Berlin 2016 : le cinéma français dans tous ses états

Posté par MpM, le 16 février 2016

Pour le cinéma français, la Berlinale est une belle vitrine, et même si cela fait 15 ans que l'Ours d'or n'est pas allé à un film français (depuis l'anglophone et londonien Intimité de Patrice Chéreau en 2001), ceux-ci sont toujours présents en nombre dans la compétition ainsi que dans les différentes sections du festival. Les adieux à la reine de Benoit Jacquot avait d'ailleurs fait l'ouverture en 2012.

6 films français en compétition

Pour cette 66e édition, on recense une trentaine de longs métrages français ou coproduits par la France, dont six en compétition et deux en sélection officielle hors compétition. Parmi les prétendants à l'Ours d'or, trois sont des coproductions minoritaires : le désastreux Alone in Berlin de Vincent Perez, adaptation plate du roman de Hans Fallada (Seul dans Berlin) se déroulant en Allemagne nazie pendant la guerre, mais en anglais ; le peu inspiré Soy Nero de Rafi Pitts, qui se passe aux Etats-Unis et en Afghanistan avec des acteurs hispanos rêvant de devenir citoyens américains, et le documentaire italien Fuocoammare de Gianfranco Rosi sur l'île de Lampedusa.

Les films français, ou majoritaires, sont aussi ceux qui présentent le plus de chances d'apparaître au palmarès. Outre Quand on a 17 ans d'André Téchiné dont on a déjà parlé, il s'agit de L'avenir de Mia Hansen-love, un film éminemment français, rempli de citations et de philosophie, qui fait le portrait doux amer d'une femme de 50 ans qui se retrouve soudainement livrée à elle-même et ne sait pas trop quoi faire de cette liberté retrouvée, avec une Isabelle Huppert toujours juste dans la gravité comme dans les séquences plus légères, et de Mort à Sarajevo de Danis Tanovic dont c'est le retour à Berlin après le succès de La femme du ferrailleur en 2013 (Grand prix et prix d'interprétation masculine).

Mort à Sarajevo de Danis Tanovic

Son nouveau film est un pamphlet politique articulé autour de l'anniversaire de l'assassinat par Gavrilo Prinzip de l'archiduc Franz Ferdinand, événement connu pour avoir précipité le monde dans la première guerre mondiale. Reliant l'héritage laissé par Prinzip (criminel ou héros ?) aux horreurs commises pendant la guerre en ex-Yougoslavie, à la pièce Hôtel Europe de Bernard-Henri Lévy (sur l'échec de l'Europe) et aux coulisses d'un hôtel qui part à vau l'eau pour cause de crise économique, il propose un film une nouvelle fois très ancré dans la réalité sociale, économique et politique du pays et qui n'hésite pas à se moquer de lui-même. Il pose également un certain nombre de questions brûlantes sur l'échec de la diplomatie européenne face aux conflits majeurs des 50 dernières années, cette "Europe qui meurt dans tous les Sarajevo d'aujourd'hui" évoquant évidemment l'inextricable situation syrienne.

Autres sections

Hors-compétition, Saint Amour de Gustave Kervern et Benoît Delépine et Des nouvelles de la planète Mars de Dominik Moll sont attendus. En forum et en panorama, ce sont en tout 18 longs métrages qui ont été sélectionnés sous la bannière française, parmi lesquels TheEend de Guillaume Nicloux, Le fils de Joseph d'Eugène Green, Théo et Hugo dans le même bateau de Olivier Ducastel et Jacques Martineau ou encore La Route d'Istanbul de Rachid Bouchareb. Parmi les coproductions, on nota le présence de Baden Baden de Rachel Lang, L'Ange blessé de Emir Baigazin et Les Premiers, les Derniers de Bouli Lanners, déjà sorti en France.

