[We miss Cannes] Côté Courts #1 : Amours possibles et impossibles

Posté par MpM, le 16 mai 2020


Ce qui nous manque du Festival de Cannes, c'est l'effervescence des séances qui s'enchaînent ; les montagnes russes émotionnelles ; les flots d'images qui reviennent nous hanter pendant les nuits trop courtes ; les retrouvailles, avec les cinéastes qu'on aime comme avec de vieux copains que l'on ne croise qu'une fois par an sur la Croisette, ou encore  l'impression d'être exactement à sa place, au coeur de la petite planète cinéphile, celle qui est capable de passer moins de temps à dormir qu'à faire la queue pour une projection d'un film d'Apichatpong Weerasethakul. Mais ce qui est chaque année le plus marquant, ce sont bien sûr les découvertes et les rencontres, ces moments où l'on croise un film, une mise en scène, un geste de cinéma que l'on n'oubliera pas de sitôt.

Pour célébrer ces découvertes qui ne sont que partie remise, nous avons eu envie de revenir sur des découvertes très récentes, faites à Cannes ces dix dernières années. Et parce que le court métrage est le format privilégié pour ces premières fois, ce sont ainsi une douzaine de courts métrages que nous vous proposons de (re)découvrir, en quatre programmes (on ne se refait pas !) thématiques et évidemment subjectifs.

Pour ce premier rendez-vous, on est d'humeur romantique, avec un voyage en trois films dans le courant foisonnant des Amours possibles et impossibles, motifs évidemment récurrents du cinéma en général, et du format court en particulier.

Première étape, une rencontre incertaine dans l'ambiance nocturne et moite d'une station service grecque. Deux hommes qui se frôlent, leurs visages cadrés en gros plan envahissent l'écran. Deux inconnus qui se découvrent en quelques phrases à l'ironie décalée. Deux corps qui s'accrochent l'un à l'autre dans un plan final à la beauté magnétique et persistante. La distance entre le ciel et nous de Vasilis Kekatos, amorce ténue et intimiste de romance pop à la sensibilité à fleur de peau, a reçu la Palme d'Or du meilleur court métrage lors de l'édition 2019 du Festival de Cannes.

On passe ensuite à un mélange de passion et de folie, grâce au très électrisant Tesla, Lumière mondiale de Matthew Rankin, sélectionné à la Semaine de la Critique en 2017. Ce quasi biopic du scientifique Nicolas Tesla est traité avec une audace folle, entre hommage au cinéma d'avant garde et expérimentation pyrotechnique. On y découvre le fameux scientifique en proie à des crises presque mystiques (sa vision d'un monde réunifié par son invention à venir, l'électricité) en même temps qu'aux doutes les plus affreux (son mécène ne veut plus financer ses recherches), sans oublier une transe amoureuse irrésistible causée par... une pigeonne. C'est en apparence déconcertant, voire complètement délirant, et pourtant tout est parfaitement maîtrisé, visuellement passionnant, et surtout en exacte résonance avec certains épisodes de l'existence de Tesla.

Pour finir, notre voyage nous amène dans un univers dont toute ressemblance avec le nôtre n'est pas du tout fortuite, lors d'une Nuit des sacs plastiques signée Gabriel Harel (Quinzaine des Réalisateurs 2018). Pendant une soirée en apparence comme les autres, les emballages plastiques abandonnés dans la nature se rebellent contre l'être humain. On assiste alors à un véritable jeu de massacre, tandis que le personnage principal, Agathe, n'a qu'une obsession : tenter de reconquérir son ex, et surtout le convaincre de lui faire un enfant. Le contraste entre les motifs traditionnels du film de genre horrifique et l'interminable logorrhée de la jeune femme est une savoureuse démonstration d'humour noir qui propose en parallèle un sous-texte écologique plutôt flippant, l'Humanité se retrouvant plus ou moins condamnée à périr par le plastique, ou à fusionner avec lui.

Pour découvrir notre mini-programme en ligne :

La Distance entre le ciel et nous de Vasilis Kekatos
Tesla, Lumière mondiale de Matthew Rankin
La Nuit des sacs plastiques de Gabriel Harel

Et pour prolonger le plaisir du court cannois, nous vous invitons à aller faire un tour sur le site Format Court, qui propose d'ici le 23 Mai 25 courts sélectionnés dans les différentes sections du Festival entre 1965 et 2017.

