Aki Kaurismäki dit « adios » au cinéma

Posté par vincy, le 16 février 2017

Faut-il le croire? Aki Kaurismäki a-t-il un simple "bébé blues" post-film? Alors que L'autre côté de l'espoir (The Other Side of Hope) est le grand favori pour l'Ours d'or à Berlin cette année, où le film a été présenté il y a deux jours, le cinéaste finlandais affirme que ce sera son dernier film.

L'AFP rapporte un entretien qu'il a eu à la télévision finlandaise, Yle: "J'ai déjà dit ça mais cette fois c'est vraiment 'adios'. On est tout près de voir que ce film sera le dernier pour moi". Il explique: "Je suis fatigué. Je veux commencer à vivre ma propre vie, enfin."

Le cinéaste, également producteur, scénariste et monteur, n'a pourtant que 59 ans. Mais déjà 36 ans de carrière à son actif.

Plus surprenant, il avait affirmé que Le Havre et L'autre côté de l'espoir, ses deux derniers films, faisaient partis d'une trilogie. Le troisième film n'existera donc peut-être jamais.

Kaurismäki, considéré comme l'un des plus grands cinéastes européens contemporains a reçu le Carrosse d'or pour l'ensemble de sa carrière l'an dernier, le Grand Prix au Festival de Cannes et le Prix FIPRESCI du film de l'année à San Sebastian pour L'Homme sans passé, le Prix FIPRESCI à Cannes, le Prix Louis-Delluc et une nomination au César du meilleur réalisateur pour Le Havre, le Prix FIPRESCI à Berlin pour La vie de bohème et 14 prix pour lui seul aux Jussi (les César finlandais).

Berlin 2017: Les insoumis d’Aki Kaurismäki

Posté par vincy, le 14 février 2017

Deuxième volet de sa trilogie sur les ports et de l'immigration, après Le Havre, L'autre coté de l'espoir (The Other Side of Hope) signe le retour du plus singulier des cinéastes contemporains, Aki Kaurismäki. Le film est en compétition à la 67e Berlinale.

Dans le port d'Helsinki, un cargo livre du charbon, d'où sort un réfugié syrien, clandestin. Cette même nuit, un VRP qui vend des chemises fait sa valise, pose son alliance et ses clefs devant sa femme, en bigoudis, médusée et s'en va. On se doute bien que leur itinéraire va un jour se croiser...

Evidemment, le style du cinéaste finlandais n'a pas bougé d'un iota. Il se permet de mixer le burlesque et le drame, le conte tragique et une ironie cocasse, le désenchantement et l'espérance, le social et l'humain. Son film est un concentré d'humanisme brut où l'on rit, où l'on chante (du blues, comme une incantation), où l'on a aussi des abrutis de racistes qui ne sont pas tendres.

Mais ce ne serait pas juste de résumer cette œuvre bienveillante et touchante à ces quelques qualificatifs. Car, comme pour Le Havre, le film est profondément engagé. Il cherche à ouvrir les esprits. Mais il veut surtout montrer, sans être démonstratif, qu'il ne faut pas être résigné face aux montées de nationalisme, xénophobie, populisme et autres replis sur soi.

L'autre coté de l'espoir est un acte de résistance par la solidarité. Des gens s'entraident malgré les pourris (suprémacistes bêtes et méchants, bureaucrates aveugles, patrons voyous, ...). Ils contournent les lois, ne demandent rien en échange, font leur petit business entre eux, à l'écart du chaos du monde et des règles absurdes. L'humain reprend le dessus, avec une simplicité désarmante. Les anti-héros de Kaurismäki sont des insoumis à leur manière. Ils payent leurs impôts, cherchent à bien faire leur boulot, mais rechignent à devenir des salauds au service de puissants qui ont débranché leur cœur.

