Vendôme 2013 : l’art du mashup, du cinéma bricolé et du found footage

Posté par MpM, le 12 décembre 2013, dans Festivals, Films, Vendôme.

final cutPour sa 22e édition, le Festival du Film de Vendôme explore l'art du mashup et du found footage sous toutes ses formes. Le film montré en ouverture, Final cut : ladies and gentlemen de Gyorgy Palfi, propose ainsi une relecture de l'histoire du cinéma par le prisme des héros de celluloïd et de leurs interactions amoureuses, sublimées et décuplées dans un montage constitué d'extraits de 500 longs métrages de toutes les époques.

Car c'est ça, l'art du mashup (littéralement "faire de la purée") : assembler des images et des sons provenant d'une ou plusieurs sources pour créer une nouvelle œuvre indépendante et originale. Une technique qui a longtemps été l'apanage du cinéma expérimental, et qui, grâce à l’avènement des technologies numériques, semble désormais pouvoir se démocratiser.

Dans cette optique, l'agence régionale Ciclic qui organise le festival de Vendôme propose divers ateliers de "cinéma bricolé" et de montage destinés au jeune public ainsi qu'un petit panorama des différentes pratiques du mashup à travers une sélection de courts métrages très divers.

Du neuf avec du vieux

On a ainsi pu découvrir Le facteur humain de Thibaut Le Texier composé d'images d'archives mêlant des scènes industrielles et des scènes domestiques pour illustrer la correspondance entre une femme et son mari qui expérimentent tous deux le Taylorisme dans leur quotidien, Gravity de Nicolas Provost qui combine des baisers de cinéma dans une alternance effrénée de plans stroboscopiques ou encore Home stories de Mathias Muller qui, avec des plans très courts d'actrices en situation de stress, décortique le mécanisme du voyeurisme.

Mais le plus impressionnant the counterde la sélection est probablement The counter de Volker Schreiner qui consiste en une suite de fragments très courts où apparaît un chiffre, formant au final un compte à rebours géant allant de 266 à zéro.

Le montage cut et frénétique et la bande son lancinante empêchent le spectateur de détacher le regard de l'écran, uniquement focalisé sur le chiffre à trouver dans l'image avant qu'elle ne soit remplacée par une autre, et sans plus faire attention aux comédiens célèbres qui se succèdent eux-aussi à l'écran.

Un suspense oppressant se dégage de cette insaisissable fuite en avant : une fois le compte à rebours terminé, que va-t-il se passer ? En six minutes, Volker Schreiner résume ce qu'est l'art du found footage : détourner les images d'origine jusqu'à les transformer en une matière brute qui ne compte plus pour ce qu'elle fut (des extraits de films célèbres où l'on s'amuse à reconnaître tel ou tel) mais bien pour ce que le réalisateur a décidé d'y placer (ici : des chiffres). Un chef d’œuvre du genre qui est par chance visible en ligne.

Voyages en cinéphilie

L'autre volet de la thématique "mashup", l'installation "Voyages en cinéphilie", s'avère tout aussi fascinante, avec en plus la particularité d'être interactive. En effet, le festival de Vendôme propose trois types d'expériences en lien avec le détournement d'images préexistantes.

table mashupLa table mashup, créée par le réalisateur Romuald Beugnon et coproduite par quatre pôles régionaux  dont Ciclic, met ainsi le montage vidéo à la portée de tout un chacun. Il s'agit d'une table, munie d'une vitre transparente, sous laquelle est placée une caméra capable de reconnaître des codes visuels.

Chaque code visuel correspond soit à un extrait de film, soit à un bruitage, soit à un extrait musical. Lorsque l'on place sur la vitre les cartes imprimées qui servent de support aux codes, l'ordinateur relié à la caméra joue le son choisi ou projette sur un écran les images sélectionnées. Il est ensuite possible de mixer plusieurs séquences avec plusieurs bruitages, de rajouter sa voix, et même de filmer ses propres images, pour réaliser en très peu de temps, et sans manipulations techniques, un film entièrement original. Un autre mode permet de monter des séquences bout à bout, donnant une liberté quasiment infinie aux utilisateurs.

Une première approche extrêmement ludique (mais aussi très simplifiée) d'une étape de la réalisation de films qui reste souvent dans l'ombre. Un bon début pour sensibiliser le grand public à l'art du mashup et du bricolage ciné !

Autre dispositif proposé derivesdans le cadre l'installation "Voyages en cinéphilie", Dérives des artistes Emilie Brout et Maxime Marion consiste en la projection d'un film infini formé de courts extraits cinématographiques ayant un lien avec l'eau. Les extraits sont répertoriés à l'aide de mots-clef dans lesquels navigue le logiciel qui détermine l'ordre des séquences.

Ce système de montage automatique et infini propose ainsi un film perpétuellement renouvelé. Au-delà de la prouesse technique (certains enchaînements semblent avoir été pensés par un esprit humain, notamment une longue succession de prises de médicaments accompagnés d'un verre d'eau, ou encore la transition entre une aspirine effervescente et une séquence sous-marine pleine de petites bulles), ce film auto-généré pose la question de la narration et du point de vue. En effet, quel sens donner à un montage purement aléatoire, même basé sur des critères concrets ?

Repousser les frontières

shiningEnfin, Hold on (créé également par Emilie Brout et Maxime Marion) estompe la frontière entre cinéma et jeu vidéo. A l'aide d'une interface de type arcade, le spectateur-joueur pénètre à l'intérieur de la temporalité d'une séquence de films et influe sur son déroulement en provoquant un saut en avant ou en arrière. L'une des séquences proposées est tirée de Shining : on y suit (de dos) le jeune héros du film lancé dans une course folle en voiture à pédales dans les couloirs déserts de l'hôtel où il vit avec ses parents. Chaque pression sur la manette permet de naviguer dans la scène, soit en "sautant" à un plan normalement situé plus loin dans la séquence, soit en revenant à un plan déjà vu.

Avec un peu de maîtrise, le dispositif permet de créer des boucles temporelles vertigineuses et hallucinées prenant le personnage dans une éternelle répétition du même moment particulier. Il est possible de "jouer" de la même manière avec un combat de La fureur du dragon, une scène de combat aérien de Top gun, une course poursuite de la Mémoire dans la peau, etc. A chaque fois, le "spectateur" devient un démiurge capable d'inventer sa propre vision du récit, en réinventant à l'infini les interactions des véhicules ou des personnages. Toute séquence de film ainsi passée à la "moulinette" du pur désir de spectateur crée une expérience sensorielle totalement addictive.

Et même si le "montage" obtenu peut sembler singulièrement dénué de signification, il peut aussi offrir une relecture radicale de l'original, en créant son propre sens. Ainsi, en faisant subir un montage ultra-saccadé et répétitif à l'une des séquences finales de Blair witch, on crée une angoisse totalement déconnectée de l'idée même d'intrigue, induite uniquement par l'écho des voix des personnages qui se répondent sans fin dans un labyrinthe infini de murs délabrés et couverts de sang.

Ces différentes manipulations donnent un aperçu, peut-être moins des rouages du montage, que de son importance primordiale dans la création cinématographique. La démarche du mashup, comme les installations d'Emilie Brout et Maxime Marion, rappellent en effet qu'un nombre fini d'images peut donner un nombre infini d'oeuvres, uniquement par la magie du montage et de la juxtaposition. Elles offrent également l'intuition d'autres formes de création où le spectateur n'est plus passif face à l'écran, mais partie prenante de ce qui s'y déroule. Comme un monde de possibles qui s'ouvrirait juste derrière l'écran.

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