Pour sa 11e édition, le festival Un état du monde qui bat son plein jusqu'au 24 novembre au Forum des images tente une nouvelle fois de décoder le monde en "croisant problématiques géopolitiques et expressions cinématographiques contemporaines".
Cette année, les questions de l'habitat, de l'écologie et des luttes sociales courent en fil rouge à travers les différents volets du festival, qui comprend notamment un panorama du cinéma brésilien contemporain et un coup de projecteur sur le Maroc à travers le regard de la réalisatrice, scénariste et comédienne Mariam Touzani (Adam, qui était sélectionné à Cannes cette année), mais aussi de nombreuses avant-premières (Notre-Dame du Nil d'Atiq Rahimi, Nuestras Madres de César Diaz...)
Le Festival met enfin l'accent sur Wang Quan'an, réalisateur chinois passionnant dont le nouveau film, La femme des steppes, le flic et l'oeuf (précédemment intitulé Ondog, sortie prévue le 24 avril 2020) était en compétition à Berlin cette année. Inspiré par les vastes espaces de la Mongolie extérieure, le film raconte une histoire d’amour singulière, bercée par l’atmosphère propre au lieu. Dans des plans larges d’une grande beauté plastique, semblant souvent observer les personnages de loin, le cinéaste alterne l’humour et la poésie, pour créer une forme de fantaisie burlesque qui tient à la fois de la magie et de l’ultra-quotidien.
Un état du monde présente par ailleurs une rétrospective du travail de Wang Quan'an dont Le mariage de Tuya, Ours d'or en 2007, et ses films moins connus comme La Tisseuse et Eclipse de lune. Le cinéaste donnera également une Masterclass ce jeudi 21 novembre à 18h30, suivie par la projection du formidable Apart together, récit intimiste dans lequel la destinée individuelle des personnages cristallise les tragédies de l’Histoire.
Marina Fois a annoncé sur son (fabuleux) compte Instagram qu'elle était en tournage au Brésil (ce qui explique son absence dans la nouvelle salve de Burger Quizz sur TCM). Elle tourne sous la direction du cinéaste brésilien Alex CarvalhoLa salamandre, avec Maicon Rodrigues, star de la TV brésilienne.
Le scénario a été coécrit par le réalisateur, dont ce sera le premier long métrage, Thomas Bidegain (collaborateur de Jacques Audiard) et Alix Delaporte (Angèle et Tony), d'après le roman éponyme de Jean-Christophe Rufin, qui s'était inspiré de faits réels. Paru en 2005, le best-seller raconte l'histoire de Catherine, quinquagénaire restée célibataire, cadre supérieur, qui décide de quitter Paris pour s'installer au Brésil, séduite par le pays et par un jeune gigolo dont elle est tombée amoureuse. Mais en vivant sur place, elle découvrira un autre Brésil. Ce sera le début de sa descente aux enfers ...
Coproduit par High Sea Production (Papicha, L'échange des princesses), Cinenovo, N Filmes, San Cinema et Primo Filmes, le film, qui se tourne à Récife actuellement, sortira l'an prochain.
[Le pitch] Bixa Travesty est le portrait électrisant de Linn da Quebrada (site officiel), artiste à la présence scénique extraordinaire qui réfléchit sur le genre et ose affronter avec un rare panache le machisme brésilien. Le corps féminin trans comme moyen d’expression politique.
Un personnage de cinéma. Le documentaire de Claudia Priscilla et Kiko Goifman, récompensé aux prestigieux Teddy Awards, mais aussi à Biarritz et à Chéries Chéris, met en scène Linn da Quebrada, artiste charismatique qui s'affranchit des étiquettes et des genres et utilise son corps (féminin) trans comme arme politique dans un pays encore dominé par le machisme et subissant une forte recrudescence des actes homophobes et transphobes. Linn est magnifique, drôle, enragée, directe, provocatrice, révolutionnaire, réfléchie. Ce qui pourrait passer pour un ego trip devient une guerre pour que nous soyons tous égaux. Sa manière d'être à la fois drama queen, ultra-queer, chanteuse énervée et voix engagée (posée) la rend aussi attachante que séduisante. Elle peut ainsi être déchaînée avec un icro et décalée quand elle se fait opérer d'un cancer. A cela s'ajoute, Jup, éternelle complice. Un duo parfois hilarant, à la Laurel et Hardy, complémentaire et revendicateur. Accessoires, perruques et maquillages font le reste : autant de moyens d'affirmer sa différence pour qu'il n'y ait plus de norme dogmatique.
