Berlin 2016 : Jeff Nichols présente Midnight (pas si) special

Posté par MpM, le 12 février 2016

midnight special

Jeff Nichols restera toujours le réalisateur de Take Shelter et, quoi qu'il fasse, on espérera éprouver devant chacun de ses nouveaux films la même surprise et le même choc que ceux générés à l'époque. Attente démesurée, injuste et déraisonnable, certes, mais attente indéniable qui en dit long sur les conditions de présentation de Midnight special, son nouvel opus, lors de cette première journée de compétition de la 66e Berlinale.

Et le pire est sans doute que cette attente insensée est à moitié comblée par ce film étonnant qui commence comme un thriller minimaliste et intime, incroyablement mystérieux et tendu, et qui s'achève comme un mélo insupportable mâtiné de science fiction et de bons sentiments spielbergiens.

Dans la première heure du film, Jeff Nichols tient et le film et le spectateur, happé par la sécheresse de ce récit étrange qui se révèle par petites touches. Il est question de l'enlèvement d'un enfant, d'une étrange communauté aux croyances apocalyptiques, de données étatiques confidentielles... Le rythme est soutenu, limpide, sec, sans le moindre plan inutile. Il règne à l'écran une urgence rendue palpable par les scènes courtes, l'absence de détours, l'emballement immédiat de l'intrigue.

Le film, qui réunit Michael Shannon, Joel Edgerton, Kirsten Dunst, Adam Driver et Sam Shepard, fait l'effet d'une chasse à l'homme implacable, dangereuse et trouble, qui ne peut s'enraciner que dans des causes grandioses et terribles, et dont l'issue ne peut qu'être fatale. C'est là le plus grand risque avec ce type de films : créer un mystère si épais, si complexe, si fascinant, que sa résolution ne soit pas à la hauteur, et laisse un sentiment non seulement de déception, mais aussi d'escroquerie.

Sujet mystérieux et objet banal

Or c'est exactement ce que fait Midnight special : trahir l'attente du spectateur en se transformant peu à peu en un objet banal (disparu, le mystère laisse place à une histoire somme toute peu singulière et surtout particulièrement tirée par les cheveux), voire bancal (entre invraisemblances, détails passés sous silence et personnages abandonnés en chemin), qui s'affadit de minute en minute, jusqu'à tourner au ridicule.

Comment un tel revirement est-il possible ? C'est probablement le scénario qui est le premier à blâmer : résolution simpliste, personnages à peine esquissés, succession de séquences tire-larmes... Mais même la mise en scène se fait plus pesante au fur et à mesure de la progression de l'intrigue, multipliant les plans sur les visages tristes ou préoccupés des deux adultes, avec une palme du surjeu pour Kirsten Dunst qui n'a absolument rien d'autre à faire que rouler des yeux, hocher la tête avec douceur et prendre un air mi-inquiet, mi-désespéré. On a tellement vu cette figure caricaturale du parent-prêt-à-tout-sacrifier-pour-sauver-son-enfant, interprétée avec la même outrance, et suggérant la même ligne émotionnelle,  qu'elle nous sort tout bonnement par les yeux.

Tout occupé qu'il était à réaliser sa grande œuvre de science fiction à gros budget, Jeff Nichols a perdu en cours de route ce qui faisait jusque-là l'essence de son cinéma : une extrême simplicité alliée à un immense talent de conteur. Midnight special était probablement destiné à être son E.T., et qui n'aurait pas envie de s'inscrire dans cette tradition ? Mais cette fois le réalisateur a tout simplement mis la barre trop haut, oubliant que pour marcher sur ces traces-là, il faut plus de cœur et de sincérité que d’esbroufe et de bons sentiments.

Vesoul 2016 : 3 beaux films et un palmarès

Posté par kristofy, le 12 février 2016

tharlo

Ce 22e Festival International des Cinémas d’Asie de Vesoul a eu le bonheur de compter avec la présence du réalisateur coréen Im Sang-soo dans le rôle de président du jury de la compétition, il était entouré de la réalisatrice et productrice Nan Triveni Achnas (Indonésie), du réalisateur Euthana Mukdasanit (Thaïlande) et de la réalisatrice Mania Akbari (Iran). Après la projection des deux premiers films, Im Sang-soo avait d’ailleurs confié en aparté avoir déjà vu deux belles surprises. 30000 spectateurs dans les salles ont pu ainsi découvrir une compétition éclectique.

Le jury a salué la diversité des neuf films en compétition. Avec les différents jurys, on donc découvert Tharlo de Pema Tseden (Chine mais le réalisateur est tibétain, sélectionné au dernier festival de Venise), le réalisateur Cho Chang-ho venu avec Another way (Corée du Sud), le réalisateur Yerlan Nurmukhambetov avec Walnut tree (Kazakhstan), l’actrice Shahana Goswami avec la réalisatrice Rubaiyat Hossain pour Under Construction (Bangladesh, mais la cinéaste a été formée aux Etats-Unis), Back to the north de Liu Hao (Chine, réalisateur déjà récompensé d’un Cyclo d’or à Vesoul en 2011 pour Addicted to love), La nuit avec l’actrice Vildan Atasever (Turquie), Being good de la réalisatrice O Mipo (Japon), le réalisateur Lawrence Fajardo venu pour Invisible (Philippines, mais tourné au Japon), et Wednesday May 9 de Vahid Jalilvand (Iran), soit une multitude de visages d’Asie.

