L’instant court : Le jour d’avant de Denys Quélever

Posté par MpM, le 24 décembre 2010, dans Courts métrages, Films, L'instant court.

Le jour d'avantComme à Ecran Noir, on aime vous faire partager nos découvertes, alors après Un peu de retenue réalisé par Sylvain Gillet, voici l’instant Court n° 12.

Dans un univers audiovisuel en plein mutation, les frontières entre les genres sont de plus en plus floues. Le cinéma, qui s'est toujours ouvert à de nouvelles expériences, profite des nouvelles technologies pour se refaire une jeunesse (la grande tendance des restaurations) ou un portefeuille (l'arrivée quasi miraculeuse de la 3D). Pour beaucoup, ces innovations techniques sont aussi l'occasion de démocratiser un art qui a longtemps été lourd, cher et compliqué. Depuis plusieurs années déjà, on fait des films avec de mini-caméra DV, des téléphones mobiles et même des appareils-photos.

Cette semaine, nous vous proposons une oeuvre atypique qui utilise justement l'image fixe comme support de narration : Le jour d'avant de Denys Quélever. Un court métrage photographique où les "mouvements de caméra" sont artificiellement recréés par logiciel et où les acteurs (professionnels) sont doublés en voix-off.

Bien avant l'arrivée du numérique, un réalisateur comme Chris Marker a utilisé ce procédé dans l'une de ses oeuvres les plus emblématiques, La jetée. On le retrouve régulièrement dans des documentaires ou des films expérimentaux.

Des contraintes techniques propres au genre naît une grande liberté de ton et de narration qui permet aux auteurs d'exprimer aussi précisément qu'au cinéma leurs idées et leurs émotions. En plus d'être un moyen d'expression doté d'une grande force d'évocation poétique, c'est un art à la portée de tous, à mi-chemin entre le court métrage traditionnel  et le diaporama d'autrefois.

Pour vous en convaincre, découvrez Le jour d'avant, une histoire dense et forte où plusieurs personnages se retrouvent brutalement confrontés au SIDA et à leurs propres réactions face à cette maladie.

Denys Quélever nous parle du court métrage photographique et de l'expérience particulière liée au Jour d'avant.

Ecran Noir :  Quel est votre parcours dans le monde audiovisuel ?

Denys Quélever : Il est un peu atypique. J'ai commencé par créer un logiciel pour réaliser du court métrage photo sur Mac comme sur PC nommé "La Lanterne Magique". Jean-Paul Petit [animateur de l'atelier audiovisuel d'Objectif Image à Paris et lui même spécialiste du court métrage photographique] m'a contacté via le site des passionnés de ce média "Diapovision.com". Il m'a fait découvrir le club Objectif Image Paris. Une méthode très rigoureuse et précise d'analyse de montages ainsi qu'un travail en commun très dynamique y sont pratiqués.

Après avoir été pendant deux ans observateur dans ce club, j’ai eu envie d’en réaliser moi-même. Ceci m'a été bénéfique pour éviter les pièges qui affaiblissent le sujet traité par l'auteur dans son court métrage photo. J'ai été surpris par l'accueil chaleureux de mon premier essai, un documentaire sur l'histoire de la Gay Pride. A présent, j'explore de nombreux sujets, de nouvelles méthodes d'écriture et de réalisation dans ce média.

EN :  Parlez-nous de cette forme particulière de court métrage : le court métrage photographique. En quoi consiste-t-il ? Quel matériel nécessite-t-il ? En quoi se distingue-t-il/s’apparente-t-il au court métrage cinématographique ?

DQ : Le court métrage photographique, de par son nom, se base sur l'image fixe qu'il peut explorer par des moyens comme le zoom, la rotation et le déplacement dans l'image. Par ces moyens de base, on peut forcer le spectateur à porter l'attention dans un ordre précis sur différentes parties d'une même image. Le passage par une transition douce ou brusque permet de progresser dans l'histoire contée. Il peut faire l'objet d'une troisième image par la fusion des deux images le temps d'un instant défini par l'auteur. Cela permet de créer une écriture subtile et faire éprouver plus d'émotions. Par exemple, la vue d'un paysage avec le visage d'une personne qui se superpose progressivement. C'est un moyen qui est davantage utilisé dans notre média qu'au cinéma.

