Arras 2013 : le Slovaque Juraj Lehotsky reçoit l’Atlas d’or

Posté par MpM, le 18 novembre 2013

L'homogénéité de la compétition 2013 du Arras Film Festival, où chaque film semble avoir naturellement trouvé sa place, avait de quoi donner du fil à retordre aux différents jurys chargés de distinguer leur favori. Pas simple en effet de choisir parmi neuf œuvres de grande qualité mais aux sensibilités, influences et univers extrêmement divers.

Miracle et The girl from the Wardrobe

miracleLe grand jury, présidé par le réalisateur Philippe Faucon, et composé de Geoffroy Grison, Corinne Masiero, Anna Novion et André Wilms, semble ainsi avoir fait le grand écart entre un grand prix assez classique et un prix de la mise en scène beaucoup plus inventif et original.

Le premier, Miracle de Juraj Lehotsky (Blind loves) suit avec subtilité le parcours chaotique d'Ela, une adolescente perturbée enfermée dans une maison de correction. Le récit, assez relâché, alterne temps morts et moments d'accélération, avec à la clef pas mal de sensationnalisme gratuit. On a plus l'impression d'un film fourre-tout que d'une grande chronique adolescente.

Le deuxième film récompensé par le jury, girl from wardrobeThe girl from the Wardrobe de Bodo Kox, est au contraire la chronique fine et délicate d'une rencontre entre plusieurs solitudes, ainsi que d'une relation fraternelle profonde et pudique.

Jacek veille en permanence sur Tomek, son frère souffrant de graves troubles neurologiques, ce qui l'oblige à jongler avec ses obligations professionnelles et sa vie sentimentale. Lorsqu'il confie Tomek à sa voisine d'en face, la mystérieuse Magda, une relation singulière se noue entre les trois êtres à la dérive.

La poésie troublante du film, qui mêle l'ultra-réalisme du décor à des touches de fantastique issu des hallucinations de l'héroïne, en fait une œuvre complexe à la grande beauté formelle et à la tonalité douce amère pleine de nuances. Le film a d'ailleurs séduit le jury de lycéens qui lui décernent également leur prix.

Chasing the wind et West

Chasing the windLa critique, elle, a arrêté son choix sur un autre récit familial (définitivement le thème phare de cette 14e édition) beaucoup plus classique, Chasing the wind de Rune Denstad Langlo, qui raconte comment, après le décès de sa grand-mère, une jeune femme renoue avec son grand-père et son ancien petit ami.

Un récit étonnamment esquissé, presque statique, composé de scènes ultra courtes et quotidiennes formant, en creux, le portrait d'une femme qui se réconcilie avec son passé. A l'opposé du long métrage qui a reçu la mention spéciale du même jury de la critique, West de Christian Schwochow, un thriller politique feutré sur la paranoïa contagieuse propre à l'époque de la guerre froide.

Kertu et Le grand cahier

Le public, lui, s'est laissé séduire par kertuune histoire d'amour hors norme, le très touchant Kertu de Ilmar Raag qui, s'il en fait parfois un peu trop dans les rebondissements, parvient à rendre crédible (et bouleversant) ce coup de foudre entre deux êtres blessés par la vie, qui trouvent soudain en l'autre les ressources nécessaires pour prendre leur existence en mains.

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Arras 2013 : la famille et les êtres solitaires au coeur de la compétition

Posté par MpM, le 17 novembre 2013

arras 2013Pour sa 14e édition, l'Arras Film Festival proposait une compétition européenne composée de neuf longs métrages inédits venus d'Europe du Nord et de l'Est. Curieusement, la famille semble cette année au cœur des préoccupations des cinéastes qui représentent la cellule familiale dans tous ses états, et notamment dans ce qu'elle a de plus dysfonctionnel.

On retrouve ainsi à plusieurs reprises la figure du père indigne, soit tyran, soit faux démiurge, soit tout simplement absent. Dans The disciple d'Ulrika Bengts (Finlande), par exemple, le gardien de phare terrorise ses enfants et sa femme avec sa rigueur extrême et son autorité implacable.

Dans Terku d'Ilmar Raag (Estonie), le père de la jeune héroïne utilise un mélange de violence et de fausse douceur pour l'amener à lui obéir pleinement. Ces hommes ne sont pas présentés comme des monstres, mais simplement comme des êtres qui ne supportent aucune contradiction. Persuadés de savoir ce qui est bon pour leurs enfants, ils tracent pour eux un avenir tout écrit.