Avouons que ça fait un bien fou, même si le film est teinté d'une mélancolie tendre plus que l'émotion ne nous étreint. On peut trouver ça naïf. On peut admirer une fois de plus cette direction artistique vacillant entre nostalgie des fifties-sixties américaines et réalisme coloré d'une époque sans joie. Mais le talent du réalisateur est de nous rendre ces "losers" attachants comme jamais. Il se moque de l'époque, s'amuse avec nos travers, nous fait rire avec des dialogues gratinés, nous enchante avec son style à la Jacques Tati. Et pourtant il nous parle de la guerre en Syrie, de ces gens fuyant les guerres, traversant les frontières, seuls au monde, de la nécessité à rencontrer l'autre.

Alors oui, c'est une autre facette de l'espoir, celle des rêveurs. Et comme dans tous les rêves, le film se déroule selon un principe classique: le récit est attendu mais chaque séquence est inattendue. Aki Kaurismäki propose ainsi des scènes de la vie ordinaire qui ne se déroulent jamais comme le cinéma les imagine, comme le réel les construit. Non, chez lui, rien ne se passe vraiment comme prévu. C'est le plus malin qui domine le plus fort. C'est le plus fragile qui s'en sort. C'est toujours la bonté qui l'emporte sur l'égoïsme. C'est l'âme et les actes qui remplacent la morale et les lois.

Si on aime indiscutablement les mises en scène du réalisateur, on reconnaît qu'on succombe indéniablement à ses propos. Il y a quelque chose de Robin des bois dans son cinéma. Il pend les riches pour sauver les pauvres...

Le cinéma s’invite dans la Nuit des idées

Posté par vincy, le 26 janvier 2017

Pour la 2e Nuit des Idées, qui se déroule ce soir en France et dans 40 pays , le cinéma s'invite dans cet événement festif et philosophique. De Tokyo (pour l'ouverture) à Los Angeles (pour la clôture), les débats auront pour thème "Un monde commun". Initiée par l’Institut Français, ce sont plus de 70 événements qui auront lieu.

Unifrance et MK2 proposeront ainsi une Nuit des Nouvelles Images pour débattre du futur du cinéma. À 18h, au mk2 Bibliothèque (Paris), on y discutera de l’émergence de nouvelles images et de nouveaux modes de diffusion, à l’heure où mk2 ouvre une nouvelle salle consacrée à la Réalité virtuelle et où UniFrance organise la 7e édition de son festival en ligne MyFrenchFilmFestival. Cette soirée se déroulera en présence des cinéastes Rebecca Zlotowski et Clément Cogitore, du DG de mk2 Agency Elisha Karmitz et du commissaire de l'exposition à la Cinémathèque française Laurent Mannoni. Le public sera invité à intéragir avec les intervenants sur Twitter avec le hashtag #NDNI. l'éntre est libre et le débat sera retransmis sur Facebook Live.

Au Forum des Images, l'écrivain et scénariste Jean-Claude Carrière, le photographe Vasantha Yogananthan, l'ethnoscénologue Amiane Béranger et la conteuse et danseuse Nathalie Le Boucher évoqueront  "Ramayana et Mahabharata : a persistance des mythes au coeur de la culture indienne", deux grands textes indiens sacrés. La soirée est accompagnée de la projection Gita Govinda du réalisateur expérimental Amit Dutta, transposition cinématographique du poème hindou (2014), présentée à Cinéma du réel en 2015.

A Nantes, au Lieu unique, dans le cadre de la programmation Doc a LU - focus  sur le cinéma allemand, sera projeté le film de Philip Scheffner, Révision (2012), qui rouvre une sordide affaire de l'été 1992 où deux roumains ont été retrouvés morts à la frontière germano-polonaise. A travers ses films, le documentariste "met en œuvre une pensée politique qui opère une redistribution entre ce qui est manifeste et ce qui ne l’est pas".

La cinémathèque de Grenoble et le cinéma Le Dietrich à Poitiers participeront aussi à cette Nuit pas comme les autres.