Pour ce qui est du matériel, on utilise un appareil photo, un ordinateur, un logiciel de retouche, un logiciel de son et un logiciel d'assemblage des différents médias. Pour résumer, un court métrage photographique est moins complexe à mettre en œuvre qu'un court métrage cinématographique, tant du point de vue de la technique qu’en termes de personnes présentes sur le tournage. En dehors des contraintes, je m’impose dans mon écriture une règle de base : « Je ne dois pas décrire verbalement ce que je montre ni montrer ce que je dis. » Pour le reste, il est très similaire au cinéma. Le spectateur doit être captivé par le sujet et non par la technique utilisée.

EN : Quelles sont les contraintes propres à cette forme de court métrage, notamment dans le travail avec les acteurs ?

DQ : Il faut en priorité éviter de singer le cinéma. L'image fixe doit être un atout et non l’inverse. Au niveau des acteurs, le travail est différent car ils ne jouent pas une scène mais une situation. Pour éviter le roman photo, ils doivent exprimer par leur visage des expressions subtiles. Donner l'illusion que la photo a été prise au vif. Le bougé ou le filé par une pose lente peut exprimer cela. Le cadrage, la lumière et l'écriture de l'histoire font le reste.
Lors d'un dialogue, il faut éviter au maximum de montrer les lèvres du personnage qui parle. De nombreuses astuces le permettent et cela ne nuit en aucun cas à la fluidité de l'histoire contée.

EN : Comment a été réalisé le Jour d’avant et quel est son point de départ ?

Ce court métrage photographique part d'une idée de longue date mais il a été réalisée plus tôt que prévu. J'ai accepté de participer à la soirée prestige du festival d'Epinal 2010. Le thème était "Le jour d'avant". Ce sujet fusionnait bien avec ce que je désirais faire. Il fallait passer vite à la réalisation, faire le repérage pour les décors et le casting des acteurs. Certains étaient des amateurs pour l'image mais leur voix était doublée par un professionnel. J'ai moi-même interprété un rôle. En revanche, la scène d'hôpital est un trucage car il m'était impossible de tourner dans une vraie chambre d'hôpital. Avec l’aimable autorisation d’un responsable d’une clinique, J’ai pu photographier le décor d’une chambre vide en premier et simuler que quelqu’un était dans le lit en mettant des édredons.

Après sélection des plans qui m’intéressaient, j’ai tourné la scène dans une chambre classique avec un fond vert derrière pour réincorporer dans le même angle le décor. Comme au cinéma, après le tournage, il y a un gros travail de trucage et d’étalonnage des couleurs pour une bonne cohérence visuelle du montage. Cette dernière change suivant le cour  de l’histoire pour renforcer les différentes intensités émotionnelles.

EN : Le jour d’avant s’inscrit dans une trilogie sur l’homosexualité. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

DQ : A l’inverse du cinéma, ce média aborde peu ce thème. J’avais envie de traiter plusieurs points mais il était impossible de le faire en un seul court métrage photo. Le point commun est cette fête, la Gay Pride, la face émergée pour le public des homosexuels. Il est vrai que cette fête revendicative a une signification forte que j’ai expliqué dans mon premier montage Différent. Ensuite Deuxième vie traitait de la difficulté de s’accepter tel que l’on est. Enfin Le jour d’avant parle du SIDA, une maladie qui a gravement touché cette communauté. Le sujet est certes dur et plein de tabous. J’ai tenté d’aborder ces points le plus subtilement pour les présenter à un public le plus large possible.

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Crédits photographiques : Denys Quélever & Serge Debel

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