Impardonnables absents

Les pères absents ne sont pas plus idéalisés : celui de Miracle de Juraj Lehotsky (Slovaquie) a quitté sa famille peu de temps après la naissance de sa fille, celui de West de Christian Schwochow (Allemagne) est soupçonné d'être un traître. Dans Chasing the wind de Rune Denstad Langlo (Norvège), le père mort a laissé à sa fille un immense sentiment de culpabilité. Le personnage de The japanese dog de Tudor Cristian Jurgiu (Roumanie), lui, ne pense même pas à prévenir son fils, parti vivre au Japon, que sa mère est morte.

Dans The priest's children de Vinko Bresan (Croatie), les pères ne veulent tout simplement pas être pères, mais se retrouvent mis devant le fait accompli à cause des manipulations d'un prêtre nataliste. Quant au père des deux jumeaux mis en scène dans Le grand cahier de Jonas Szasz (Hongrie), il veut éloigner ses enfants pour les protéger, mais ne fait que les livrer à la violence la plus absolue. Absent lorsqu'ils ont le plus besoin de lui, il finit par devenir pour eux un parfait étranger.

A la dérive

Car l'autre thématique qui traverse la compétition est la description de personnages à la dérive, solitaires ou franchement paumés, qui recréent à leur manière une famille d'adoption à leur image. Au centre de Kertu, il y a ainsi cette rencontre lumineuse entre une jeune femme psychologiquement fragile et un coureur de jupons invétéré, alcoolique et atteint d'un cancer. Leur histoire d'amour, désarmante de simplicité et de sincérité, balaie les préjugés, et, malgré une certaine facilité de scénario, renvoie surtout à l'idée que ce qui réunit est toujours plus fort que ce qui sépare.

The girl from the wardrobe de Bodo Kox (Pologne) montre aussi la communion d'esprit entre un jeune homme atteint de graves troubles neurologiques et une jeune femme suicidaire. La poésie troublante du film, qui mêle l'ultra-réalisme du décor à des touches de fantastique issu des hallucinations de l'héroïne, rend palpable la connexion muette qui se fait entre ces deux êtres hors du monde.

Dans le même esprit, la jeune orpheline de Chasing the wind renoue après dix ans d'absence avec son ancien petit ami, veuf et désabusé ; les deux adolescents de The disciple s'unissent contre l'adversité ; les deux frères du Grand cahier sont reliés par un lien si fort qu'il en devient terrifiant ; le petit garçon de West, qui vient de quitter la RDA pour la RFA, cherche auprès d'un compatriote accusé d'espionnage la figure paternelle qui lui manque.

Un autre mode de communication

Un certain espoir semble ainsi émerger de ces différents films qui montrent, malgré une incommunicabilité presque endémique (le père de The japanese dog ne parle plus à son fils depuis dix ans, le grand père de Chasing the wind n'adresse pas la parole à sa petite fille, le frère malade de The girl from the wardrobe ne peut plus s'exprimer, les enfants de Kertu ou The disciple n'ont pas le droit à la parole face à leur père...), qu'il est toujours possible d'atteindre l'autre, même par un biais atypique. Le prêtre zélé de The priest's children ne finit-il pas par trouver (très ironiquement) des complices prêts à l'aider dans son entreprise de repeuplement de l'île ?

La dominante humaine de ces différents longs métrages est comme le révélateur à la fois d'un repli sur l'intime (peu de grands sujets de société sont abordés, au contraire des festivals habituels) et d'une volonté de remettre l'individu en tant qu'être social au centre du récit. L'exemple du Grand cahier est à ce titre éloquent : privé de reconnaissance et de chaleur humaine, les personnages se replient sur eux-mêmes et sombrent dans une violence pire que celle qui leur est infligée.

La fenêtre ouverte sur le monde par la compétition 2013 semble alors le reflet saisissant d'une société qui aspire à se recentrer sur l'essentiel (sa propre humanité) avant d'affronter les mutations et les révolutions d'un monde qui lui échappe.

Arras 2013 : retour en vidéo sur le jour 5 du festival avec Jérôme Salle, réalisateur de Zulu

Posté par MpM, le 14 novembre 2013

Invités : Jérôme Salle, Stan Collet et Caryl Férey pour Zulu.

Merci à l'équipe du quotidien vidéo du Arras Film Festival.
Propos des invités recueillis par Marie-Pauline Mollaret et Jovani Vasseur.

Arras 2013 : retour sur les découvertes européennes

Posté par MpM, le 13 novembre 2013

2 automnesL'édition 2013 du Arras Film Festival proposait une sélection de films européens formant un instantané passionnant de la jeune création contemporaine, avec curieusement une prédominance pour la comédie et une tendance palpable à vouloir réinventer le cinéma.