Berlin 2016 : coup de cœur pour Crosscurrent de Yang Chao

Posté par MpM, le 16 février 2016

cross current

Alors que près de la moitié de la Berlinale 2016 s'est déjà écoulée, et qu'il reste seulement sept films en compétition à découvrir, on commence à avoir une idée de la physionomie de la sélection de cette année, éclectique dans les styles et les sujets, et plutôt de bonne facture. Hormis le désastreux Alone in Berlin de Vincent Perez dont on reparlera plus tard (ou pas), les films en course pour l'Ours d'or y ont tous leur place, et apportent une vision passionnante du cinéma actuel : audacieux, engagé, imaginatif, passionné.

Plusieurs films semblaient déjà des prétendants sérieux au palmarès (Hedi de Mohamed Ben Attia, Fuocoammare de Gianfranco Rosi, Quand on a 17 ans d'André Téchiné, Death in Sarajevo de Danis Tanovic...), et il ne manquait jusqu'à présent qu'un réel coup de cœur, de ces films dont on sait en les regardant que l'on assiste à un tournant du festival doublé d'un vrai moment de cinéma, et qu'on se souviendra longtemps des émotions ressenties en le découvrant. Manque comblé, presque dès les premières minutes, par Chang Jiang Tu (Courant contraire ou Crosscurrent) de Yang Chao, œuvre à la beauté fulgurante qui explore toute la palette de la poésie la plus mélancolique.

Errance hallucinée et métaphysique

Gao Chun, un jeune capitaine dont le père vient de mourir, navigue sur le Yangtze. Son voyage lui est dicté par les poèmes d'un auteur inconnu qui évoquent différents lieux du fleuve. A chaque étape, il croise la même femme, qui est l'amour de sa vie.

Dans ce qui ressemble à une errance hallucinée et métaphysique, le réalisateur chinois Yang Chao (Passages) montre des lieux engloutis qui ont chacun leur légende, et évoquent une Chine construite sur les ruines du passé et l'exil forcé de ses habitants. Il filme avec majesté les montagnes radieuses, le barrage imposant, la pagode bouddhique et les restes du village dévasté par les eaux du Yangtze, mais aussi le visage de ses personnages principaux se découpant sur des fonds végétaux entièrement flous, ou comme recadrés à l'intérieur du cadre. Et puis il y a les bateaux qui se croisent en pleine mer, dans le brouillard et les tons bleutés. La mer, les vagues et le paysage alentours. On est sidéré par une recherche formelle qui s'harmonise aussi parfaitement avec la construction poétique du récit qui se joue des explications et de la temporalité pour faire de l'espace et du temps une matière à travailler.

Minimalisme et mélancolie

On se moque totalement de comprendre, ou non, l'intrigue secondaire qui flirte avec le polar, ou la symbolique qui se cache derrière les différentes légendes évoquées au cours du récit. Peu importe également que les protagonistes soient des spectres ou des songes, ou qu'il soit parfois ardu de raccorder les séquences entre elles. On est juste envoûté par l'ambiance minimaliste et mélancolique, renforcée par la beauté déchirante de la musique. Il n'est pas besoin de mots, ou de logique, pour ressentir de l'intérieur la force des émotions véhiculées par le film. Comme si Yang Chao s'adressait directement à nos sens de cinéphile en alerte (composition des plans, symbiose du son et de l'image) sans passer par la médiation du sens, c'est-à-dire du raisonnement.

Exigeant et généreux à la fois, Crosscurrent est à l'image du fleuve qu'il glorifie et de l'âme humaine qu'il observe : plein de méandres, de chemins de traverse, de virtuosité et d'éclat. Une œuvre qui coupe le souffle par sa parfaite harmonie entre fond et forme, par sa singularité viscérale et son audace intransigeante. Peut-être parce qu'il affiche une confiance aveugle dans le cinéma, et dans l'intelligence sensible du spectateur, il porte en lui un espoir fou et démesuré qui n'a d'autre objet que lui-même.