Un pamphlet engagé. Face à la haine, à un gouvernement appelant à la violence contre les LGBT, au repli sur soi constaté un peu partout, le documentaire fait office de tract en images contre le machisme, le racisme, le sexisme et l'homophobie. Salutaire, cette prise de parole, qui n'est pas didactique, partage l'existence et l'expérience d'une combattante, qui n'hésite pas à utiliser sa musique ou Canal Brésil, pour partager sa vision ouverte et tolérante du monde. Linn da Quebrada ne mâche pas ses mots mais sait aussi conquérir ses audiences. En interpellant l'humaniste qui est en nous, en constatant la méconnaissance globale de son monde, elle projette les spotlights sur les trans et les minorités opprimées, sur la condition des femmes et sur la difficulté d'être respecté en tant qu'être humain. Bixa veut dire pédé. Terme choc qui affronte un monde où cette expression est surtout devenue une insulte pour les intolérants ou les ignorants.
Un film punk-attitude. Du slam et du rock au look, de la liberté de ton à l'intimité des plans, Bixa Travesty est un cri qui vient de l'intérieur mais qui hurle fort. Du sexe comme propagande et des paroles comme pistolets. En fusionnant les genres sexuels - on se fout de l'inclusif, du pronom personnel. Elle est il et il est elle. Le documentaire déconstruit nos préjugés et ouvre nos yeux sur des territoires flous, illustrant ce fameux et récent concept du "genderfluid". Filmé dans la durée à la fois immersif et observateur, à l'écoute et haut-parleur, ce film n'agressera que ceux qui veulent garder leurs œillères et rester sourds à cette déclaration de liberté et de fraternité prônée par Linn (et ses gants d'argent).
"Les récompenses d'aujourd'hui ne reflèteront que l'opinion de neuf personnes dans le monde" - Alejandro González Iñárritu
C'était impossible en effet de satisfaire tout le monde. la presse a hué le prix pour les Dardenne, modérément apprécié celui pour Emily Beecham. On peut regretter que Almodovar, Sciamma, et surtout Suleiman (qui hérite d'une nouveauté, la mention spéciale, comme si la Palestine n'avait pas vraiment le droit d'exister au Palmarès) soient sous-estimés dans la hiérarchie. Mais on peut aussi se féliciter que deux premiers films de jeunes cinéastes soient primés, contrastant avec la seule grosse erreur du palmarès, le prix de la mise en scène pour les indéboulonnables Dardenne, plutôt que de le donner à Almodovar, Sciamma, Suleiman, Mendonça Filho, Malick ou Tarantino.
Le cinéma français en tout cas repart flamboyant, contrairement à l'année dernière, tandis que le cinéma nord-américain a été snobé. La diversité aussi a été gagnante. Cela fait plaisir de voir une telle variété de cinéastes aux parcours si différents, du Sénégal à la Palestine en passant par le 9-3 et la Corée du sud. C'est réjouissant de voir le cinéma brésilien, que l'actuel de gouvernement menace par des coupes dans le financement, couronné hier à Un certain regard (A lire ici: Tous les prix remis à Cannes) et ce soir par un prix du jury. A travers le double prix du jury pour Les Misérables et Bacurau, présentés le même jour, ce sont ces deux films de résistance et de chaos social et citoyen qui ont été distingués.
Ce fut un grand moment, aussi, de partager le sacre d'un Antonio Banderas, qui a le droit à une ovation pour son plus grand rôle en 40 ans, dédiant sa récompense à son mentor, Pedro Almodovar, qui manque une fois de plus la Palme d'or, mais peut se consoler avec le succès public de son film et les excellentes critiques reçues.
Le jury d'Alejandro González Iñárritu a du faire des choix dans cette sélection "incroyable", avec une mix de "réalisateurs iconiques, des nouvelles voix du monde entier dans différents genres".
Cette diversité des genres, avec des thrillers, des films fantastiques, et souvent un cinéma engagé qui évoque les luttes de classes, a été récompensée. C'est en cela où Parasite, grand film populaire admirablement maîtrisé, parfaite synthèse de ce que le Festival a montré, en insufflant du politique dans le suspens, de l'intelligence dans le divertissement, mérite sa Palme. A l'unanimité. Il pouvait remporter chacun des prix du jury tant le résultat est magistral. Un an après un drame familial social japonais (Une affaire de famille de Kore-eda), c'est un autre drame familial social, mais coréen, qui l'emporte. Comme deux faces d'une même pièce, chacun dans leur style et leur sensibilité.