A l'étranger, l’Institut National Audiovisuel polonais (NINA) à Varsovie projettera la projection du dernier film (en exclusivité en Pologne) d'Andrzej Wajda Les fleurs bleues (sortie en France le 22 février), le Cinéma Andorra à Helsinki diffusera le documentaire Human de Yann Arthus-Bertrand, en plus d'un débat en sa présenceet à Pinamar en Argentine, le vieil hôtel d'Ostende programmera des fictions et documentaires en continu en plus d'une séance de cinéma sur la plage.

Le film que j’attends le plus en 2017 : The Other Side of Hope d’Aki Kaurismäki

Posté par vincy, le 1 janvier 2017

Six ans. Le temps n'a jamais été aussi long entre deux films du cinéaste finlandais Aki Kaurismäki. Déjà il avait fallu attendre cinq ans entre Les lumières du Faubourg et son dernier film Le Havre. The Other Side of Hope sera révélé au Festival de Berlin en février. Ce sera l'occasion de célébrer les cent ans du cinéma finlandais.

L'impatience de découvrir son nouveau film est un mélange de désir et d'appréhension. Il n'y a rien de pire que la déception après avoir autant attendu. Kaurismäki est l'un des grands cinéastes européens de ces quatre dernières décennies. Il y a dix ans le Festival de Locarno lui a consacré une rétrospective où toute son œuvre - ses longs comme ses courts et moyens métrages ou ses clips vidéo - était révélée, et ce fut une révélation. Punk et rock, humaniste et mélancolique, optimiste et délirant, ses films prenaient toute leur cohérence et trouvaient leur point d'équilibre entre rires et larmes, liberté et maîtrise.

Il y a peu de réalisateurs dont on peut deviner le nom rien qu'au style artistique, à la mise en scène, aux personnages. Il fait partie de ce club. A l'instar d'un Almodovar ou d'un Sorrentino, il a son esthétique propre (et singulière). A la manière d'un Loach ou d'un Jarmusch, ses anti-héros suscitent une empathie immédiate. Entre épure et naïveté, il dessine le portrait d'une société brutale avec les faibles et d'un monde où la marginalité est peut-être la seule voie possible pour rester libre. Pour, Kaurismäki, la solidarité est une valeur, au dessus de celles imposées par un dogmatisme moralisateur. En ces temps cyniques où le petit commentaire et l'insulte font figure de langage, cette élégance n'est pas mineure.

Le titre de son nouveau film, L'autre face de l'espoir pourrait-on traduire, démontre qu'il garde son cap. Tourné au début de l'automne 2016, à Helsinki, le récit suit un VRP finlandais qui croise un réfugié syrien. C'est le deuxième volet de sa trilogie sur les ports, après Le Havre, où là aussi il était question d'immigration. Je n'imagine aucun pathos et j'espère un regard sensible sur ce sujet délicat, tout en retrouvant son humour pince-sans-rire. L'espoir de voir de bons films en 2017 motive plus que jamais à être curieux. Cela n'empêche pas d'être fidèle, loyal et enthousiaste pour les cinéastes qu'on aime depuis longtemps.

Cannes 2016: Un film finlandais remporte le Grand Prix Un Certain Regard

Posté par vincy, le 21 mai 2016

La diversité du palmarès ne cache pas aussi une étonnante année mineure pour la section Un Certain Regard. Le jury présidé par Marthe Keller, a réparti les prix entre différents films radicalement différents, provenant d'Amérique, d'Europe et d'Asie. L'animation n'est pas oubliée. On peut regretter quelques oublis, des films qui, nous, nous ont plus marqués.

