Festroia 2013 : femmes, violence et stéréotypes

Posté par MpM, le 20 juin 2013

festroiaParmi les thèmes abordés par les films en compétition lors de cette 29e édition de Festroia, la violence faite aux femmes semble avoir été le plus récurrent. Une violence physique, souvent associée à des sévices sexuels, et émanant dans la plupart des cas du cadre familial.

Dans 90 minutes de la Norvégienne Eva Sørhaug, trois histoires distinctes mettent en scène un personnage féminin aux prises avec une forme particulière de violence conjugale.

La première (dont on ne verra pas le visage) est empoisonnée par son mari, par ailleurs prévenant et attentionné. La deuxième est assassinée par son ex-mari qui ne supporte pas d’avoir été remplacé par un autre homme. La troisième est battue et violée par son compagnon hystérique. Dans ce volet, la réalisatrice choisit de montrer frontalement les sévices (coups, humiliation, viol) dans des scènes par ailleurs à la photographie ultra-soignée et au découpage sophistiqué.

Des séquences quasi insoutenables qui décortiquent de manière implacable le mécanisme de maltraitance, dans lequel la victime est accusée d’être responsable de ce qui lui arrive et où le bourreau trouve une justification "punitive" à ses actes. Un point commun avec Halima’s path d’Arsen Anton Ostojic (Croatie), qui se déroule dans la Yougoslavie de la fin des années 70, et dans lequel un père (musulman) bat sa fille, coupable d’avoir entretenu une relation amoureuse avec un chrétien. Au nom de la sacro-sainte tradition du patriarcat, il se sent autorisé à la punir, voire à la tuer, sans que personne n’ait son mot à dire. Pourtant, plus tard dans le film, c’est elle qui aura besoin d’être pardonnée (pour avoir épousé un homme d’une autre religion), et non lui. La jeune femme est ainsi cantonnée par le scénario à son rôle de victime "volontaire",  ayant mérité ce qui lui est arrivé, et finissant par reconnaître ses "erreurs".

Trois autres films présentés en compétition 8 ballabordent également la violence exercée sur des femmes par leurs compagnons. Circles de Srdan Golubovic (Serbie), où une jeune femme d’origine serbe, battue par son mari, tente de recommencer sa vie à zéro. 8 ball d’Aku Louhimies (Finlande) dans lequel un dealer se déchaîne contre sa petite amie qui a osé s’élever contre lui. The girl and death de Jos Stelling (Pays Bas) qui présente la figure traditionnelle du protecteur jaloux n’hésitant pas à "corriger" sa maîtresse lorsqu’elle tombe amoureuse d’un autre.

L'amour comme sentiment de propriété

Il est frappant de constater que souvent, ces personnages masculins prétendent aimer celles qu’ils maltraitent. Un "amour" qui, chez eux, va de pair avec un fort sentiment de propriété. Comme si ces femmes aimées étaient des objets qu’on possède et traite à sa guise. Même chose d’ailleurs pour les personnages certes non violents, mais tout aussi possessifs de Brasserie romantique de Joel Vanhoebrouck (Belgique) et Halima’s path d’Arsen Anton Ostojic qui reviennent après une longue absence et attendent de leur petite amie qu’elle soit toujours disponible et prête à les suivre en un instant.

La plupart des réalisateurs portent un regard pessimiste sur ces relations amoureuses conflictuelles dans lesquelles les femmes sont toujours les victimes, prises au piège inextricable du chantage affectif et de la manipulation. Pour elles, il n’y a guère de moyens d’échapper à ce qui présenté comme leur destin : soit elles se soumettent en silence, soit elles sont condamnées à la fuite et l’errance. Plusieurs films insistent en effet sur le fait que leurs bourreaux (miraculeusement tout puissants) pourront les retrouver n’importe où.

viva belarusLa vraie libération de cette emprise malsaine ne peut alors venir que du recours à la violence. Ce renversement des rôles, qui transforme les victimes en bourreaux, les condamne (en un sens) à devenir exactement comme ceux qu’elles combattent. Ultime victoire de ces individus ne connaissant que la brutalité comme langage, et surtout curieuse manière de diviser la société entre victimes et bourreaux, sans troisième voie possible. Surtout lorsque l’on compare aux personnages masculins eux aussi confrontés à des actes de violence, et qui s’en sortent généralement par l’intelligence et la ruse, comme dans Viva Belarus! de Krzysztof Lukaszewicz (un jeune Biélorusse maltraité durant son service militaire ouvre un blog engagé pour critiquer le système) ou The girls and death de Jos Stelling (le jeune médecin prend sa revanche en jouant aux cartes).

