsi sans faillir les valeurs viriles qui font la noblesse du septième art" ironisent-elles.

De fait Cannes - mais c'est aussi le cas de Berlin (1 en 2012) et dans une moindre mesure de Venise (5 en 2011) -  n'a jamais fait une grande place aux femmes dans la Compétition. Une seule Palme en 65 éditions (Jane Campion, La leçon de Piano, 1993, en photo) et l'an dernier, un "record" battu avec 4 réalisatrices en lice pour la Palme. Cette année, zéro (il y en a quelques unes dans les autres sélections). Berlin et Venise ont un palmarès très légèrement plus flatteur avec, pour chacun des deux festivals, 4 femmes ayant obtenu l'Ours d'or et Le Lion d'or.

"Messieurs, vous avez retrouvé vos esprits et nous nous en réjouissons. Le Festival de Cannes 2012 permet à Wes, Jacques, Leos, David, Lee, Andrew, Matteo, Michael, John, Hong, Im, Abbas, Ken, Sergei, Cristian, Yousry, Jeff, Alain, Carlos, Walter, Ulrich, Thomas de montrer une fois de plus que " les hommes aiment la profondeur chez les femmes, mais seulement dans leur décolleté" se moquent les trois signataires.

Mais elles sont plus virulentes : "Cette sélection exemplaire est un signe fort envoyé à la profession, et au public du monde entier. Car qui mieux que le plus prestigieux festival de cinéma au monde, pour être le porte-voix de cet immuable message. Avec une grande lucidité sur son rôle primordial, vous avez su empêcher toute velléité féminine de briguer une quelconque place dans ce milieu si bien gardé. Surtout, ne pas laisser penser aux jeunes filles qu'elles pourraient avoir un jour l'outrecuidance de réaliser des films et de gravir les marches du Palais autrement qu'au bras d'un prince charmant."

Potiches

Elles reprochent au Festival de Cannes de n'utiliser les femmes que comme potiches : "Ne suffit-il pas qu'elles puissent rêver d'être un jour " la " maîtresse de cérémonie de la soirée d'ouverture du Festival ! Bérénice Bejo en 2012, Mélanie Laurent en 2011, Kristin Scott Thomas en 2010. Les femmes sont de parfaites hôtesses, que l'on rendra heureuses d'un simple, " T'as de beaux yeux, tu sais ", ou autres compliments bien tournés. Des icônes troublantes aussi que vous savez laisser à leur juste place : en vitrine et sur papier glacé. Les affiches du Festival en témoignent : cette année c'est Marilyn Monroe qu'on célèbre, en 2011 Juliette Binoche, en 2009 Monica Vitti, et en 1989 une Marianne de la République incarnait le prestigieux Festival." "Elles sont célébrées pour leurs qualités essentielles : beauté, grâce, légèreté... Evitons-leur les affres de la direction d'une équipe de tournage, épargnons-leur la pénible confrontation avec les contraintes techniques d'un plateau. Qu'iraient-elles s'ennuyer dans le comité d'organisation où se prennent les décisions importantes et qui, pour preuve, n'a connu depuis sa création que des présidents ? Gardons aux hommes la lourde charge de ces fonctions rébarbative. Aux femmes les bobines à coudre, aux hommes celles des frères Lumière !" écrivent-elles avec grincement.

Au moins, reconnaissons au Festival, cette année, d'avoir respecter la parité dans le jury. La première Préisdente de jury fut choisie en 1965 (Olivia de Havilland). Au total, dix comédiennes ont présidé le jury cannois. Par comparaison, Venise n'a décerné ce poste que 4 fois (depuis 1987!). Mais Berlin semble imbattable avec 20 présidentes du jury depuis 1963!!!

Avec un peu de chance, nous verrons peut-être une femme monter les marches officiellement : la future Ministre de la Culture, dont le nom devrait être connu juste avant l'ouverture du Festival, mercredi.

Sleepin Beauty censuré ? ARP Selection réagit !

Posté par redaction, le 4 novembre 2011

sleeping beauty censuréARP Selection, distributeur du film Sleeping Beauty de Julia Leigh, menacé d'une interdiction pour les moins de 16 ans (voir notre actualité du 31 octobre), lance une campagne publicitaire ce week-end dans Le Monde et Libération. L'objectif est de mobiliser le public afin qu'il se fasse son propre avis, lors de la sortie en salles le 16 novembre. L'interdiction reste suspendue à la décision du Ministre de la culture et de la communication. ARP a fait appel de l'avis de la Commission de classification des oeuvres cinématographiques.

Encore une fois, puisque nous avons vu le film au Festival de Cannes, cette censure nous semble complètement décalée pour ne pas dire inappropriée au film. Tandis que la liberté d'expression (et de création) est attaquée par plusieurs formes d'intégrisme (cf les locaux de Charlie Hebdo brulés, les manifestations agressives de l'extrême droite traditionnelle contre une pièce de Roberto Castellucci au Théâtre de la Ville à Paris, les menaces qui pèsent sur les représentations d'une autre pièce, celle de Rodrigo Garcia au Théâtre Garonne à Toulouse), il nous paraît primordial d'envoyer un message clair à l'intention des censeurs officiels, embrigadés ou manipulés : Sleeping beauty ne doit pas être considéré comme Romance, interdit aux moins de 16 ans lui aussi, qui comportait des images "pornographiques". Le film de Julia Leigh n'en comporte aucune. Quant au climat malsain et pervers, il faudra en définir les exacts contours. Dans Drive, un homme fait justice tout seul et explose la tête d'un salaud : n'est-ce pas aussi malsain et pervers?

Dans son communiqué, le distributeur relaie les arguments de la réalisatrice (et écrivaine) : « Sleeping Beauty se réfère au conte du même nom, mais aussi aux œuvres de Yasunari Kawabata et Gabriel Garcia Marquez, qui ont tous deux reçu le Prix Nobel de littérature, et qui ont abordé cette thématique des hommes âgés dormant avec des filles bien plus jeunes. Et même dans la Bible, le Roi David cherche à passer la nuit aux côtés de jeunes vierges. » On pourrait ajouter que de nombreux reportages télévisés dans des émissions respectés relatent des faits similaires sur la prostitution des jeunes afin de "boucler leurs fins de mois". L'interdiction est généralement limitée aux moins de 12 ans.