Le Grand prix est revenu à un cinéaste finlandais, qui concoure aussi à la Caméra d'or puisqu'il s'agit de son premier long métrage (en noir et blanc). L'action de The happiest day in the Life of Olli Mäki, se déroule durant l'été 1962, quand Olli Mäki prétend au titre de champion du monde poids plume de boxe.  De la campagne finlandaise aux lumières d’Helsinki, on lui prédit un avenir radieux. Pour cela, il ne lui reste plus qu’à perdre du poids et à se concentrer. Mais il y a un problème - Olli est tombé amoureux de Raija. Le film est distribué en France par Les films du Losange.

Grand prix Un Certain Regard : The happiest day in The Life of Olli Mäki de Juho Kuosmanen

Prix du jury : Harmonium de Koji Fukada

Prix du meilleur réalisateur : Matt Ross pour Captain Fantastic

Prix du meilleur scénario : Voir du pays de Delphine et Muriel Coulin

Prix spécial Un Certain Regard : le film d'animation La tortue rouge de Michael Dudok de Wit

Cannes 2016: Aki Kaurismäki (enfin) récompensé par le Carrosse d’or

Posté par vincy, le 25 mars 2016

Pour le 15e Carrosse d'or de la SRF (Société des réalisateurs Français), les réalisateurs ont choisi le cinéaste finlandais Aki Kaurismäki. On serait tenté de dire: enfin! Assurément l'un des plus brillants réalisateurs européens de ces trente dernières années - le Festival de Locarno lui avait d'ailleurs consacré une rétrospective intégrale en 2006 - Aki Kaurismäki est ainsi récompensé pour "les qualités novatrices de ses films, pour son audace et son intransigeance dans la mise en scène et la production".

Dans la lettre envoyée au réalisateur de L'homme sans passé et du Havre, le conseil d'administration de la SRF écrit: « Vos histoires sont des fables inspirées qui racontent les oubliés, les laissés pour compte, les excessifs, ceux qui n’ont pas le mode d’emploi. Vous les filmez à chaque fois avec économie, précision et grandeur, sans jamais renoncer à la fiction, à la poésie, voire au burlesque. En mettant en scène ces personnages vous leur donnez une place et vous les sauvez, car ceux qui ne sont pas racontés n’existent pas. Vos films, souvent mélancoliques mais jamais accablants, finissent toujours par trouver un combustible qui éclaire les nuits les plus noires et les penchants les plus sombres. Alcool, amour, amitié, gratuité ou hasard sauvent parfois vos personnages de l’ennui, du désespoir ou de la mort comme vos films sauvent les spectateurs de trop de normalité. Pour cela, pour la langueur et l’insolence de vos films, pour leur salutaire et tranquille subversion, nous voulons vous mettre à l’honneur, au moment même où se tient le plus grand événement cinéphile au monde. »

Réalisateur de 17 longs métrages de fiction, mais aussi de courts métrages, documentaire, téléfilm, et clips vidéos, Aki Kaurismäki est venu pour la première fois à Cannes avec Shadows in Paradise en 1987, à la Quinzaine des réalisateurs, qui le sélectionne de nouveau en 1994 avec Tatjana. En 1996, il est promu en compétition, qu'il ne quittera jamais, avec Au loin s'en vont les nuages (mention spéciale du jury oecuménique), suivi de L'homme sans passé en 2002 (Grand prix du jury, prix d'interprétation féminine, prix du jury oecuménique), Les lumières du faubourg (2006) et Le Havre en 2011 (Prix FIPRESCI, mention spéciale du jury écuménique et Prix Louis-Delluc quelques mois plus tard). Il également présenté à Un certain regard Ten Minutes Older et hors compétition Chacun son cinéma, deux oeuvres collectives. Il a également été sélectionné trois fois à Berlin (avec un Prix FIPRESCI en 1992 pour La vie de bohème) et une fois à Venise (J'ai engagé un tueur), nommé aux césar du meilleur film et du meilleur réalisateur (Le Havre) et à celui du meilleur film européen (L'homme sans passé). Sans oublier les Oscars finlandais, les Jussi où il a été couronné 14 fois (producteur, réalisateur ou/et scénariste).