Le chef de file de ce courant est évidemment Sébastien Betbeder qui, avec 2 automnes, 3 hivers, signe un film formellement audacieux dressant le portrait saisissant d'une génération de trentenaires à la fois nourris par l'art et la culture et en même temps assez indécis par rapport à leur propre vie.

La liberté de ton surprenante du réalisateur lui permet de se démarquer de la pure comédie (représentée assez platement par le très caricatural Brasserie romantique de Joël Vanhoebrouck) sans tomber dans le travers du film expérimental qui laisse tout le monde perplexe.

Un créneau d'ailleurs admirablement occupé joypar l'énigmatique Joy du Grec Elias Giannakakis, qui est sans doute l'ovni de ce 14e festival arrageois.

Dans un noir et blanc ultra-soigné, on suit une femme quasi mutique dans sa fuite en avant à la radicalité  presque poétique. Les lents fondus au noir qui séparent chaque séquence, le magnétisme de l'actrice et l'âpreté de la narration donnent à ce portrait en creux la beauté envoûtante d'une œuvre brute et désespérée.

Les autres films s'ancrent dans une veine plus classique, quoi que particulièrement efficace en ce qui concerne le biopic suédois Valse pour Monica de Per Fly, d'excellente tenue et servi à merveille par la chanteuse Edda Magnason.

Même chose pour la comédie politique Viva la liberta de Roberto Ando, avec un Toni Servillo plus savoureux que jamais dans le double rôle d'un homme politique dépressif et de son frère jumeau à peine sorti de l'hôpital psychiatrique.

D'une vie à l'autre Mais le grand choc de cette section reste probablement le thriller politique allemand D'une vie à l'autre réalisé par Georg Maas, qui mêle habilement l'ambiance anxiogène du film d'espionnage traditionnel avec le récit d'événements réels survenus pendant la deuxième guerre mondiale, la séparation d'enfants nés de pères allemands de leurs mères norvégiennes.

Un film intelligent et vertigineux qui prouve au passage la grande vitalité d'un cinéma allemand tentant d'explorer autrement les traumatismes de son passé.

Mais on n'a probablement pas fini d'être séduit par le cinéma européen puisque les découvertes se poursuivent à Arras jusqu'au 17 novembre, avec dès jeudi 14 le début de la compétition européenne. Ce sont en tout neuf longs métrages inédits venus de Slovaquie, de Croatie, de Finlande ou encore d'Estonie qui concourent pour l'Atlas d'or et espèrent trouver rapidement un distributeur français.

Arras 2013 : rencontre avec Valérie Donzelli et Michel Vuillermoz pour Les grandes ondes

Posté par MpM, le 12 novembre 2013

Valérie Donzelli et Michel VuillermozLionel Baier signe avec Les grandes ondes une comédie réjouissante et fantaisiste sur deux journalistes envoyés en reportage au Portugal en avril 1974. Bien sûr, tout les oppose : elle se veut libérée et féministe militante, lui est un baroudeur impénitent, vieux-jeu et un peu macho. Accompagnés d'un technicien et d'un jeune interprète portugais, ils vont pourtant sillonner ensemble le pays à la recherche d'une bonne histoire à raconter.

Avec énormément de précision et de justesse, Lionel Baier joue sur les situations décalées (voire improbables, comme cela est très joliment dit dans le film, après une incroyable séquence de danse dans la pure veine de West side story) et les répliques choc, sans grand souci de réalisme, mais avec beaucoup d'inventivité.

En attendant sa sortie en salles le 12 février prochain, rencontre avec Valérie Donzelli et Michel Vuillermoz, brillants interprètes du film, qu'ils sont venus présenter en avant-première à Arras.

Ecran Noir : Comment s'est faite la rencontre avec Lionel Baier ?

Valérie Donzelli : La rencontre s'est faite de façon très simple. Je l'ai connu par Pauline Gaillard, ma monteuse, qui est aussi la monteuse de Lionel. J'ai découvert Lionel à travers ses films. Et puis un jour il m'a dit j'ai écrit un film, j'aimerais que tu joues ce rôle-là. J'ai lu le scénario, j'ai trouvé ça hyper drôle. J'ai adoré le personnage et comme c'était Lionel et qu'il allait réaliser ce film,je ne pouvais pas refuser. Parce que je sais que c'est un grand metteur en scène.

