Claude Gensac (1927-2016) s’en va

Posté par vincy, le 27 décembre 2016

Née le 1er mars 1927, l'actrice Claude Gensac s'est éteinte le 27 décembre 2016 à l'âge de 89 ans. Le grand public la connaît pour avoir été dix fois l'épouse de Louis de Funès au cinéma (sa "biche"). Elle a une filmographie impressionnante de plus de 100 films.

Blonde, toujours bien coiffée, a priori bourgeoise, la comédienne était inimitable dans le fantasque et la fantaisie. Diplômée du conservatoire (deuxième prix de tragédie, premier accessit de comédie), elle fait ses débuts au théâtre, dans le domaine plutôt tragique, enchaînant Corneille, Sartre, Claudel, Giraudoux. Elle n'a jamais cessé d'être sur les planches, jouant aussi bien George Bernard Shaw que Jean Poiret, Goerges Feydeau que Jean Anouilh. "Ma biche... c'est vite dit!" avait-elle choisi comme titre de ses mémoires pour rappeler qu'elle n'était pas que la femme-victime des frasques de De Funès.

Elle en voulait un peu à l'acteur de l'avoir réduite à ça. D'autant qu'à la mort de son ami et partenaire, elle a longtemps traversé le désert. C'est Sacha Guitry qui la repère pour son premier rôle au cinéma (La vie d'un honnête homme au côté de Michel Simon et d'un peu connu Louis de Funès). Après un passage chez Autant-Lara (Journal d'une femme en blanc), elle enchaîne les succès populaires avec De Funès: Oscar, la série des Gendarmes, Les grandes vacances, Hibernatus, Jo, L'aile ou la cuisse, L'avare, la soupe aux choux... Il n'y a bien que les films de Gérard Oury qui lui ont échappé.

Une reconnaissance très très très mais très tardive

Prisonnière de son rôle, elle ne retrouve finalement la grâce du cinéma qu'en vieille dame. Mère de Catherine Deneuve touchante et délicieuse dans Elle s'en va d'Emmanuelle Bercot en 2013, elle a enchaîné avec Lulu femme nue de Solveig Anspach (qui lui vaut à 88 ans sa première nomination aux César) et Baden Baden de Rachel Lang. Trop tard sans doute pour se réconcilier avec un 7e art qui n'a pas vu le potentiel qu'elle avait.

On la voit aussi s'amuser sur le petit écran dans Scènes de ménages, en femme de feu Michel Galabru, dans Nos chers voisins, dans Vénus et Apollon.

Elle aura joué jusqu'au bout, tant qu'elle pouvait, adorant passionnément son métier. Elle fut une comédienne dévouée et un bon soldat. Sans doute trop dépendante de Louis de Funès; Assurément assez professionnelle pour devenir la partenaire privilégiée de ce perfectionniste exigeant.

Haut les coeurs pour Solveig Anspach (1960-2015)

Posté par MpM, le 9 août 2015

solveig anspach

"Je suis toujours pressée parce que j'ai l'impression que la vie peut s'arrêter demain". Cette phrase prononcée par Solveig Anspach lors d'une interview à Télérama en 2013 prend des airs de prophétie alors que la réalisatrice franco-islandaise vient de s'éteindre beaucoup trop jeune des suites d'un cancer.

Diplômée de la FEMIS, Solveig Anspach commence sa carrière par le documentaire avant de réaliser en 1999 un premier long métrage de fiction, Haut les coeurs, qui s'inspire de sa propre expérience du cancer. Le succès est immédiat et vaut à l'interprète principale du film, Karin Viard, le César de la meilleure actrice.

Par la suite, la réalisatrice alterne fictions et documentaires, remportant notamment le prix François Chalais pour Made in the USA qui aborde la question de la peine de mort. En 2008, elle entame avec Back soon une trilogie qui met en scène l'actrice islandaise Didda Jonsdottir dans un rôle de vendeuse de marijuana désireuse de changer d'air.

En 2013, on retrouve le même personnage à Montreuil, flanquée de son fils, et faisant la connaissance d'une jeune veuve interprétée par Florence Loiret-Caille (Queen of Montreuil). Et dernièrement, Solveig Anspach travaillait au montage du dernier volet de la trilogie, L'Effet aquatique, qui réunit également Didda Jonsdottir, Florence Loiret-Caille et Samir Guesmi, et dont la sortie reste prévue pour 2016.

L'année passée, plus de 500 000 spectateurs avaient été séduits par Lulu femme nue, adaptation de la bande dessinée éponyme d'Etienne Davodeau avec Karin Viard en femme effacée en quête d'un nouveau souffle. Solveig Anspach, que nous avions rencontrée à cette occasion, nous avait confié qu'elle avait convaincu l'auteur de lui confier l'adaptation de la BD en proposant... de lui tricoter une écharpe, tradition islandaise oblige. Un humour décalé qui était un peu la marque de fabrique de la réalisatrice.

Comme l'a déclaré le président du festival de Cannes Pierre Lescure sur son compte twitter, "qui a vu ses films les a aimés, et pleure l'artiste". Ecran Noir en fait partie.

Arras 2013 : trois questions à Solveig Anspach pour Lulu femme nue

Posté par MpM, le 9 novembre 2013

lulu femme nue - Arras 2013Le nouveau film de Solveig Anspach, Lulu femme nue, est l'adaptation d'une bande dessinée d'Etienne Davodeau qui raconte comment, après avoir raté un entretien d'embauche, une femme décide de ne pas rentrer chez elle.