Aki Kaurismäki prépare actuellement son prochain film, prévu pour 2017, Pakolainen (Réfugié).

Le Carrosse d'or lui sera remis à la Quinzaine des réalisateurs du prochain Festival de Cannes. Il succède à Jia Zhang-ke, Alain Resnais et Jane Campion.

Lecce 2013 : les aphorismes d’Aki Kaurismäki

Posté par MpM, le 12 avril 2013

kaurismakiDu propre aveu d'Aki Kaurismäki, le Finlandais n'est pas très expansif, voire renfermé.

Il n'y a qu'à se référer à son œuvre, pleine de personnages masculins mutiques et superbes dont seuls les yeux sont expressifs, à l'image du duo magnifique de Tiens ton foulard, Tatiana.

De ce film, il dit d'ailleurs sans détour "l'essentiel est de rendre hommage au silence de l'homme finlandais."

Au festival de Lecce, dont il est l'invité, Aki Kaurismäki a fait honneur à cette réputation. Détendu et souriant, il s'est livré lors de la conférence de presse à ce qui semble être son exercice préféré, la création d'aphorismes mi-ironiques, mi-surréalistes.

"Je suis au service du cinéma", "Le monde change, alors pourquoi le cinéma ne changerait pas lui aussi ?", "Si vous pensez à Cary Grant et Brad Pitt, vous pouvez voir la différence", "Je suis un homme paresseux : je mets de la musique à la place des dialogues car il faut écrire les dialogues alors que la musique est déjà là", "Si les acteurs sont bons, pourquoi en changer ?"...

Inutile d'attendre de longs développements ou des commentaires sur son oeuvre, on n'en saura guère plus, si ce n'est peut-être que le jour où l'on ne trouvera plus de pellicule, il cessera de filmer.

La superbe exposition qui est consacrée kaurismakiau travail de Kaurismäki dans le château de la ville joue aussi sur cette propension qu'a le cinéaste finlandais à expliquer son œuvre en quelques formules bien senties.

Au détour des panneaux reproduisant des images de ses films, on peut ainsi lire : "c'est facile de tirer un drame épique de 2h30 d'un regard échangé dans la rue, à condition de ne pas se promener avec les mains dans les poches. Métaphoriquement, bien sur" ou "Mon éternel projet est de faire un film qu'une paysanne chinoise pourrait comprendre sans sous-titres." (au sujet d'Ombres au paradis).

Mais aussi : "J'ai réalisé que je devais traiter les personnages féminins exactement comme les personnages masculins. Après tout, d'un point de vue existentiel, les problèmes sont les mêmes." (L'homme sans passé) ; "J'ai toujours eu l'ambition secrète que le spectateur sorte du cinéma en se sentant un peu plus heureux que lorsqu'il est arrivé." (Au loin s'en vont les nuages) ; "Le casting, pour moi, c'est engager les bons acteurs, afin de ne pas avoir à les diriger, ce qui est bien pour un homme paresseux." (J'ai engagé un tueur)...

En plus de l'exposition, le Festival de Lecce organise une rétrospective de son œuvre, permettant de revoir pratiquement tous ses films. Un vrai régal, des Leningrad cowboys go to America à son dernier long métrage en date, Le havre. Justement, le meilleur moyen d'en savoir plus sur Aki Kaurismäki est probablement de revoir ses films. Tout ce qu'il a toujours voulu dire est là, à portée de mains, mâtiné d'humour et de cette mélancolie profonde qui vient toujours rappeler que la vie est une farce à la fois noire et ironique.

Purge de Sofi Oksanen, un best-seller aux Oscars?