Michel Vuillermoz : Je pense qu'il a rencontré différents acteurs et puis voilà son choix final s'est porté sur moi. J'ai lu le scénario, j'étais emballé. On s'est rencontré, j'ai été séduit par Lionel. Il m'a passé ses précédents films que je n'avais pas vus. Je les ai vus et je les ai adorés. Je me suis senti bien dans son univers. Je savais que c'était Valérie qui jouait le rôle féminin. Ca a marché parce que j'avais très envie de le faire.

EN : Qu'est-ce qui vous a séduit particulièrement dans le personnage ?

MV : Mais tout ! Vous savez, on accepte un film pour plein de raisons. C'est un ensemble : le scénario que je trouvais très original, en même temps drôle, émouvant. Le fait que ce soit Lionel qui le réalise avec lequel je me sentais bien. Je sentais un réalisateur, une intelligence, un regard. Voir ses films avant : je me suis dit "ce gars a vraiment un truc à raconter, a à voir avec le cinéma". Le fait que ce soit Valérie aussi. Voilà, tout ça fait que j'ai eu envie de le faire. C'est rarement juste sur un scénario. Ce n'est pas suffisant pour prendre une décision. Il peut y avoir des scénarios formidables, mais c'est aussi avec qui, qui va le réaliser. En tout cas, pour moi.

EN : Valérie, de votre côté, vous construisez un personnage de féministe survoltée auquel vous semblez prendre beaucoup de plaisir...

VD : Mais oui, quand j'ai lu le scénario de Lionel, j'ai su qu'il n'y avait personne d'autre que moi qui pouvait jouer ce rôle. J'ai énormément de plaisir à faire ce rôle. Mais je dois dire que je suis quelqu'un d'assez spontané. Ca peut partir dans le décor. Mais je me suis vraiment beaucoup amusée. Observer Lionel travailler c'est passionnant, surtout quand on fait soi-même des films. Il communique avec ses acteurs, il les rassure mais sans être pesant, il est tout le temps en train de nous expliquer ce qui se passe, il donne des directions d'acteur qui sont ultra justes, toujours des petites choses, il a à chaque fois des tas d'idées... c'est un grand metteur en scène. Et puis après j'ai le même goût du cinéma que lui. Pour tout vous dire, j'avais l'impression que j'aurais pu écrire un personnage comme celui de Julie dans le film. C'était hyper plaisant pour moi parce que je n'avais pas la charge de le mettre en scène. Quand on joue dans ses films, moi j'adore ça, mais la chose qui est dure c'est qu'on n'a pas le metteur en scène pour nous porter justement. Et là c'était hyper confortable. Et puis faire un film c'est tellement de responsabilité. Quand on est acteur, c'est agréable d'avoir juste le plaisir de jouer, de ne pas se préoccuper de la responsabilité du film. C'était réjouissant, c'était vraiment chouette.

EN : Le film est une comédie très rythmée, très précise. Est-ce que vous aviez des références particulières en tête pour obtenir ce résultat en tant qu'acteurs ?

VD : Moi ma référence, pour la comédie française, c'est Rappeneau. Donc j'ai vu tous les films de Rappeneau. Quand j'étais petite, je les connaissais par cœur, je refaisais Catherine Deneuve, Adjani... Et d'ailleurs, dans le film de Lionel, je trouve que cela n'a pas rien à voir. Il y a un truc un peu équivalent : comédie intelligente, grand public, et en même temps hyper bien réglée comme du papier à musique. Et c'est vrai que Le sauvage, l'espèce de chieuse jouée par Catherine Deneuve, qui parle très vite et tout ça, inconsciemment, c'est mon référent... même si je ne suis pas du tout Catherine Deneuve, bien entendu. Ce sont des personnages qui m'ont marqué enfant. Et puis dans le côté pas réaliste. Quand je joue je ne cherche pas à être dans un ultra-réalisme. En plus le film de Lionel ne s'y prêtait pas du tout. On est dans un langage qui est propre à Lionel et au film.

MV : Moi pas particulièrement un film... Plutôt des univers. Des personnages des frères Coen, des Jeff Bridges, des mecs un peu fatigués, enfin, qui se la racontent un peu, qui ne sont pas loin d'une certaine mythomanie, on ne sait jamais si ce qu'ils racontent est vrai. Qui se la jouent un peu macho. Des personnages qui sont en fuite d'eux-mêmes. Ou des personnages de western. Mon personnage aimerait bien monter à cheval, avoir un colt, il pourrait faire croire qu'il a fait ça. C'est un peu le côté "lonesome cowboy". C'est plus cette imagerie-là. Et puis après, une biographie de Kapuscinski, un grand journaliste polonais, que m'a passée Lionel, et qui était vachement intéressante.

