Roses à crédit d’Amos Gitaï hélas déjà fané

Posté par geoffroy, le 12 décembre 2010

Le dernier film d’Amos Gitaï, Roses à crédit, qui devait sortir sur les écrans le 15 décembre prochain, ne verra pas le jour au cinéma. Alors que tout était paré pour une sortie en bonne et due forme, le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) vient d’y opposer son veto.

L’argument avancé par la commission d’agrément du CNC est très simple : l’adaptation éponyme du roman d’Elsa Triolet produit par Images & Cie pour une chaîne de télévision,  France 2 en l’occurrence, fait de Roses à crédit un téléfilm et non une œuvre de cinéma à proprement dite. Peu importe, alors, que les différentes parties se soient mis d’accord sur un projet clairement défini comme cinématographique et destiné à sortir dans les salles de cinéma avant sa diffusion télé.

Il aurait fallu, pour que la commission d’agrément donne son aval, que le film d’Amos Gitaï  se décline en deux versions distinctes, l’une pour le cinéma, l’autre pour la télévision. Or la commission a estimé « qu'il n'y a qu'une seule œuvre. Dans ce cas, on ne peut pas accepter qu'un film soit diffusé sur une chaîne non payante seulement trois mois après sa sortie en salles. Si on remet en cause la chronologie des médias, c'est la mort de l'économie du cinéma. ». Ce que conteste Nicole Collet, productrice du film, considérant que « la version cinéma est pourtant plus longue, et donne surtout à la narration un autre éclairage en l’encrant dans un contexte historique différent ».

Insuffisant, semble t-il, pour une commission indépendante ayant comme objectif principal de veiller au respect d’une réglementation encadrant la production des films de cinéma selon des critères définis par le CNC lui-même. Doté d’un pouvoir consultatif, elle obtient donc sans peine l’interdiction d’un film en salles sous prétexte qu’il fut intégralement financé par la télévision. Peu importe que celui-ci possède des qualités artistiques évidentes que de nombreux journalistes ont déjà pu constater.

Confusion des genres

Mais revenons sur cette interdiction qui, outre son caractère incroyablement tardif (elle arrive une dizaine de jours avant la sortie du film), est à géométrie variable. N’est-il pas étrange, qu’en 2008, Plus tard, tu comprendras, téléfilm du même Amos Gitaï financé par Arte, ait été diffusé sur France 2 le 20 janvier 2009 puis le lendemain au cinéma sans que la commission n’y trouve rien à redire. Comment comprendre, par exemple, les différences de traitement entre les films d’Olivier Assayas, Carlos, et de Pascale Ferran, Lady Chatterley. Si le premier, intégralement financé par Canal +, aura été "désélectionné" du festival de Cannes pour des raisons de production (il a finalement été présenté hors compétition), le deuxième aura obtenu, sans contestation aucune, le double agrément de la commission. Nous le voyons, tout ceci est bien flou et discrédite un organe de contrôle se basant essentiellement sur des critères de financement, certes importants, et non vis-à-vis d’enjeux artistiques eux aussi bien réels. D’où l’ambiguïté de certaines situations ou de vrais films de cinéma sont interdits dans les salles de cinéma. Sans parler des incohérences à la marge relevées plus haut, exceptions rares mais ô combien symboliques d’un système ayant montré à plusieurs reprises ses limites.

Une sortie en salles n'est pas garante d'une existence dans les cinémas

Loin de nous l’idée de nier en bloc l’utilité d’un système (les raisons de sa mise en place est toujours d’actualité) qui, bon an mal an, fonctionne correctement. En effet, séparer la production cinématographique de la production en général est nécessaire, les chaînes de TV n’ayant pas à user et abuser d’une position enviable pour financer en sous-main leurs téléfilms. Le système est complexe, imparfait, voire pervers. Dans ce cas, doit-on s’en indigner et constater, incrédule, à la mise au placard d’œuvres cinématographiques parce que produites sur des fonds audiovisuelles alors qu’on nous abreuve toute l’année de films estampillés « cinéma » aux allures de mauvais téléfilms ? Bien sûr que non, mais que faire lorsque Alexandra Henochsberg, directrice de la société Ad Vitam (celle qui devait distribuer Rose à crédit) admet qu’elle n’est pas « certaine qu’il faille la réformer (la commission), moins encore la supprimer, même si nous sommes victimes d’un système qui manifestement ne fonctionne pas ».

Il ne s’agit pas, d’un coup d’un seul, de tout chambouler pour faire plaisir aux contestataires que nous aimons être. Non, ce qu’il faut c’est mettre en place, une bonne fois pour toute, une politique culturelle cohérente à même de garantir la pluralité des cinémas pour que des films comme Rose à crédit puisse exister sur grand écran. Il en va de la sauvegarde d’un cinéma de plus en plus difficile à financer se retrouvant l’otage des moyens de financement qu’on lui accorde. Résultat : au lieu d’aider des cinéastes à monter puis à diffuser leurs films, on les enterre lamentablement comme de vulgaires produits consommables non conformes. Le cinéma et l’art en général valent mieux que cela.