Un film chinois doublement couronné

C’est donc Tharlo qui a remporté le Cyclo d’or (et le prix Inalco), le jury ayant été impressionné par ce “portrait d’une vie triviale solitaire, par ses qualités cinématographiques, son traitement délicat de la définition de l'identité à travers son personnage principal”. Le film est construit avec une suite de longs plans fixes en noir et blanc : un berger à la vie simple se rend en ville pour faire une carte d’identité qu’il n’a jamais eu et dont il n’a jamais eu besoin. Pour cela, il ira chez une photographe puis chez la coiffeuse qui l’emmènera pour la nuit au karaoké et vers des rêves d’ailleurs. Il va alors vendre les moutons dont il n’était pas propriétaire et, riche de liasses de billets, il s’enfuira avec la coiffeuse qui va lui changer sa tête…

Un film japonais triplement plébiscité

L’autre film qui a été très apprécié est le japonais Being Good (Kimi wa liko) qui a reçu le prix du public, le prix de la critique et le prix du jury lycéen. il s'agit d'une gentille histoire sur l’enfance avec un instituteur débutant face à un petit garçon délaissé par son père, avec une maman violente avec sa petite fille, et une vieille dame qui se prend d’affection pour un garçon attardé mental… « Les gens qui suffoquent dans leur famille peuvent être sauvés par quelqu’un qui n’est pas de la « famille ». Et quand cela arrive, ils peuvent avoir de la compassion à nouveau pour leur « famille »» explique le cinéaste.

Le Grand prix du jury international a été décerné à Wednesday May 9.

Deux films marquants

De notre côté, on pariera sur deux films qui feront parler d'eux à l’avenir : Invisible et Under Construction.

Invisible (Imbisibol) de Lawrence Fajardo a reçu le prix Netpac (network for the promotion of asian cinema) pour “sa belle structure narrative culminant dans une tragédie finale, qui imprime le message du film avec une force extraordinaire”, le film raconte en cinq actes le quotidien de différents travailleurs philippins émigrés au Japon (les overseas workers). Un homme se fait arrêté le jour de son anniversaire, un autre se prostitue en plus de son travail de nettoyage de toilettes, une femme loue des appartements à des compatriotes, un accident dramatique sur un chantier, la douleur de recevoir des nouvelles de sa famille que par courrier après être parti depuis trop longtemps… Film choral avec différentes histoires dont les personnages vont être amenés à se croiser, Invisible évoque la question des travailleurs philippins qui ont émigrés dans d’autres contrées (au Japon dans le film, en réalité la 2ème destination choisie sont les chantiers au Moyen-Orient et les emplois de domestiques aux Etats-Unis..) dans l’espoir de subvenir aux besoins de leur famille restée au pays. Ce film Invisible (par ailleurs co-produit par Brillante Mendoza) depuis son passage au festival de Toronto fait de son réalisateur Lawrence Fajardo un nouveau talent à suivre.

L’autre favori était Under Construction de la réalisatrice Rubaiyat Hossain, avec l’actrice Shahana Goswami. Il a justement reçu le prix du jury international (troisième récompense la plus importante derrière le Cyclo d’or) et le prix Emile Guimet (et mention spéciale de la critique) pour “un film téméraire qui brise des tabous, réalisé par une femme dans un pays ou les femmes ne sont pas réalisatrices, dans une ville en changements le portrait tout en sensibilité d’une femme qui lutte pour l’affirmation de son identité”. On y découvre une femme à un possible tournant de sa vie. Actrice de théâtre, elle pourrait être remplacée par une collègue plus jeune, tandis qu’elle hésite à reprendre en main la mise en scène d’une pièce : sa mère attachée aux traditions musulmanes désapprouve son métier pas 'respectable’, son riche mari auquel elle est marié depuis plusieurs années lui demande enfin un enfant, mais elle ne se sent pas prête ni pour être enceinte, ni pour arrêter le théâtre. En même temps son amie domestique tombe elle enceinte d’une liaison qui va l’obliger à se marier et à aller travailler dans une fabrique de vêtements là où des bâtiments s’écroulent… La réalisatrice avance des idées féministes par petites touches (prendre son indépendance face à la religion, au mariage…)

Invisible de Lawrence Fajardo tout comme Under Construction de Rubaiyat Hossain se rejoignent d'ailleurs avec une même ambition de faire s’attacher à des personnages émouvants tout en racontant des problématique de société d'un pays...

Une reprise des films primés aura lieu à l'auditorium du Musée des Arts Asiatiques Guimet de Paris le 1er avril 2016 et une autre à l'auditorium de l'INALCO en octobre 2016.

Le palmarès complet :

- Cyclo d'Or : "Tharlo" de Pema Tseden
- Grand prix du Jury International : "Wednesday, May 9" de Vahid Jalilvand
- Prix du Jury International : "Under Construction" de Rubaiyat Hossain
- Mention spéciale du Jury International : "Walnut Tree" de Yerlan Nurmukhambetov
- Prix du Jury NETPAC : "Invisible" de Lawrence Fajardo et "Wednesday, may 9" de Vahid Jalilvand
- Prix de la critique : "Being Good" d'O Mipo.
- Mentions spéciales de la critique : "Under Construction" de Rubaiyat Hossain et "Walnut Tree" de Yerlan Nurmukhambetov
- Prix Emile Guimet : "Under Construction" de Rubaiyat Hossain
- Coup de cœur du Jury Guimet : "Back to the North" de Liu Hao
- Prix INALCO : "Tharlo" de Pema Tseden
- Coup de coeur INALCO : "Being Good" O Mipo
- Prix du public du film de fiction : "Being Good" d'O Mipo
- Prix du Jury Lycéen : "Being Good" d'O Mipo
- Prix du Public du film documentaire : "De Hiroshima à Fukushima" de Marc Petitjean
- Prix du Jury Jeune : "Tashi & The Monk" d'Andrew Hinton & Johnny Burke