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Crédit photo Jovani Vasseur pour le blog du Arras Film festival

Arras 2013 : rencontre avec Luc Jacquet pour Il était une forêt

Posté par MpM, le 11 novembre 2013

luc jacquetLuc Jacquet (La marche de l'empereur, Le renard et l'enfant) revient avec Il était une forêt (en salles ce mercredi 13 novembre), un projet en apparence encore plus fou que ses précédents : filmer la naissance et la vie d'une forêt tropicale.

Le résultat est à la hauteur de l'ambition, avec un film d'une grande beauté visuelle qui livre de fascinants secrets sur ces merveilleux microcosmes tout en militant ouvertement pour leur sauvegarde.

Ecran Noir : Pouvez-vous nous parler de Francis Hallé, que l'on voit dans le film, et qui est à l'origine d'Il était une forêt ?

Luc Jacquet : Francis Hallé est effectivement venu me trouver un jour en disant : "voilà, ça fait 20 ans que j'aimerais faire un film sur les forêts tropicales. J'ai passé ma vie à les étudier et aujourd'hui je les vois disparaître. Je sais que dans dix ans il n'y aura plus de forêts primaires tropicales sur terre. Je voudrais que tu m'aides à faire un grand film, un peu comme Louis Malle l'avait fait avec Cousteau". A l'époque, c'était le monde sous-marin, et là en l'occurrence c'est ce monde des forêts qu'on croit connaître mais qu'on ne connait pas du tout.

EN : Pourtant les sollicitations n'ont pas dû manquer...

LJ : J'ai effectivement été très sollicité après La marche de l'empereur par de nombreux scientifique et sur des sujets très vastes. Je crois que Francis Hallé est arrivé à un moment où j'étais prêt pour ça. J'avais fondé mon association Wild touch [association qui a pour but de rapprocher l’homme de la nature par le langage sensible des images, des mots et des sons], j'étais vraiment dans ce désir de faire quelque chose. Je crois qu'aujourd'hui notre responsabilité est de faire en sorte que ce monde reste vivable et c'est toute l'ambition de ce film et de l'association Wild touch en général, c'est-à-dire faire le pari que l'émotion et l'image peuvent être facteur de changement aujourd'hui sur la planète.

EN : Pour vous, le cinéma va donc de pair avec un engagement ?

LJ : Je crois que traditionnellement, le cinéma est par nature politique et par nature une forme d'engagement. Ca a été aussi des formes de propagande très fortes. Le cinéma, avant d'être un outil commercial, a d'abord été un média, une forme d'expression pour des gens qui avaient quelque chose à dire. Je crois qu'aujourd'hui, le cinéma est parfaitement adapté parce qu'il est grand médiateur d'émotions et d'impressions. Le cinéma est vraiment adapté pour parler de la conservation de la nature aujourd'hui. Je crois qu'en cela, on est tout à fait dans la droite ligne de l'histoire du cinéma tout simplement.

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Arras 2013 : 3 questions à Sébastien Betbeder pour 2 automnes, 3 hivers

Posté par MpM, le 10 novembre 2013

2 automnes 3 hiversAvant sa sortie en salles le 25 décembre prochain, 2 automnes, 3 hivers de Sébastien Betbeder poursuit sa tournée des festivals. Le film, qui est passé notamment par Cannes, Paris et Londres, est présenté cette semaine à Arras dans la sélection "découvertes européennes".

Jolie découverte en effet que ce film extrêmement singulier qui mêle, souvent dans une même séquence, voix-off, monologues face caméra et commentaires a posteriori sur l'action. Une liberté de ton surprenante et ultra-vitaminée qui fonctionne à plein régime, entre auto-dérision et mélancolie douce amère.

L'intrigue suit plusieurs personnages d'une trentaine d'années au cours de trois années qui bouleversent un peu leurs existences. Il y est question d'amour et d'amitié, mais aussi de musique, de cinéma et d'art en général. Rencontre avec le réalisateur et scénariste, Sébastien Betbeder (photo de gauche, en compagnie de son acteur Bastien Bouillon).

Ecran Noir : Le film est extrêmement référencé. On y parle de Bresson et de Munch, d'Eugene Green et de Judd Appatow...