Cannes 2019 : entre intimité et formalisme, dix courts métrages qui ont marqué la 72e édition

Posté par MpM, le 31 mai 2019

Il faut être franc : Cannes n'est pas forcément le lieu idéal pour voir du court métrage. L'offre en longs métrages de premier plan, la nécessité de courir d'une salle à l'autre, les multiples sollicitations, ajoutées au fait que les séances de courts bénéficient souvent de moins de projections qu'un long (une seule séance pour les programmes de la Quinzaine, par exemple), incitent beaucoup de festivaliers à faire l'impasse. C'est pourtant dommage, car pour le format court aussi, Cannes est immanquablement le lieu des révélations, parfait pour prendre la température de la jeune création et du cinéma mondial.

C'est aussi parfois l'occasion de repérer les réalisateurs qui enchanteront la Croisette avec leurs longs métrages dans le futur comme ce fut par exemple le cas cette année avec Jérémy Clapin qui a triomphé à la Semaine de la Critique avec J'ai perdu mon corps, où il avait déjà présenté Skhizein en 2008, et Erwan Le Duc dont le film Perdrix a connu un grand succès à la Quinzaine des Réalisateurs, trois ans après avoir été sélectionné à la Semaine en 2016 avec Le Soldat vierge.

Cette 72e édition cannoise a été marquée par le triomphe de courts formels, dans lesquels la mise en scène joue un rôle au moins aussi important que le récit ou la narration. On le souligne car les jurys ont parfois tendance, plus encore qu'en longs métrages, à privilégier des oeuvres "à sujet" ou "à message". Or, cette année, les différentes sélections (Officielle, Cinéfondation, Quinzaine des Réalisateurs, Semaine de la Critique) semblaient avoir opté pour un cinéma plus ténu et moins démonstratif, et parfois même, comme à la Quinzaine des Réalisateurs, tirant vers l'expérimental ou l'installation artistique.

Ce qui n'a pas empêché les réalisateurs d'aborder, souvent en creux, les grands enjeux des sociétés contemporaines comme l'environnement, le consumérisme, l'accueil des réfugiés, la misère sociale... mais aussi des thématiques plus intimes liées à la maternité, à la famille ou à des trajectoires personnelles. Petit tour d'horizon de 10 cours métrages qu'il fallait absolument voir sur la Croisette cette année.

La Distance entre le ciel et nous de Vasilis Kekatos (Officielle)


Une rencontre impromptue dans la nuit. Des plans serrés sur les visages. Des dialogues ironiques et décalés. Et l'un des plus beaux plans de fin vus pendant le festival. La Palme d'or 2019 est un film ténu et intimiste à la simplicité désarmante, à la sensibilité à fleur de peau et au minimalisme assumé.

Grand bouquet de Nao Yoshiga (Quinzaine)


Dans un espace totalement vide, une femme fait face à une créature noire mouvante qui semble la menacer. Sa seule réponse sera des flots de fleurs multicolores se déversant de sa bouche. Les deux forces en puissance finiront par se combiner pour donner un ailleurs plein de promesses. A mi-chemin entre l'installation muséale et le court métrage expérimental, l'artiste Nao Yoshiga propose un film puissant et presque hypnotique aux multiples interprétations possibles.

L'Heure de l'Ours d'Agnès Patron (Officielle)

Une fresque animée flamboyante et majestueuse qui raconte, dans des éclats de rouge et de vert sur fond noir, le combat immémorial des enfants pour gagner leur liberté et s'affranchir des adultes. Servi par l'exceptionnelle musique symphonique de Pierre Oberkampf, le film mêle le souffle épique au récit intime, et emporte le spectateur dans une danse effrénée et tribale qui semble nous ramener aux origines de l'Humanité.

The Little soul de Barbara Rupik (Cinéfondation)


Un voyage éblouissant de beauté, d'onirisme et de mélancolie au pays des morts en compagnie d'une petite âme tout juste échappée du corps qui l'abritait. Barbara Rupik travaille sur la texture de ses personnages et de ses décors jusqu'à recréer un univers organique saisissant et sublime, cadre dantesque édifiant pour le récit poétique et bouleversant d'une indéfectible amitié post-mortem.

Mano a mano de Louise Courvoisier (Cinéfondation)


Un couple d'acrobates va de ville en ville pour se produire. Leur relation se dégrade, et tout semble sur le point de basculer. Louise Courvoisier, étudiante à la CinéFabrique de Lyon, filme les corps en mouvement, au repos, à l'abandon ou au contraire en pleine opposition, mais de dos, ou en les décadrant. Ce ne sont pas les performances qui l'intéressent, mais comment la tension palpable entre les deux protagonistes en vient à influer sur le moindre de leur geste. Une histoire simple de confiance à raviver et d'avenir à réinventer à deux.