Posté par vincy, le 20 septembre 2012

Purge, le best-seller de Sofi Oksanen traduit dans 38 langues, vendu à près de 300 000 exemplaires en France (Prix du roman Fnac 2010, Prix Femina étranger 2010, Prix du livre européen 2010), a été adapté au cinéma par Antti Jokinen (La locataire avec Hilary Swank). Le film vient d'être sélectionné par la Finlande pour représenter le pays à l'Oscar du meilleur film en langue étrangère.

Ce livre à l'écriture sèche et au style âpre se déroule en 1992, quand l'Union soviétique s'effondre et que la population estonienne fête le départ des Russes. La vieille Aliide, terrée dans sa maison au fin fond de la campagne, fait la connaissance de Zara, venue de l'autre bout de la Russie. Un lourd secret de famille est révélé, en lien avec l'occupation soviétique et l'ancien amour d'Aliide pour Hans, un résistant. Entre la seconde guerre mondiale et la mafia estonienne des années 90, les deux femmes partagent leurs peurs et leurs déceptions.

Au casting, on retrouve Laura Birn, Liisi Tandefelt (qui jouent Aliide respectivement jeune et vieille), Amanda Pilke (Zara) et Peter Franzen. Le film vient de sortir en Finlande. Il est au sommet du box office et a déjà rapporté 1 million de $ en quinze jours (environ  100 000 spectateurs). Il va bientôt dépasser des films comme Men in Black III, Blanche neige et le chasseur, après avoir fait la nique à Dark Shadows, Rebelle et Spider-Man.

Le film a été sélectionné par le prochain Festival de Pusan en Corée du sud.

La Rochelle 2012 : Teuvo Tulio, le mélodrame finlandais

Posté par Martin, le 7 juillet 2012

« Ne vous en faites pas, ce n’est que la vie. »

« J’ai voulu me libérer de moi-même mais je suis plus faible que mon destin. »

(Dans C’est ainsi que tu me voulais)

A l’honneur au Festival de La Rochelle cette année, Teuvo Tulio est un cinéaste méconnu, mais remarquable, qui, de 1936 à 1972, aura réalisé 13 films, tous des mélodrames. Selon la légende, Theodor Tugai, d’origine lettone, est né dans un train qui menait sa mère à Saint-Pétersbourg. Il passe son enfance à la campagne avec ses grands-parents et, à 10 ans, rejoint sa mère à Helsinki, mais ce n’est que lorsqu’il commence à réaliser des films qu’il prend le nom de Teuvo Tulio – pour faire plus Finlandais. Son histoire familiale est en soi un mélodrame fait d’exil, de père inconnu et de mère absente. Peu étonnant qu’il y puise la matière d’une œuvre qui magnifie la femme et décrive avec lyrisme les tourments de la vie en Finlande.

Si ses premiers films – les trois premiers sont perdus – se déroulent entièrement à la campagne, à partir de 1944 et de C’est ainsi que tu me voulais, Tulio tisse une même intrigue très simple : une jeune fille heureuse à la campagne rencontre un homme qui l’emmène à la ville et cause sa perte. La campagne devient un paradis idyllique, magnifié par la caméra. Le Chant de la fleur écarlate (1938) multiplie les images sur la rivière, lieu où se joue un beau morceau de bravoure quand le personnage principal, Olavi, flotteur sur bois, marche sur l’eau de tronc en tronc avant de descendre les rapides sur une branche. La nature est aussi le lieu d’une sensualité audacieuse : Olavi fait se déshabiller la jeune femme qu’il aime pour qu’elle traverse le fleuve sans mouiller ses vêtements puis il fait de même ; à travers les branchages, les corps des personnages se cherchent et se trouvent – nombre de films de Tulio ont d’ailleurs subi des coupes de la censure. La nature foisonnante permet aussi des rituels. Dans une sorte de danse, des jeunes gens courent pour attraper des jeunes filles, et Olavi, séduit par le regard de l’une d’entre elles, l’entraîne en dehors du groupe dans une nature sauvage. Séducteur, le personnage trouve ainsi avec chaque nouvelle femme rencontrée et séduite un nouvel espace, un nouvel élément naturel : l’amour entre les arbres succède à l’amour dans les foins et précède l’amour au bord de la rivière. L’instinct libertin de l’homme est inséparable d’un paysage qui le dépasse. Dans La Croix de l’amour (1946), c’est sur une île que commence l’histoire : les vagues heurtent le phare comme pour dire l’éternelle recommencement de la passion de l’héroïne. Et dans Le Rêve de la hutte bergère (1940), c’est une brebis égarée qui fait office de métaphore. Le moment où la pure héroïne risque sa vie en descendant une falaise pour la retrouver impressionne tant par son suspense que par sa poésie.