Sébastien Betbeder : Je tenais à montrer des gens de ma génération, qui ont fait des choix de vie très particuliers, et pour qui la culture est très importante, déterminante, et fait partie prenante de la vie au quotidien. C'est quelque chose que l'on voit très très peu en tout cas dans le cinéma français. Je dis tout le temps cette phrase mais c'est vrai car dans le cinéma américain c'est beaucoup plus assumé. Je trouve ça dommage et triste. A partir du moment où j'avais décidé de monter des gens qui m'étaient proches et qui me ressemblaient, comme mes amis qui vont beaucoup au cinéma et au théâtre, j'aurais trouvé ridicule que cela ne soit pas dans mon film. J'aurais trouvé ça insincère. Et je trouve que souvent dans le cinéma français il y a cette habitude de mettre les références sous le tapis comme si tout venait par le saint esprit, de manière automatique.

EN : Justement, au grand jeu des références, ce sont les vôtres que l'on voit dans le film ?

SB : Je voulais rendre hommage à des auteurs, à des films qui m'ont marqué. Après, ce ne sont pas forcément les films qui m'ont marqué le plus. Judd Appatow, c'est un auteur que j'aime beaucoup, mais ce n'est pas une référence. J'avais besoin qu'il ait sa place dans le film. Durant l'époque dont traite 2 automnes, 3 hivers, Judd Appatow a été un auteur important. Eugene Green aussi, différemment. C'est quelqu'un que je connais personnellement, avec qui j'ai eu des discussions sur le cinéma assez inédites et précieuses, qui ont été très importantes dans la prise de risque que représente le monologue face caméra dans mon film. Après, Alain Tanner, la Salamandre, je l'ai vu très très jeune, j'en avais gardé un souvenir assez diffus. Je l'ai revu quand j'écrivais 2 automnes, 3 hivers, et c'était assez fou comme ça rentrait en écho avec des questions que je me posais par rapport au monde réel, à l'autobiographie même si je n'aime pas beaucoup ce terme, à un film personnel et à ce qu'est l'idée de la fiction. Toutes ces références, c'est plus de la nourriture en fait. Il y a aussi quelque chose que j'aime bien dans le film, c'est quand Benjamin parle de la Salamandre, qui est dans son top 10 et qu'il a découvert grâce à Katia. Et qu'il dise ça, pour moi, ça dit beaucoup plus sur sa personnalité que s'il avait développé des arguments beaucoup plus psychologiques. Rien que de dire ça, pour moi, ça dit énormément. C'est comme dans mes relations amicales. C'est très important pour moi ce qu'écoutent les gens, ce qu'ils aiment.

EN : Dans votre film précédent, Les nuits avec Théodore, il y avait déjà beaucoup de voix-off. Or c'est toujours un peu particulier, l'utilisation de la voix-off dans un film. Pour vous, qu'est-ce que cela apporte, qu'est-ce que cela ajoute ?

SB : C'est marrant parce que de plus en plus je me pose la question à l'envers. C'est-à-dire que j'écris beaucoup et de manière très littéraire, et je trouve que la méthode est intéressante, d'utiliser ce mode de récit qui utilise ce registre de la voix-off, et après, de creuser pour faire advenir des scènes de jeu. J'ai de plus en plus besoin de ce support. Tout à l'heure on parlait de références et de gens qui osaient, eh bien je vais citer un auteur français qui ose beaucoup, en tout cas dans ce travail sur la forme et de l'utilisation de la voix-off en particulier, c'est Alain Resnais. Il a dit dans une interview qu'il dressait des portraits de ses personnages de leur naissance au moment de leur apparition dans le film, même s'il n'écrit jamais ses scénarios. Je comprends totalement ça. Moi j'ai besoin d'écrire beaucoup, pour en dire moins, mais pour que cela soit présent malgré tout. Je pense que c'est présent dans la façon dont je vais filmer mes personnages. Pour moi, la voix-off, c'est une espèce de fondement qui existe de manière multipliée par rapport à ce qui existera dans le film et Les nuits avec Théodore avait été écrit un peu comme ça aussi. En fait, c'est la question de creuser, de garder l'essentiel.

Arras 2013 : trois questions à Solveig Anspach pour Lulu femme nue

Posté par MpM, le 9 novembre 2013

lulu femme nue - Arras 2013Le nouveau film de Solveig Anspach, Lulu femme nue, est l'adaptation d'une bande dessinée d'Etienne Davodeau qui raconte comment, après avoir raté un entretien d'embauche, une femme décide de ne pas rentrer chez elle.