Mardi de 8 à 18 de Cecilia de Arce (Semaine de la Critique)

Une journée dans la vie d'une surveillante scolaire bienveillante et pleine d'empathie qui lutte contre la rigidité quasi carcérale d'un collège où le corps encadrant privilégie la répression à l'écoute. Entre portrait sensible et comédie réaliste, Cecilia de Arce montre les limites d'un système qui, à force de refuser le cas par cas, finit par nier froidement les individus.

Movements de Dahee Jeong (Quinzaine des Réalisateurs)

Cinq chapitres comme autant de vignettes malicieuses pour parler de ce qui nous meut, et de quelle manière. On découvre ainsi un chien, une femme avec un sac à dos ou encore un vieil arbre qui a besoin d'une canne, tour à tour en train de peindre un mur ou de regarder la télévision. La réalisatrice s'amuse à décomposer les mouvements quasi image par image, ou au contraire à les accélérer par le biais de la touche "avance rapide", proposant un film léger et joyeusement décalé sur la notion de mouvement en tant qu'essence de la vie comme du cinéma (d'animation).

Piece of meat de Huang Junxiang et Jerrold Chong (Quinzaine)


Une fable au vitriol sur les excès du capitalisme et les limites de la société de consommation. Dans un monde peuplé d'objets (en papier), une côté d'agneau tente de subvenir aux besoins de sa famille. Prise dans la spirale infernale du déterminisme social, elle est la victime expiatoire d'un monde qui semble le reflet cauchemardesque de la nôtre. Pessimiste et cruel, mais tellement drôle.

She runs de Qiu Yang (Semaine de la Critique)


Déjà sélectionnée à Cannes en 2015 avec Under the sun (Cinéfondation) puis en 2017 avec A gentle night (Palme d’or du meilleur court métrage), Qiu Yang n’est pas vraiment la révélation de cette 58e Semaine de la Critique, mais prouve qu'il continue à creuser efficacement le sillon de son cinéma esthétique au classicisme discret. Son film à la beauté formelle édifiante a d'ailleurs sans surprise remporté le Prix Découverte Leitz Cine du court métrage. On y voit dans des plans composés comme des tableaux à la profondeur de champ quasi inexistante, et où se multiplient les cadres intérieurs à l'image, une jeune gymnaste lutter pour quitter l'équipe à laquelle elle appartient. Visuellement éblouissant.

Stay awake, be ready de Pham Thien An (Quinzaine des Réalisateurs)


Un plan-séquence presque statique qui semble observer nonchalamment la terrasse d'un petit restaurant. Tandis que des hommes parlent hors champ, un accident de la route survient, puis un petit garçon improvise un spectacle de cracheur de feu. Une scène de rue presque banale, et pourtant énigmatique, qui montre le monde comme à distance, pris dans différentes tonalités de jaune et de rouge. Une brillante démonstration formelle, doublée d'un instantané troublant du quotidien, qui a valu au réalisateur vietnamien Pham Thien An le Prix Illy du court métrage.

Cannes 2019: la Palme d’or pour Parasite de Bong Joon-ho

Posté par vincy, le 25 mai 2019

"Les récompenses d'aujourd'hui ne reflèteront que l'opinion de neuf personnes dans le monde" - Alejandro González Iñárritu

C'était impossible en effet de satisfaire tout le monde. la presse a hué le prix pour les Dardenne, modérément apprécié celui pour Emily Beecham. On peut regretter que Almodovar, Sciamma, et surtout Suleiman (qui hérite d'une nouveauté, la mention spéciale, comme si la Palestine n'avait pas vraiment le droit d'exister au Palmarès) soient sous-estimés dans la hiérarchie. Mais on peut aussi se féliciter que deux premiers films de jeunes cinéastes soient primés, contrastant avec la seule grosse erreur du palmarès, le prix de la mise en scène pour les indéboulonnables Dardenne, plutôt que de le donner à Almodovar, Sciamma, Suleiman, Mendonça Filho, Malick ou Tarantino.

Le cinéma français en tout cas repart flamboyant, contrairement à l'année dernière, tandis que le cinéma nord-américain a été snobé. La diversité aussi a été gagnante. Cela fait plaisir de voir une telle variété de cinéastes aux parcours si différents, du Sénégal à la Palestine en passant par le 9-3 et la Corée du sud. C'est réjouissant de voir le cinéma brésilien, que l'actuel de gouvernement menace par des coupes dans le financement, couronné hier à Un certain regard (A lire ici: Tous les prix remis à Cannes) et ce soir par un prix du jury. A travers le double prix du jury pour Les Misérables et Bacurau, présentés le même jour, ce sont ces deux films de résistance et de chaos social et citoyen qui ont été distingués.