RIHL 2010 : le cinéma continue de refléter un monde perturbé

Posté par Benjamin, le 12 décembre 2010

Aux Rencontres internationales Henri Langlois cette année, les réalisateurs font preuve d’un grand engagement politique voire social. Ils abordent des sujets d’actualité difficiles tels que le terrorisme (London Transfer, photo, suédois), l’exclusion des immigrés clandestins (Mort par suffocation, allemand), le retour de la guerre en Irak (Cigarette Candy, américain) mais aussi d’autres sujets comme le viol (Solstice, anglais) ou l’infanticide (Narben im beton, allemand).

A priori, que ces jeunes cinéastes se frottent à des sujets sensibles, cela n’a rien d’exceptionnel mais ils le font bien, en choisissant de très bons acteurs, en donnant à voir soit une grande émotion soit un absurde des plus total.

Le réalisateur de London Transfer, Roozbeh Behtaji, choisit une situation simple, un homme en transit entre deux aéroports cherche des toilettes à tout prix dans Londres. Avec sa valise à la poignée cassée et sa tête de « terroriste », il est difficile pour lui de trouver de l’aide. On le rejette, on se méfie de lui, on le surveille bien qu’il soit suédois. La peur de l’autre, la peur d’une menace qui a été instaurée depuis des années dans beaucoup de pays occidentaux parasitent tout simplement la relation entre les individus. Ainsi, une situation aussi simple que celle de vouloir aller aux toilettes révèle des tensions et des problèmes disproportionnés.

Narben im beton (de Juliane Engelmann) et Solstice (de David Stoddart) choisissent le camp des femmes. Femmes comme être vulnérables et abandonnées qui sont reléguées aux rôles de mère et de réceptacle des pulsions sexuelles de l’homme. Femme au foyer et femme objet. Mais, elles essayent par tous les moyens d’échapper à cette emprise, cela finit souvent tragiquement : suicide, infanticide. Mais il y aura peut-être un jour nouveau qui viendra pour elle, que ce soit dans l’austérité d’une banlieue allemande ou dans les somptueux paysages embrumés d’Ecosse.

Mort par suffocation est l’un des meilleurs films de la compétition parce qu’il a un début et une fin (croyez moi c’est déjà très bien car beaucoup de réalisateurs trouvent une idée de départ mais n’ont aucune idée pour la conclusion !) et un véritable enjeu. Visar Morena, le réalisateur, utilise un sujet déjà bien traité au cinéma, celui de l’immigration (il suffit de voir Welcome de Philippe Lioret en France) mais il parvient à installer une véritable tension - un couple d’immigrés erre dans la rue, la femme enceinte, perd beaucoup de sang, son mari part chercher de l’aide mais se fait arrêter par la police qui ne veut rien entendre - et il réussit à pointer du doigt l’immense fossé entre les autorités et les immigrés. Un homme qui crie, qui résiste, qui fait du grabuge est forcément coupable, une menace qu’il faut vite éradiquée. Mais ce peut être aussi un homme soucieux pour sa femme qui se vide de son sang, seule dans une rue.

Mort par suffocation se finit de la plus tragique des façons. Par son rythme, par ses images, par le jeu des acteurs, par son découpage, le film est une véritable claque. La mondialisation c’est la peur de l’autre et le renfermement sur soi.

Beaucoup des films en compétition à Poitiers cette année ont montré des personnages isolés, abandonnés, délaissés par la société. Un état du monde pas très brillant et une vision quelque peu désespérée du XXIème siècle.

RIHL 2010: Nicolas Saada et le livre de cuisine hitchcockien

Posté par Benjamin, le 12 décembre 2010

Nicolas Saada est l’invité d’honneur des 33ème Rencontres Henri Langlois et c’est à lui qu’incombe la tâche de livrer la leçon de cinéma axée sur la direction d’acteur (voire La 40eme marche ne se loupe pas). Mais Nicolas Saada est avant tout un passionné. Un cinéaste qui met en avant l’importance de l’école, et de la transmission du savoir, choses qui se perdent cruellement de nos jours. Il parle avec ferveur des classiques d’Hitchcock et de la culture cinématographique, car savoir d’où l’on vient c’est un peu savoir où l’on va.

Sans vouloir faire son professeur, sans vouloir venir prêcher la bonne parole, Nicolas Saada a tout simplement envie de transmettre sa passion du cinéma, d’échanger et de partager avec les autres. Poitiers lui semble donc un carrefour essentiel.

Écran Noir : Pensez-vous qu’il y a une grande valeur pédagogique dans le cinéma d’Hitchcock ?