Présenté en avant-première au Arras Film Festival avant sa sortie le 22 janvier prochain, le film met en scène avec bonheur une poignée de comédiens en état de grâce : Karin Viard en femme étouffée qui retrouve le goût de vivre, Bouli Lanners en amoureux transi, Claude Gensac en vieille dame ultra féministe, Corinne Masiero en tenancière de bar irascible...

Rencontre avec la réalisatrice et coscénariste de ce portrait émouvant et bourré de charme d'une femme qui retrouve peu à peu sa place dans le monde.

Ecran Noir : D'où est venue l'idée d'adapter la bande dessinée d'Etienne Davodeau ?

Solveig Anspach : L'idée est venue d'une productrice qui s'appelle Caroline Roussel qui adorait cette bande dessinée et qui me l'a envoyé en disant : mon rêve, ce serait que tu l'adaptes, que Lulu soit jouée par Karin Viard et Charles par Bouli Lanners. J'ai lu et je l'ai fait lire à Jean-Luc Gaget qui est mon complice et on s'est dit qu'on pouvait faire quelque chose avec ça. C'est une belle histoire mais il y avait pas mal de travail car une bande dessinée, ce n'est pas un film. Et après, le truc rigolo, c'est qu'il y a eu une sorte de rendez-vous chez Gallimard, car c'est Gallimard qui édite le livre. J'y suis allée avec Jean-Luc Gaget et Caroline Roussel ( la productrice) et on ne savait pas trop à quoi allait ressembler ce rendez-vous.

On arrive dans une grande pièce avec une grande table ovale avec pas mal de monde autour, et tout au bout en face de moi, il y avait Etienne Davodeau et son éditeur. En gros, c'était : "allez-y, on vous écoute". J'avais un peu l'impression de passer un grand oral, il fallait que je défende le morceau. J'ai dit ce que j'aimais, ce que j'aimais moins, ce que je changerais. Et au cours de la conversation, j'ai appris qu'il y avait un ou d'autres réalisateurs qui allaient faire le même exercice que moi, et qu'ils allaient en choisir un. Je me suis dit : "il faut absolument que j'ai une idée de génie, que je retienne leur attention". Et donc j'ai dit "je ne sais pas qui sont les autres, mais moi j'ai un atout énorme sur eux. Moi, je sais tricoter, et pas eux, j'en suis sûre." Ils ne voyaient pas bien le rapport avec le schmilblick... Donc j'ai enchaîné : "vous allez aller au festival d'Angoulême et il fait froid là-bas. Moi je viens d'Islande et on tricote avec de la bonne laine. SI vous me choisissez, je vous promets de vous tricoter des écharpes de la longueur de l'écriture du scénario". Ca a détendu l'atmosphère ! Après je leur ai donné le DVD de Back Soon, il y a eu des mails et des échanges, et finalement Etienne a dit : "si vous nous tricotez aussi des moufles et des bonnets, c'est bon". Mais bon, là, j'ai dit "il ne faut pas exagérer quand même"...

EN : Ce qui est étonnant, c'est qu'on retrouve dans le film des thématiques de votre précédent, Queen of Montreuil, notamment l'idée des familles qu'on se construit et la figure d'une femme qui ne sait pas trop quoi faire de sa vie. C'était déjà présent dans la BD, ou est-ce venu au moment de l'adaptation ?

SA : Je crois que c'était là, même si au bout d'un moment on s'est dit qu'on allait essayer d'oublier la bande dessinée. Mais je trouve que les familles qu'on se construit, c'est une chance énorme dans la vie. On peut aimer nos vraies familles, mais les gens qu'on choisit pour faire la route ensemble, c'est peut-être ça l'important dans la vie.

EN :  La bande dessinée semble le lieu de tous les possibles. Donc adapter une bande dessinée au cinéma, qu'est-ce que cela permet de différent ?

SA : Au départ je me suis dit : "ouah, ça va être simple". Il y a des images, il y a des lieux. En plus Etienne Davodeau fait beaucoup de photos, il dessine des lieux réels. Il y avait donc une énorme matière. Mais après ce n'est pas du tout la même chose. Raconter un récit avec du cinéma ça ne ressemble pas au récit d'une BD. Quand les comédiens incarnent les personnages, il y a plein plein de choses qu'on a écrites dont on n'a plus besoin. Alors du coup au moment du montage, quand on réécrit vachement le film, il y a eu un moment où je me suis dit "j'ai envie d'enlever les scènes que j'aime un tout petit peu moins et de voir ce qui se passe". On l'a fait et on s'est rendu compte que ça crée des ellipses où le spectateur peut, lui,  imaginer et inventer des choses, imaginer le hors champ en fait. Et c'est là que le film a commencé à vraiment prendre. Et ça, c'est très différent d'une bande dessinée.

EN : Dans quelle mesure êtes-vous restée fidèle à l'histoire originale ?

SA : Il y a beaucoup de choses qu'on a inventées. Par exemple, toute la partie avec Claude Gensac, on a beaucoup inventé. Dans la BD, Lulu retourne auprès de son mari. J'avais dit à Etienne que c'était assez difficile pour moi d'envisager ça. Et puis il y a aussi beaucoup de gens qui parlent de Lulu off et ça je n'en avais pas envie. Je souhaitais qu'on soit avec elle. Plein d'autres choses. Lulu n'arrivait pas à convaincre Virginie de quitter le bar. Et au bout d'un moment, on s'est dit avec Jean-Luc Gaget qu'il fallait que Lulu parte avec une victoire. Il y a beaucoup de choses qui ont changé, mais l'esprit des personnages est là.