Présenté en avant-première au Arras Film Festival avant sa sortie le 22 janvier prochain, le film met en scène avec bonheur une poignée de comédiens en état de grâce : Karin Viard en femme étouffée qui retrouve le goût de vivre, Bouli Lanners en amoureux transi, Claude Gensac en vieille dame ultra féministe, Corinne Masiero en tenancière de bar irascible...

Rencontre avec la réalisatrice et coscénariste de ce portrait émouvant et bourré de charme d'une femme qui retrouve peu à peu sa place dans le monde.

Ecran Noir : D'où est venue l'idée d'adapter la bande dessinée d'Etienne Davodeau ?

Solveig Anspach : L'idée est venue d'une productrice qui s'appelle Caroline Roussel qui adorait cette bande dessinée et qui me l'a envoyé en disant : mon rêve, ce serait que tu l'adaptes, que Lulu soit jouée par Karin Viard et Charles par Bouli Lanners. J'ai lu et je l'ai fait lire à Jean-Luc Gaget qui est mon complice et on s'est dit qu'on pouvait faire quelque chose avec ça. C'est une belle histoire mais il y avait pas mal de travail car une bande dessinée, ce n'est pas un film. Et après, le truc rigolo, c'est qu'il y a eu une sorte de rendez-vous chez Gallimard, car c'est Gallimard qui édite le livre. J'y suis allée avec Jean-Luc Gaget et Caroline Roussel ( la productrice) et on ne savait pas trop à quoi allait ressembler ce rendez-vous.

On arrive dans une grande pièce avec une grande table ovale avec pas mal de monde autour, et tout au bout en face de moi, il y avait Etienne Davodeau et son éditeur. En gros, c'était : "allez-y, on vous écoute". J'avais un peu l'impression de passer un grand oral, il fallait que je défende le morceau. J'ai dit ce que j'aimais, ce que j'aimais moins, ce que je changerais. Et au cours de la conversation, j'ai appris qu'il y avait un ou d'autres réalisateurs qui allaient faire le même exercice que moi, et qu'ils allaient en choisir un. Je me suis dit : "il faut absolument que j'ai une idée de génie, que je retienne leur attention". Et donc j'ai dit "je ne sais pas qui sont les autres, mais moi j'ai un atout énorme sur eux. Moi, je sais tricoter, et pas eux, j'en suis sûre." Ils ne voyaient pas bien le rapport avec le schmilblick... Donc j'ai enchaîné : "vous allez aller au festival d'Angoulême et il fait froid là-bas. Moi je viens d'Islande et on tricote avec de la bonne laine. SI vous me choisissez, je vous promets de vous tricoter des écharpes de la longueur de l'écriture du scénario". Ca a détendu l'atmosphère ! Après je leur ai donné le DVD de Back Soon, il y a eu des mails et des échanges, et finalement Etienne a dit : "si vous nous tricotez aussi des moufles et des bonnets, c'est bon". Mais bon, là, j'ai dit "il ne faut pas exagérer quand même"...

EN : Ce qui est étonnant, c'est qu'on retrouve dans le film des thématiques de votre précédent, Queen of Montreuil, notamment l'idée des familles qu'on se construit et la figure d'une femme qui ne sait pas trop quoi faire de sa vie. C'était déjà présent dans la BD, ou est-ce venu au moment de l'adaptation ?

SA : Je crois que c'était là, même si au bout d'un moment on s'est dit qu'on allait essayer d'oublier la bande dessinée. Mais je trouve que les familles qu'on se construit, c'est une chance énorme dans la vie. On peut aimer nos vraies familles, mais les gens qu'on choisit pour faire la route ensemble, c'est peut-être ça l'important dans la vie.

EN :  La bande dessinée semble le lieu de tous les possibles. Donc adapter une bande dessinée au cinéma, qu'est-ce que cela permet de différent ?

SA : Au départ je me suis dit : "ouah, ça va être simple". Il y a des images, il y a des lieux. En plus Etienne Davodeau fait beaucoup de photos, il dessine des lieux réels. Il y avait donc une énorme matière. Mais après ce n'est pas du tout la même chose. Raconter un récit avec du cinéma ça ne ressemble pas au récit d'une BD. Quand les comédiens incarnent les personnages, il y a plein plein de choses qu'on a écrites dont on n'a plus besoin. Alors du coup au moment du montage, quand on réécrit vachement le film, il y a eu un moment où je me suis dit "j'ai envie d'enlever les scènes que j'aime un tout petit peu moins et de voir ce qui se passe". On l'a fait et on s'est rendu compte que ça crée des ellipses où le spectateur peut, lui,  imaginer et inventer des choses, imaginer le hors champ en fait. Et c'est là que le film a commencé à vraiment prendre. Et ça, c'est très différent d'une bande dessinée.