C'est enfin la première fois que le cinéma sud-coréen remporte la prestigieuse récompense du Festival de Cannes. Il était temps.
Palme d'or:Parasite de Bong Joon-ho (à l'unanimité)
Caméra d'or: Nuestras madres de César Diaz (Prix Sacd à la Semaine de la Critique)
Palme d'or du court-métrage:La distance entre nous et le ciel de Vasilis Kekatos (Queer Palm du court-métrage)
Mention spéciale: Monstre Dieu de Agustina San Martin
Présidé par Nadine Labaki, accompagnée de Marina Foïs, Nurhan Sekerci-Porst, Lisandro Alonso et Lukas Dhont, le jury d'Un certain regard a rendu un verdict éclectique avec 8 films distingués sur les 18 de la sélection.
"Le Jury tient à témoigner du grand plaisir qu’il a eu à s’immerger dans la diversité de cette sélection, diversité quant aux sujets traités, quant à l’approche cinématographique et à la représentation des personnages. Il a été pour nous très stimulant de voir côte à côte des réalisateurs qui maîtrisent si bien leur langage et d’autres qui suivent ce même chemin. Constater la présence de 9 premiers films fut pour nous une belle surprise et voyager à travers ces différents univers, un réel privilège. Le cinéma mondial se porte à merveille !" a indiqué le jury dans le communiqué.
Si on peut regretter qu'aucun des deux films d'animation n'aient été récompensés, le jury a confirmé le bel accueil au film du cinéaste brésilien Karim Aïnouz, La vie invisible d'Euridice Gusmao, grande fresque mélodramatique autour de deux sœurs fusionnelles qui se retrouvent séparées par le destin. Le film reçoit le Prix Un Certain Regard, le plus grand prix du palmarès.
Le Prix du jury est revenu au film minimaliste d'Oliver Laxe, Viendra le feu.
Chiara Mastroïanni reçoit le Prix d'interprétation pour son plus grand rôle à date, dans Chambre 212 de Christophe Honoré. Une belle manière de distinguer ce film.
Kantemir Balagov, avec sa fresque formelle Beanpole reçoit le Prix de la mise en scène tandis qu'un Prix spécial du jury a été remis au déconcertant et libertin Libertéd'Albert Serra.
Le jury a aussi tenu à donné une mention spéciale à Jeanne, drame historique décalé de Bruno Dumont, et deux coups de cœur à des films qui mêlent l'humour et l'intime, avec un ton léger et des personnages dépressifs: La femme de mon père de Monia Chokri, qui avait fait l'ouverture d'Un certain regard, et The Climb de Michael Angelo Covino.
Déjà une deuxième sélection cannoise pour la réalisatrice brésilienne Alice Furtado qui présente son premier long métrage Sick, sick, sickà la Quinzaine des Réalisateurs. La jeune femme était en effet déjà venue en 2011 avec un film d'école à mi-chemin entre réalisme et fantastique, Duel avant le soir (adapté d’une nouvelle de João Gilberto Noll), qui avait eu les honneurs de la Cinéfondation. Il mettait en scène un garçon et une fille marchant longuement dans la jungle, avant de se séparer. Leurs vies en étaient alors bouleversées.
Depuis, Alice Furtado est passée par l’école française du Fresnoy, où elle a réalisé en 16mm le court métrage La grenouille et Dieu (2013), puis l’installation River view en 2014. Elle a également travaillé sur les films des autres, en tant que monteuse, par exemple pour le long métrage d'Eduardo Williams El Auge del humano et Os son mbulos de Thiago Mata Machado, mais aussi d’assistante à la réalisation sur un court métrage de Claire Denis : Voilà l’enchaînement.
Son premier long métrage Sick, sick, sick , coproduit par la société française Ikki Films, s’annonce comme le portrait d’une jeune fille introvertie qui va tour à tour être confrontée à l’amour puis au deuil. Les premières images révèlent des visages cadrés d’assez près, et des plans envoûtants, tantôt baignés de lumière et tantôt presque crépusculaires, qui donnent follement envie d’en découvrir plus.