Stéréotypes à gogo

Mais curieusement, force est de constater que dans les films de cette sélection, les personnages masculins sont très rarement présentés comme des victimes. Le rôle, surtout dans le cas de violence gratuite, est spécialement dévolu aux femmes, qui n’existent presque que dans cette optique. Et lorsque ce n’est pas le cas, les personnages véhiculent tous les stéréotypes traditionnels liés aux femmes : sujet de conversation qui unit les hommes (Into the white du Norvégien Petter Naess), bigotes crédules (The passion of Michel Angelo d’Esteban Larrain, Chili), épouse à reconquérir (Road north de Mika Kaurismaki, Finlande)…

Même le personnage de "femme forte" est une forme de stéréotype décliné avec plus ou moins de succès à travers le personnage d’Halima, mère courage yougoslave et seule protectrice de sa nièce (Halima’s path) ou celui d’Alice, dans Tango libre de Frédéric Fonteyne (Belgique), qui s’épanouit joyeusement dans un trio amoureux atypique. Même la restauratrice sûre d’elle de Brasserie romantique passe son temps à se sacrifier pour les autres, qu’il s’agisse de son frère ou de sa nièce.

Au final, seuls trois personnages alabama monroe féminins de la sélection semblent échapper aux stéréotypes traditionnels. Mieux écrits, plus développés, ils donnent enfin une image subtile de personnages qui, au lieu d’être des femmes, sont tout simplement des êtres humains, avec leur propre sensibilité et personnalité, et surtout qui ne se définissent pas uniquement par leur rapport à un homme (femme de, mère de). L’héroïne de Broken circle breakdown de Felix van Groeningen (Belgique) travaille dans le monde du tatouage et chante dans un groupe de bluegrass. Elle n’est pas dépendante de son compagnon (qu’elle refuse d’épouser) et sait reprendre sa liberté quand elle le souhaite.

Même chose avec la jeune journaliste engagée de Viva Belarus!, qui est sans cesse dans l’action, prête à se battre pour ses idées, et surtout à prendre des risques. Elle ne suit pas un homme qui serait son mentor, mais au contraire tente de convaincre son petit ami de la nécessité de militer.

baby bluesEnfin, la jeune fille haute en couleur de Baby blues (Kasia Roslaniec, Pologne) prend sa propre vie en mains. Elle est certes irresponsable et égoïste, mais elle poursuit son rêve (travailler dans la mode) et ne se laisse dicter aucun choix.

Sa personnalité multiple et créative se reflète dans ses tenues vestimentaires, originales et décalées. C’est une vraie adolescente d’aujourd’hui, bourrée de contradictions et de failles, qui surprend sans cesse le spectateur.

Des personnages enfin capables de rivaliser avec leurs homologues masculins pour dresser le portrait, tantôt émouvant, tantôt édifiant, d’êtres humains aux prises avec la vie. Preuve qu’il est possible, et surtout profitable, de s’extraire des éternels clichés sur ce qu’une femme est censée être pour se concentrer sur des personnalités et des destins particuliers.

Festroia 2013 : The Broken Circle Breakdown (Alabama Monroe) met tout le monde d’accord

Posté par MpM, le 19 juin 2013

alabama monroeTriplé gagnant pour The broken circle breakdown de Felix van Groeningen, qui sortira en France le 28 août prochain sous le titre Alabama Monroe. Cette émouvante histoire d'amour et de deuil rythmée par la musique Bluegrass country a en effet séduit trois jurys lors du 29e festival Festroia et repart avec le Dauphin d'or du meilleur film, le prix Signis et le prix Fipresci.

Ces récompenses font suite aux deux récoltées à Berlin (Label Europa Cinéma du meilleur film européen et Prix du Public) alors que le film était sélectionné dans la section Panorama.

Trois autres films en compétition à Festroia ont réussi le doublé : Baby Blues de Kasia Roslaniec (ours de cristal du meilleur film dans la section  Generation à Berlin en 2013) qui a reçu le prix CICAE et la mention spéciale du jury Signis ; La passion de Michelangelo d'Esteban Larrain qui cumule prix spécial du jury et meilleur scénario ; Circles de Srdan Golubovic qui remporte le prix du meilleur réalisateur et celui de la meilleure photographie.