Ce fut un grand moment, aussi, de partager le sacre d'un Antonio Banderas, qui a le droit à une ovation pour son plus grand rôle en 40 ans, dédiant sa récompense à son mentor, Pedro Almodovar, qui manque une fois de plus la Palme d'or, mais peut se consoler avec le succès public de son film et les excellentes critiques reçues.

Le jury d'Alejandro González Iñárritu a du faire des choix dans cette sélection "incroyable", avec une mix de "réalisateurs iconiques, des nouvelles voix du monde entier dans différents genres".

Cette diversité des genres, avec des thrillers, des films fantastiques, et souvent un cinéma engagé qui évoque les luttes de classes, a été récompensée. C'est en cela où Parasite, grand film populaire admirablement maîtrisé, parfaite synthèse de ce que le Festival a montré, en insufflant du politique dans le suspens, de l'intelligence dans le divertissement, mérite sa Palme. A l'unanimité. Il pouvait remporter chacun des prix du jury tant le résultat est magistral. Un an après un drame familial social japonais (Une affaire de famille de Kore-eda), c'est un autre drame familial social, mais coréen, qui l'emporte. Comme deux faces d'une même pièce, chacun dans leur style et leur sensibilité.

C'est enfin la première fois que le cinéma sud-coréen remporte la prestigieuse récompense du Festival de Cannes. Il était temps.

Palme d'or: Parasite de Bong Joon-ho (à l'unanimité)

Grand prix du jury: Atlantique de Mati Diop

Prix du jury ex-aequo: Les Misérables de Ladj Ly et Bacurau de Juliano Dornelles et Kleber Mendonça Filho

Prix de la mise en scène: Jean-Pierre et Luc Dardenne (Le jeune Ahmed)

Prix d'interprétation masculine: Antonio Banderas (Douleur et gloire)

Prix d'interprétation féminine: Emily Beecham (Little Joe)

Prix du scénario: Céline Sciamma pour Portrait de la jeune fille en feu

Mention spéciale: It Must Be Heaven d'Elia Suleiman

Caméra d'or: Nuestras madres de César Diaz (Prix Sacd à la Semaine de la Critique)

Palme d'or du court-métrage: La distance entre nous et le ciel de Vasilis Kekatos (Queer Palm du court-métrage)
Mention spéciale: Monstre Dieu de Agustina San Martin

Cannes 2019 : Céline Sciamma décroche la Queer Palm avec Portrait de la jeune fille en feu

Posté par wyzman, le 25 mai 2019

C’était l’un des événements les plus attendus hier soir, l’annonce des lauréats de la 10e édition de la Queer Palm.

Un palmarès logique

Et c’est donc au film de Céline Sciamma Portrait de la jeune fille en feu qu’est revenu la Queer Palm, le prix qui, depuis 2010, a pour ambition de récompenser les films qui traitent intelligemment d’une thématique altersexuelle. Porté par Adèle Haenel et Noémie Merlant, Portrait de la jeune fille en feu traite de l’intense complicité qui se crée entre une peinture et jeune femme qui vient de sortir du couvent et s’apprête à se marier. C'est la première fois qu'une réalisatrice remporte ce prix et la troisième fois que la Queer Palm distingue un film de la compétition.

Parmi les autres films en compétition, on trouvait notamment Douleur et gloire de Pedro Almodóvar, Roubaix, une lumière d’Arnaud Desplechin, Matthias et Maxime de Xavier Dolan, Rocketman de Dexter Fletcher, Port Authority de Danielle Lessovitz ou encore And Then We Danced de Levan Akin.

Côté courts métrages, le jury 2019 a par également récompensé Vasilis Kekatos pour La distance entre le ciel et nous, film proposé en sélection officielle.

Pour rappel, le jury de cette 10e édition était présidé par l’actrice Virginie Ledoyen et composé par Claire Duguet (directrice de la photographie), Kee Yoon Kim (actrice), Filipe Matzembacher (réalisateur) et Marcio Reolon (réalisateur). Lors des éditions précédentes, ce sont Girl de Lukas Dhont, 120 battements par minute de Robin Campillo et Les Vies de Thérèse de Sébastien Lifshitz qui ont raflé le prix en ce qui concerne les longs métrages. Chez les courts, The Orphan de Carolina Markowicz et Les Îles de Yann Gonzalez sont les lauréats les plus récents.