C’est une grande dame du cinéma brésilien (et pour le coup du cinéma mondial) qui revient par la grande porte du 7e art. La vie invisible de Euridice Gusmao de Karim Aïnouz, adaptation du roman de Martha Batalha, est sélectionné à Un certain regard, et met en vedette Fernanda Montenegro. Il y a 20 ans, l’actrice était nommée aux Oscars (la seule comédienne lusophone a avoir été nommée), un an après avoir reçu l’Ours d’argent de la meilleure actrice à Berlin pour Central do Brasil de Walter Salles, qui remporte également l'Ours d'or du meilleur film. En France, le film a attiré près de 600000 spectateurs dans les salles, le plus gros succès du cinéma brésilien dans le pays, toujours aujourd’hui.
Fille de la classe ouvrière, Arlete Pinheiro Esteves da Silva, son nom de naissance, approche des 90 ans. Elle est considérée comme la plus grande comédienne de son pays. Honorée d’à peu près toutes les breloques officielles que le Brésil compte, en plus de prix internationaux (y compris un Emmy Award), elle a traversé les décennies depuis ses début dans les années 1950, quand elle a été la première actrice à signer un contrat avec la chaîne Tupi. Vedette de « telenovelas », parmi les plus populaires (parmi lesquelles Danse avec moi, qui a fait les belles heures de TF1 dans les années 1980), Fernanda Montenegro reste l’une des personnalité les plus influentes du pays. C’est notamment elle qui a lu un poème lors de la cérémonie d’ouverture des J.O. de Rio, doublée en anglais pas une autre Lady, Judi Dench.
Grande comédienne de théâtre, cette littéraire n’a jamais cessé de jouer, de la comédie à la tragédie. Au cinéma, elle a débuté en 1965 avec A Falecida, de Leon Hirszman, où elle interprète une jeune femme obsédée par la mort, jusqu’à prévoir le moindre détail de ses funérailles. Occupée par le petit écran et les planches, elle ne tourne pas tant que ça. On la remarque chez Arnaldo Jabor dans Tudo bem, comédie catastrophe de 1978. A noter que Fernanda Torres, sa fille, a remporté le prix d’interprétation au Festival de Cannes pour le film Parle-moi d’amour du même Arnaldo Jabor. En 1985, elle figure au générique en second-rôle dans A Hora da Estrela, de Suzana Amaral, trois fois primé à Berlin et sacré à La Havane.
Il faut réellement attendre les années 1990 pour que Fernanda Montenegro prenne le cinéma au sérieux. Elle apparaît dans un court métrage de Carlos Diegues, Veja Esta Cançao, fait face à Alan Arkin dans Quatre jours en septembre, de Bruno Barreto. Le film est nommé aux Oscars et en compétition à Berlin. Puis vint Walter Salles avec Central do Brasil, où elle joue une vieille femme pieuse et revêche qui se prend d’affection pour un gamin qui cherche son père. Une performance unanimement saluée qui lui vaut une myriade de prix.
En 2004, elle frappe de nouveau avec L’autre côté de la rue de Marcos Berstein. Le film va à Berlin et San Sebastian. L’actrice est récompensée à Tribeca (New York). En 2005, dans La maison de sable de son gendre Andrucha Waddington, elle interprète trois rôles. Le film est récompensé à Sundance.
Figure engagée pour la défense de la culture, dans un pays qui est en train de couper dans toutes les aides, elle semble faire un retour. Outre La vie invisible, où elle a un rôle symbolique et qui sortira en décembre en France, elle a aussi tourné pour Claudio Assis (Piedade) et pour son beau-fils (O Juizo).
Udo Kier est cet acteur allemand qui, dès ses débuts, a tourné dans quantité de films en Europe dans les années 70 avant de s’installer ensuite aux Etats-Unis. Son visage particulier percé d’un regard bleu perçant a fait de lui un second rôle recherché en particulier pour divers rôles de ‘méchants’ : aujourd'hui, il apparaît dans plus de 150 films !
C’est en 1979 que le Festival de Cannes sélectionne deux films dans lesquels il joue : Rhapsodie Hongroise de Miklos Jancso est en sélection officielle, et La Troisième Génération de Rainer Werner Fassbinder est à Un Certain Regard. Udo Kier a jouer dans trois films de Fassbinder mais aussi dans 8 films de son ami Lars Von Trier. C’est ainsi que Udo Kier apparaît plusieurs fois encore à Cannes : on le voit dans Epidemic en 1987, Europa en 1991, Breaking the waves en 1996, Melancholia en 2011.