Si le choix est logique dans le premier cas (Baby blues est une œuvre non conventionnelle et bourrée d'énergie qui se distingue par son style et son ton décalé), il l'est moins pour La passion de Michelangelo, film poussif et à la fin complétement ratée, et surtout pour Circles, énième variation sur le thème de la guerre en ex-Yougoslavie, avec des personnages caricaturaux, un scénario formaté et une mise en scène académique.

Halima’s Path d'Arsen Anton Ostojic et Road North de Mika Kaurismäki, qui ne pouvaient guère prétendre à un grand prix, récoltent quant à eux des prix d'interprétation plus justifiés : Alma Prica et Olga Pakalovic incarnent à la perfection des femmes touchées par l'horreur de la guerre tandis que Vesa-Matti Loiri compose un personnage de père envahissant et directif à la fois attachant et drôle.

A noter que le cinéma belge est le grand vainqueur du festival, toutes sections confondues, avec pas moins de six prix sur les quinze distribués.

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Le palmarès complet

Dauphin d'or du meilleur film
The broken circle breakdown de Felix van Groeningen

Prix spécial du jury
La passion de Michelangelo d'Esteban Larrain

Meilleur réalisateur
Srdan Golubovic pour Circles

Meilleure actrice
Alma Prica et Olga Pakalovic pour Halima’s Path d'Arsen Anton Ostojic

Meilleur acteur
Vesa-Matti Loiri pour Road North de Mika Kaurismäki

Meilleur scénario
Esteban Larrain pour La passion de Michelangelo

Meilleure photographie
Alexsander Ilic pour Circles

Meilleur premier film
Offline de Peter Monsaert

Prix dans la section L'homme et son environnement
The Journey de Nadim Güç

Mention spéciale dans la section L'homme et son environnement
Kinshasa Kids de Marc-Henri Wajnberg

Prix CICAE
Baby Blues de Kasia Roslaniec

Prix SIGNIS
The Broken Circle Breakdown de Felix van Groeningen

Mention spéciale SIGNIS
Baby Blues de Kasia Roslaniec

Prix Mário Ventura du meilleur court métrage
Dura Lex d'Anke Blondé

Prix du public
Brasserie Romantique de Joël Vabhoebrouck

Un conte finlandais : plus naturaliste que féérique

Posté par MpM, le 21 décembre 2009

photo_02.jpg"Cela vaut-il la peine d’être en contact avec le mal qui existe sur terre ?"

L'histoire : Trois amis d’enfance se rencontrent par hasard le soir de Noël, alors qu’ils ne se sont pas vus depuis des années. Chacun traverse une période difficile mais refuse d’en parler aux autres. Pourtant, au fil de la soirée, ils en viennent à évoquer la manière dont ils ont mené leurs vies respectives pendant toutes ces années.

Notre avis : En guise de conte de Noël, Mika Kaurismäki (frère aîné d’Aki) propose un film ultra-naturaliste où trois hommes d’âge mûr font, le temps d’une soirée, le bilan de leurs existences mouvementées. Pour mettre en scènes ces réflexions pseudo-philosophiques et ces confidences amères, le réalisateur a choisi une méthode relativement simple : réunir les trois personnages autour d’une table et les filmer à tour de rôle. Exactement comme si l’on était à table avec eux, partie prenante de leur conversation à bâtons rompus. Seule fantaisie, pour casser l’effet de répétition, chacun interprète au cours du film une chanson (ils se sont réfugiés dans un bar karaoké) censée résumer son humeur et son état d’esprit.

Une trame narrative pour le moins ténue qui réclamait au minimum, afin de dynamiser le film et surtout lui permettre de tenir la longueur, une brochette d’acteurs hors paire et un dialoguiste de talents. Malheureusement, en plaçant l’improvisation au centre du dispositif, Mika Kaurismäki se prive de ces deux conditions. Non seulement les dialogues sonnent faux et creux, mais les situations sont en plus si artificielles que les acteurs paraissent bien trop mal à l’aise pour faire preuve de finesse. Leurs échanges semblent alors un improbable mélange de pédantisme, de maladresse et d’emphase.

Peut-être s’agit-il d’une méconnaissance culturelle, à moins que le réalisateur ait été tout simplement incapable de cadrer correctement son sujet, mais quoi qu’il en soit, il est au final très difficile de se passionner pour les questions pourtant universelles que se posent les trois héros sur le sens de la vie, l’importance de la filiation, la nécessité de transmettre et la peur de la mort. On reste donc en retrait, un peu comme un invité à un banquet où tous les autres convives, saouls, se sont lancés dans des digressions que l’on comprend mais auxquelles on est incapable de participer.