Nicolas Saada : Et bien oui. C’est ce que je disais : ce ne sont que des prototypes. Il y a un moment quand un ébéniste ou un musicien doit apprendre des choses de base à quelqu’un, il passe par des choses qui sont basiques. Quelqu’un qui veut apprendre le contre-point, l’harmonie, la mélodie à des étudiants de musique, il ne va pas prendre Lady Gaga ! Il va prendre des espèces d’objets absolument pérennes dans l’histoire de la musique. Hitchcock c’est pérenne ! Avec Hitchcock, je pense qu’on peut apprendre plein de choses. On peut piquer des trucs et je vois le nombre de cinéastes qui finalement prennent à Hitchcock non pas une matière qu’ils veulent copier, à laquelle ils veulent rendre hommage, mais un effet qui leur sert à raconter quelque chose. Hitchcock moi-même m’a servi à me dépatouiller de certaines situations, que ce soit dans mon film Les parallèles ou dans Espion(s), Hitchcock m’a toujours servi, soit à faire vivre une scène qui peut être absurde, soit à faire vivre une situation qui peut paraître forcée. C’est un livre de cuisine permanent. Le cinéma selon Hitchcock c’est un livre que tous les étudiants en cinéma devraient lire et relire. C’est le livre de cuisine du cinéma ! Donc moi je me dis, c’est un livre de cuisine, autant appliquer une recette et la faire partager au public de Poitiers.

EN : Demain soir, en même temps que la leçon de cinéma sera diffusé au festival The Ghost-writer de Roman Polanski…

NS : Alors c’est très marrant parce que beaucoup de gens m’ont parlé d’Espion(s) quand ils ont vu The Ghost-writer. Quand j’ai vu le film, je n’ai pas tout de suite compris, mais maintenant en y repensant je crois qu’il y a comme ça des espèces de chevauchements, de croisements entre les deux films.

EN : En tout cas, c’est un film très classique qui a quelque chose d’hitchcockien…

NS : Moi je suis pour le classicisme. Je suis pour tout ce qui est inactuel.

EN : On l’a beaucoup comparé par exemple à Shutter Island de Martin Scorsese et ce qu’on a mis en avant chez Polanski c’est qu’il n’avait utilisé aucuns effets spéciaux.

NS : Moi j’aime beaucoup Shutter Island. J’aime autant les deux. Polanski c’est un metteur en scène dont j’ai beaucoup regardé les films. Par exemple pour mon court métrage Les parallèles, une des références c’était Frantic : c'est un film que j’adore et c’était aussi un film de référence pour Espion(s).

EN : Est-ce que vous pensez que le patrimoine cinématographique se perd aujourd’hui ?

NS : Oui le patrimoine cinématographique se perd parce qu’on a une peur panique de ce qui est vieux. C’est Godard qui disait : « On dit toujours : je vais voir un vieux Fritz Lang. On ne dira jamais, je vais lire un vieux Stendhal. » Mais c’est vrai et c’est dommage qu’on ait une perte de ça, parce que c’est très important pour décoder des trucs. L’histoire que je raconte toujours, c’est qu’il n’y aurait pas Batman sans Victor Hugo. Donc j’adore cette idée qu’il n’y aurait pas Batman sans Victor Hugo parce que, en fait, le Joker dans Batman est inspiré de L’homme qui rit qui est un roman de Victor Hugo qui raconte l’histoire d’un enfant qui est capturé par des faiseurs de montres qui vendent des enfants défigurés dans les cirques. Et lui, on le défigure à un très jeune âge, on lui ouvre la bouche d’une oreille à l’autre. Et il devient l’homme qui rit. Ça devient une espèce de monstre de foire. Et il grandit comme ça accompagné de toute une troupe de gens avec qui il fait du cirque et il a ce visage défiguré, ce sourire permanent. Et après il apprend qu’il est de descendance royale donc on le kidnappe et on le remet au pouvoir, il se retrouve face à des responsabilités qui sont trop grandes pour lui. Enfin, ça se termine tragiquement. L’homme qui rit a inspiré un film dans les années 20 de Paul Leni. Un film de 1924 ou 25 (film de 1928 en réalité, ndlr) avec un acteur allemand qui s’appelait Conrad Veidt. Et ce film en 1925 est devenu un film culte aux États-Unis. C’est un film américain. Tout jeune, l’auteur de Batman (Bob Kane) a vu le film et il était tellement impressionné par le visage de Conrad Veidt qui reproduisait  les gravures qui accompagnaient le roman de Victor Hugo qu’il l’a noté dans un coin de sa tête. Et c’est à cause de ce film qu’il a eu l’idée du Joker. Donc on se dit, voilà, sans Victor Hugo, il n’y a pas Batman ou en tout cas le Joker. Et moi je trouve ça très intéressant. Je trouve plus intéressant de dire à un gamin que Victor Hugo c’est aussi bien que Batman plutôt que de lui dire que Katy Perry c’est aussi bien que Billie Holiday, parce que ce n’est pas vrai. Aujourd’hui, on a une tendance à négliger le passé en disant que finalement tout est cool dans la culture d’aujourd’hui, que tout se vaut, que tout est bien, que Lady Gaga c’est comme Barbara. Et du coup on expose tellement toute les références qui sont, je dirais, des références patrimoniales, dans un désir d’aller contre une espèce d’ordre établi qui serait une espèce d’ordre moral des choses.