Nos coups de coeur de l’année: la sublime banalité dans Boyhood de Richard Linklater

Posté par vincy, le 28 décembre 2014, dans Berlin, Films, bilan 2014.

boyhood

Une année de cinéma c'est quasiment un film par jour, sur grand ou petit écran. On peut y ajouter les rencontres chaleureuses d'artistes pour des interviews, les disparitions marquantes de comédiens que nous ne verrons plus, de cinéastes qui ne filmeront plus, les souvenirs plus personnels où des images de fiction se mêlent à nos vies. Ainsi, on se surprend à être submergé d'émotions avec un chant japonais autour d'une femme en train de mourir (Still the Water de Naomi Kawase), sans que l'on sache si l'on est davantage touchés que d'autres confrères par cette scène parce que nous sommes nipponophiles. Idem face à cette scène toute québécoise où un trio d'acteurs chante du Céline Dion, pas forcément notre tasse de thé, pour communier ensemble (Mommy de Xavier Dolan), sans que l'on sache vraiment si d'avoir vécu dans la Belle province nous influence.

C'est toute la force du cinéma: nous faire aimer Scarlett Johansson en alien vampire ou la classe de la Cour de Babel, un plan séquence de '71 ou une scène de foot de Timbuktu, nous faire vibrer avec un histoire simple comme Party Girl ou nous amuser avec une comédie policière à la Agatha Christie au Grand Budapest Hotel.

Mais si je devais retenir un coup de coeur, ce serait Boyhood. C'était à Berlin, un jeudi matin. L'hiver est clément: pas de neige, du soleil, un froid sec. La projection est matinale dans la grande salle du Berlinale Palast. On ne sait quasiment rien du film. Il a été présenté à Sundance trois semaines avant, mais la presse américaine n'en a pas fait l'événement à l'époque. Richard Linklater est connu, mais pas forcément pour une oeuvre dont le pitch tient en deux lignes. Le casting n'est pas de catégorie A et la durée de 2h45 a tendance à nous inquiéter plus qu'à nous emballer.

Et donc près de trois heures plus tard, on ressort étourdi, épaté, bluffé même. Douze années d'une vie, avec les mêmes acteurs que l'on voit grandir (les enfants) et vieillir (les adultes). Pourtant ce n'est pas ce tour de force du projet (filmé durant douze ans) qui nous impressionne. Si Boyhood reste parmi les grands souvenirs de cinéma de l'année c'est parce qu'il ne raconte rien de spécial, hormis la vie d'une famille américaine typique, qu'il ne surdramatise rien, qu'il fait de la routine et du quotidien de chacun un élément de l'évolution. Il est le reflet de notre vie, renvoyant l'image d'une société banale, d'une famille normale. On éprouve une empathie immense pour les personnages. On lâche prise. La mise en scène réussit à relier la douzaine de chapitres sans accros. Cette fluidité, non exempte de beauté, nous emporte dans le tourbillon de la vie.

Et c'est finalement là que le cinéma est un art sublime. Peu importe le voyage, l'ivresse est toujours là. Mais lorsqu'il pointe sa caméra sur l'amour et la vie, que ce soit au Japon, au Québec ou en Lorraine, il nous rappelle à quel point tout est affaire d'auteur, de point de vue, de récit. Boyhood est un très grand récit universel, donnant raison à Jean-Paul Sartre qui rappelait: « Pour que l'événement le plus banal devienne une aventure, il faut et il suffit qu'on se mette à le raconter.»

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