La carrière de Udo Kier est marquée en particulier par le genre fantastique: en vampire pour Paul Morrissey (dans Chair pour Frankenstein en 1973, Du sang pour Dracula en 1974), ou en dictateur de l’univers nazi pour Timo Vuorensola (dans Iron Sky, et sa suite Iron Sky: The Coming Race). Dansson Panthéon, on trouve des films populaires ou cultes Histoire d'O de Just Jaeckin, Suspiria de Dario Argento, Johnny Mnemonic avec Keanu Reeves, Barb Wire avec Pamela Anderson, Armageddon de Michael Bay, La Fin des temps avec Arnold Schwarzenegger, BloodRayne de Uwe Boll, Halloween de Rob Zombie, Brawl in Cell Block 99 de S. Craig Zahler... C'est, à sa manière, un prince du Genre.
Udo Kier n’est pourant pas seulement un tueur au cinéma. Il a aussi eu des rôles plus diversifiés dans des films dramatiques signés, par exemple, d'Alexander Payne (Downsizing) ou de Gus Van Sant (My own private Idaho en 1991, Even cowgirls get the blues en 1993 et le dernier Don't worry, he won't get far on foot au Festival de Berlin 2018). La Berlinale lui avait d'ailleurs remis un Teddy Award d’honneur en 2015. Certains de ses films ont été à Venise (My son, my son, what have we done de Werner Herzog en 2009), et il a été membre du jury au Festival de Locarno (en 2004 et en 2015). Il navigue ainsi entre séries B et œuvres de festival, films cultissimes pour fans de fantastique et films plus expérimentaux vénérés par les cinéphiles (La chambre interdite, Ulysse souviens toi!).
Udo Kier est cette année quasiment re-découvert avec un hommage du festival fantastique de Bruxelles (le BIFFF) et un autre du festival de Gérardmer. Mais nul ne doute que ce sont ses retrouvailles avec le Festival de Cannes cette année qui vont lui valoir d'être redécouvert : il est un des personnages principaux (avec Sonia Braga, dont on célébrait les retrouvailles en 2016 avec Aquarius) dans le film brésilien Bacurau de Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles (en compétition), annoncé comme un ‘western fantastique’.
« Dans un futur proche… Le village de Bacurau dans le sertão brésilien fait le deuil de sa matriarche Carmelita qui s’est éteinte à 94 ans. Quelques jours plus tard, les habitants remarquent que Bacurau a disparu de la carte... »
La religion s’invite plusieurs fois dans cette 69e Berlinale. Le XXIe siècle est décidément spirituel. François Ozon a dressé le portrait d’une communauté de gens victimes d’une église toute puissante dans Grâce à Dieu. Isabel Coixtet a dénoncé l’obscurantisme de l’église catholique espagnole dans Elisa y Marcela. Teona Strugar Mitevska opte plutôt pour le sexisme de cette patriarcale église dans Dieu existe, son nom est Petrunya. On pourrait aussi évoquer la religion comme substitut aux parents absent dans L’adieu à la nuit d’André Téchiné.
Dans les derniers jours du festival, trois films ont parlé de Dieu à leur manière. Avec une foi débordante dans Divino Amor. Avec une croyance relative dans Woo Sang. Avec une ferveur communicative dans Amazing Grace.
Ce qu'on attend de Dieu. Le film brésilien de Gabriel Mascaro, sélectionné en Panorama, Divino Amor, est un conte futuriste (tout se passe en 2027) autour d'une femme qui aime son travail de bureaucrate, son mari et Dieu, mais souffre de ne pas avoir d'enfants. Le film qu'on aurait pu espérer un peu critique ou tout du moins distant avec la religion en devient finalement un porte-étendard. Mascaro s'avère bien plus ironique avec le monde marchand (tout s'échange) et orwellien (tout est su). Le divin ici est convoqué pour tout: ne pas divorcer comme vouloir un bébé, baiser (y compris avec d'autres partenaires, en toute bienveillance) comme danser (dans d'immenses "party" dédiées à Jésus). Il sauve les couples. Hélas le Mascaro devient une mascarade. Là où l'on voyait une forme de satire, ce n'était que du prosélytisme, à l'image de son héroïne qui se sert de son boulot de notaire gouvernementale pour prêcher la morale biblique aux citoyens. On peut toujours croire qu'elle porte sincèrement cet amour divin en elle. Mais le réalisateur force le spectateur à y croire, ce qui change totalement le point de vue, et l'intention.