EN : Dans quelle mesure êtes-vous restée fidèle à l'histoire originale ?

SA : Il y a beaucoup de choses qu'on a inventées. Par exemple, toute la partie avec Claude Gensac, on a beaucoup inventé. Dans la BD, Lulu retourne auprès de son mari. J'avais dit à Etienne que c'était assez difficile pour moi d'envisager ça. Et puis il y a aussi beaucoup de gens qui parlent de Lulu off et ça je n'en avais pas envie. Je souhaitais qu'on soit avec elle. Plein d'autres choses. Lulu n'arrivait pas à convaincre Virginie de quitter le bar. Et au bout d'un moment, on s'est dit avec Jean-Luc Gaget qu'il fallait que Lulu parte avec une victoire. Il y a beaucoup de choses qui ont changé, mais l'esprit des personnages est là.

Arras 2013 : des avants-premières, une compétition européenne inédite et Patrice Leconte, Philippe Lioret et Yolande Moreau en invités d’honneur

Posté par MpM, le 9 octobre 2013

arras 2013On ne présente plus l'Arras Film Festival qui met à l'honneur chaque année en novembre le meilleur du cinéma contemporain tout en proposant des rétrospectives thématiques originales et passionnantes.

Pour cette 14e édition, trois invités d'honneur se succéderont devant le public arrageois pour des leçons de cinéma ouvertes à tous : le réalisateur Philippe Lioret (qui avait ouvert le festival en 2011 avec Toutes mes envies), l'actrice Yolande Moreau (qui présentera son deuxième film en tant que réalisatrice, Henri, découvert à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes) et le cinéaste Patrice Leconte (qui accompagnera son nouveau long métrage, Une promesse).

Une sélection des films de chacun sera également proposée au public, ainsi qu'une carte blanche offerte à Yolande Moreau et composée de La strada de Federico Fellini, La fille aux allumettes d'Aki Kaurismaki et Raining stones de Ken Loach.

Les avants-premières constitueront également l'un des temps fort de la manifestation, avec des oeuvres attendues comme Cartel de Ridley Scott, The immigrant de James Gray, La Vénus à la fourrure de Roman Polanski, Mandela : long walk to freedom de Justin Chadwick ou encore le formidable Suzanne de Katell Quillévéré.

Le "jeune cinéma européen" ne sera pas en reste avec la présentation de quelques films qui ont déjà fait parler d'eux dans d'autres festivals, à l'image du Géant égoïste de Clio Barnard (acclamé à Dinard), de 2 automnes, 3 hivers de Sébastien Betbeder (remarqué à l'ACID) et de Joy d'Elias Yannakakis (présenté à Karlovy Vary), sans oublier la désormais incontournable compétition européenne qui met neuf films en lice pour l'Atlas d'or. Cette année, c'est Philippe Faucon qui présidera le jury chargé de distinguer les lauréats.

La section Visions de l'Est présente par ailleurs, et comme son nom l'indique, un autre panorama du cinéma est-européen (dont l'Ours d'or 2013, Child's pose - Mère et fils - de Calin Peter Netzer) tandis que la section Cinémas du monde invite quelques œuvres internationales remarquées principalement à Cannes et à Berlin comme Gloria de Sebastian Lelio, Tel père, tel fils de Kore-eda Hirokazu et A touch of sin de Jia Zhang-Ke.

Et ce n'est pas tout ! S'il reste un peu de temps dans le planning (surchargé) des festivaliers, ils pourront profiter des rétrospectives thématiques "Nord contre Sud" (avec notamment Autant en emporte le vent de Victor Flemming et Les cavaliers de John Ford) et "Drôles d'espions des sixties" (avec l'incontournable Monocle rit jaune de Georges Lautner, chef d’œuvre parodique à réhabiliter immédiatement) ; rajeunir avec le "festival des enfants" et même continuer de travailler avec les différentes journées professionnelles dont les Arras days (qui font la promotion des coproductions internationales) et les rencontres cinématographiques réservées aux exploitants.

Du 8 au 17 novembre prochains, tous les cinémas se donnent donc rendez-vous à Arras, carrefour désormais incontournable d'une cinéphilie à la fois populaire et de qualité, où se retrouvent durant dix jours les films les plus attendus des six mois à venir. Ecran Noir, partenaire du festival depuis 2008, ne pouvait bien entendu pas louper ça, et vous fera partager ici même et au jour le jour les temps forts de la manifestation  !