Cette nature semble indifférente aux malheurs humains, regardant de loin des hommes perdre des femmes. Car c’est avant tout un parcours moral et religieux que livrent les films de Tulio. Olavi, dans Le Chant de la fleur écarlate, n’est pas mauvais en soi, mais commet une faute en promettant le mariage à plusieurs femmes, faute dont il ne comprend la terrible portée que quand l’une d’entre elles revient vers lui et dit : « C’est ainsi que tu me voulais », titre d’un des films suivants. La phrase est sans ambigüité : le désir de l’homme transforme les femmes en prostituées. Dans les films suivants, les personnages masculins ne seront plus des inconscients mais des êtres sombres, jouissant de la déchéance qu’ils provoquent. Ce désir de l’homme s’inscrit dans une histoire contemporaine ; le regard sur l’époque est sans concession et l’œuvre s’assombrit après la guerre. Dans un de ses derniers films, Tulio montre comment l’alcool devient un véritable poison social : Tu es entré dans mon sang (1956) raconte la déchéance d’une femme qui sombre dans les bras du mauvais homme, mais c’est surtout dans ceux de l’alcool qu’elle se perd. Il faut voir la scène où l’incroyable Regina Linnanheimo (actrice de nombreux films de Tulio) parle à son verre dans un champ contrechamp d’une terrible cruauté.

Si chacun des films suit la même trame vers une possible rédemption – pas toujours effective –, la religion prend une place autant narrative que visuelle dans l’œuvre. En effet, Le Rêve de la hutte bergère s’achève sur des retrouvailles dans une église, et la fameuse Croix de l’amour n’est autre qu’un tableau représentant l’héroïne crucifiée. Dans C’est ainsi que tu me voulais, l’héroïne est trahie par son amant qui nie devant son père avoir passé la nuit avec elle : c’est la trahison du Christ par Pierre qui est rejouée ici. Visuellement, le cinéaste transcende cette religiosité, puisant dans une iconographie orthodoxe ; l’influence du cinéma soviétique est patente – on pense parfois à Eisenstein devant des contreplongées sublimant les corps devant un ciel. Si le corps masculin est idéalisé, c’est le visage de la femme d’où naît la lumière. Le jeu des ombres très marquées fait peu à peu disparaître l’arrière-fond pour que dans La Croix de l’amour, l’héroïne se retrouve seule se prostituant devant un bateau de pacotille. Elle n’est plus alors qu’un pur visage devant du noir, ou plutôt ce qu’il en reste – l’ombre dévorant ses yeux, elle n’est plus qu’une bouche difforme qui dit à une jeune fille de fuir. L’abstraction remplace la nature ; ne reste plus que le masque d’actrices qui crient leur artifice avec leur maquillage outrancier.