Ce que Dieu nous inflige. Passons de la foi absolue à la croyance, disons pragmatique. Toujours en Panorama, le sud coréen Lee Su-jin propose un polar palpitant et néanmoins classique, Woo sang (Idol). On y suit un père de famille aux ambitions politiques bien affirmées, en route pour le poste de Gouverneur. Malheureusement, son fils a tué quelqu'un sur la route. De là commence une enquête aux multiples ramifications, ponctuée de quelques rebondissements (et autant de fausses pistes). Tout le monde a sa part de pourriture et de moisissure en lui. Certains ont juste quelques limites morales, sans doute parce qu'ils ont l'argent, le pouvoir, qu'ils n'ont pas besoin de survivre. On ne sait trop si l'idole est la statue d'un vieil amiral explosée, ce politicien verni et populaire ou les enfants bien malmenés par leurs propres crimes. Celui il croit en Jésus a plus de scrupules que les autres quand il s'agit de franchir la ligne jaune ou de traverser hors des clous. Mais au final, il a beau aller à la messe, il cache sa bible quand il faut kidnapper ou tuer, sans doute persuadé d'être dans son droit. Le sang coule beaucoup, et il n'est pas christique.
Dieu est une femme noire. Finissons avec Aretha Franklin, star d'Amazing Grace. La Reine est morte l'été dernier et la Berlinale a choisi ce film d'Alan Elliott et de Sydney Pollack hors compétition. Il aura fallu 46 ans pour voir ce concert de gospel au New Temple Missionary Baptist Church de Los Angeles. Des complications techniques ont empêché le film d'aboutir alors que le disque enregistré a été un énorme succès aux Etats-Unis. Si voir un concert (enfin deux ici) au cinéma est toujours une expérience étrange, complètement passive, on peut au moins revoir avec plaisir Aretha et son génie prendre tout l'espace de cette église et partager ses saintes paroles à un public presque en transe. Assurément cette grande idole avait une étonnante grâce quand elle chantait. Nul besoin de nous faire croire à la Vierge Marie ou prier sans confesser ses hypocrisies, sa voix était divine.
Cela fait plus de trente ans que Carlos Diegues n’était pas venu présenter l’un de ses nouveaux films à Cannes. Le chef de file du mouvement du Cinema Novo (mélange de néo-réalisme italien et de Nouvelle Vague française qui apparaît au Brésil au milieu des années 50) fut pourtant en son temps un grand habitué de la Croisette.
C’est en 1971 qu’il y fit sa première apparition avec Os Herdeiros (Les héritiers), l'un de ses premiers longs métrages, sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs. Le film raconte l’histoire d’une famille brésilienne sur une période de 40 ans, ce qui permet au réalisateur de parler de l’histoire politique du pays et de ceux qui ont eu le pouvoir (ou qui pensaient l’avoir). Au générique, on retrouve notamment Jean-Pierre Léaud.
En 1978, retour à la Quinzaine avec Pluie d’été, une histoire d’amour entre septuagénaires dans un quartier pauvre de Rio. Deux ans plus tard, il décroche enfin une sélection en compétition officielle avec Bye bye Brasil, qui suit des forains proposant des spectacles aux populations les plus pauvres du Nord du pays, immédiatement suivie en 1981 d’une invitation à faire partie du jury des longs métrages.
C’est pour Carlos Diegues la décennie de la consécration, qui lui permet de revenir deux fois dans la course à la Palme d’or : en 1984 avec Quilombo et en 1987 avec Un train pour les étoiles.
Mais s’il continue de tourner régulièrement par la suite (Regarde cette chanson, Orfeu, Le plus grand amour du monde…), Cannes le boude tout au long des années 90 puis 2000. Il revient bien sur la Croisette, mais pour accompagner ses anciens films à Cannes Classics (Bye bye Brésil en 2004, Xica da Silva en 2012, ou encore le documentaire Cinema Novo, dans lequel il apparaît, en 2016) et comme membre du jury : celui de la Cinéfondation et des courts métrages en 2010, puis celui de la Caméra d’or (qu’il préside) en 2012.
Son grand retour en sélection officielle avec Le grand cirque mystique est ainsi une forme de surprise, doublée d'une excellente nouvelle. Déjà parce que l'on se réjouit de retrouver une nouvelle fois le grand réalisateur brésilien sur la Croisette, même si c'est en séance spéciale, mais aussi parce que le résumé du film laisse présager un récit romanesque à souhait, inspiré d'un poème de Jorge de Lima, et racontant l'histoire d'une famille sur cinq générations dans l'univers du cirque entre réalité, fantaisie et mysticisme.