Si les trouvailles visuelles sont omniprésentes, les images sont toujours liées à la musique. Comme chez Eisenstein là encore, le montage est fonction de la musique, un poème symphonique qui semble entrainer les héroïnes dans leur chute. Les génériques de début et de fin, composés d’un long noir et de musique, encadrent le film comme l’ouverture et le final d’un opéra. C’est d’ailleurs le sens du mot « mélodrame » (drame musical) dont Tulio sublime les codes : passions exacerbées, déchéance, prostitution, enfant abandonné, héroïne injustement emprisonnée, personnage aveugle (Le sang sans repos, 1946)… A voir ces films, on comprend ce que le cinéma du plus grand cinéaste finlandais d’aujourd’hui doit à ce cinéaste : place centrale de la musique, jeu sur la lumière, inscription dans un social mis à distance, héroïnes courageuses, rôle de l’alcool, personnages secondaires, coiffures des actrices et moustaches des acteurs… Oui, on pense beaucoup à Kaurismaki : son film muet, Juha (1999), magnifie tout autant la nature que les films de Tulio – la scène d’amour a lieu au bord d’une rivière – tandis que La Fille aux allumettes (1990) sur la déchéance d’une femme en milieu urbain est quasiment un remake de deux films de Tulio. Mais Kaurismaki réécrit le mélodrame en le mettant à distance par l’humour et l’ironie, là où Tulio, près de 60 ans plus tôt, dépasse le genre en l’exacerbant. Il faut voir le héros du Rêve de la hutte bergère porter une jeune fille qui fait couler le pot de lait qu’elle tient à la main ; la caméra descend sur la tache de lait que vient lécher une brebis ; le plan d’après montre un nuage, faisant transition sur l’idée du blanc ; entretemps, la jeune fille aura perdu sa virginité. En poussant le lieu commun dans ses retranchements, Tulio invente une émotion esthétique unique et donne à chaque image la beauté d’une première fois.

Un conte finlandais : plus naturaliste que féérique

Posté par MpM, le 21 décembre 2009

photo_02.jpg"Cela vaut-il la peine d’être en contact avec le mal qui existe sur terre ?"

L'histoire : Trois amis d’enfance se rencontrent par hasard le soir de Noël, alors qu’ils ne se sont pas vus depuis des années. Chacun traverse une période difficile mais refuse d’en parler aux autres. Pourtant, au fil de la soirée, ils en viennent à évoquer la manière dont ils ont mené leurs vies respectives pendant toutes ces années.

Notre avis : En guise de conte de Noël, Mika Kaurismäki (frère aîné d’Aki) propose un film ultra-naturaliste où trois hommes d’âge mûr font, le temps d’une soirée, le bilan de leurs existences mouvementées. Pour mettre en scènes ces réflexions pseudo-philosophiques et ces confidences amères, le réalisateur a choisi une méthode relativement simple : réunir les trois personnages autour d’une table et les filmer à tour de rôle. Exactement comme si l’on était à table avec eux, partie prenante de leur conversation à bâtons rompus. Seule fantaisie, pour casser l’effet de répétition, chacun interprète au cours du film une chanson (ils se sont réfugiés dans un bar karaoké) censée résumer son humeur et son état d’esprit.

Une trame narrative pour le moins ténue qui réclamait au minimum, afin de dynamiser le film et surtout lui permettre de tenir la longueur, une brochette d’acteurs hors paire et un dialoguiste de talents. Malheureusement, en plaçant l’improvisation au centre du dispositif, Mika Kaurismäki se prive de ces deux conditions. Non seulement les dialogues sonnent faux et creux, mais les situations sont en plus si artificielles que les acteurs paraissent bien trop mal à l’aise pour faire preuve de finesse. Leurs échanges semblent alors un improbable mélange de pédantisme, de maladresse et d’emphase.

Peut-être s’agit-il d’une méconnaissance culturelle, à moins que le réalisateur ait été tout simplement incapable de cadrer correctement son sujet, mais quoi qu’il en soit, il est au final très difficile de se passionner pour les questions pourtant universelles que se posent les trois héros sur le sens de la vie, l’importance de la filiation, la nécessité de transmettre et la peur de la mort. On reste donc en retrait, un peu comme un invité à un banquet où tous les autres convives, saouls, se sont lancés dans des digressions que l’on comprend mais auxquelles on est incapable de participer.